Chasse au renard, poules fictives pour crime organisé...
Michel Bernard
Si, dans son département, le préfet ne dispose pas d’éléments suffisants pour autoriser la tuerie du renard, tels que des préjudices liés aux activités agricoles ou des problèmes de santé publique, il peut, comme en Savoie, sortir le renard de la liste des “nuisibles“. Pour justifier le besoin de se défouler avec son fusil, il suffit de démontrer que les nuisances existent ! Pourquoi ne pas faire de fausses déclarations ? C'est le cas dans certaines communes comme celle de Saint-Martin-Château où des poules fictives ont surgi comme par miracle sur un document validé, sans vérification, par un élu. Quelques papiers de ce style centralisés par la fédération de chasse, puis transmis au préfet... et le moteur s’emballe : “Au secours, le renard mange nos poules, le pigeon mange nos pois, la pie et la corneille mangent nos céréales, notre maïs… etc.“ Une anecdote qui nous donne l'occasion de réfléchir à qui est vraiment “nuisible“ dans cette histoire...
Vous avez dit “nuisible“ ?
NUISIBLE, du verbe nuire, du latin nocere : nuire, faire du mal, porter préjudice à.
Nuire à qui, à quoi, lorsqu’on parle d’un animal dit “nuisible“ ? On remarquera que l’adjectif est souvent employé comme nom commun : ne lit-on pas sur les notices d’utilisation de divers “pesticides“ : élimination des “nuisibles“ ? De même, sur les panneaux d’affichage de nos mairies rurales : campagne d’éradication des “nuisibles“ ?
Droit de vie ou de mort
On part donc du postulat que des animaux, peuplant comme nous la planète, nous seraient, à nous les êtres humains, nuisibles. Il s’agit là d’une affirmation uniquement “anthropo-centrée“, c'est-à-dire qui place l’homme au centre du problème, non pour le responsabiliser, mais pour lui octroyer le droit de vie ou de mort sur les règnes animal et végétal. Ainsi, la désignation de tel ou tel animal comme “nuisible“ suit les variations humaines de temps et de lieu. À l’époque où nos ancêtres s’abritaient des bêtes sauvages dans des cavernes, l’animal nuisible avait une toute autre figure que le “rat-taupier“ ou le renard d’aujourd’hui. Et si l’on se déplace sur d’autres continents, le lion, l’éléphant, le jaguar ou autre crocodile ont dû avoir, et pour certains ont encore, ce statut de “bêtes à abattre“.
Relativisons donc ce qui nous nuit, aujourd’hui en France au XXIe siècle ! Ce ne sont plus directement nos vies qui sont en danger ou notre survie qui est menacée…Non, il s’agit de préserver un certain confort dans le travail agricole mécanisé ou dans nos loisirs liés à la chasse. Pour reprendre les exemples du rat taupier et du renard, ces deux-là, à l’évidence, menacent les prairies artificielles, les poulaillers ou, pire, concurrencent sans aucune loyauté les jeux cynégétiques du dimanche, dès que revient l’automne.
Domination
Le potentiel de nuisance de tel ou tel animal dans ce contexte, c’est donc l’être humain qui le définit après s’être auto-investi du pouvoir de régulation. Cela est déjà en soi la manifestation d’un certain manque d’humilité... pour rester très poli. En toute connaissance de cause, qui peut prétendre savoir, de façon universelle et durable, si une espèce animale doit être supprimée de notre environnement, à un moment de l’histoire planétaire où LA question serait plutôt de savoir comment les préserver ? Ceux qui ferment encore les yeux sur le déclin vertigineux de la “biodiversité“, en vertu de quoi les équilibres de la vie sur terre se disloquent pour menacer à plus ou moins long terme toutes les espèces vivantes, y compris les humains, continuent à mener leurs entreprises “d’éradications“. Associations de chasseurs, groupements d’agriculteurs en sont apparemment encore là, quitte à déverser des poisons, à dérégler pour des décennies les équilibres naturels, à tuer et détruire, en fin de compte, puisque c’est là que réside depuis toujours la “domination“ humaine qui a mis son ingéniosité au service du massacre, pour son propre profit ou son propre plaisir.
Lobbies
Devant telle situation, une des premières mesures, la plus urgente et la plus pertinente, serait d’étudier pourquoi certains animaux ont proliféré de façon excessive depuis quelques années et qui est réellement à l’origine de ces désordres ? Et d’oser donner les vraies réponses ! L’introduction de races de sangliers hyper prolifiques, dans le seul but de pouvoir tirer plus de cartouches, l’éradication systématique du renard, prédateur naturel du rat taupier, ne sont-ils pas des faits à prendre en compte ? Ces questions ont fini par devenir purement politiques, tant les lobbies de la chasse et de l’agrochimie ont étendu leurs tentacules à tous les niveaux des instances gouvernementales. Un vaste sujet qui, pourtant, intéresse de près notre interrogation de départ, et qui donnerait envie de conclure par une autre question : dans tout cet imbroglio de causes et d’effets, ne serait-ce pas l’homme (le bien mal nommé homo sapiens) qui mériterait le plus le qualificatif de “nuisible“ aujourd’hui sur terre ?
