Thierry Letellier, Président de la communauté de communes du plateau de Gentioux.
La réforme des collectivités territoriales est loin de faire l’unanimité auprès des élus ruraux, qui y voient la marque d’un modèle de développement largement centré sur les villes et la satisfaction de leurs besoins. Illustration avec l’interview de Thierry Letellier, maire de La Villedieu et président de la communauté de communes du plateau de Gentioux.
La réforme des collectivités territoriales s’appuie notamment sur la création d’un nouveau type d’élu : le conseiller territorial, ainsi que sur le redécoupage des cantons. Certains voient dans cet exercice la volonté de l’Etat de faire disparaître le Département. Qu’en penses-tu, et que penses-tu plus généralement de la place du département dans l’architecture des collectivités locales ?
A l’occasion de la réforme des collectivités locales, l’Etat a clairement voulu faire disparaître deux niveaux de collectivités : le Département et la commune. Certes il ne le fait pas frontalement, il y a encore trop de gens qui y sont attachés. Mais il les vide de leur substance : moins de compétences, moins de moyens. Sur dix ans, cela revient à supprimer ces échelons, qui sont aussi les échelons les plus proches du citoyen. En fait, il y a dans cette loi deux volets : un volet physique, avec le regroupement attendu des collectivités, et un volet fiscal et économique. Et là, ce qui transparaît, c’est une reprise en main de l’Etat, une décentralisation à l’envers, avec un transfert des charges vers le local et un Etat qui reprend les recettes. Par ce biais, c’est à un contrôle politique des régions et des intercommunalités par l’Etat que l’on aboutit.
Bien sûr, il n’y a pas d’échelon immuable. Mais cette réforme ne traduit pas une démarche intelligente, c’est une vision politicienne. Le seul niveau où la droite peut aujourd’hui espérer prendre le pouvoir, c’est le niveau national, elle essaie donc de se doter des moyens de ce contrôle.
Le retour du notable sans vision globale…
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’essence de la réforme, c’est la privatisation de la politique sociale du département. Ce qui est proche du citoyen est transféré aux intercommunalités, qui n’auront pas toujours les moyens de faire face aux besoins et se concentreront sur les services et le soutien aux activités plutôt que sur l’APA (allocation personnalisée à l’autonome), la solidarité profonde. Pendant ce temps, les grandes politiques de développement (formation, développement économique,...) sont regroupées au niveau régional. Le risque, c’est un retour aux vieux schémas économiques où ce qui compte, c’est de faire de la croissance et donc aider les entreprises, adapter la formation des jeunes au marché du travail. En s’éloignant ainsi des citoyens, ce ne sont plus à leurs attentes que l’on répond.
Comment perçois-tu le conseiller territorial, ce nouvel élu hybride, mi-conseiller général, mi-conseiller régional ?
Avec le scrutin de liste régional, on avait une élection sur un projet, qui plus est avec une obligation de parité. Avec l’élection du conseiller territorial au scrutin uninominal à deux tours, on va avoir une élection personnalisée. C’est le retour du notable attaché à un territoire, sans vision globale, le retour de la politique de guichet avec toutes ses compromissions politiciennes.
Et puis, en siégeant à la fois au département et à la région, ces élus deviendront de vrais politiciens professionnels, à plein temps, et ne pourront être proches des citoyens.
Quant au mode de scrutin, il va encore renforcer la bipolarisation du monde politique, entre l’UMP et le PS.
La question d’un nécessaire approfondissement démocratique de l’intercommunalité revient fréquemment. De ce point de vue, que penses-tu du ”fléchage”1 des conseillers municipaux mis en place à l’occasion de la réforme ?
C’est une construction intellectuelle inepte. Etant donné la pauvreté du débat politique avant les élections municipales, le fait de flécher des élus municipaux comme délégués intercommunaux n’enrichira pas le débat. Pourquoi ne pas aller au bout de la démarche et les élire au suffrage universel direct ?
Par ailleurs, à partir d’un certain nombre d’habitants, les élections municipales introduisent une part de proportionnelle. Il y aura donc des élus communautaires non issus de la majorité. Or, pour qu’une politique communautaire fonctionne bien, il ne faut pas qu’elle soit contraire à ce qui se fait dans les communes. Comment y arriver avec des élus en situation d’opposition ?
Les petites intercommunalités sont régulièrement accusées d’être des intercommunalités de circonstance, sans réel pouvoir d’intervention. Comment ressens-tu de ce point de vue la volonté de rationalisation qui sous-tend la réforme ?
Dans cette réforme, on s’aperçoit qu’il y a une volonté de rationaliser, de faire des économies. Mais ce qui compte tout autant, c’est la volonté de conforter les villes. Aujourd’hui, les villes de 10 à 15 000 habitants n’ont plus les moyens de faire des projets structurants (piscine, médiathèque...) qui coûtent cher en investissement, mais surtout en fonctionnement. Il s’agit donc, en rassemblant un maximum de communes autour, de leur redonner les moyens de faire mais cela ne peut fonctionner que dans des zones denses, avec un bon maillage urbain. Ici, en milieu peu dense, où il faut une demi-heure, 3/4 heure pour se rendre en ville, ce n’est pas valable. Ici, ce mouvement va aboutir à drainer les richesses vers les villes, sans que les ruraux n’en profitent du fait de l’éloignement. On est dans la poursuite d’un mouvement ancien, où la campagne n’est vue que comme un réservoir pour la ville, où son rôle est réduit à un espace de détente et une réserve de produits naturels.
La gouvernance proposée par cette réforme est clairement faite pour que ce modèle de campagne au service de la ville puisse fonctionner.
L’émergence d’élus gestionnaires, en charge de vastes territoires intercommunaux, n’est-il pas un passage obligé dans des zones rurales peu denses, où les collectivités disposent de peu de moyens ?
Je ne le pense pas. C’est un choix de la réforme dans lequel je ne me reconnais pas car il dénote une pratique individualiste du pouvoir, éloignée de la base. Les petites intercommunalités de projet permettent au contraire un réel exercice de la démocratie et du partage du pouvoir par un collectif proche de la base.
A l’heure actuelle, différentes hypothèses commencent à circuler sur la montagne (une grande intercommunalité associant Aubusson Felletin, La Courtine et le plateau de Gentioux / le rattachement de Rempnat, Nedde, au plateau de Gentioux,...). Quelle est ton analyse de ces scénarii ?
L’hypothèse d’une grande intercommunalité reliant Aubusson-Felletin, les sources de la Creuse et le plateau de Gentioux ne me paraît pas du tout opportune. Avec des populations très diversifiées sociologiquement et politiquement, on ne pourra aboutir qu’à la recherche de consensus, c’est-à-dire à un affadissement des projets votés. Toutes les expérimentations que nous sommes aujourd’hui capables de voter ne passeront plus.
Par contre, nous avons en tant qu’élus, tout comme les habitants, des liens avec des communes proches et des préoccupations identiques (Tarnac, Sornac, Nedde, Rempnat,...) sur la base desquels nous pourrions refonder une intercommunalité qui reste proche des habitants et fasse prospérer les liens de solidarité. Car 7 communes, ce n’est pas beaucoup.
Mais sans doute est-ce à nous de proposer ces schémas, d’établir un rapport de force au sein de la commission interdépartementale de coopération intercommunale.
Propos recueillis par Stéphane Grasser
1 Certains candidats aux municipales (en général en tête de liste) sont également désignés de manière discrétionnaire comme futurs conseillers communautaires