Sous ce titre et sous un beau coffret, l’association La Gaillarde, sise à Meilhards en Corrèze, propose trois films consacrés au monde paysan corrézien : L’engrangeur, De la tête à la queue et Le sentier des âmes. Olivier Davigo les a regardés pour nous. Mais que cela ne vous empêche pas d’y aller voir vous-mêmes !
Régis est un engrangeur. Ne cherchez ni le mot ni le métier sur Wikipédia, il n’existe pas ou pas encore. Régis a peut-être 80 ans, ou plus. Il a été paysan. Sélectionneur de vaches aussi. Il est de Meilhards, en Corrèze.
La caverne d’Ali-bric-à-brac
Les vaches, il les a toujours aimées. Des vaches grand format, mais aussi format de poche comme celle en fer qui lui sauva la vie lors de la Guerre d’Algérie parce que la balle tirée s’est fracassée sur le jouet au lieu de lui perforer le poumon ou le cœur ! Petite vache qu’il traînait partout avec lui depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, comme un gri-gri.
Régis est un collectionneur compulsif, maladif, il le dit lui-même, de tout ce qu’il peut trouver autour de lui dans le monde paysan, surtout des outils mais aussi des jouets. Au fil de la caméra, on s’attarde doucement sur cette caverne d’Ali-bric-à-brac. Cette soif de tout garder, de tout stocker, a envahi la grange, la maison, de la cave au grenier. Des boîtes, des étagères débordantes... Plusieurs centaines de serpes, mais pas une pareille. Et Régis cherche encore l’originale, celle que le forgeron aura frappée spécifiquement pour couper l’herbe verte. Car le forgeron, ce maître artisan qui joue avec le feu, indépendant, souvent anarchiste ou anticlérical, qui vous donne le soir les 22 clous que vous lui aviez demandés le matin, quand aujourd’hui, habitant de Meilhards, vous iriez à Chamberet ou à Tulle acheter 5 kg de pointes, ce forgeron donc, est un monsieur important, celui qui rythme, avec son marteau, la vie paysanne.
Le virus se transmet
Dans son univers particulier, on croise régulièrement trois autres personnages. Son fils, Thierry, qui est devenu marchand d’objets, avec qui il entretient depuis des années une forte complicité. Le père « braconnier » d’objets, le fils chasseur de gros gibier. Mais Thierry se définit d’abord comme un marchand, alors que son père est un collectionneur. Le marchand fait circuler les objets, les répare, leur donne une deuxième vie, alors que le collectionneur entretient, mais surtout conserve. Merveilleuse séquence que celle où père et fils, dans une école ou une salle avec du public, exhument quantité d’objets étranges, un tout petit fusil pour tuer la taupe dans le tunnel, une pince à anguille, un trancheur de croûte de pain vieux, ou encore une pince à tuer les poules...
Le deuxième personnage, c’est le petit-fils, Geoffrey, jeune paysan passionné d’engins agricoles mais surtout de modèles réduits. Le virus se transmet. Geoffrey ne jette rien : tout se conserve et peut servir un jour. Car un paysan, ce n’est pas très riche, ça doit savoir tout faire, se débrouiller avec n’importe quoi. Alors, on ne jette rien.
Le troisième personnage, c’est le filleul, Stephen, qui se revendique d’abord comme agriculteur, avec son petit troupeau de vaches limousines et d’Aubrac et ses moutons. Un homme heureux qui considère que son vrai métier c’est de nourrir les gens et pas n’importe comment. Stephen dit à Régis qu’il lui est redevable d’avoir appris à regarder, observer et réfléchir.
Notre monde rural interrogé
N’oublions pas les deux amis de Régis qui, au fil du film, avec notre engrangeur comme directeur artistique, réalisent une installation d’art contemporain dans le jardin avec des serpes et des pics plantés dans la terre ou suspendus à des ficelles. Un clin d’œil à l’étonnante réalisation intergénérationnelle (les arrière-petits-enfants étant associés) d’une grande maquette naturaliste montée sur un plateau de remorque agricole où les jouets, figurines animales et humaines, charrettes, tracteurs et laboureurs en modèles réduits sont mis en scène avec terre et brins d’herbe, pour les labours et les récoltes. Ne manque que le petit train électrique ! Et un petit regret peut-être : c’est un film aux personnages presque exclusivement masculins.
