Dans son n°81 IPNS a expliqué comment l'État, via les préfectures, avait dans le collimateur un certain nombre d'associations locales et comment se traduisait cette hostilité (1). Médiapart, de son côté avait également informé ses lecteurs de cette situation (2). En août, c'est Le Monde qui a mis le sujet sur la table en consacrant deux pages à la situation locale des associations sous le titre : « Sur le plateau de Millevaches, une "liste rouge" d’associations privées de subventions ».
Alain Détolle, conseiller communautaire de Creuse Grand Sud et conseiller municipal de Faux-la-Montagne, revient en détail sur cette situation.
Cela fait maintenant quelques mois pour certaines associations, plusieurs années pour d'autres, que les financements publics se raréfient ou même se tarissent. Certains d'entre eux, comme les emplois associatifs mis en place en leur temps par l'ancienne région Limousin, avaient permis de consolider au long cours, l'action de nombreuses associations. La nouvelle région Nouvelle-Aquitaine n'a pas souhaité les étendre à tout le territoire et a préféré, par un ensemble d'appels à manifestation d'intérêt, suivre au plus près l'action de chaque association. Cette approche, si elle a permis de maintenir un niveau de financement régional conséquent a néanmoins entraîné les associations dans une complexité administrative en elle-même génératrice d'usure et d'incertitude. Mais c'est désormais au niveau des financements de l'État que les restrictions se font sentir de manière significative.
Une série de refus
En effet, plusieurs associations de notre territoire, en général à caractère culturel ou d'animation, essuient de la part de différentes administrations de l'État et notamment des Affaires culturelles (DRAC) une série de refus. Différents représentants du monde culturel et/ou de l'animation se sont émus de cette situation et ont envoyé à la préfecture de région un courrier de demande d'explication (voir ci-joint). Parmi les structures concernées figurent aussi les trois médias de notre territoire, Radio Vassivière, cité dans le courrier, mais aussi IPNS puisque pour la première fois depuis qu'il en bénéficie (5 ans) la revue ne recevra pas la (modeste) attribution du Fonds de soutien aux médias sociaux de proximité, sans aucune espèce d'explication, et que certains financements récurrents de Télémillevaches sont aussi remis en cause.
Des collectivités qui soutiennent
L'aggravation de la situation a amené les associations concernées à alerter les collectivités locales auxquelles elles sont liées et qui continuent dans la mesure de leurs possibilités à les soutenir. Cela a conduit certaines d'entre elles (commune de Gentioux-Pigerolles, commune de Faux-la-montagne, communauté de communes Creuse Grand Sud) à adopter des motions de soutien réaffirmant l'apport essentiel de l'ensemble de la vie associative à la vie économique et sociale de leur territoire. C'est ainsi que la motion adoptée lors de la séance du conseil communautaire du 6 juillet 2023 par la communauté de communes Creuse Grand Sud et transmise en préfecture souligne que « les associations de culture tout comme celles d'action sociale et d'activités sportives, sont au cœur de l'attractivité de nos territoires et leur action est porteuse de nombreuses et importantes retombées tant sociétales que touristiques et économiques. Elles sont indispensables à notre territoire au même titre que les autres acteurs économiques ou sociaux. » La motion se conclut sur le paragraphe suivant : « L'art et la culture sont par essence des espaces ouverts. Ouverts aux rêves, aux opinions, aux avis et aux contestations. Les subventions ne peuvent être attribuées, dans le cadre du respect de la loi, sur d'autres critères que ceux relevant de l'intérêt général et devant aussi respecter un des principes fondamentaux de notre pays : celui de la liberté d'expression et de création. En conséquence et en responsabilité, le Conseil communautaire affirme son plein et entier soutien aux activités de toutes les associations du territoire, qu'elles exercent des activités sportives, d'action sociale ou culturelles. »
« Certificat de bonnes mœurs »
