Les enjeux de société, que cache la forêt
Michel Hubert
Sur le plateau la forêt se discute depuis belle lurette : d’un coté l’angoisse de la catastrophe annoncée, de l’autre développement des potentialités du pays, des richesses de demain. On ne peut pas dissocier la forêt de l’histoire. On ne peut pas la prendre à la légère non plus : on s’engage pour des décennies, voire des siècles, elle façonne paysage, climat et vies humaines.
Gestion “durable“ PEFC à Neuvialle (Peyrelevade)
Une vision du territoire
Un article du n°38 d’IPNS présentait les résultats de l’étude prospective de la DATAR “Territoire 2040“ concernant les espaces de faible densité, dont nous ne pouvons ici que noter le triste réalisme. Le Plateau est un territoire d’innovation, et des prospectives à 30 ans, nous observons d’ores et déjà les prémisses. Le scénario des “plate-formes productives“ de la DATAR envisage la mainmise de firmes privées qui gèrent et exploitent le territoire à des fins de production, comme un “espace ressource“. Et nous entrons de plain-pied dans ce cas de figure, ainsi que cela est mentionné dès les premières lignes du PPRDF : “La production constitue la fonction principale des massifs, à l’exception des zones périurbaines (demande sociale) et des zones à enjeux environnementaux ou patrimoniaux identifiés“.
Cette prééminence de la fonction de production se traduit tout à fait dans la manière dont sont définies les orientations du territoire en termes de gestion forestière, avec d’une part une faible concertation avec les habitants au profit de cercles décisionnaires extérieurs au territoire, et d’autre part avec une orientation vers l’industrialisation des modes de production directement liés à l’industrialisation des modes de consommation. La filière réfute le terme de “forêt industrielle“ pour qualifier le mode de production de bois dominant sur le territoire, lui préférant le terme de “forêt de plantation“. Ce terme d’industrialisation ne relève pas d’un jugement de valeur, mais d’un constat. En effet, le mode de gestion forestière sur le Plateau possède au moins trois caractéristiques fondamentales du processus d’industrialisation :
- la mise en oeuvre d’économie d’échelle (plus grandes parcelles => plus gros engins => moins d’hommes => meilleure rentabilité).
- une évolution des acteurs vers le modèle des holding (les trois coopératives présentes sur le Plateau sont issues de la fusion de plusieurs petites coopératives).
- la division des tâches et du travail entre de multiples opérateurs ne réalisant chacun qu’une partie des travaux sur la chaîne de production.
Nous sommes donc bien dans le scénario du territoire en tant que plate-forme de production industrielle ayant pour vocation d’alimenter des bassins extérieurs au territoire.
Les ruraux et les citadins
Cette exportation de la ressource, même si elle est créatrice de richesse économique pour le territoire (tout en dégradant le réseau routier), impose une hiérarchie des priorités entre les besoins des ruraux et des citadins. L’approvisionnement des chaufferies industrielles situées aux abords des villes prévu dans le PPRDF implique un conflit d’usage direct avec l’utilisation du bois notamment de chauffe par les habitants du Plateau, conflit déséquilibré au demeurant. Et pour répondre à cette vocation productive, peu importe si l’aménagement du territoire disloque les liens sociaux locaux. Un exemple parmi d’autres, l’étude d’urbanisme menée par l’Arban sur le bourg de Gentioux met clairement en évidence l’intrusion des forêts de production à l’intérieur même du bourg, rompant de la sorte son intégrité. Une habitante, native de Gentioux témoigne : “ici on est comme les fourmis, on vit sous les bois.“ Retrouvons également ici un autre scénario de la DATAR : celui de “l’avant-scène des villes“ ou de la subordination de la campagne par une ville qui en impose les usages : le Plateau comme terrain de loisirs pour les citadins. Cette fonction paraît difficilement conciliable avec la fonction première de production. A moins que les touristes ne s’éloignent pas des abords du lac de Vassivière. La “Perle du Limousin“ dans son écrin de coupes rases...
