Le rapport a pour objectif d’affiner l’échelle d’observation et d’analyse des flux migratoires pour comprendre comment le territoire du PNR de Millevaches est privilégié à un autre par les néo-Limousins.
Le rapport débute par un rappel des données statistiques de l’évolution démographique issues de l’INSEE. Si elle reste négative sur le territoire du PNR, le solde migratoire est lui devenu très positif (+ 6,5 % pour la période 1999-2006). Ainsi, sur le PNR de Millevaches, 11 % de la population n’y habite que depuis moins de 5 ans. Ces néo-résidents apparaissent en moyenne plus diplômés et disposant de revenus plus élevés que la moyenne de la population locale.
L’objectif du rapport a consisté ensuite à mesurer la place de l’environnement dans la démarche des migrants, depuis le choix du Limousin comme région de destination, à celui de la commune d’installation et du logement finalement investi. Une trentaine d’entretiens ont été conduits auprès de personnes dites ressources (maires, adjoints, personnels des collectivités, “personnalités“ locales, animateurs de Pôles locaux d’accueil, etc.) et un questionnaire alternant 96 questions fermées/semi fermées et ouvertes a été soumis à 119 personnes (voir encadré).
Cette investigation représente la moitié du rapport et est extrêmement fouillée et détaillée. Les auteurs distinguent ainsi les notions d’environnement physique, de nature, d’espace, de paysage, de cadre de vie, de mode de vie, de calme et de tranquillité, de campagne, d’opposition à la ville, d’agriculture, de pollution… Des pourcentages sont alors donnés sur chacun de ces facteurs dans les choix des néo-résidents pour le Limousin, pour leur commune d’installation et pour leur logement. Des distinctions viennent s’ajouter selon les trois “terrains“ enquêtés. Au total, “la relation à l’environnement est fondamentale en amont et tout au long du processus d’implantation des néo-Limousins“ et “elle le reste ensuite“.
Parallèlement, compte tenu du poids démographique des néo-Limousins dans les communes rurales, l’interrogation porte sur les recompositions sociales des campagnes limousines sous l’effet de ce “brassage“ démographique. Dans quelle mesure ces arrivées de néo-Limousins sont-elles perceptibles dans l’évolution des sociétés locales ? Modifient-elles les structures établies en termes, par exemple, de sociabilités, de dynamiques collectives (associatives, politiques, etc.) ou encore de politiques locales ? Dans quelles mesures ces arrivées sont-elles perçues, à la fois par les populations dites “locales“ et par les néo-Limousins eux-mêmes ?
Au regard de ces interrogations, les auteurs mobilisent la notion de “gentrification rurale“ comme grille d’analyse (Voir l’encadré “Qu’est-ce que la gentrification ?“). Ils recensent les différents indicateurs statistiques de la gentrification (niveaux de diplômes, niveaux de revenus, catégories socioprofessionnelles…) et analysent les rapports à l’environnement socialement différenciés et différenciants caractéristiques de la gentrification (perception des paysages, stratégies de localisation, rapport au “local“, militantisme…). Ils aboutissent à une typologie :
En conclusion, les auteurs relativisent toutefois la pertinence de leur typologie, parlent de “proto-gentrification“ et ramènent leur hypothèse à l’existence de “poches de gentrification“ pouvant éventuellement essaimer.
Tout d’abord, l’environnement est un concept “mou“, tellement général, vague et peu discriminant qu’il ne permet guère d’analyser les raisons du choix des néo-Limousins dans leur implantation. Et ce d’autant plus qu’il est le seul critère retenu et qu’il est peu critiqué. Ici ou là,une référence à Bourdieu relativise le discours normé des enquêtés en matière d’environnement et de choix de vie, mais aucune conséquence n’en est tirée dans l’enquête. Ce qui est dit en matière d’environnement par les enquêtés pourrait être dit à peu près de toutes les régions françaises, toutes très belles : le plateau de Millevaches n’est pas plus attractif de ce point de vue que l’Ariège, le Jura, les Monts d’Arrée, le Morvan, le Périgord, la Provence, le Vivarais, etc. Il aurait donc fallu avant tout interroger les gens sur pourquoi ce choix plutôt qu’un autre, de même nature environnementale. Gageons alors qu’il serait apparu par exemple que ce n’est pas la plus grande pluviométrie (facteur environnemental) qui aura fait choisir le plateau de Millevaches plutôt que le Lubéron, mais bien plutôt soit des liens personnels, soit des opportunités professionnelles, soit surtout le prix du foncier ou des loyers, soit tout à la fois.
