Bonjour la nuit !
Plateau de Millevaches : zone rurale, dépeuplée... On s’attendrait à y voir des nuits étoilées à faire rêver les astronomes. Détrompez-vous : l’engouement pour l’éclairage nocturne efface la lumière des astres, perturbe la flore et la faune, et même notre santé. Pourtant que de spectacles étonnants à portée d’œil... Mais attention : les nuits ne sont pas toutes tranquilles sur le plateau. Faute d’étoiles certains cultivent le son sous la lune.
C’est à un astronome que l’on doit le terme de “pollution lumineuse“1 . Vu de l’espace, un coup d’œil vers la Terre suffit pour constater que l’hémisphère situé dans la nuit est constellé de lumières provenant de l’éclairage nocturne, en particulier autour des centres urbains, voire des autoroutes comme en Europe du nord.
Mais, pour ceux et celles qui n’ont pas encore la chance de faire des allers et retours vers l’espace, une simple excursion dans la campagne du Plateau de Millevaches suffit pour admirer la douce pâleur du halo lumineux en direction de la ville de Limoges à la tombée de la nuit, ou encore pour s’interroger sur la solitude des lampadaires flamboyant de tous leurs électrons au beau milieu d’un hameau... inhabité.
Combien ça coûte ?
En moyenne, le budget énergie d’une commune consacré à l’éclairage public représente 23 % de sa facture globale d’énergie et 38 % de sa facture EDF2.
Certaines communes s’illustrent par leurs efforts en matière d’économies d’énergie : tel que Peyrelevade, où le coût annuel par lampe s’élève environ à 29 euros3 pour 2000 heures d’éclairement annuel en moyenne. Le village de Neuvialle s’illustre avec 24 euros par lampe et par an, mais c’est le hameau du Rat (avec sa jolie chapelle) qui remporte le cocotier avec seulement 20 euros par lampe et par an. Ces chiffres très bas s’expliquent par les coupures volontaires aux heures tardives. Mais tous ne suivent pas ces exemples, les répercussions économiques et environnementales sont alors... astronomiques.
Et le progrès dans tout ça ?
Depuis le Grenelle 2 de l’environnement (article 173), beaucoup de communes s’empressent de rénover l’éclairage public de leur ville à grand renfort de communication. La recherche du meilleur ratio coût/consommation passe par des choix techniques, d’abord au niveau des lampes : les ballons fluorescents (lumière verdâtre, type “Frankenstein“) se remplacent facilement par des lampes au sodium haute pression, qui disposent en plus d’un meilleur rendement lumineux. Cependant, les lampes à iodure céramique, de rendement lumineux similaire mais d’une couleur très prisée par les architectes, ont des durées de vie plus courtes et nécessitent des remplacements plus fréquents. Les filières de recyclage n’en étant qu’à leurs balbutiements, le surcoût financier doit être supporté par les communes (à savoir par ceux qui y habitent : nous). D’autres techniques existent : variateurs de tension, algorithmes, détecteurs de présence... Mais rappelons que ces installations techniques requièrent non seulement connaissances et savoir-faire, mais également un suivi et une maintenance à la hauteur. Le recours trop rapide à des techniques nouvelles mal évaluées a d’abord un coût direct... sur les équipes de maintenance.
Esthétisme
Les touristes esthètes que nous sommes, se sont maintes fois pâmés devant ces villes lumières aux rues piétonnes savamment équipées d’enfilades de spots encastrés dans le sol éclairant intelligemment... le ciel. Et oui, l’économie d’énergie passe aussi par des solutions simples : un miroir optimisé (dans le support de la lampe) permet de contrôler la forme du faisceau d’abord.... vers ce qu’on veut éclairer. Les luminaires types “boules“ brillent ainsi surtout par leur inefficacité, tant ils renvoient de lumière vers le ciel (35%). Beaucoup de luminaires en éclairage décoratif (lampadaires style “lanternes du bon vieux temps“) sont à ranger dans la même catégorie : 10 % de la lumière part directement vers l’espace. Pourtant, une réduction importante de la consommation électrique (donc une réduction des émissions de CO24, ne signifie pas nécessairement réduction de la pollution lumineuse, ni de son impact sur l’environnement nocturne.
