Gestion “durable“ PEFC à Neuvialle (Peyrelevade)
Un article du n°38 d’IPNS présentait les résultats de l’étude prospective de la DATAR “Territoire 2040“ concernant les espaces de faible densité, dont nous ne pouvons ici que noter le triste réalisme. Le Plateau est un territoire d’innovation, et des prospectives à 30 ans, nous observons d’ores et déjà les prémisses. Le scénario des “plate-formes productives“ de la DATAR envisage la mainmise de firmes privées qui gèrent et exploitent le territoire à des fins de production, comme un “espace ressource“. Et nous entrons de plain-pied dans ce cas de figure, ainsi que cela est mentionné dès les premières lignes du PPRDF : “La production constitue la fonction principale des massifs, à l’exception des zones périurbaines (demande sociale) et des zones à enjeux environnementaux ou patrimoniaux identifiés“.
Cette prééminence de la fonction de production se traduit tout à fait dans la manière dont sont définies les orientations du territoire en termes de gestion forestière, avec d’une part une faible concertation avec les habitants au profit de cercles décisionnaires extérieurs au territoire, et d’autre part avec une orientation vers l’industrialisation des modes de production directement liés à l’industrialisation des modes de consommation. La filière réfute le terme de “forêt industrielle“ pour qualifier le mode de production de bois dominant sur le territoire, lui préférant le terme de “forêt de plantation“. Ce terme d’industrialisation ne relève pas d’un jugement de valeur, mais d’un constat. En effet, le mode de gestion forestière sur le Plateau possède au moins trois caractéristiques fondamentales du processus d’industrialisation :
Nous sommes donc bien dans le scénario du territoire en tant que plate-forme de production industrielle ayant pour vocation d’alimenter des bassins extérieurs au territoire.
Cette exportation de la ressource, même si elle est créatrice de richesse économique pour le territoire (tout en dégradant le réseau routier), impose une hiérarchie des priorités entre les besoins des ruraux et des citadins. L’approvisionnement des chaufferies industrielles situées aux abords des villes prévu dans le PPRDF implique un conflit d’usage direct avec l’utilisation du bois notamment de chauffe par les habitants du Plateau, conflit déséquilibré au demeurant. Et pour répondre à cette vocation productive, peu importe si l’aménagement du territoire disloque les liens sociaux locaux. Un exemple parmi d’autres, l’étude d’urbanisme menée par l’Arban sur le bourg de Gentioux met clairement en évidence l’intrusion des forêts de production à l’intérieur même du bourg, rompant de la sorte son intégrité. Une habitante, native de Gentioux témoigne : “ici on est comme les fourmis, on vit sous les bois.“ Retrouvons également ici un autre scénario de la DATAR : celui de “l’avant-scène des villes“ ou de la subordination de la campagne par une ville qui en impose les usages : le Plateau comme terrain de loisirs pour les citadins. Cette fonction paraît difficilement conciliable avec la fonction première de production. A moins que les touristes ne s’éloignent pas des abords du lac de Vassivière. La “Perle du Limousin“ dans son écrin de coupes rases...
Dans son communiqué de presse et ses interventions radio, M. Barbier, Président du Syndicat des propriétaires Forestiers du Limousin, martèle que “du fait du code forestier, le choix d’une gestion forestière appartient au forestier privé qui, en fonction des différents enjeux qui s’appliquent à sa forêt, choisit telle ou telle option de gestion durable.“ Étrange droit de propriété à deux vitesses, qui veut qu’un particulier ne puisse construire un abri de jardin de plus de 5 m2 sans autorisation, alors que les pouvoirs publics ne peuvent s’opposer à des coupes-rases de moins de 4 ha (40 000 m2)... Pourtant l’impact des pratiques sylvicoles actuelles n’est pas anodin, que ce soit sur le paysage, la qualité de l’eau ou la fertilité du sol. Les choix de gestion identifiés par l’INRA comme affectant la qualité des sols et leur capacité productive sur le long terme sont “l’introduction d’essences performantes qui produisent beaucoup de biomasse, le raccourcissement des révolutions, la récolte de la biomasse totale, le maintien d’un sol nu pendant les phases de récolte et de régénération, la récolte des rémanents d’exploitation qui redevient d’actualité avec les engagements sur le bois, source d’énergie“. Bref, la ligniculture du Plateau.
