- Écoute, fiston ! Les gaulois Lémovices avaient leurs oppidums : imprenables, sauf celui d’Alésia, où est mort leur Abraracourcix, nommé Sédullus. Une fois devenu romain, notre coin a vu nos amis installer des tas de villae – comme celle des Cars – d’où leur aristocratie contrôlait l’espace environnant, qu’on n’appelait pas encore “LE“ territoire. Et quand çà ne tournait pas rond, ils envoyaient leurs CRS (Compagnies romaines de salubrité).
- Mais, dis papa, avant, y avait qui ?
- On ne sait pas trop, mon petit Obélix. Certains disent les Ligures.
- Mais, papa ! Avant, bon sang !
- Eh bien, vu que dans notre coin, les menhirs et dolmens poussaient comme des champignons, c’est eux.
- Eux qui ?
- Ben sans doute des homo quelque chose...
- Mais, alors, ça métissait grave dans ces temps anciens, papa !
- Donc, les Romains vainqueurs ont écrit l’histoire et nous ont délimité dans des “pays“, c’est comme çà qu’on est devenus des paysans. À nous, la civitas lemovicum, çà fait class non ? À l’est, les Arvernes ont eu aussi leur part de gâteau. Faut bien reconnaître que toutes leurs grandes auto-voies romaines ignoraient le Plateau. Ah, les vaches ! Oui, c’est d’ailleurs de là que vient le nom, parce que la situation a duré 1 000 ans.
- Et c’est alors que le Moine est arrivé ?
- Oui, plusieurs même, pour nous remercier de notre foi immense, on a eu droit à trois papes ! Record absolu. À la décharge de notre coin inculte, il faut vous dire que Pierre Roger-Raymond VI, d’Egletons, était passé par la case Sorbonne, qui était l’ENA du temps. Et là, je dis: halte ! Aux religieux la prière, aux chevaliers le mille-feuilles. Y en a qui disent : ces gars-là n’étaient pas francs! Mais si, un peu tout de même. Dagobert et Charlemagne, nos cousins germains, ont délégué des petits bouts de territoire à la surveillance des comtes, dont le premier s’appelait Enbank. Et alors, miracle : merci Saint Oradoux. Charles l’Enfant, fils de son père, le Chauve, est couronné roi d’Aquitaine à Limoges ! Une sorte de Rousset avant l’heure (j’ai oublié l’autre, le flamand rose)... Les comtes donc, crièrent : “c’est nous LE territoire“, qui, d’espace public, devint petit à petit privé. C’est depuis qu’il y a écrit ça sur la porte des toilettes. Nos nobles se partageaient le gâteau, et ce fut à nouveau pas de la tarte. Comme ça nos ancêtres du Plateau sont devenus un peu Aquitains, avec Aliénor de Bordeaux. Qui elle-même devint anglaise, après son remariage avec un Français, tu suis petit ?
- Euh... Oui papa.
- Et là, sortirent de terre des mottes – de vraies taupinières – puis des châteaux-forts. Pas si forts que çà, d’ailleurs, t’as vu l’état de Ventadour !
- Et Peyrat-le-Château aussi, papa ? Nos seigneurs d’aujourd’hui viennent de loin alors ?
- Tiens, regarde donc une carte de ces fameux châteaux, et une autre des abbayes. Ben, les premiers, c’était plutôt sur le Plateau, et les secondes autour. En somme, nos ancêtres étaient surtout encadrés par des moines ! Revenons-en aux seigneurs : une ribambelle ! Et vas-y les tournois, les troubadours, les guerres féodales, et tout le tintouin, et les serfs, qu’on n’appelait pas encore les sans-dents – et pourtant ils n’en avaient pas beaucoup, de dents ! Enfin, si, ils en avaient surtout contre les fameux seigneurs. Surtout que les vrais, ceux qui manipulaient tout le reste, se reproduisaient entre eux. Et je te passe ma vicomté si tu me prêtes tes châteaux. Les petits gars du Plateau – tout de même assez rares, mais vraiment très petits - n’étaient pas encore français. Ils parlaient l’oc, une langue bizarre, les pov’. Les Français, eux, ils venaient du nord, et on les craignait. Et je te passe les Anglais ! On les a eu plus de 100 ans, et le Prince Noir, qui était un blanc tout rougeaud, après avoir saccagé Limoges, a oublié de passer par Ussel. Ça a des fois du bon de ne pas avoir de routes. Et les siècles ont succédé aux siècles, dans un monde immuable.
- Immuable, c’est quoi ?
- Pas tout-à-fait : parce qu’entre-temps, c’étaient les Poitevins qui avaient fait main basse sur not’ coin. Et les gens d’Aubusson, ils ne savaient plus où donner de la tête. Ils en avaient marre de faire tapisserie - alors ils l’ont refilée à Felletin - et puis marre aussi de trébucher sur la Marche après chopine.
- Dis, c’est quoi chopine ?
- Tais-toi ! Et le temps passait, et les petits gars d’Eymoutiers, ils ont voulu pour seigneur l’évêque de Limoges, dont le fils s’appelait Tonsure.
- Et les cerfs de Rempnat ?
- Non pas les cerfs, les serfs ! Ben, ils en avaient plusieurs, de seigneurs ! Qui se partageaient les environs. Je te passe les détails. Entre le château de Nedde et celui de Tarnac, ça bardait. Quand le vilain, un rural profond, voulait faire valoir ses droits – tiens, il en avait, des droits ? – il devait faire appel au tribunal du Dorat : très pratique, quand on a que ses pieds, et qu’on ne jacte pas un mot de latin !
- Mais, papa, le juge de La Feuillade, il pouvait pas faire l’affaire ?
