La plaquette publicitaire 2015 destinée à vendre le Limousin aux touristes, joue la carte du luxe. Une vitrine qui laisse dubitatif un de nos collaborateurs, habitant du pays de Vassivière, qui nous propose de déshabiller cette communication ripolinée et factice, pour découvrir le creux qu’elle tente de dissimuler.
Il y a comme ça des choses d’apparence anodine qui passeraient facilement pour des détails, mais qui à mieux y regarder savent exprimer en raccourci tout l’esprit de leur époque. Et s’il est un trait qui caractérise bien cette époque, c’est justement son total manque d’esprit. Le système ne laisse plus imaginer d’autre futur que la répétition infinie mais en pire de lui-même. A tous niveaux, notre époque s’est abandonnée sans défense à un opportunisme cynique qui envahit et pourrit tout ce qu’il touche. C’est la grande fuite en avant dans le bluff et le déni. Une rapacité sans freins érigée en règle de survie fait désormais office d’éthique universelle : “Si vous ne voulez pas de mon Rafale, vous aurez mon EPR !“. On spécule, on hypothèque sans espoir un avenir qu’on s’ingénie à rendre plus impossible chaque jour qui passe.
Anecdotique certes, mais non moins éloquent, un fleuron publicitaire de la bientôt défunte région Limousin en constitue une belle illustration. Il s’agit d’un “gratuit“ sur papier glacé, intitulé “LIM & YOU , LE MAG LIMOUSIN“, dédié aux “Vacances, outdoor et art de vivre“. Dans l’esprit de ses concepteurs, la chose est censée promouvoir les charmes de la région au-delà de ses limites grâce à ses 200 000 exemplaires, afin d’y faire venir le touriste dont on aura tenté d’attiser la fièvre consumériste.
Dès la première page, une certaine Christèle Coursat, directrice de la publication, signataire d’un éditorial grossièrement racoleur, résume la teneur d’une collection de clichés et de niaiseries, cyniquement pensés pour complaire à cette classe moyenne urbaine d’Européens vaguement lettrés, convaincus d’incarner ici bas tous les canons du bon goût : “Vous êtes 200000 à découvrir la palette de sensations qu’offre notre patrimoine naturel et historique, nos paysages, nos hôteliers et nos restaurateurs et notre savoir-vivre (…) Comme à chaque numéro, nous vous montrons notre créativité et notre offre culturelle d’art contemporain, mais aussi nos activités sport-nature dans notre environnement préservé. Nous espérons bien sûr vous accueillir bientôt en Limousin pour des vacances familiales, pour un séjour gourmand ou bien-être, pour une randonnée à cheval ou à vélo, ou pour ce qu’il vous plaira de partager de notre savoir-être et de notre savoir vivre“.
On disait en d’autres temps que ce qui est montré en vitrine a rarement son équivalent en magasin
L’auteure de ce poncif pour bobos rêve de distribuer ses prétendues “sensations“ par palettes entières - à ceux-là mêmes qui vont se ressourcer périodiquement dans l’“environnement préservé“ des Center Park, avant de regagner les poubelles urbaines où ils passent le plus clair de leur temps. Voici donc quelqu’un qui se pense assez experte en “savoir-vivre“ et - selon le jargon qui prévaut dans les cabinets de recrutement - en “savoir-être“, pour prétendre le reconnaître ou l’attribuer à autrui. Il est vrai qu’à présent tout peut se simuler, être fabriqué de toutes pièces, même l’“être“! On lui trouvera toujours des acheteurs... Cette fusion parfaitement accomplie et hautement “innovante“ entre l’être et le paraître, constitue, il faut l’avouer, un vrai bouleversement dans la tradition de la vieille ontologie, héritée de la philosophie occidentale.
On disait en d’autres temps que ce qui est montré en vitrine a rarement son équivalent en magasin. La région réelle, pour qui l’a un peu pratiquée, celle de notre quotidien, n’a évidemment rien à voir avec la version publicitaire vantée par les communicants de la bureaucratie régionale. Rien à voir avec les boniments et les divertissements frelatés que l’on destine à ces pauvres touristes. Pas plus en tous cas, que les habitants permanents d’ici n’ont à gagner à laisser croître ce cancer en phase invasive qu’est l’aménagement touristique tous azimuts, présenté comme notre unique planche de salut.
Tout se passe comme si les édiles n’avaient plus désormais qu’une obsession : jouer leur peau dans la grande compétition mondialisée des “territoires“, en y préservant si possible leurs postes.
En Limousin, pour un intégriste de la croissance à tout prix, la vérité est plutôt dure à regarder. A ce qu’on dit, la région serait l’avant dernière contributrice au PIB national, tout juste avant la Corse. Voilà qui suffit à expliquer les poussées d’hystérie novatrice et cet impudent baratin dont on fabrique les plans de communication. “Limousin, new sensation“ clame la publicité régionale ; préférant ainsi le sabir de l’Empire Financier d’Occident, désormais langue officielle, à notre français académique, qui subit à son tour ce qu’il fit subir à l’occitan, au breton, à l’alsacien ou au corse. LIM & YOU persiste et surenchérit dans la novlangue : “Limousin for kids“, “L’actu limousin“, “Very Brive, very Gaillarde“, “Gaillard City“, “Festiv’Lim“, “Exposition Watt’s up“, “Cocooning Lim“, etc., le tout à l’avenant pour des contenus aussi insipides que leurs intitulés, n’exprimant qu’une volonté pathétique de la jouer “branchés“.
Selon le fameux théorème d’Audiard : “les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît“, l’un de ces nouveaux labels de l’administration régionale nous engage à présent à “Osez le bois limousin !“. Qui se trouve sur le terrain au milieu des coupes rases de sapins et de feuillus ne peut qu’acquiescer : on le vérifie tous les jours, ils “osent“ ! En revanche, dans l’univers de bonbonnière de LIM & YOU tout est toc, tout est factice, à l’exemple de l’impudent slogan qui voudrait rivaliser de frivolités avec Londres, New-York ou Shanghai : “Le Limousin vous emmène aux sources du luxe“ ! Une des régions les plus désaffectées de France exhibée en terre du luxe ! Au verso du magazine, cette impudente arnaque est illustrée comme il se doit par une silhouette anorexique, flanquée de babioles ridicules, mais “made in limousin“.
Toutes les choses que ce monde produit sont empruntes de cette même déraison : ces aliments falsifiés qui doivent leur goûts aux arômes de synthèse, ces emplois dont on préfère oublier à quoi ils servent ; ces loisirs consternants faits pour contenir quelques heures la sensation du vide, cet incessant bruit de fond des médias rendant impossible toute espèce de pensée, ces gesticulations vaines qu’on ose encore nommer “culture“, tous ces objets indispensables du quotidien qu’il faut songer à renouveler à peine sortis du magasin ; ces cages pour autistes que l’on appelle “habitat“, ces paysages et ces lieux aménagés pour la photo et la désolation partout autour, la vision des écrans omniprésents en guise de fenêtre sur le monde, cette ignorance contente d’elle-même issue de décennies d’abrutissement télévisuel, sans laquelle il n’existerait plus un électeur pour consacrer par son vote ces “démocraties“ de carton-pâte.
Comme l’explique l’astronome et physicien italien, Franco Piperno, c’est une erreur de penser que la crise actuelle affecte spécialement l’économie ou la finance, la politique, les sciences ou la culture. La crise que nous vivons est une crise générale du rapport au réel, une perte de contact avec le réel, qui se produit dans tous ces domaines à la fois.
Bienvenue dans la “New sensation“ !