Aussi loin que l’on remonte, la Montagne limousine est terre de migration. La terre, ici, est trop pauvre pour que l’on puisse se permettre d’être autarcique. D’époque en époque, les migrants ont rapporté, avec le revenu de leur travail, les idées de leur temps – blanquisme et républicanisme, syndicalisme rouge et anti-militarisme, résistance et coopératives, internationalisme et régionalisme, etc. Ce qui s’est enraciné ici, c’est une tradition d’ouverture, mais d’une ouverture politiquement non neutre. C’est parce qu’ils sont aussi ancrés dans cette tradition que de plus en plus de gens décident de venir s’installer ici. C’est en faisant vivre cette tradition que l’on fera vivre le territoire - jeunes et vieux, natifs et nouveaux venus - car c’est elle qui fait son âme, qui fait le liant entre toutes ses composantes.
Dans ce cadre, il est essentiel que se tissent des relations d’échange et de coopération avec des territoires qui, à travers le monde, sont confrontés aux mêmes logiques et s’organisent pour les combattre.
- Propositions :
Organiser chaque année une fête du Plateau regroupant tous les habitants (jeunes et vieux, nouveaux et anciens...) qui fera vivre le lien entre eux et constituera une porte d’entrée permettant d’accueillir de nouveaux habitants.
Aller à la rencontre de “territoires amis“ ailleurs dans le monde et s’enrichir de leur expérience
2. Se défaire de notre statut colonial
Dans une brochure de 1896, un forestier préconisait de réserver au Plateau, le même destin qu’à l’Afrique de cette époque. L’idée a été mise en application. Effectivement, la Montagne limousine présente tous les aspects extérieurs d’une colonie : on la déleste à vil prix de ses matières premières - bois, hydroélectricité, broutards, comme hier encore l’uranium - puis elle rachète à prix d’or le produit fini, laissant la métropole en assurer la transformation et en empocher les bénéfices. Quant à son destin, il se décide lui aussi en métropole, à Paris comme à Limoges, où l’on médite d’en faire un espace récréatif pour “citadins en mal de nature et de tranquillité“ (
DATAR). On le voit : il en est des stratégies territoriales comme de la politique. Ne pas s’en occuper n’empêche pas qu’elle s’occupe de vous. Être “contre le politique“ n’empêche pas que l’on soit fait, refait et parfois défait par lui. Toute la question est de savoir si les stratégies territoriales doivent être élaborées à Paris, à Limoges ou par les habitants eux-mêmes. La réponse pour nous est claire : face aux “scénarios“ ou aux stratégies territoriales qu’on nous concocte, c’est ici, et nous-mêmes qui devons définir la stratégie territoriale du plateau de Millevaches. Ce texte en constitue une première ébauche.
- Propositions :
Susciter dans chaque commune la création d’associations forestières proches du terrain. Établir des bilans forestiers. Acquérir des parcelles gérées communalement ou sous statut collectif. Dialoguer avec les propriétaires sur de nouvelles pratiques sylvicoles. Destiner prioritairement le bois aux usages locaux.
S’accorder un pouvoir de contrôle sur le devenir du foncier et du bâti en se dotant d’outils spécifiques (droit de préemption...).
Tendre à l’autonomie énergétique : hydroélectricité, méthane, éoliennes, gérés localement.
S’inviter dans toutes les instances supra-territoriales où l’on discute de la Montagne limousine.
3. Une certaine idée de la richesse
Il y a bien une richesse dans ce territoire, une richesse de la vie, une richesse qui échappe à tout ce que l’économie prétend pouvoir mesurer. Depuis un siècle que l’on s’obstine à “développer“ le Plateau et que pourtant il se vide, il faut bien admettre que ce n’est pas sur ce terrain qu’il nous faut lutter, que ce terrain nous est même intrinsèquement défavorable. Notre force est ailleurs. On ne repeuple pas un territoire à partir de la logique qui en a fait un désert.
La richesse de ce territoire réside moins dans des entités, entreprises, lieux, associations, événements collectifs que dans ce qui se tisse entre tout cela, au travers de tout cela. C’est le soin que nous apportons à toute cette vie, parce que nous veillons à ce qu’elle y prospère, qui fait et fera la véritable “attractivité“ de la Montagne limousine.
- Propositions :
Mettre en place une plateforme de distribution des produits locaux.
Soutenir des formes d’agriculture indépendantes des lobbies agro-industriels.
