Du sens des mots, de l’essence des mots à l’essence des êtres :
Je ne sais si vous avez remarqué à quel point un mot est devenu très “tendance“ par chez nous : le TERRITOIRE. Je souhaite vous dire ce que j’en pense : pour moi, c’est un “gros mot“. La propension à l’utiliser “à toutes les sauces“ m’irrite. Je trouve çà snob.
Voyons les deux définitions principales du dictionnaire :
- Étendue de la Terre sur laquelle vit un groupe humain : avouez qu’on peut difficilement faire plus vague. Donc, s’il existe un bout de terre où vivent trois pèlerins, c’est un territoire. C’est assez simple, en fait simpliste. Je vais donc l’appliquer à mes chats et aux sangliers (quand il en reste après le passage de certains …).
- Au sens figuré (observez attentivement le mot “figuré“ qui veut dire bien des choses) : Lieu que quelqu’un s’approprie dans son travail, son domicile, ses loisirs, etc. Approprier : voilà le truc ! C’est le sens que choisiront les lecteurs habituels d’IPNS, c’est évident. Qui a beaucoup à voir avec la géographie sociale, culturelle, militante. En réalité, tous les “blaireaux“ lui donnent un sens affectif. Pour certains, la ZAD de Notre Dame des Landes fait partie du même territoire que le “plateau rebelle“. Pour d’autres, le territoire se déplace de concerts, en expos, en conférences, en marchés, en fêtes ... Çà me plait assez. Mais voilà ...
Plus on parle d’un territoire, moins on s’en occupe
En l’occurrence, ceux qui ont introduit ce mot “fashionable“ n’y vivent pas, dans ce fameux territoire, que quelques-uns s’amusent à attribuer aux blaireaux. C’est une invention de la DATAR, conçue par d’anciens de l’ENA : de la pure technocratie ! Je dirai donc : PLUS on parle d’un territoire, MOINS on s’en occupe (“on“ étant qui vous savez). Plus on AMÉNAGE, plus on DÉMÉNAGE. Je pense que vous me comprendrez. Surtout quand ces braves gens s’ingénient à changer constamment les limites du fameux territoire.
Alors, quoi dire d’autre ? Voici un exemple très précis : dans un ouvrage daté de 1986, co-écrit par un certain nombre d’auteurs (historiens, sociologues, géographes, ...) assez connus par “chez nous“ - M.F. Houdart, J.-F. Pressicaud ou G. Monédiaire par exemple - le mot territoire n’est JAMAIS utilisé. Ce livre s’appelle : “Approches anthropologiques des ESPACES“. Ben, le voilà LE mot ! En tant que sympathisant de votre “approche“, j’aimerais tant que vous n’utilisiez pas le même vocabulaire que les élus, bureaucrates et technocrates lèche-bottes... celui de leurs maîtres, ou leurs toutous, c’est selon, tous gens qui se contrefoutent de leur “territoire“, comme de leurs habitants. Habitants qui – c’est facile à vérifier – ne disent jamais : j’habite un territoire, mais “un coin“, “un patelin“, une commune, un “païs“ : le Plateau (avec majuscule). Les anciens des luttes du Larzac disaient bien “Volem viure al païs“, et non “al terrador“. Vous conviendrez que ce dernier mot n’est pas très commun. Quant à “territori“, il n’existe pas. Et je pourrais prolonger en parlant du PARC, mais j’arrête là. J’en ai un derrière la maison (de parc) : c’est le territoire de mes chiens.
Michel Patinaud