Espérer ?
J’en veux pour preuve le choix des Français pour l’élection présidentielle. La pauvreté des programmes, en matière d’écologie, des deux candidats qui s’étaient retrouvés en lice pour le deuxième tour était déjà révélatrice du manque d’intérêt pour les questions environnementales dans notre pays. Emmanuel Macron, ne prêchant que pour sa paroisse, la croissance et le développement économique, ce qui a rassuré la plupart des angoissés de la finance et de la “valeur travail“, va avoir du mal à concilier son projet avec les enjeux écologiques. Faudra t-il un cataclysme pour espérer une vraie prise de conscience dans ce domaine ? Espérer ne semble plus être à l’ordre du jour. “L’espoir aussi est un poison quand sa morsure se prélasse“ (Joan Pau Verdier).
Maryse Villain
- Que dit la loi ?
La loi française a instauré depuis plus de 40 ans, via des arrêtés ministériels, une liste d’espèces considérées comme “nuisibles“. Leur classement en tant que tel est justifié dans les cas où l’espèce porterait préjudice à la santé et la sécurité publique, la protection de la faune et de la flore, la protection des activités agricoles, forestières et aquacoles. Parmi ces espèces, classées en trois groupes, on trouve des espèces exotiques dites invasives (le ragondin, le rat musqué), des petits carnivores (putois, belette, fouine, martre), des oiseaux (corneille noire, pie bavarde, geai des chênes) et aussi des espèces de gibier chassables en France dont font partie les lapins, les sangliers et les renards. Les espèces du groupe 2 (mustélidés, renards, corvidés, pies et étourneaux) ont été classées par arrêté ministériel du 30 juin 2015. C'est ce même arrêté qui indique dans son article 2 les “conditions de destruction“ (dixit le texte) du renard : “Le renard (Vulpes vulpes) peut toute l’année être piégé en tout lieu ; déterré avec ou sans chien.“
Chasse au renard
Autrefois, on tuait le renard par peur de la rage. Aujourd’hui, cette maladie est totalement éradiquée. Désormais on l’accuse d’être le principal vecteur de l’échinococcose, alors que les chiens et les chats peuvent aussi transmettre cette maladie. Comme tout prédateur, le renard est pourtant un animal nécessaire et utile dans la nature, il peut tuer à lui seul jusqu’à 6 000 rongeurs par an ! Sous prétexte de “régulation“, le renard roux fait partie des espèces les plus pourchassées avec le sanglier, le lapin et le chevreuil. Chaque année en France, environ 800 000 renards sont tués par les chasseurs / piégeurs. En Creuse on en a tué environ 5 640 pendant la saison 2014-2015. En tant que gibier chassable, le piégeage, l’enfumage, le déterrage sont autorisés toute l’année sur le territoire français. Le renard peut être chassé à tir, à courre, en battue sans aucun quota ; tirs de nuit, utilisation de sources lumineuses, tous les moyens sont utilisés pour le détruire. Son classement sur la liste des espèces dites “nuisibles“ se fait tous les trois ans par arrêté ministériel. Le préfet a la possibilité de classer ou de déclasser une espèce s’il considére que son statut est injustifié. Pour ce qui est du renard, il est classé “nuisible“ dans la majorité des départements. Il existe tout de même une exception qui donne un peu d’espoir : le département de la Savoie a décidé de sortir le renard de la liste des animaux dits “nuisibles“, préférant miser sur la prédation naturelle afin de contenir les pullulations de campagnols.
Le système proie / prédateur
Le renard, comme la fouine, la martre, ou encore la buse, sont des prédateurs de petits mammifères, notamment les campagnols. Les effectifs de prédateurs sont dépendants de la disponibilité de leurs proies. Si les effectifs des proies sont en baisse, le nombre de jeunes à élever sera moindre. Par contre, quand a lieu un phénomène de pullulation de proies, dans les cas d’hivers moins rigoureux, les prédateurs peuvent élever plus de jeunes car la quantité de nourriture est importante. Ils deviennent par la même occasion les meilleurs alliés des agriculteurs ! Ainsi, les prédateurs suivent l’évolution de leurs populations avec un léger décalage par rapport à leur proies. Nul besoin d’intervention humaine, le système proie / prédateur, dans un milieu naturel, s’autorégule naturellement.
Avec l'aimable autorisation de la revue La Cardére
Michel Bernard
Animaux classés nuisibles selon les départements
Espèces / Départements | Haute-Vienne | Corrèze | Creuse |
Renard | x | x | x |
Martre | x | x | x |
Corneille noire | x | x | x |
Corbeau freux | x | ||
Etourneau | x | ||
Fouine | x |
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ThèmeBiodiversité
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