Il y a 36 ans, le géographe Yves Lacoste publiait un petit livre qui fit l’effet d’un brûlot dans le petit monde feutré des géographes universitaires. Son titre : La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. Il démontrait en quoi la géographie a d’abord été un savoir stratégique et militaire destiné à mieux connaître les territoires pour mieux les envahir, les coloniser, les asservir ou les développer. Une origine dont on trouve encore la trace dans nos bonnes vieilles cartes de randonnées pédestres, dites... cartes d’état-major ! Le père de la géopolitique montrait également en quoi, comme l’histoire, la géographie était donc aussi une science politique. Le travail de l’atelier de géographie populaire présenté page 7 s’inscrit bien dans cette optique. IPNS apporte ici sa pierre à cette réflexion en publiant quelques cartes du plateau de Millevaches, ou ce que ses auteurs ont décidé d’appeler ainsi... Comme quoi, les cartes ça sert bien d’abord à définir et s’approprier des espaces qui ne sont pas des données naturelles.
Les 26 lieux du projet “Habiter ici..., un territoire“
Une manière d’habiter un territoire est d’y poser des noms. Le projet “26 mots pour 26 lieux sur un Plateau“ lancé par les Ateliers du plateau de Millevaches, prend le parti d’un plateau sans limites précises mais marqué de différentes stèles : “Pas besoin de carte, ni de GPS. Je sais où il est. Pas besoin de le situer précisément ou de le nommer. Il est là, ici pour moi, par moi. Là où je me trouve.“ Mais cela n’empêche pas d’avoir besoin d’une carte !
En savoir plus sur www.habiter-ici.net
Le premier projet du PNR sur le Millevaches (1967)
Lorsqu’en 1967, le Préfet de la Haute-Vienne souhaite créer l’un des premiers PNR de France, il pense tout de suite au plateau de Millevaches ! A l’époque le projet concerne beaucoup moins de communes... Le préfet nous sert un tout petit plateau...
“Quand la forêt s’approche de chez moi“
C’est ce que montre, carte à l’appui, l’un des participants de l’atelier de géographie populaire.
Pour la DREAL, le Plateau n’est qu’un petit bout du PNR
Lorsque la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement du Limousin) définit les zones paysagères du PNR, le plateau de Millevaches, coincé entre les plateaux de Gentioux et de la Courtine, entre les Monédières et les Hauts plateaux corréziens, n’est qu’un morceau de ce vaste espace.
La carte du Plateau selon Marius Vazeilles (1913)
Quand il faut définir le plateau pour distribuer des subventions.
Lorsqu’il arrive en 1913 sur le plateau de Millevaches, Marius Vazeilles doit définir sa zone d’intervention et savoir dans quelles communes il donnera ou non des subventions pour le reboisement. Pour cela il lui faut donc tracer la carte du Plateau. Il le raconte dans deux articles de La Corrèze Agricole (n° 65, septembre-octobre 1960 et n°68, janvier 1961. Cette carte (ci-dessus)est donc le premier acte de sa politique de reboisement.
Quand Wikipédia invente son Plateau
Sur Wikipédia, le plateau de Millevaches est très déporté vers l’ouest. Le PNR n’y reconnaîtrait pas ses petits !
- La cartographie et le pouvoir
Towards est une initiative belge lancée il y a quelques années comme “une tentative de représentations subjectives du territoire de Bruxelles couplée à la création d’un outil collaboratif de cartographie subjective.“ Pour eux, cartographie et pouvoir sont intimement liés :
“C’est une évidence : celui qui contrôle la carte contrôle le territoire, et ce à plusieurs niveaux. Celui qui la consulte, pour autant qu’il sache la décoder, devient à même de s’orienter dans l’espace. Celui qui la crée, situé un cran au-dessus, propose (ou impose) sa vision du territoire, tel qu’il le perçoit ou tel qu’il le projette. Celui qui la possède, enfin, décide de sa diffusion et donc du pouvoir qu’il accorde ou dénie aux autres concernant le territoire. En effet, la carte est loin d’être un outil anodin : figurative autant que projective, simulation de l’espace autant qu’espace de simulation, elle se situe aux sources mêmes des stratégies militaires, du capitalisme marchand, des découpages territoriaux et, dans le cas particulier des villes, elle a la plupart du temps déterminé ce qui allait être dessiné, mesuré et donc en fin de compte bâti ou du moins planifié.“
En savoir plus : le site belge de Towards : http://www.towards.be/site/spip.php?article366
Et pour rire... le Millevaches ésotérique !
Exploitant la veine de succès rencontrée ces dernières années par des ouvrages mystico-scientifiques où de nombreux auteurs tentent de dévoiler au grand public les agissements de sectes ou d’associations secrètes qui dirigeraient notre monde en sous-main, un facétieux internaute finit par nous mener, carte à l’appui, sur le plateau de Millevaches !
- Quelques références
“William Bunge, le géographe révolutionnaire de Detroit“ par Allan Popelard, Gatien Elie et Paul Vannier, Le Monde diplomatique - Décembre 2009.
Yves Lacoste, La Géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, Petite collection Maspero, François Maspero, Paris, 1976, réédition 2012.