Lumière blanche
Cible des associations environnementales, la lumière artificielle blanche est particulièrement néfaste pour la flore et la faune nocturne (notamment les insectes). Le même problème se pose actuellement avec la technologie à LED dont les températures de couleur sont parfois très supérieures à 3000 K5 (voir pour certaines 5000) donnant une lumière blanche froide avec une composante dans le bleu encore plus importante que les lampes iodures citées précédemment. L’impact sur l’environnement nocturne n’en est que plus néfaste, a fortiori sur des sites naturels comme les jardins ou les berges de lacs ou de rivières.
Santé
Quant aux études sur l’impact de la lumière artificielle sur la santé humaine, une multitude de facteurs interviennent, notamment le niveau d’éclairage, d’une importance capitale. À première vue, seuls des niveaux élevés de plusieurs centaines de lux6 peuvent influer (favorablement ou défavorablement) sur les individus. Les niveaux d’éclairement pratiqués en éclairage public (5-30 lux) ne peuvent théoriquement avoir d’effet positif ou négatif sur la santé7.. à première vue, car éclairage nocturne suppose également activité nocturne; et là, une multitude de nouveaux facteurs apparaît. Une chose est sûre : écologues, aménageurs, énergéticiens, médecins, agences impliquées dans le champ du développement durable8 n’ont pas fini de s’empoigner (tout aussi durablement) avec les VRP de la croissance infinie et les angoissés de l’esthétique nocturne métropolitaine.
Pouvoir discrétionnaire9
Par delà les ritournelles sécuritaires, certaines municipalités s’interrogent sur la possibilité de réduire l’amplitude horaire d’éclairement des voies, voire de supprimer l’éclairage de certaines d’entre elles. En ce qui concerne les conditions de l’éclairage public, le pouvoir du maire présente un caractère discrétionnaire : il lui appartient de déterminer idéalement modalités et horaires. Rien ne l’empêche de pousser l’interrupteur, à condition d’avoir suffisamment informé les riverains au préalable. Bien évidemment, on peut compenser l’absence d’éclairement par des aménagements spéciaux (bandes réfléchissantes, feux de signalisation). Certaines municipalités qui répondent à une charte de bonnes pratiques énergétiques ou environnementales se voient ainsi labellisées “village (ou ville) étoilé(e)“, comme la commune creusoise de Saint-Georges Nigremont en 201010.
À l’heure de la transition énergétique, que notre belle mondialisation s’apprête à improviser plus qu’à appréhender, les crispations autour des économies d’énergie et de la pollution lumineuse s’intensifient dans une cacophonie d’intérêts contradictoires, où élus et citoyens se sentent surtout... déconnectés. Alors, avant d’agir face à un problème d’une telle complexité, la meilleure des stratégies reste d’abord... la concertation.
Quentin Duclos
1 Cf. l’Atlas mondial de la clarté artificielle du ciel nocturne de P. Cinzano. www.lightpollution.it/
2 Étude de Jean-François Laprade, directeur du syndicat d’électrification de la Diège, basé à Ussel
3 Merci au syndicat d’électrification de la Diège pour ces chiffres (datant de 2004)
4 la production d’1 KW d’électricité engendre une émission moyenne de 110 g de CO2 http://www.reglementation-environnement.com/16052-loi-limiter-pollution-lumineuse-nocturne.html
5 La température de couleur se mesure en kelvins (K). Elle permet de déterminer la température (effective ou “virtuelle“) d’une source de lumière à partir de sa couleur.
6 Le lux est l’unité de mesure de la luminosité perçue par l’œil. 1 lux correspond à la lumière produite par une bougie à 1 mètre de distance.
7 Voir la documentation (lien mort)
8 Une bonne présentation du schmilblick consultable (lien mort)
9 Pour une synthèse de la réglementation en matière de pollution lumineuse (lien mort)
10 http://www.villesetvillagesetoiles.fr/