L’association ILICO (Internet libre en Corrèze) nous présente les enjeux actuels du raccordement numérique de la Montagne. Entre les gros opérateurs, quelle place pour un Internet associatif et non commercial ?
Présentation des acteurs en Limousin
On distingue en Limousin les quelques “gros” acteurs privés classiques (Orange/SFR/Bouygues/Free) ainsi que quelques opérateurs locaux. Ceux-ci sont le plus souvent inconnus du grand public car à destination des professionnels (comme Artewan par exemple). Du côté des services publics, les différentes collectivités du limousin se sont dotés d’un syndicat mixte, Dorsal, afin de financer et construire une infrastructure haut débit pour l’accès à internet. Pour résumer très simplement, déployer la fibre optique dans la région avec de l’argent public. L’exploitation de cette infrastructure a par contre été confiée depuis 2004 à Axione Limousin (filiale de Bouygues) dans le cadre d’une délégation de service public, et ce jusqu’en 2029. Dans de nombreuses communications de Dorsal ou Axione, un autre objectif, en plus de déployer la fibre, est bien sûr le délicat travail de la couverture des zones blanches, relativement nombreuses notamment autour de la Montagne limousine car présentant un intérêt économique très faible pour les opérateurs privés.
En dehors des acteurs traditionnels, on trouve partout en France des structures associatives dont l’objet est de fournir un accès à Internet débarassé de toutes vélléités commerciales, et ne cédant pas à la tendance globale de surveillance et de censure. Ces associations sont regroupées dans une fédération de fournisseurs d’accès à Internet (FAI) associatifs et sont au nombre d’une petite trentaine après quelques années d’existence seulement. La Corrèze ne fait pas exception à cet effort de reconquête du réseau puisqu’une association corrézienne, Ilico pour Internet Libre en Corrèze, fait partie de cette fédération depuis 2011 et promeut la mutualisation des efforts pour améliorer la situation d’isolement numérique que subissent encore beaucoup d’endroits, comme la Montagne limousine.
Aménagement en zone rurale : le petit exemple de Tarnac
Dorsal prévoyait de fibrer (opticaliser dans le jargon des opérateurs) le NRA (Noeud de Raccordement d’Abonnés, comprendre le central téléphonique) de Tarnac, petite commune rurale de haute Corrèze, durant l’année 2017. Par la même occasion, il était prévu de relier directement à la fibre un projet de “tiers-lieu” soutenu par la région et la communauté de communes. Ce projet a notamment pour objectif de mutualiser des ressources, d’héberger des services et du contenu, ce qui implique un besoin important d’une excellente connectivité vers Internet sous peine de remettre en cause l’existence même du lieu. Orange, après avoir effectué une liaison entre Nedde et Faux-la-Montagne en fibre “aérienne” sur les mêmes poteaux que les câbles en cuivre pour le téléphone, a décidé de faire quelques centaines de mètres de plus afin de fibrer le NRA (central téléphonique) de Tarnac. La politique de Dorsal en termes d’aménagement numérique du territoire en zone rural étant de ne pas déployer de la fibre là ou il y a déjà un opérateur, le projet de Dorsal de relier le NRA de Tarnac a donc été abandonné.
Là où le projet de Dorsal était de faire passer la fibre optique en souterrain pour un déploiement beaucoup plus stable et pérenne, Orange a fait le choix de déployer de la fibre en aérien dans une région connue pour ses intempéries qui ont tendance à faire tomber branches et arbres sur les lignes. Il faut comprendre que ce choix est également beaucoup moins coûteux et beaucoup plus rapide à mettre en oeuvre car demande moins d’études en amont et bien moins de génie civil. En clair, alors que Dorsal était en train de mener l’étude de faisabilité de raccorder le NRA de Tarnac de manière pérenne en souterrain, Orange, qui ne pouvait ignorer le projet de Dorsal, a sciemment décidé de coiffer la force publique sur le poteau (c’est le cas de le dire) en posant vite fait sa fibre en aérien leur permettant ainsi de garder à coup sûr l’avantage commercial sur la zone.
Alors oui, ça va permettre une augmentation des débits à court terme autour du central de Tarnac, mais le problème est surtout qu’Orange prévoit une ouverture de nouveaux services “a minima” sur l’équipement ainsi relié. En effet, il n’est pas question pour eux de remplacer le vieil équipement à l’intérieur du NRA par un équipement à l’état de l’art qui permettrait de fournir du VDSL. Le VDSL permet d’atteindre des débits jusqu’à 5 fois plus importants que l’ADSL dans une zone d’1 km autour du NRA.
Tout cela a de nombreuses conséquences :
- du gâchis d’argent public car tout le travail d’étude réalisé par Dorsal ne sert plus à rien ;
- les utilisateurs voient la qualité de service proposée augmenter, mais dans une bien moindre mesure que ce que permettent les technologies actuelles ;
- l’accès à internet reste inégalitaire sur le territoire, avec des zones durablement isolés ;
- le projet d’ouverture de “tiers-lieu” est clairement impacté en termes de qualité de raccordement internet car même s’il est théoriquement toujours possible de le relier via la fibre Orange, le coût et la qualité du service proposé est sans commune mesure avec ceux qui aurait dû l’être si la fibre avait été posée par Dorsal.
Et maintenant, on fait quoi ?
Devant cette situation nous avons tenté de discuter avec Orange pour faire évoluer leur projet, en particulier en les incitant à au moins remplacer le vieil équipement dans le central téléphonique afin de pouvoir proposer du VDSL. La discussion n’a mené à rien, le responsable d’Orange faisant semblant de ne pas comprendre le problème et d’être choqué par notre demande parce qu’Orange amenait un plus dans le village et finalement faisait faire des économies à la collectivité (sic). Après tout, avoir à Tarnac le débit qu’on peut trouver en ville depuis 10 ans, c’est déjà formidable. Que demander de plus ?!
Devant une telle situation, l’énervement passé, que reste t’il comme options ? Se résigner ? Pas le genre de la Montagne. Essayer de faire bouger Orange ? Possible quoique difficile. Tenter de reprendre en main l’infrastructure, tirer nos propres fibres, nos propres câbles, accrocher nos propres antennes et faire du réseau nous-mêmes ? Impossible d’apparence et pourtant, si l’on creuse la question, cela semble plus réaliste que d’attendre quoi que ce soit de la part de structures commerciales seulement guidées par la rentabilité à court terme.
Association ILICO