Parler de “forêt industrielle“ ne relève pas d’un jugement de valeur, mais d’un constat.
Le patrimoine commun et la propriété privée
Dans son communiqué de presse et ses interventions radio, M. Barbier, Président du Syndicat des propriétaires Forestiers du Limousin, martèle que “du fait du code forestier, le choix d’une gestion forestière appartient au forestier privé qui, en fonction des différents enjeux qui s’appliquent à sa forêt, choisit telle ou telle option de gestion durable.“ Étrange droit de propriété à deux vitesses, qui veut qu’un particulier ne puisse construire un abri de jardin de plus de 5 m2 sans autorisation, alors que les pouvoirs publics ne peuvent s’opposer à des coupes-rases de moins de 4 ha (40 000 m2)... Pourtant l’impact des pratiques sylvicoles actuelles n’est pas anodin, que ce soit sur le paysage, la qualité de l’eau ou la fertilité du sol. Les choix de gestion identifiés par l’INRA comme affectant la qualité des sols et leur capacité productive sur le long terme sont “l’introduction d’essences performantes qui produisent beaucoup de biomasse, le raccourcissement des révolutions, la récolte de la biomasse totale, le maintien d’un sol nu pendant les phases de récolte et de régénération, la récolte des rémanents d’exploitation qui redevient d’actualité avec les engagements sur le bois, source d’énergie“. Bref, la ligniculture du Plateau.
Les parcelles sont sur le territoire très majoritairement privées, mais le territoire reste collectif – et c’est bien pour équilibrer ces tensions dialectiques qu’existent les réglementations. Mais la sacralisation de la propriété privée relève d’un mouvement global de l’histoire depuis la Révolution, et ce d’autant plus localement. Sans remettre en cause le droit d’un individu à jouir de ses biens, le choix unilatéral de pratiques maximisant le profit individuel au détriment de l’intérêt général relève soit d’un ultralibéralisme égocentré (une “dissociété“, selon Jacques Généreux) soit de l’anarcho-individualisme. Mais dans tous les cas, ce choix s’oppose à tout projet de “société“, puisque “faire société“, c’est être et “faire ensemble“ (d’après le Larousse, une société est “une association organisée d’individus en vue de l’intérêt général“). C’est un déni de la res publica, la “chose publique“. Un siècle après avoir viré le sabre et le goupillon, nous vivons maintenant sous la coupe du sapin et du Bouthillon (merci de n’y voir qu’une amicale plaisanterie). Que de progrès...
Et l’environnement ?
Si même les habitants, encore dotés si ce n’est d’un pouvoir, au moins d’une capacité de s’exprimer, ne sont pas pris en compte dans les choix de gestion du territoire, comment le serait la nature, cette “grande muette“ ? Il faut 10 minutes pour détruire un arbre de 300 ans, patrimoine de 10 générations. Alors que certains trouvent cela rédhibitoire, d’autres manifestement se passent des dernières lettres (merci Desproges). La preuve ? Publicité pour les tronçonneuses Husqvarna : “Faites-vous enfin plaisir : maîtrisez la nature“.
Le PPRDF aborde cette problématique. Des actions sont bien prévues sur l’axe de la “gestion durable de la forêt en lien avec les territoires et pérennité de la ressource“, et consistent uniquement en … de la communication ! Enfin, rassurons-nous, les forêts du territoire sont déjà durables, puisque “certifiées“ PEFC. La plaquette de communication de PEFC indique : “Biodiversité, loisirs, récolte du bois... La forêt est généreuse pour tous. Avec PEFC, vous garantissez sa prospérité.“ Sans aucun doute, allez voir à Neuvialle, au pied des éoliennes de Peyrelevade, la prospérité des coupes rases...
Une nécessaire concertation sur la forêt
Un réel feu de forêt serait dommageable pour tous. Touchons du bois pour que cela n’arrive pas. Il est nécessaire que les pouvoirs publics et la filière intègrent les habitants dans les choix de gestion de leur territoire. La concertation et la prise en compte des aspirations de chacun sont indispensables, c’est bien cela la multifonctionnalité. Et aussi la garantie de la paix sociale. 70 ans après la dernière, faut-il encore le dire : “Maudite soit la guerre...“
Gaël Delacour
(IPNS n°42, mars 2013)
La forêt naturelle du plateau est feuillue, exception faite de pins en bordure de tourbières et genévriers dispersés. Le reboisement spontané des landes abandonnées est lent et passe par des stades de peu d’intérêt économique. Les plantations résineuses répondent à l’accroissement de la demande du bâtiment et de l’industrie. Les reboisements ne sont souvent ni précédés d’études, ni suivis de travaux suffisants d’entretien. La discussion opposant feuillus et résineux n’aboutit à aucune solution satisfaisante. Des termes de gestion forestière “productiviste“ ou “proche de la nature“ permettraient certainement d’appréhender mieux la question.
Peu à peu le plateau s’habitue à devenir un territoire forestier. La gestion des bois entre dans les mœurs. Les discussions sur la bonne forêt pour le plateau restent vives, mais l’opposition systématique à la forêt devient rare. L’enjeu de demain sera que tous les usagers se reconnaissent et se respectent. Si les habitants veulent que le plateau soit une terre d’accueil pour randonnées, pêche et chasse, champignons et vacances vertes, il faudra qu’ils se reconnaissent dans leur pays boisé. Les forestiers auront besoin du soutien de la population, des mairies, des communautés territoriales. Il faut qu’ils apprennent à respecter les autres productions de la forêt ; elle n’est pas que mètres cube de bois et rendements optimisés. Les forêts abritent de la nature essentielle, indispensable pour assurer la durabilité de la ressource. La protection des berges d’un ruisseau à truites, d’un vieil arbre aux trous de pics avec gîtes de chauve-souris, d’une tourbière aux plantes rares, tout cela n’est pas une fantaisie d’écologiste coupé du monde, mais plutôt un mortier qui assure la pérennité du pays.
Hans Kreusler, Technicien sylvicole indépendant
Une com’ qui se plante !
Les organisateurs de la Fête de la forêt (juillet 2012) à Royère ne pourront sans doute jamais comprendre les personnes qui critiquent la ligniculture.
La preuve en regardant le somptueux dépliant destiné à présenter leur manifestation. Pour montrer que la forêt est un lieu de loisirs et de détente, ils ont choisi une photo, mais pour démontrer tout le contraire : la forêt anonyme, froide, industrielle, celle qui vous fait fuir plutôt que celle qui vous attire.
On y voit deux gamins jouant dans une plantation des plus sinistres, sans mystère et sans beauté... Le rêve de la forêt de demain sur le plateau ?
Pourquoi une chance ? Parlons d’abord d’une essence qui est implantée d’une manière forte, dans la diversité des feuillus et des résineux, sans être une monoculture : je parle du douglas. La forêt, en douglas, représente 76 000 hectares en Limousin soit 38 % de la surface des résineux. Les résineux et feuillus sont à parts égales : 50 % chacun. Le douglas présente de nombreuses qualités : bois rouge, imputrescible, résistant mécanique, le plus fiable des résineux. Lorsque l’on fait une sylviculture de haute qualité, en vue d’une régénération naturelle, il a encore d’autres attraits : il peut se dérouler et se trancher et aura le pouvoir, dans un avenir proche, de remplacer les bois exotiques; la régénération naturelle, d’autre part, résout les problèmes d’attaques d’hylobes et de chevreuils; elle permet un revenu étalé dans le temps; elle sauvegarde un environnement diversifié, une écologie appliquée à une gestion durable; la sauvegarde du sol forestier est maintenue, ainsi que la rétention du CO2 par la formation des nouvelles générations d’arbres. Sylviculture raisonnée et traitement pour haute qualité sur plus de 6 000 hectares à l’heure actuelle, sont véritablement une chance. Car, avec l’aide des pouvoirs publics et politiques, nous pourrions voir s’installer de nouvelles entreprises de première et deuxième transformation du bois sur notre magnifique territoire vert. D’autant plus qu’avec le changement de climat, c’est cette sylviculture dynamique qui sera gagnante : l’eau arrivera au pied de l’arbre, car la forêt sera ouverte. D’autres essences comme le cèdre, le mélèze, le hêtre, peuvent être cultivées de la même façon.
La formation des techniciens forestiers
La formation de nos techniciens forestiers est à améliorer et à adapter à l’évolution actuelle. Et aussi préparer des cadres supérieurs pour une forêt qui le mérite avec ses 700 000 m3 actuellement sur le marché, et dans les dix ans à venir plus de 2 millions de m3; elle est une préoccupation légitime aujourd’hui pour ne pas être absent demain. Pour gagner ce challenge, développons un centre de recherches avec l’université et l’école forestière de Meymac.
Le sylvo-tourisme
Le tourisme vert peut être un facteur favorisant le respect des arbres dans le sens en particulier où on leur donnerait plus de temps pour vivre. Un humain quittant tôt la vie n’a pas eu le temps de s’épanouir, pour l’arbre c’est la même chose; s’il est coupé en pleine jeunesse, à 30 ans par exemple, en coupe rase, c’est à la fois très dommageable pour lui, pour le sol lessivé, l’écosystème est anéanti, le sol s’acidifie encore plus. La forêt se cultive, et redonne ce qu’elle prend à la terre. L’esprit forestier peut bien sûr se diffuser de proche en proche, notamment dans les visites touristiques des forêts.
Les infrastructures
La voirie est un élément capital pour accéder aux peuplements. Le développement des routes forestières doit continuer et s’amplifier avec une aide, toujours incitative, par les communes. Même importance pour les aires de dépôt, à aménager à l’arrivée des chemins forestiers. Les propriétaires forestiers, les exploitants agricoles, sont des partenaires incontournables pour ces réalisations.
Georges Nadalon, conseil en gestion forestière
Concilier économie et écologie en pensant à long terme
Réflexion d’un ingénieur forestier, qui a passé sa retraite à travailler tous les jours dans sa forêt du Cantal.
Le problème est de concilier économie et écologie. Pendant que les arbres s’accroissent à leur rythme, doucement, les forestiers s’efforcent d’élaborer des modèles de sylviculture répondant aux besoins de la société. Malheureusement, personne ne peut savoir aujourd’hui quels seront ces besoins dans 30 ou 50 ans, délais nécessaires pour récolter les produits résultant de ces modèles. Un gestionnaire forestier ne vit pas assez vieux pour mesurer les conséquences de ses actes, car la forêt réagit lentement, et de façon parfois imprévisible. C’est pourquoi l’idéal serait de cultiver sans à-coups une forêt qui reste stable et puisse remplir simultanément les trois fonctions : production, protection et fonction sociale.
Pour la futaie irrégulière et mélangée
Bien que ce soit une attitude fréquente chez les sylviculteurs, il est peu raisonnable d’orienter la production à long terme vers la satisfaction d’un besoin particulier immédiat. Le risque est grand qu’au jour de la récolte, les produits soient mal adaptés, la demande ayant évolué. Un bon gestionnaire forestier doit d’une part préserver la qualité de son outil de production, le rendre plus résistant aux aléas climatiques ou biotiques, mais d’autre part ouvrir “l’éventail des choix“ pour ses successeurs. Leur transmettre des peuplements facilement adaptables à la satisfaction des besoins nouveaux. C’est pour ces deux raisons qu’un intérêt croissant se manifeste pour la futaie mélangée et irrégulière, malgré les contraintes de gestion qu’elle implique. Mais ce mouvement ne doit surtout pas devenir une mode et le débat ne doit pas se transformer en polémique.
Michel Hubert, ingénieur forestier à la retraite.
-
ThèmeEnjeux
-
IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 -
©2011 le journal IPNS - Journal d'information et de débat du plateau de Millevaches - Publication papier trimestrielle.
Accompagnement et hébergement : association info Limousin