Régis conserve tellement, qu’au crépuscule de sa vie, quand il revisite régulièrement son petit paradis d’objets, il s’émerveille de redécouvrir toutes ces choses qu’il avait complètement oubliées. « C’est sans fin » dit-il avec les yeux qui brillent. Une caméra qui chine, certes, mais en filigrane une agriculture paysanne traditionnelle, une histoire des choses passées qui ne manque pas d’interroger en creux notre monde rural contemporain. Stephen, quant à lui, revendique clairement une autre façon d’envisager l’élevage, la gestion du territoire, et tranquillement de dire qu’il est préférable d’avoir plus de voisins que plus d’hectares... Derrière le portrait posé et attachant d’un homme original, Régis l’engrangeur, sourd donc en arrière plan un regard sur notre monde rural.
Olivier Davigo
Le coffret DVD Planète paysanne, échos de Corrèze est vendu au prix de 25 euros (frais postaux inclus). Il vous sera adressé dès réception de votre chèque (à l’ordre de La Gaillarde) en spécifiant votre nom, le nombre d’exemplaires souhaité et l’adresse de livraison.
Association La Gaillarde, 9 rue du Château, 19 510 Meilhards.
Contacts : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. Florence Evrard, 06 77 94 14 79.
- On tue le cochon !
Il y a presque 20 ans, au Breuil. Un jour durant, peut-être deux, depuis l’abattage du cochon jusqu’à la cuisson du boudin. Un couple de paysans retraités et des amis tuent le cochon. Tout est montré. Au début, la truie est vivante, puis le coup de fusil, la récupération du sang, le nettoyage au chalumeau et à la raclette, la découpe au grand couteau et à la scie à métaux (âmes sensibles à l’hémoglobine s’abstenir). La bête est lourde, même quand la tête a été séparée du corps. Il faut être trois pour la bouger, la suspendre les pieds en l’air, et découper, découper. Répartition dans des seaux, nettoyage des intestins pour récupérer les boyaux pour le boudin. La caméra est au milieu et par procuration nous aussi. Hormis un très court moment, il n’y a pas de voix off. Ce sont les personnages qui parlent, plaisantent, rigolent et chantent parfois. Plaisanteries un peu grivoises parfois, qu’on préfère dire en occitan, mais aussi des propos sérieux au détour d’une conversation sur les enfants... De la tête à la queue (même si on ne verra pas la queue à la fin, désolé de spoiler le film), c’est un pur collectage image et son, une mémoire gravée à précieusement conserver.
- Le sentier des âmes
À travers une succession d’histoires familiales racontées par des petits-enfants, arrière et arrière-petits-enfants, on perçoit ce que fut cette Grande Guerre pour une petite commune corrézienne, Meilhards, qui comptait à l’époque 1 000 habitants et perdit 99 hommes... Des portraits de gens qui se souviennent, des objets exhumés, différents formats de photos en noir et blanc... et sépia. Des cadres plus ou moins serrés sur les visages alternent avec des plans plus larges, où les objets apparaissent, et des paysages, le plus souvent en plans fixes, apportent une certaine respiration.
Des moments plus en mouvement, lors de la célébration du 11 novembre ou dans la cour de l’école primaire, les enfants jouant à la marelle. Et salle de classe où les élèves montrent leurs dessins de soldats, dont celui d’un homme préhistorique velu dessiné par une fillette qui ignorait ce qu’était un poilu. Elles et ils racontent ce que leurs parents avaient appris de leurs parents et de leurs grands-parents. Moment touchant de cette autre fille qui parle de ces deux arrière-arrière-grands-pères, soldats de la même guerre 14-18... dont l’un était allemand, l’autre français. Les petites histoires dans la grande histoire, le constat d’un basculement, un après la guerre qui fut peut-être, avec le train nous dit-on, le début de l’exode rural et cette remarque, au détour d’un témoignage, qui laisse songeur : « Que seraient devenus la France et Meilhards si tous ces hommes n’étaient pas morts ? » Un film qui part du besoin de chercher et savoir, et finit sur la nécessité de raconter et témoigner.