La publication de la loi constitue le point de départ d’un certain nombre de chantiers majeurs pour les communautés, au premier rang desquels se place celui de la recomposition des Commissions Départementales de Coopération Intercommunale (CDCI). Ces CDCI seront essentiellement composées de maires (40%) et de représentants des communautés (40%). Installées pour 6 ans, elles disposeront d’un pouvoir pour accepter ou refuser les propositions de schéma départemental de coopération intercommunal (SDCI) du préfet. Ce schéma, qui doit être soumis à l’examen des communes et communautés concernées par les évolutions qu’il propose, devra être adopté par la CDCI avant le 31 décembre 2011. Il tracera les contours attendus des futures intercommunalités pour le département, proposera des fusions de communautés, des découpages de certaines afin d’élargir d’autres, etc. Les objectifs gouvernementaux sont clairement de réduire le nombre de communautés (2 599 au 1er janvier 2011) en élargissant leur périmètre et d’engager une diminution drastique des 15 101 syndicats mixtes, intercommunaux à vocation unique ou multiple dont les périmètres et parfois les compétences s’entremêlent.
L’enjeu de cette première étape est d’entrer dans le jeu d’une coproduction du schéma plutôt que d’attendre l’énoncé des intentions préfectorales. Les premiers échos font état de diversité dans la méthode retenue par le Préfet, les pratiques oscillent entre des annonces “martiales“ sur un objectif cible minimaliste de communautés pour un département et l’interrogation des élus sur leurs intentions. La loi apporte des critères indicatifs pour travailler les périmètres : minimum de 5 000 habitants regroupés (dérogeable notamment pour les zones de montagne), respect des bassins de vie, prise en compte des aires urbaines, des périmètres des SCOT ou des pays existants et de solidarités financières à développer… En tout état de cause, le schéma doit prévoir le rattachement de toutes les communes à une intercommunalité à fiscalité propre (communauté) à l’horizon juin 2013.
La démarche et les critères, tout en laissant de la latitude, impliquent une réflexion sur le type de communauté que l’on souhaite bâtir. Le “toujours plus“ en terme de population et de communes réunies pour constituer des communautés XXL permettant d’atteindre des économies d’échelle pour la gestion de services a ses propagandistes. Cette vision d’un local administré par de larges communautés (par exemple 60 à 100 communes réunies pour les territoires les moins densément peuplés) fait cependant fi de la gouvernance de ces ensembles et de leur proximité avec les citoyens. Il existe quelques exemples de communautés de ce type dont l’expérience est à prendre en considération. L’implication des élus dans ces réflexions doit permettre de peser l’intérêt d’un élargissement au regard des compétences mises en œuvre et de la capacité à porter une dynamique de développement. Une communauté n’est pas seulement un outil de gestion de services. La loi, en lui reconnaissant tous les attributs d’une collectivité territoriale, sans la faire accéder à ce statut juridique, légitime leur capacité à porter un “projet de territoire“. A cette fin, les habitants doivent pouvoir se retrouver dans les contours de la communauté, qu’elle corresponde à l’espace de vie sur lequel leurs mobilités quotidiennes (domicile, loisir, travail) se déroulent. Ce deuxième paramètre à évaluer doit se doubler d’une appréciation sur la capacité à partager des compétences au sein de la communauté, à assurer son caractère “intégré“ suivant le jargon des spécialistes de l’intercommunalité. En quelque sorte, l’élargissement ne doit pas “appauvrir“ les objectifs communs et la mutualisation des moyens pour les atteindre.
Devant la variété des contextes et la nécessité de coller aux réalités, le législateur n’a pas adopté de toise unique nationale fixant un minimum de population et de communes à réunir par communauté. L’équilibre à trouver entre élargissement et intégration ne doit pas être le paravent d’un immobilisme visant à protéger des communautés ne jouant pas la solidarité territoriale, conservant leur richesse fiscale ou se préservant de communes en proie à des populations en difficulté économique et sociale. L’enjeu des SDCI et des recompositions qui s’en suivront implique de revenir sur l’existence d’intercommunalités d’aubaine conçues pour capter des dotations d’Etat ou défensives pour contrer à des fins politiques ou économiques une agglomération voisine.
Au plan technique, la loi fixe un calendrier très serré puisque ces schémas adoptés avant la fin de cette année devront être appliqués par le préfet dans les 16 mois suivant leur adoption avec une première période incitative d’un an puis une période de 6 mois où le préfet pourra jouer de pouvoirs renforcés vis à vis de communes “récalcitrantes“. La CDCI pourra, à la majorité des deux tiers de ses membres, limiter les ardeurs d’un préfet s’il propose des évolutions non prévues par le SDCI. Ces dispositions sont parmi les plus critiquées puisqu’elles donnent le sentiment d’une reprise en main de l’organisation locale par l’Etat. Pour autant, sans que cela soit clamé, on peut noter l’attente de quelques élus de se faire “imposer“ des évolutions dont ils ne souhaitent pas assumer la responsabilité.
Deuxième axe majeur de la réforme, l’introduction de l’élection directe des délégués communautaires en 2014. Jusqu’à présent, les délégués étaient désignés par les conseils municipaux et la répartition des sièges du conseil communautaire était déterminée par les statuts des communautés. En 2014, les listes de candidats aux élections municipales placeront en tête les personnes également candidates pour siéger au conseil communautaire. Ce système de fléchage de tête de liste rendra plus visible les élus communautaires et pourraient ouvrir à des débats durant la campagne sur le projet communautaire. C’est en tout cas l’ambition de cette nouvelle disposition. Cette ouverture sur une désignation au scrutin universel direct sera cependant réservée aux communes disposant d’un scrutin de liste, c’est-à-dire celles comptant plus de 3 500 habitants. Un projet de loi devrait intervenir pour réviser ce seuil et le ramener à 500 ou 1 000 habitants. Deuxième limite, le nombre d’élus communautaires sera plus strictement encadré par la loi en fonction de la population. La répartition des sièges entre les communes se fera par accord entre elles avec le respect de trois principes : au minimum un représentant par commune, une commune ne pourra pas disposer de plus de 50% des représentants et la répartition entre les communes doit respecter la proportion de population. Chaque communauté devra réviser ses statuts avant le 30 juin 2013 pour se mettre en conformité avec ces principes. Faute d’accord entre les élus, la loi prévoit une méthode de répartition reposant sur un calcul complexe et pourrait aboutir pour nombre des plus petites communes d’une communauté à une représentation par un seul délégué. Ce premier pas d’une élection directe est, au goût de certains, modeste et ne garantit pas un débat lors des prochaines élections municipales sur les projets communautaires dépassant le retour attendu de l’action communautaire pour sa commune.
Le volet intercommunal de la réforme des collectivités territoriales a été durant les débats parlementaires le plus consensuel. Il reste timide sur le renforcement des compétences, le législateur n’ayant notamment pas osé pousser la logique d’une compétence intercommunale pour le plan local d’urbanisme. Il est cependant riche de nombreuses autres dispositions qui permettent d’approfondir les pratiques intercommunales. Ces avancées reposent avant tout sur l’engagement des élus, nous l’avons vu pour les révisions de périmètres. Cette posture est encore plus affirmée pour renforcer les solidarités financières et fiscales par l’unification entre communes membres d’une communauté des taux d’imposition ou des dotations territoriales.
Christophe Bernard