Julien Dupoux se promène actuellement sur le Plateau à la recherche des signes du pouvoir de la population sur son territoire. Quête vaine ? Il nous fait part de quelques-unes de ses réflexions.
Il se pourrait d’abord que le pouvoir soit mental : cette vie que je mène, dans quelle mesure me l’impose-t-on, dans quelle mesure je la choisis ? Est-ce que je vais aller me promener à Peyrelevade parce que mon envie me pousse subitement là-bas ou parce que l’industrie du tourisme y a répertorié un sentier de randonnée dont elle vante les mérites ?
Je ne serais certainement pas capable de répondre complètement à ces questions après mon étude sur le plateau de Millevaches (pour un simple mémoire de géographie bac+5) mais je vais m’employer à parler de ce pouvoir qui peut émaner de la population sur ses lieux quotidiens de vie, son territoire, ou dans un sens plus large, son environnement. Quels sont les leviers de pouvoir de la population ? Et le pouvoir, cette notion qu’on me dit, à raison, déjà vague, qu’on comprend souvent comme la domination hiérarchique, quelles formes prend-il quand c’est la population qui s’en saisit ? C’est certainement la réputation du Plateau qui me fait y venir, ainsi que mes attaches creusoises.
Une définition du pouvoir
Un dictionnaire de géographie1 nous stipule que “en géographie, le mot pouvoir a longtemps été tenu à l’écart au titre du rejet du politique“ et que “les géographes ont eu du mal à penser la notion de pouvoir car ils entretenaient avec les pouvoirs institués une relation de sujétion qui les a conduits, sans parfois qu’ils en aient conscience, à garder le silence“. Mais cela ne vaut pas que pour les géographes… On comprend déjà que s’exprimer, ne serait-ce que pour décrire des choses, est une forme de pouvoir, une forme qui déplaira à certains puisque leurs malversations exigent l’omerta.
Venons-en à la première définition du mot selon le même dico : le pouvoir est “la capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir.“ C’est une des définitions qui va m’intéresser car elle va me permettre de parler de ce pouvoir des habitants, ce pouvoir que l’on partage sans l’aval des relations de subordination que l’on se choisirait par les urnes.
On trouve plusieurs bouquins “scientifiques“ de géographie, présentant des démarches de démocratie participative et cherchant à évaluer la place des décisions de la population quant à l’aménagement du territoire dans des cadres institutionnels. On a toutefois reconnu que l’on avait négligé l’avis du peuple, l’avis local, celui des habitants. Cependant, on fait à mon goût trop souvent la part belle au consensus entre des intérêts financiers et les intérêts de la population : consensus qui serait la manière de résoudre des conflits. Quand des élus ou des entreprises ne sont pas capables d’écouter l’avis (pas si idiot, et loin d’être dépourvu de toute science) de la population, c’est certainement qu’ils craignent une moralité du pouvoir qui remettrait en cause leur besoin de domination, de contrôle, d’écrasement, besoin qu’ils ressentent comme vital pour ne pas dégonfler, ne pas perdre leur train de vie, une identité construite à travers les échelles hiérarchiques. Certaines situations du Plateau (présentées, entre autres, dans ce numéro) peuvent tout à fait s’inscrire dans ces propos.
Le pouvoir de la population sur le Plateau
Sur le Plateau, un premier constat montre un pouvoir de domination sur la population. Cela par l’étouffante présence des résineux, les coupes rases qui vont détériorer l’environnement des habitants, la forte propriété (bâtie et forestière) des non-résidents et par, comme partout, un découpage administratif, une sujétion constitutionnelle et financière à la région, une sujétion économique à certaines entreprises (compagnies forestières par exemple). Dans ce contexte, les habitants ne sont néanmoins pas démunis de leviers de pouvoir pour faire valoir leur avis et on dit souvent que le Plateau est un lieu où la population arrive à s’organiser, à s’exprimer. Comment ? D’abord, il y a l’influence.
La forte activité culturelle est un moyen de marquer son territoire, d’implanter des lieux culturels (bistrots, fermes, points relais de l’information …) : l’affichage culturel est très présent, y compris sous forme de graffitis (“plateau insoumis“). On devine qu’ici une autre manière de penser le pouvoir perce : elle dérangera surtout ceux qui sont englués dans les rapports de soumission.
L’impact physique n’est pas l’apanage de l’extérieur, des paysans s’évertuent à garder des prairies, certains lieux de mémoire sont entretenus (monument de Gentioux, et d’une certaine façon les tourbières, certaines landes). Le dynamisme est plébiscité et de nombreux collectifs et associations sont présents autour du canton de Gentioux : on se regroupe pour avoir une forme de pouvoir sur son environnement. On s’organisera aussi différemment dans les collectifs, sans besoin d’une hiérarchie verticale pour décider, d’un chef identifié (et qui résumerait l’identité d’un groupe ; est-ce qu’on possède seulement une identité ?) avec la volonté d’éviter le vote systématique pour décider de l’avenir d’un groupe et pour prendre en compte les minorités. Je viens sur le Plateau essayer d’observer comment une population peut s’organiser et agir pour décider de l’avenir de son environnement et de sa qualité de vie.
Julien Dupoux
1 Lévy J. & Lussault M. 2003, Dictionnaires de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin.