Dans la mémoire collective des habitants de la Montagne limousine, les fêtes des Plateaux Limousins de 1979 à 1986, ainsi que les débats et rencontres qui ont eu lieu ultérieurement au siège de l’association, au Villard de Royère-de-Vassivière, constituent des jalons importants dans la marche vers le développement multiforme et spectaculaire du territoire. Beaucoup parmi les acteurs actifs des coopératives et associations du Plateau étaient trop jeunes pour avoir connu l’effervescence et la dynamique créées par les Fêtes des Plateaux, mais ils en ont entendu parler, et certains nous ont questionné à ce sujet.
Dans la seconde moitié de la décennie 1970 un léger frémissement modifie les courbes démographiques de plusieurs communes du plateau de Millevaches. à partir des données de la statistique, on constate dans quelques communes qu’il y a dans la population davantage d’arrivées de nouveaux habitants que de départs. Après des décennies de chutes vertigineuses de leur population ces communes découvrent leur solde migratoire positif. Parmi les nouveaux arrivants il y a bien sûr le retour, après 30 ou 40 ans de vie professionnelle vécue ailleurs, de jeunes retraités revenant au pays avec le désir de retrouver ou renouveler leur identité limousine. Cependant, ils ne remplissent pas toutes les cases des statistiques. À leur immense surprise bien des élus perçoivent aussi la place tenue par d’autres arrivants. Ils sont plus jeunes, venant d’ailleurs et sans racines limousines. Avec leur jeunesse et leur compétence ils s’installent et s’établissent avec leur famille dans cet espace du vide où ils ne manquent pas de faire valoir leur savoir faire et d’affirmer leur désir de vivre autrement. Cette soif du changement les conduit tout naturellement à se rencontrer et à nouer des liens pour échanger et partager leurs convictions, leurs difficultés, leurs échecs comme leurs réussites sous de multiples formes d’où la fête n’est jamais absente.
Des chrétiens qui s’interrogent
Durant cette décennie 1970 les chrétiens de l’église en Creuse prennent la mesure du délabrement de leurs structures paroissiales. Dès 1970, Hervé de Bellefon, vicaire épiscopal de la Creuse, dans un texte fondateur, “Pourquoi ris-tu Sara ?“, exprime en toute lucidité leur espérance de renouvellement et de transformation de l’institution. Cette initiative engendre des groupes de travail et de réflexion autour d’une double perspective : apprendre à mieux connaître les réalités humaines et socio-économiques de ce territoire des “hauts plateaux limousins“ et comment y inscrire une vie ecclésiale.
En 1974, Charles Rousseau, prêtre de la mission de France, installé à Aubusson depuis deux ans, propose à ce petit noyau de chrétiens, dispersé sur l’espace du plateau, de se rassembler dans une association pour expérimenter concrètement cette révolution ecclésiale. À cet effet l’association “Les Plateaux Limousins“, avec l’aide financière des évêques de Limoges et de Tulle, se porte acquéreur en 1975 d’un petit domaine agricole situé au Villard, un village de la commune de Royère-de-Vassivière. Un lieu pour se retrouver et célébrer leur foi, confrontée aux transformations radicales de la société d’aujourd’hui. Mais aussi un espace pour accueillir, échanger et partager avec tous les acteurs de la société locale.
Les fêtes des Plateaux
Dès 1977, Charles Rousseau, avec son intuition sociologique et sa compétence sur le milieu rural, rassemble les travaux et les analyses des réalités de la société limousine et souhaite les présenter sous la forme de cartes et de tableaux pour une exposition ouverte à tous. Son projet trouve un écho favorable auprès de l’équipe d’animation des Plateaux Limousins, qui se propose de l’inscrire au cours d’un week-end où l’on inviterait largement, et où, dans une atmosphère chaleureuse, on se rencontrerait pour comprendre et débattre sur “Le Limousin en mal d’avenir. Ses atouts“. La fréquentation de l’exposition et les débats engagés avec un public nombreux et varié, participant et enthousiaste, confortent Charles Rousseau et son équipe dans leur volonté de poursuivre l’expérience. Tel est le premier module de ce que seront les fêtes du Plateau pendant une dizaine d’années. Un espace aménagé, un laboratoire d’expériences où quelques milliers de Limousins et de voisins se retrouvent chaque année dans une ambiance accueillante et festive pour échanger et débattre sur les sujets concernant le devenir de leurs territoires. Qu’ils soient élus locaux, responsables syndicaux, militants associatifs ou simples habitants, chrétiens ou pas, ils sont tous rassemblés par l’envie de contribuer à la renaissance du pays.
Relais
Devant l’ampleur de la tâche, en 1987 Charles Rousseau négocie avec le Bureau d’accueil de la Montagne limousine (BAM), l’organisme de préfiguration du Parc naturel régional (
PNR), pour prendre le relais et l’organisation de nouvelles fêtes.
En décembre 1987 la mort de Charles Rousseau porte un coup sévère aux Plateaux Limousins. Néanmoins l’association poursuit ses activités de partage et de réflexion, notamment en organisant des journées de débat où elle fait appel à des témoins qualifiés. On peut citer Charles Barbier : pour une autre agriculture, François Plassard : pour la valorisation des espaces de montagne, Serge Latouche : pour la critique de la croissance économique ...