Les parcelles sont sur le territoire très majoritairement privées, mais le territoire reste collectif – et c’est bien pour équilibrer ces tensions dialectiques qu’existent les réglementations. Mais la sacralisation de la propriété privée relève d’un mouvement global de l’histoire depuis la Révolution, et ce d’autant plus localement. Sans remettre en cause le droit d’un individu à jouir de ses biens, le choix unilatéral de pratiques maximisant le profit individuel au détriment de l’intérêt général relève soit d’un ultralibéralisme égocentré (une “dissociété“, selon Jacques Généreux) soit de l’anarcho-individualisme. Mais dans tous les cas, ce choix s’oppose à tout projet de “société“, puisque “faire société“, c’est être et “faire ensemble“ (d’après le Larousse, une société est “une association organisée d’individus en vue de l’intérêt général“). C’est un déni de la res publica, la “chose publique“. Un siècle après avoir viré le sabre et le goupillon, nous vivons maintenant sous la coupe du sapin et du Bouthillon (merci de n’y voir qu’une amicale plaisanterie). Que de progrès...
Si même les habitants, encore dotés si ce n’est d’un pouvoir, au moins d’une capacité de s’exprimer, ne sont pas pris en compte dans les choix de gestion du territoire, comment le serait la nature, cette “grande muette“ ? Il faut 10 minutes pour détruire un arbre de 300 ans, patrimoine de 10 générations. Alors que certains trouvent cela rédhibitoire, d’autres manifestement se passent des dernières lettres (merci Desproges). La preuve ? Publicité pour les tronçonneuses Husqvarna : “Faites-vous enfin plaisir : maîtrisez la nature“.
Le PPRDF aborde cette problématique. Des actions sont bien prévues sur l’axe de la “gestion durable de la forêt en lien avec les territoires et pérennité de la ressource“, et consistent uniquement en … de la communication ! Enfin, rassurons-nous, les forêts du territoire sont déjà durables, puisque “certifiées“ PEFC. La plaquette de communication de PEFC indique : “Biodiversité, loisirs, récolte du bois... La forêt est généreuse pour tous. Avec PEFC, vous garantissez sa prospérité.“ Sans aucun doute, allez voir à Neuvialle, au pied des éoliennes de Peyrelevade, la prospérité des coupes rases...
Un réel feu de forêt serait dommageable pour tous. Touchons du bois pour que cela n’arrive pas. Il est nécessaire que les pouvoirs publics et la filière intègrent les habitants dans les choix de gestion de leur territoire. La concertation et la prise en compte des aspirations de chacun sont indispensables, c’est bien cela la multifonctionnalité. Et aussi la garantie de la paix sociale. 70 ans après la dernière, faut-il encore le dire : “Maudite soit la guerre...“
Gaël Delacour
Les organisateurs de la Fête de la forêt (juillet 2012) à Royère ne pourront sans doute jamais comprendre les personnes qui critiquent la ligniculture.
La preuve en regardant le somptueux dépliant destiné à présenter leur manifestation. Pour montrer que la forêt est un lieu de loisirs et de détente, ils ont choisi une photo, mais pour démontrer tout le contraire : la forêt anonyme, froide, industrielle, celle qui vous fait fuir plutôt que celle qui vous attire.
On y voit deux gamins jouant dans une plantation des plus sinistres, sans mystère et sans beauté... Le rêve de la forêt de demain sur le plateau ?
Réflexion d’un ingénieur forestier, qui a passé sa retraite à travailler tous les jours dans sa forêt du Cantal.
Le problème est de concilier économie et écologie. Pendant que les arbres s’accroissent à leur rythme, doucement, les forestiers s’efforcent d’élaborer des modèles de sylviculture répondant aux besoins de la société. Malheureusement, personne ne peut savoir aujourd’hui quels seront ces besoins dans 30 ou 50 ans, délais nécessaires pour récolter les produits résultant de ces modèles. Un gestionnaire forestier ne vit pas assez vieux pour mesurer les conséquences de ses actes, car la forêt réagit lentement, et de façon parfois imprévisible. C’est pourquoi l’idéal serait de cultiver sans à-coups une forêt qui reste stable et puisse remplir simultanément les trois fonctions : production, protection et fonction sociale.
Bien que ce soit une attitude fréquente chez les sylviculteurs, il est peu raisonnable d’orienter la production à long terme vers la satisfaction d’un besoin particulier immédiat. Le risque est grand qu’au jour de la récolte, les produits soient mal adaptés, la demande ayant évolué. Un bon gestionnaire forestier doit d’une part préserver la qualité de son outil de production, le rendre plus résistant aux aléas climatiques ou biotiques, mais d’autre part ouvrir “l’éventail des choix“ pour ses successeurs. Leur transmettre des peuplements facilement adaptables à la satisfaction des besoins nouveaux. C’est pour ces deux raisons qu’un intérêt croissant se manifeste pour la futaie mélangée et irrégulière, malgré les contraintes de gestion qu’elle implique. Mais ce mouvement ne doit surtout pas devenir une mode et le débat ne doit pas se transformer en polémique.
Michel Hubert, ingénieur forestier à la retraite.