« Nous cherchons un lieu de stockage au sec pour entreposer quelques meubles et cartons le temps que nos travaux soient terminés. On peut donner un petit billet. »
« Si tu as un lavabo ou une vasque de salle de bain (il me reste la colonne) que tu n'utilises plus et que tu habites à une vingtaine de km de Peyrat-le-Château, je suis preneuse (don, échange ou achat). »
« Je recherche une personne qui aurait des compétences en mécanique pour un entretien et redémarrage de mon tracteur tondeuse Honda (moteur GCV 530). Assez urgent car l'herbe va commencer à pousser vite. »
« Je donne un jars et une oie. »
« Mon ami Bob vient de partir de chez nous (secteur St-Moreil), il a fait une halte entre Peyrat-le-Château et Lacelle pour prendre une photo, il ne se souvient malheureusement plus du lieu précis (mais plutôt entre Eymoutiers et Lacelle), et a oublié son sac à dos marron en cuir (sa deuxième peau, sac américain qu'il a eu en cadeau) le long de la route. Il ne s'est rendu compte de cet oubli qu'à Albi le lendemain. Les faits se sont passés vendredi dans la soirée. Ce sac est plein de matos d'artiste, des carnets de croquis, etc. et du cash qu'on venait de lui donner pour la réalisation de notre rambarde ! »
« Je donne 2 adoôoraaaaables cochons d'Inde. Ils sont très mignons, ils vivent à Faux-la-Montagne depuis 2 ans en extérieur (dans un clapier-loft avec accès direct à un jardin privatif). Par contre, je garde le loft... je n'ai pas de cage à donner avec, donc faut avoir un logement à leur offrir. »
« J'aimerais apprendre à faire du levain, et, aussi à jouer de l'ocarina (ou de la flute). Quelqu'un a-t-il cela dans son grand sac de savoirs pour le partager avec moi ? J'ai aussi un sac avec des choses à partager (bricolage, tricot/couture, musique...) »
Voilà le genre d'annonces (mais ce n'est là qu'un très réduit florilège) qu'on trouve sur Crieur public, cette liste mail qui arrive chaque jour sur les adresses de plus de 1000 inscrits, essentiellement des habitants et habitantes du Plateau. Née vers 2015-2016, ce n'était au début qu'une liste d'amis qui se passaient des messages entre eux. « Ça venait d'un besoin personnel, explique Laetitia Carton, arrivée en 2008 sur le Plateau. À Lyon, où j'avais vécu auparavant, il y avait tous les samedis sur le marché de la Croix-Rousse un vrai crieur public. Les gens déposaient leurs annonces dans des boîtes qui étaient dans la rue et le samedi il les criait sur le marché. J'ai meublé tout mon appartement avec le crieur public ! Mais ici, il n'y pas d'endroit où il y a régulièrement tant de monde, d'autant que n'existaient plus le petit journal Vivre sur le Plateau diffusé par la communauté de communes du Plateau de Gentioux, ni les petites annonces de l'association De fil en réseaux qui ont un peu joué ce rôle à une époque. J'en ai donc parlé avec Quentin qui était facteur à l'époque et qui recueillait des gnorles (des blagues) pour une « Chronique du pays » qu'il faisait sur Radio Vassivière, et on s'est dit : on va faire un crieur public numérique ! » Quentin Paternoster qui s'y connaît en la matière revendique le côté très simple de la liste. Il suffit de s'inscrire et on reçoit un mail quotidien (avec parfois 2 à 3 annonces, certains jours jusqu'à 12 à 15) : « C'est l'exact opposé du truc monté en gestion de projet, ironise-t-il. On a fait ça sans plan, la dimension primitive est ressourçante, ça ne bouge pas dans la forme, c'est très simple et ça n'appartient pas à quelque modérateur que ce soit. » Outre ses deux fondateurs, une troisième modératrice vérifie quand même que les messages ne soient pas complètement hors des clous.
Pour définir Crieur public, Quentin a une formule : « Ce n'est pas une place de marché et c'est même ce que tu ne mettrais pas forcément sur le Bon coin. » Laetitia en a une autre : « Des messages des gens d'ici pour les gens qui vivent ici. » Cette dimension locale est la condition du succès. Quentin renchérit : « La limite d'une liste comme celle-ci est celle de l'interconnaissance. Il faut que les gens se connaissent plus ou moins, qu'il y ait une espèce de confiance entre eux. » Quelques annonces ont pu faire tiquer de temps en temps (par exemple sur des propositions de pratiques spirituelles ou de soin), mais la réponse des modérateurs est un appel à l'esprit critique (à chacun de juger ce qui est bon ou non pour lui) et un rappel que tout le monde n'a pas les mêmes envies ou recherches (il faut de tout pour faire un monde). Le petit monde de Crieur public tient donc au fait qu'on n'est pas totalement étranger les uns aux autres. « Nous sommes plus de mille, c'est déjà beaucoup et pour les personnes qui veulent s'y inscrire et qui sont un peu loin, comme Bourganeuf, Aubusson ou au-delà de Meymac, le mieux serait de développer d'autres crieurs publics ailleurs. » Des gens sont du reste passés les voir pour s'inspirer de l'initiative. C'est ainsi que s'est créé un autre crieur public numérique en Dordogne, et que du côté de Felletin et Aubusson est née sous la même forme « la Hurlante populaire », que d'autres listes ailleurs se sont également créées. En attendant, de nouveaux venus s'inscrivent sur la liste pour mieux connaître ce qui se passe sur le Plateau et rechercher une coloc, un terrain ou une piste pour une maison. « C'est la magie de Crieur public », résument ses promoteurs qui ajoutent, malicieux : « Ça contribue à façonner la fiction du Plateau de Millevaches ». Une fiction, oui, mais aux accents de vérité !
Michel Lulek