Soutenir toutes les formes de mutualisations entre communes (matériels, équipements, caisses de solidarités, motions communes sur des sujets d’intérêt intercommunal...).
Établir des bilans environnementaux de l’état des pollutions sur le plateau (en particulier en ce qui concerne la qualité des eaux). Établir sur le territoire et par la population locale, un suivi de la biodiversité et de l’impact de nos activités sur celle-ci.
4. Repeupler le territoire
Ce qui faisait la ville – l’effervescence de la rue, le caractère singulier de chaque quartier, les cafés où fleurissent les idées et le peuple qui s’y sent chez lui – est en voie de liquidation définitive, au même titre que ce qui faisait la campagne – la vie des bourgs, les travaux collectifs dans les champs, les foires, la langue, le rapport intime à la nature et l’éventail quasi-illimité des savoir-faire. Le processus de cette double extinction a reçu le nom de “métropolisation“.
Au centre de ce processus, il y a les cœurs métropolitains où se concentrent toute la gouvernance, tout l’argent, et où règne l’hégémonie d’un modèle de vie : celui du cadre branché. Si l’on admet que le Plateau est à repeupler, il y a de grandes chances que ce soit parmi les réfractaires de la métropole à ce modèle que nous trouverons les voisins qui nous manquent. Ce qui les poussera à nous rejoindre, c’est de pouvoir goûter ici à une autre texture de la vie.
- Propositions :
Organiser l’accueil des personnes qui veulent venir vivre sur la Montagne.
Voir dans les visiteurs qui viennent ici de futurs habitants potentiels et non des touristes qu’il s’agirait de “valoriser“ économiquement.
Favoriser la création de maisons de santé, cantines, centres sociaux, etc., bref des lieux de rencontres et de convivialité comme il en existe déjà beaucoup, mais de façon mieux répartie sur le territoire et mieux appropriés par tous.
5. Bâtir un “en-dehors“ de la métropole
Une des expressions politiques les plus singulières de ce territoire, dans le siècle passé, s’est nommé “communisme rural“. Ce n’était pas un communisme de caserne, un communisme d’État ; c’était un communisme qui plaçait au cœur de tout la question pratique de l’usage, de l’entraide, du partage. Les communaux, les sectionaux, l’arban avaient présidé à sa naissance comme à sa vitalité. Il se meurt à présent. C’est entre autre en repartant de là que nous pourrons déployer un dehors à la forme de vie métropolitaine. Il se pourrait bien que ce soit dans cette tradition limousine que nous trouvions la forme et la qualité de vie que tant de gens recherchent.
- Propositions :
Mettre en œuvre des systèmes de transports mutualisés (covoiturages, parc de véhicules communaux ou intercommunaux pour certains usages, systématisation de l’auto-stop...).
Faire de la recherche d’une autonomie la plus globale possible la marque du territoire non dans l’optique qu’il doive tout faire, mais réduise au maximum sa dépendance à des décisions prises ailleurs.
6. Si nous relevons le défi “d’inventer ici une autre vie“, c’est que nous devons aussi inventer ici une autre façon de s’organiser
Il faut tirer les conclusions évidentes de tout ce qui précède. La tradition d’ouverture et d’accueil du Plateau qui attire aujourd’hui des habitants désireux de maîtriser leur destin, la revendication des anciens habitants de retrouver du pouvoir sur un pays dont le modèle de développement les a souvent conduits à partir ailleurs pour travailler, le refus du modèle colonial, le lien retissé avec des pratiques de solidarité, mais aussi l’invention de multiples occasions de faire ou créer ensemble (voyez toutes ces initiatives que chercheurs et journalistes découvrent ébahis sur le Plateau), tout cela traduit un processus de réappropriation des enjeux de territoires par ses habitants. C’est ce processus qu’il faut développer, pousser le plus loin possible, partout où c’est possible avant de l’étendre partout où cela devrait l’être.
- Propositions :
Permettre une appropriation par tous de la décision publique par des outils aussi multiples que des comités de village, assemblées de village, commissions extra-municipales, délégations à des comités d’habitants.
Anticiper et accompagner ces instances d’un travail d’éducation populaire et d’apprentissage des uns par les autres, sans de priver de rechercher des ressources complémentaires au-delà du territoire, pour inscrire ces pratiques dans les habitudes locales.
Organiser tous les deux ans des États généraux du plateau.