C’est en 1923 qu’aurait pu être inauguré le monument aux morts de Gentioux. Il ne l’a jamais été. Uniquement « salué » par un préfet en 1985, ce monument connu pour ce cri gravé dans la stèle, « Maudite soit la guerre ! », marque le tournant d’une époque qui, désormais, délégitime l’usage de la guerre. À Gentioux, toute une série de manifestations se déroulera au cours de l’année pour célébrer ce centenaire.
La commune a préparé une année de programmation culturelle inspirée de l’histoire de la Grande Guerre : spectacles, expositions, projections, conférences, offriront à la réflexion individuelle et collective des petits et des grands, différents thèmes comme la non-violence, le quiproquo culturel, la fraternité en temps de guerre, ou encore la situation en Ukraine.
Gueules cassées
Toute une série d’événements s’égrèneront sur un rythme mensuel. Ainsi, en janvier et février, deux spectacles proposés par la Scène nationale d’Aubusson se sont déjà déroulés à Gentioux : L’hospitalité et vous et La leçon de français. Le 1er avril le film Au revoir là-haut, inspiré du roman de Pierre Lemaître (Prix Goncourt 2013), sera projeté à 16h. Dans la foulée, à 18h, Corinne Valade (de l’association La Courtine 1917), fera une conférence sur les gueules cassées, ces soldats défigurés durant la boucherie de 14-18 : « Lorsque la guerre vous “explose“ au visage, une histoire de Gueules cassées ». Blessures physiques, blessures psychologiques, après de tels traumatismes, comment ces hommes ont-ils réussi à survivre ? Exclus des familles, incapables de se réadapter à la vie courante, quel était leur quotidien ? Créée en 1921, l’Union des blessés de la face a permis de les sortir de leur isolement. Corine Valade fera découvrir le parcours de ceux qui se sont fait appeler les Gueules cassées et dont la devise était, comble d’ironie : Sourire quand même !
Expositions et chemins
Le 15 avril 2023, sera inauguré, par le Comité de la Creuse du Mouvement de la paix, le chemin « La Creuse pacifiste sur les pas de Jean Penot », à Royère puis à Gentioux, et en août une balade contée se déroulera dans le cadre du festival Paroles de Conteurs. Pas moins de sept expositions seront présentées pendant un mois, chacune dans les salles d’activités de la bibliothèque, la salle de yoga, les églises de Gentioux et de Pigerolles, entre autres, une exposition des Archives départementales de la Creuse sur les monuments aux morts. Le 23 avril, la compagnie Les Involtés présentera un spectacle tout public où il sera question de tolérance, d’ouverture aux différences, et de dictature. Le 2 septembre, après une présentation de l’exposition « Ces petites entreprises qui ne connaissent pas la crise », un récital de chansons et de poèmes théâtralisés en lien avec le centenaire sera présenté par un quatuor issu de l’association La Courtine 1917.
Un concours d’écriture
Début février, un concours d’écriture a été lancé. Ouvert aux majeurs ainsi qu’aux jeunes de 15 à 17 ans, il s’agit d’écrire une lettre originale à l’orphelin du monument aux morts de Gentioux qui ne devra pas excéder 4000 signes et être envoyée avant le 10 août 2023 (promulgation des résultats et remise des prix en décembre 2023 ou janvier 2024). Le jury du concours, composé d’auteurs et d’autrices, libraire, enseignant.e de français, conteur, etc., est présidé par l’écrivain Didier Daeninckx, auteur du livre pour enfants « Maudite soit la guerre », directement inspiré du monument aux morts de la commune, un monument emblématique qui a été souvent photographié, comme par exemple en 2013 par le photographe Patrick Tourneboeuf, dans le cadre d’une série sur les monuments aux morts intitulée « Stèles», photographie que nous reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Un week-end en novembre
Les 4 et 5 novembre 2023, un week-end plus dense et spécifiquement dédié à la Première Guerre mondiale accueillera, à Gentioux, historiens, sociologue, conteur, auteurs, descendants d’hommes politiques opposés à la guerre, qui ont en commun d’être touchés par ce que représente le poing levé de l’orphelin…Un week-end fraternel et convivial de rencontres avec des spécialistes et passionnés venus partager leurs connaissances en toute simplicité. Un temps pour nourrir le commun qui nous relie à ce monument sans âge... Parmi les intervenants, les historiens Jean-Yves Le Naour, sur la légitimité de la guerre (voir encadré) et Pierrick Hervé sur les pacifismes, la sociologue Annette Marsac sur la mobilisation des Creusoises dans la guerre et l’historienne Anne-Marie Wuthrick sur « 1870-1914, la revanche en chansons ».
Le 11 novembre aura lieu comme d’habitude la cérémonie publique avec les discours officiels suivie des discours des associations pacifistes, anarchistes et antimilitaristes. Et tout cela se finira en musique autour d’un pot offert par la municipalité avec les chants des enfants de l’école municipale accompagnés par Rafael Vioque-Lorenzo (violoncelle).
Toutes les informations concernant le centenaire, sa programmation et les modalités de participation au concours d’écriture sont à retrouver sur le site internet de la commune :
www.gentioux-pigerolles.fr
- « Maudite soit la guerre ! »
Les victimes civiles de la Grande Guerre comme enjeu moral et juridique
« Maudite soit la guerre » dit la célèbre inscription sur le monument aux morts de Gentioux. L’idée qu’il faut peu à peu enserrer la guerre dans un certain nombre de conventions et de contraintes juridiques, avec pour but final de la proscrire, est pourtant antérieure à la Première Guerre mondiale. Timidement, à la fin du XIXe siècle, émerge la volonté de créer un droit international qui limiterait le champ de la guerre. Si la grande tuerie de 1914-1918 voit ces premiers efforts balayés, le thème des victimes civiles, empoigné par la propagande, rend en même temps plus vive la nécessité de codifier sinon de supprimer la guerre et d’en juger les responsables. Devant l’histoire et devant les hommes, il faut condamner les criminels pour que le crime ne soit plus possible. Mais rien ne va se passer comme prévu.
À l’heure où la guerre fait toujours partie de l’horizon des hommes et où le Parlement européen, le 19 janvier 2023, s’est prononcé à une large majorité pour mettre en place un tribunal spécial chargé de juger les responsables de l’agression de l’Ukraine, nous reviendrons sur les origines de cette volonté de bannir légalement la guerre, pour que le droit épouse l’émotion et la colère gravée sur le monument de Gentioux.
Jean-Yves Le Naour, historien