Ces difficultés si elles étaient simplement le fait de restrictions budgétaires communes à toute la vie associative ne relèveraient « que » d'une orientation générale des politiques publiques et pourraient s'inscrire dans le débat démocratique sur le rôle et la place de la vie associative dans notre société et les moyens qui lui sont alloués. Mais il semble bien que nous soyons en l'espèce devant une situation particulière qui relève de prises de position partisanes de certaines branches des services de l'État décidées à en découdre avec les associations qui manifestent des opinions divergentes de celles promues par le gouvernement actuel. C'est toute la question du rôle des services de l'État qui est en jeu. La liberté d'expression, évoquée dans la motion publiée par la communauté de communes Creuse grand Sud, doit-elle être respectée envers et contre tout, ou le gouvernement peut-il imposer que seules les structures reflétant ses prises de position aient « droit de cité » dans le débat public ? Un faisceau d'indices semble confirmer cette dernière option comme en témoigne l'article paru dans Le Monde du 9 août 2023 (« Sur le plateau de Millevaches, une "liste rouge" d’associations privées de subventions »). Il reprend d’une part les interrogations des acteurs culturels mais aussi la lettre ouverte qu’Eric Correia, le président de l’agglomération du Grand Guéret avait adressée à la préfète de la Creuse, dans laquelle il s’inquiétait des menaces que cette situation faisait peser sur les libertés publiques. Pas plus la préfecture de région que la préfecture de la Creuse dans leurs réponses aux différents courriers, ne reconnaissent aucune censure (ce qui aurait été étonnant). Bien entendu, comme il est rappelé par ces interlocuteurs, la subvention n'est pas un droit et donc l'État et ses administrations peut librement choisir les structures auxquelles il apporte son soutien. Allant même plus loin, la préfecture de la Creuse semble vouloir délivrer à ces différentes associations un « certificat de bonnes mœurs » puisqu’elle reconnaît qu’elles s’inscrivent dans le respect du contrat d’engagement républicain si critiqué par ailleurs par les différentes instances représentatives de la vie associative et qu’Eric Correia remettait en cause dans sa lettre ouverte.
Baudruches idéologiques
Alors que conclure de cette situation ? Oui, les associations, toutes les associations, sont l'émanation des passions, des enthousiasmes, des énergies des citoyennes et des citoyens de nos territoires. À ce titre déjà, elles sont précieuses. Et les associations culturelles et d'éducation populaire le sont d'autant plus qu'elles défrichent de nouveaux chemins, essaient des solutions, mobilisent des habitant-es autour de toutes sortes de problématiques, sont une des voix de la démocratie participative, nécessaire complément à la démocratie représentative pour prendre en compte les besoins et analyses de toutes et tous.
Oui, nous devons travailler inlassablement à créer des ponts. Mais nous devons aussi dégonfler les baudruches idéologiques qui créent des méfiances et des incompréhensions. Il est vrai que de ce point de vue, le contrat d'engagement républicain est venu introduire beaucoup de flou comme le souligne même le Haut conseil à la vie associative, instance officielle placée auprès du Premier Ministre. Et puis il est lassant de voir la vitalité associative accusée de tous les maux. Bien sûr les associations sont remuantes, bien sûr elles remettent en cause, mais c'est aussi comme cela qu'on avance socialement et que de nouvelles façon de fonctionner peuvent peu à peu être proposées.
Alain Détolle
(1) « Les préfectures coupent sournoisement les vivres aux associations », IPNS n°81, décembre 2022
(2) « La loi séparatisme invoquée en Corrèze contre les associations écologistes », Médiapart, 30 décembre 2022.
La lettre des associations culturelles à la préfecture de Région : « Une situation alarmante à plusieurs égards »
« Nous représentons des acteurs du milieu culturel et associatif agissant en région Nouvelle-Aquitaine : Astre - réseau arts plastiques et visuels, RIM - réseau des indépendants de la musique, Grand’Rue - réseau des arts de la rue, Coopérative Tiers-Lieux - réseau des tiers-lieux, LINA - réseau des libraires indépendants.
Nous venons par la présente vous faire part de notre inquiétude et de nos interrogations soulevées par les courriers que nous avons reçus des associations Quartier Rouge, Les Michelines, Radio Vassivière (associations résidentes de la gare de Felletin, réunies par l’association Pang !), La Pommerie et du réseau TELA.
Elles nous ont informés de la situation préoccupante à laquelle elles sont confrontées suite à la réception de notifications de refus de subventions de la DRAC au titre de l’action territoriale justifiées par le seul argument de « crédits insuffisants » et restent en attente de réponses sur la ligne « création et arts visuels » d’une part, et suite au refus de subventions de FDVA 1 restent en attente de réponses pour le FDVA 2 d’autre part.
Cette situation nous apparaît alarmante à plusieurs égards :
- Les refus notifiés, ou apparaissant sur compte Asso, interviennent de manière brutale et non cohérente au regard de la politique de soutien de la DRAC et du FDVA jusqu’ici engagée vis-à-vis de ces structures.