- Non, on lui répondait : “Mais mon pauv’ vieux, vous ne connaissez donc rien à votre territoire !“ Et le tintouin continuait... Pour les mariages, le curé - heureusement - n’était pas bien loin. À part que le Jean du Rat, à Peyrelevade, pour épouser la Marie de Chaumont, à Gentioux, il lui fallait l’accord du curé de Saint-Setiers, où il était né... Je dois te dire qu’entretemps était né le français, sorte de mélange gréco-romano-celte, mâtiné de germain (traité de Verdun).
- Ah oui, la bataille ?
- Mais non, pas la même, imbécile ! Mais nos Occitans résistaient, comme ceux du petit village gaulois. Et un jour, heureusement, tout ce gentil b... prend fin, enfin pas pour longtemps. La Révolution arrive, et – ouf ! - les chefs changent. Les paroisses deviennent des communes, et le reste des miettes est rassemblé en département. Là, on avait fait le plus facile, parce que les habitants de X voulaient pas être Creusois ! Et ceux de Y voulaient être à Z. Tu vois le problème, fiston, quand on commence à demander l’avis des gens ?
- “Ici les habitants“ n’avait pas encore été inventé ?
- Non, alors, on a créé un remède : des élections ! Pour que les “néos“ chefs parlent au nom des “néos“ citoyens. Après la liberté, vient l’égalité, la troisième j’ai oublié. On décide alors de rajouter une cerise sur le gâteau, qui n’a pas bon goût, mais qui fait joli: le canton. Pour avoir un juge de proximité, sauf qu’entre celui de Peyrelevade et celui de Sornac, ça ne coule pas de source, à cause de celle de la Vienne. Les rancoeurs s’accumulent. Comme la République a toujours raison et des valeurs, on décide de changer régulièrement les étiquettes, et les parts de gâteaux aussi. Les petites communes disparaissent : tiens... celle de Barsanges : “Vous irez voir le seigneur d’à-côté!“ On leur laisse juste une gare, enfin plus tard. Et au Compeix, pareil, à part la gare. Le must (je t’ai dit, pour les Anglais), c’est Sainte-Anne : on lui rajoute Saint-Priest, qui a déjà avalé Villevaleix. Bien avant François III de Tulle, c’est un choc de simplification. (T’occupes, je t’expliquerai plus tard).
- Nouveaux territoires, nouveaux noms, nouveaux chefs. Un peu moins peut-être ?
- Ah non ! Et le mille-feuilles à partager ? Et le pouvoir ? Sans les sous, pas de pouvoir, sans le pouvoir, pas de sous. Mais dessus, si, la cerise... On donne à chacun une bourse, en plus des miettes. Tra la la... Je sens que tu es fatigué, mon petit, on arrive à la Résistance, c’est un plat. Mais, çà se gâte, parce que le maréchal est à Vichy, François II aussi. C’est pas loin, mais la Milice est à Limoges, et les vrais chefs à Berlin. Les Anglais sont jaloux, alors ils organisent des parachutages. C’est grâce à ce nouveau principe qu’on a pu avoir Jacques de Sarran et François de Vigeois – çà fait-y pas noble çà, mon gars ? Revenons à la Résistance et au Général, vexé que sa nouvelle recette de mille-feuilles, prénommée Région, ne plaise pas. Après un référendum – c’est romain, ça ? - il abandonne la République. Qu’à cela ne tienne ! François, celui d’avant – veut qu’on rapproche le pouvoir des habitants. Des conseillers, régionaux, seront donc élus : le Limousin va-t-il exister, enfin ? Que nenni ! D’une part, il est trop petit, d’autre part, le nom n’est pas beau. Un nom de rivière alors ? Et on a l’embarras du choix. S’il s’agit de nommer les “territoires“ qui poussent comme les champignons à Bugeat, on regarde les paysages : et je te crée les Monts et Barrages, et les énoooormes gâteaux aussi : en raccourci, ça donne le Pet Hénère. Nouvelle cerise sur le mille-feuilles, cerise de proximité, la région s’appellera désormais Nouvelle Aquitaine. Pour faire oublier l’ancienne, qu’Aliénor avait vendue aux Anglais. Alors que l’Aquitania avait été baptisée par un Grec ! De quoi en perdre son latin, non ? Et, heureusement on a échappé aux “Bas de France“ ! Et à la blague: tu perds tes bas...
- Et alors, aujourd’hui ?
- L’atelier de découpage est terminé, mais avec la recrudescence des petits chefs, c’est mal barré. Y a ceux qui veulent être plus chefs que les autres, je ne dis pas calife, à cause des... (tu sais ?). Parce que, dans la logique opposée, on a depuis peu les com com. Encore une couche alors ? Oui, mais nos élus sont intelligents : on a maintenant Creuse Grand Sud, ça fait plus ensoleillé, passé les Portes de Vassivière. Quoique, les Portes...
- Y en a beaucoup ?
- Oui, toujours ouvertes, partout, d’où le pluriel. Il faudra quand même bien nous expliquer pourquoi des Corréziens veulent fricoter avec la Creuse, et des Creusois avec la Corrèze. Et des Creusois ne veulent pas jouer avec d’autres Creusois. Et mon identité alors ? Enfin, ça doit être ça la démocratie.
- Papa, il faudrait pas qu’on recommence les guerres entre seigneurs !
- Ah bon, elles n’ont jamais cessé ? M... alors! Heureusement que le centre fermé de Moissannes est toujours ouvert, comme ça les ados difficiles ont un territoire avec beaucoup d’espace, et même du mille-feuilles au goûter !
Emile Vache