Ajoutons que la comparaison avec d’autres régions aurait fait apparaître que si le Limousin connaît un bilan migratoire positif, il n’est pas en tête des régions françaises de ce point de vue, les littoraux arrivant nettement devant, mais pas seulement puisque les Alpes-de-haute-Provence, le Tarn-et-Garonne, l’Ariège, le Gers, le Lot, la Dordogne, le Tarn, les Hautes-Alpes, l’Ardèche ou le Lot-et-Garonne devancent aussi les départements limousins. Les nouveaux arrivants de ces régions mettent très certainement en tête la qualité environnementale dans les raisons de leur choix d’implantation.
Deuxième grand problème, le concept de gentrification (voir l’encadré). Ce concept créé en Grande-Bretagne dans les années 1970-1980 a connu un succès assez rapide en France pour analyser les mutations sociales dans les centres villes et leurs effets physiques et économiques : les catégories populaires sont chassées des centres villes dégradés par des catégories aisées qui rénovent et réhabilitent, font ainsi exploser les prix déjà soumis à une pression concurrentielle plus forte, imposent leurs normes sociales et leur mode de vie et accentuent ainsi l’exclusion des catégories populaires pour aboutir à un quasi apartheid social.
On peut éventuellement constater , ici ou là, sur le plateau de Millevaches quelques phénomènes analogues au processus décrit : rénovation particulièrement soignée du bâti, enfermement dans l’entre-soi de professions libérales dans un hameau réhabilité, pression foncière. Nos géographes en donnent un ou deux exemples significatifs. Mais, sur quatre points essentiels du concept de gentrification, il est difficile d’en trouver les effets :
Les auteurs eux-mêmes expliquent que loin de tenter d’imposer leurs normes sociales et leur mode de vie, les néo-Limousins ont à cœur de tout faire pour s’intégrer au milieu local et à ses pratiques. Si tentative d’exclusion il y a, elle vient plutôt des autochtones réticents à l’égard des “étrangers“.
Au fil du rapport, les auteurs ont visiblement pris conscience de l’inadaptation quasi totale du concept de gentrification à la réalité du plateau. Leur conclusion est significative à cet égard. Ils passent de “ces mutations iraient dans le sens d’une gentrification du PNR de Millevaches“ à “cette coexistence est en revanche loin de s’exprimer sous une forme conflictuelle“, puis “les néo-Limousins susceptibles d’être qualifiés stricto-sensu de gentrifieurs restent globalement minoritaires“, pour enfin “les motivations profondes de la plupart des néo-Limousins […] leur interdisent de mettre en œuvre des pratiques collectives qui seraient de nature exclusive, ségrégative, confiscatoire, etc. […] Ils œuvrent donc au quotidien pour réaliser cet idéal, notamment en cherchant à faire société et ce en harmonie ou cohérence avec l’ensemble de la population locale.“
À vouloir trop étendre l’application d’un concept, on lui fait perdre toute pertinence. La gentrification n’est qu’une des formes des mutations sociales, qui peuvent en prendre bien d’autres.
Peut-être parce que nous nous sommes sentis visés, les deux catégories “actifs“ et “alter“ de la typologie nous sont apparues particulièrement absurdes.
D’abord, la distinction. Si les définitions données sont différentes, les exemples donnés nous ont plongé dans la perplexité. Pour ceux qui les connaissent, il est difficile de comprendre pourquoi Le Monde allant vers…, l’Atelier ou Pivoine sont “actifs“ et pas “alter“, et Ambiance bois ou le Temps des cerises sont “alter“ et pas “actifs“. Ils sont tous et “actifs“ et “alter“ et appartiennent à une même catégorie si il faut en faire une.
Mais cette catégorie peut, moins encore que les autres, être qualifiée de gentrifieuse. Les auteurs eux-mêmes soulignent leur absence de capitaux et leurs faibles revenus, leur volonté de développer leur activité en lien avec le territoire, leur implication dans la vie locale, notamment via le secteur associatif et des mandats municipaux, leur identification au sein de la population comme vecteur de dynamisme pour le territoire. Tout sauf des gentrifieurs donc. Si les auteurs repèrent en leur sein, quelques éléments plus “marginaux“ et dans l’entre-soi, ils soulignent que, loin d’être dans une position dominante à l’égard de la population locale, ils sont surtout stigmatisés.
Enfin, si les auteurs notent au détour d’une phrase que les “alter“ sont particulièrement présents dans la zone de Vassivière et qu’ils ont un mode de fonctionnement en réseau, ils manquent d’analyser une réalité très spécifique de la zone de Vassivière relevée régulièrement depuis maintenant plus de trente ans. Par Jean-François Pressicaud dans son mémoire, Les néo-ruraux dans le nord de la Montagne limousine : un facteur de revitalisation d’un pays dominé ? (Université Toulouse-Le-Mirail-Limoges, 1980), Paul Busutill dans À la recherche du développement: la Creuse… (Études creusoises, Société des sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, 1992) et “Les créations d’associations sur le plateau de Millevaches“ (IPNS n° 34, mars 2011).