Quartier Rouge, soutenue depuis 2011 et de manière croissante par la DRAC, est depuis plusieurs mois dans une démarche de conventionnement multipartite (sollicité notamment par la DRAC). À ce jour les notifications de refus reçues sur les lignes « transmission culturelle et innovation territoriale » soldent la perte de 20 000 euros pour la structure. Actuellement la demande sur la ligne « création et arts visuels » (38 000 euros) ne fait l’objet d’aucune réponse. Le refus de cette enveloppe conduirait aux licenciements de salarié.e.s et à des arrêts de projets.
Les Michelines, soutenues par la DRAC depuis de nombreuses années, font face à une perte directe de 7 000 euros pour des actions pédagogiques validées en amont et réalisées, et à une baisse de 5 000 euros sur la subvention globale de la DRAC menaçant un emploi salarié.
Radio Vassivière constate une mise en retrait de la DRAC à hauteur de 6 000 euros, impactant nécessairement le modèle socio-économique de la structure.
La situation de ces trois associations réunies dans le tiers-lieu « Pang ! la Gare de Felletin », met indirectement en fragilité les activités et le fonctionnement du lieu, menaçant trois emplois salariés.
La Pommerie est soutenue par la DRAC de façon constante depuis bientôt 30 ans. Récemment, elle travaillait avec ce partenaire à la signature d’une convention pluriannuelle d’objectifs. Les notifications de refus lui font perdre 24 500 euros ce qui représente 30% de son budget annuel. Cette situation touche directement le maintien de l’unique poste salarié.
Le réseau TELA, soutenu par le FDVA de façon constante, fait face à un refus apparaissant sur compte Asso à hauteur de 3 000 euros pour le FDVA 1 (formation et médias) et concernant la demande de subvention à hauteur de 7 000 euros pour le FDVA 2, le statut de la demande apparaissant sur compte Asso est « accepté » mais la subvention est mentionnée comme « actuellement non disponible ». Le refus de cette enveloppe conduirait à des arrêts de projets.
- L’absence d’argumentaire présenté dans les notifications de refus transmises par la DRAC à Quartier Rouge et à La Pommerie : il est stipulé que « malgré un bilan profondément satisfaisant pour les années précédentes, malgré l’entière éligibilité du dossier en renouvellement et le très vif intérêt suscité auprès de nos équipes comme des partenaires de la DRAC sur le projet associatif porté par votre structure notamment dans ce champ de la médiation, j’ai le regret de vous faire savoir que ce projet n’a pas pu être retenu faute de crédits suffisants au regard des nombreuses demandes de subvention déposées en 2023 ».
Sans aucun préavis, Les Michelines ont reçu des notifications de refus pour leurs demandes de subventions accompagnées de l’argument suivant : « crédits insuffisants au regard du nombre de dossiers déposés ».
- L’absence de notification officielle faisant apparaître clairement le motif de refus transmis par le FDVA au réseau TELA concernant le FDVA 1.
Ces coupes budgétaires sans précédent marquent une rupture inexpliquée de continuité partenariale dans le cadre d’actions publiques et d’intérêt général. Elles entrent en complète contradiction avec l’engagement de l’État auprès des associations mais aussi avec l’ensemble des politiques publiques nationales concernant l’égalité des territoires, la démocratisation culturelle, le soutien à la création, les droits culturels et le soutien à la vie associative.
- D’autres associations sont concernées par ces baisses ou retraits de subventions publiques. Au total, une quinzaine sont déjà recensées dans le secteur culturel, social et de l’éducation populaire, toutes localisées en Creuse et Corrèze.
Cette fragilisation est d’autant plus impactante dans un contexte où les collectivités locales ne disposent que de peu de moyens pour soutenir l’action culturelle et artistique, de même que celles relevant de l’action sociale et de l’éducation populaire. Ces décisions brutales ont des conséquences morales, opérationnelles et financières pour ces associations. Elles remettent en question des projets d’intérêt général, des emplois salariés, des partenariats et des rémunérations d’artistes qui sont directement menacés.
Nous nous tenons à votre disposition pour obtenir les réponses qui permettront d'éclaircir et d’apaiser cette situation.
Nous saluons le fait que l’État entretient de longue date un partenariat au service d’une politique régionale volontariste de soutien aux associations culturelles et artistiques. Aussi, il est de notre responsabilité en qualité de réseaux qui œuvrent en faveur de la coopération, dans une perspective d'équité, de solidarité et pour améliorer les conditions d’exercice de nos pratiques au sein de notre champ professionnel, d’interagir lorsque le positionnement de nos partenaires publics suscite l'incompréhension à différents égards. »
- Madame la préfète, ne nous prenez pas pour des naïfs ou des imbéciles !