Les fêtes du Plateau
- 1979 : Bois et forêts du limousin : chances et risques pour son avenir
- 1980 : L’élevage en Limousin depuis un siècle et demi
- 1981 : Les énergies renouvelables en Limousin : “Mille sources, mille ressources“
- 1982 : La jeunesse en Limousin, promesse ou déclin
- 1983 : Transformer nos matières premières : l’agro-alimentaire, le bois, la pierre
- 1984 : Dix années de tourisme en Limousin, les choix à faire
- 1985 : La vie associative, signe de vitalité du Plateau
- 1986 : La communication : routes, chemin de fer, radio,TV,utilisation des techniques nouvelles. Cette réflexion débouche sur la naissance de Télémillevaches
Des hauts et des bas
Après le départ en 1995 d’une équipe de religieuses qui a vécu et assuré le fonctionnement du site pendant une douzaine d’années, l’association peine à garder des permanents pour faire vivre le lieu au quotidien. L’année 2000 marque un seuil important dans la vie des Plateaux Limousins amorçant d’importantes transformations. Deux explications, parmi d’autres, contribuent à cette évolution. D’un côté, les jeunes nouveaux arrivants ont pris de l’âge, leurs familles se sont agrandies et participent activement et de diverses manières à l’animation de la vie locale des communes du Plateau ; de même, ils sont à l’initiative de la création de multiples réseaux, outrepassant les limites communales, où ils se retrouvent pour échanger, partager leurs projets comme leur utopies, sans pour autant oublier de faire la fête. De l’autre, les quelques communautés paroissiales du Plateau et de ses bordures qui ont porté le projet avec Charles Rousseau éprouvent bien des difficultés à se renouveler témoignant des signes d’une profonde dévitalisation du tissu ecclésial. C’est dans ce contexte que Stéphane Lamontagne venant du réseau Vasi-jeunes s’installe comme permanent avec sa compagne et entreprend une refonte des Plateaux Limousins en les dotant de nouvelles capacités d’accueil, comme la construction d’une cuisine pour restauration collective. L’association ouvre de nouveaux débats et reprend le flambeau de la festivité en organisant deux jours de fête au mois de juillet 2001 à l’occasion du centenaire de la loi sur les associations. C’est à partir de cette fête que naît le journal d’information et de débat du Plateau IPNS. Puis de 2002 à 2004, sous la houlette d’ ATTAC, elle accueille la manifestation des trois premiers forums sociaux du Limousin.
Déconfessionnalisation
En 2003 le renouvellement du conseil d’administration accueille l’arrivée de jeunes qui négocient leur participation par une modification des statuts. À l’initiative des associations d’éducation populaire du plateau, ils manifestent leur volonté de soustraire le caractère confessionnel de l’association en supprimant la référence à l’évangile afin d’élargir l’ouverture à l’accueil de nouveaux publics et à une plus grande variété d’associations. Cette suppression suscite un débat difficile et douloureux ; il entraîne le départ d’un nombre important de celles et ceux qui ont été les défricheurs et les porteurs de ce projet avec Charles Rousseau. Lui-même avait en quelque sorte préfiguré ce débat au cours de l’assemblée générale des Plateaux Limousins en avril 1980 au cours duquel il a proposé “d’ouvrir l’association à des non participants à l’assemblée chrétienne […] Le débat animé permet à chacun de mesurer l’enjeu du problème mais n’arrive pas à dissiper la perplexité devant les choix actuellement proposés. L’assemblée décide de remettre en chantier l’étude des solutions pour ne prendre une décision que plus tard“.
Un projet pour l’avenir
Pour mieux s’enraciner dans la dynamique de la vie locale sur les communes de Royère-de-Vassivière et de Gentioux-Pigerolles les permanents prennent en charge le Contrat éducatif local en l’orientant vers l’éducation à l’environnement et l’initiation à la pratique artistique. En outre, l’association De fil en réseaux créée en 2005 en installant la permanence de ses salariés au Villard renforce l’assise des Plateaux Limousins comme lieu de carrefour et de synergie des forces vives associatives du plateau. En dehors de la saison touristique un gîte est transformé en logement passerelle pour les porteurs de projet. Un nouveau conseil d’administration issu de l’assemblée générale de 2007, sous la présidence de Michel Bernard, un arrivant des années 1970, décide d’engager une opération de restauration et de restructuration du parc immobilier pour assurer la pérennité du site en améliorant les conditions de son fonctionnement et en augmentant ses capacités d’accueil. Les rigueurs de l’hiver et leur installation précaire ont contraint les animateurs de De fil en réseaux à trouver refuge à Faux-la-Montagne.
Depuis 2011, la présidence triumvirale, issue de la vie locale : Madeleine Lemeignan, Anne-Marie et Marc Winocq, appuyée par une solide équipe de salariés conduit cette période difficile de rénovation des bâtiments, tout en maintenant un minimum d’activités. Après un temps de réflexion soutenu par le délégué du dispositif local d’accompagnement de la Creuse (DLA), elle a lancé le programme des travaux qui ont été réalisés tout au long de cette année 2013 par des chantiers participatifs de bénévoles et par une coopérative d’artisans du Limousin. Dans le même temps, compte tenu des lourdes charges financières, elle a fait appel à la solidarité et à la générosité en lançant une souscription auprès de tous ceux qui souhaitent le maintien de cette structure d’éducation populaire sur le plateau.
A ce jour la salle polyvalente et la cuisine collective totalement réhabilitées et rajeunies sont opérationnelles. Elles ont déjà accueilli des groupes, pour débattre et se projeter dans l’avenir du Plateau, sans oublier la fête, avec une grande première : la Fête de la soupe le 28 février. Une nouvelle tranche de travaux est ouverte avec la rénovation des hébergements pour accueillir familles et randonneurs, acteurs d’un tourisme social et solidaire en alternative aux ambitions démesurées du Lac de Vassivière.
Alain Carof