Dans sa réponse en date du 25 août à la lettre d'Eric Correia, dans laquelle il s'inquiétait de la situation faite aux associations et que détaille Alain Détolle dans l'article ci-contre, la préfète de la Creuse se veut rassurante. En substance, il n'y a aucun problème, nul ostracisme et seulement des crédits qui ne sont pas illimités : « Aucune association, écrit-elle, n'a fait l'objet d'avis défavorable « sans appel et sine die » pour reprendre sa formulation, et la plupart des associations bénéficiaires de crédits en 2022 ont bénéficié d'un maintien intégral de leur subvention. » Et si certaines se sont vu notifier des refus, finalement, c'est à cause de la vitalité associative elle-même : « En effet, la multiplication du nombre d'associations (…) implique nécessairement, à un moment, une baisse des subventions attribuées à chacune d'elles. »
Comme dans toute réponse de ce genre, la langue de bois est de rigueur. Sans doute que « la plupart des associations (…) ont bénéficié d'un maintien intégral de leur subvention. » Dire cela n'est pas expliquer pourquoi celles qui n'ont pas bénéficié du maintien de leur subvention en ont été privées. De même, si « aucune association n'a fait l'objet d'avis défavorable sans appel et sine die », elle oublie le cas (problématique) des dossiers qui, tout simplement, n'ont pas été présentés en commission... Une façon bien pratique de ne pas avoir à signifier un refus !
La préfète qui est dans son rôle de défendre un État juste et vertueux même lorsqu'il ne l'est pas, pense-t-elle vraiment que nous allons la croire sans broncher ? Croit-elle vraiment que nous sommes assez naïfs ou complètement idiots pour revenir en arrière et admettre, que, finalement, il n'y a pas de problème ?
Il y a une autre réalité qu'elle omet de signaler et qu'évidemment elle esquive. Cette réalité c'est celle rapportée dans les articles d'IPNS, de Médiapart ou du Monde. Ces médias, du plus petit (nous !) au plus prestigieux, n'avancent pas leurs propos sur une simple impression ou sur quelques rumeurs. Et il faut donc rappeler qu'il y a bien une série d'associations identifiées que le ministère de l'Intérieur a visées comme ne devant plus recevoir de subventions ou d'aides de l'État. Des témoignages d'agents de l'administration de différents services, de départements et de niveaux différents, ou de responsables associatifs siégeant dans certaines commissions, sont à la source de nos constats. Oui, disent-ils, on nous a indiqué que telle et telle association (l'année dernière 5 en Corrèze, cette année 12 en Creuse) ne devaient pas avoir de subvention. L'année dernière des dossiers ont été mis de côté et blacklistés par la préfecture de la Corrèze et la commission qui devait statuer sur leur demande n'en a pas eu connaissance... L'année dernière les dossiers de Télé Millevaches et IPNS pour le fonds des médias de proximité ont traîné en longueur et le ministère de la Culture a dû batailler pour verser la subvention accordée (3500 € pour notre journal) en opposition avec le ministère de l'Intérieur. Cette année, ce dernier – ou des services sous ses ordres – ont pris leurs précautions et le jour où la commission nationale s'est réunie, ces deux dossiers, curieusement, n'ont pas été présentés. On nous parle de « complément d'instruction »... une première ! Et on nous dit aussi, selon le responsable même de cette commission, qu'il n'y a pas de nouvelle réunion prévue de cette commission... Donc pas de dossier présenté, pas de refus ! C'est tout simple. Nous savons tout cela que la lettre de la préfète fait semblant d'ignorer. Nous préférerions largement qu'on nous dise franchement qu'on veut arrêter de contribuer à notre financement parce que... Parce que quoi du reste ? Certains propos que nous avons recueillis sont hallucinants ! Certaines associations sanctionnées financeraient le Syndicat de la Montagne limousine (en quoi au demeurant ce Syndicat est-il si dangereux ?). Les membres de certaines associations seraient repérés comme d'ultragauche. Etc. Madame la préfète devrait arrêter de lire Le Point et s'abonner plutôt à IPNS.
De notre côté, nous sommes évidemment disponibles pour parler de tout cela avec la préfète. De leur côté, évidemment, les préfets ne « s'abaissent » jamais à parler avec les citoyens. Elle est bien belle la République dont on nous rabâche tant les oreilles !
L'équipe d'IPNS