Haro sur les communes !
Grandes régions, grandes communautés de communes, communes nouvelles, l'État fait tout ce qu'il peut pour réduire peu à peu la place et le rôle des communes. Ces idiotes sont paraît-il trop nombreuses, trop petites, et plus à la dimension des enjeux de la société de demain. C'est sûr si l'enjeu est la compétitivité des territoires à l'échelle européenne et mondiale. Mais c'est tout le contraire si l'enjeu était de renforcer et dynamiser des démarches démocratiques dans les territoires.
La grande réforme territoriale voulue par le chef de l’État va transformer l’architecture territoriale de la République, contribuer à la baisse des dépenses publiques et mieux prendre en compte les besoins de nos concitoyens.“ C'est Laurent Cayrel, dernier préfet de la région Limousin, qui, en bon serviteur de l'État, répétait en 2015 la doctrine officielle, aussi peu crédible soit-elle, surtout lorsqu'on relit ces lignes aujourd'hui. On ne croit pas savoir que beaucoup d'économies ont été réalisées suite aux fusions de régions ou de communautés de communes. Quant à la meilleure prise en compte des besoins des habitants... on reste dubitatif. Et pas que nous !
“Malaise diffus“
Dans un très officiel rapport sénatorial en date de mars 2016, consacré à un premier retour d'expériences de terrain, l'on peut lire : “La question la plus préoccupante concerne la place de l'assemblée délibérante dans la gestion de ces communautés : comment assurer une réelle démocratie locale dans de si grands ensembles et éviter que le conseil communautaire ne soit qu'une chambre d'enregistrement des décisions prises par l'exécutif ? Quelle sera la place des conseillers communautaires et donc, dans quelle mesure pourront-ils défendre les particularismes, les besoins de leur commune et permettre leur prise en compte par l'intercommunalité désormais compétente dans de nombreux domaines pour les régler ?“ Dans le même rapport on peut encore lire : “À Besançon, des élus ont relayé la voix des communes“ qui, pour reprendre les mots du maire de Les Auxons, M. Serge Rutkowski, “ont le sentiment de perdre leur identité“. L'élargissement des périmètres n'est pas seul en cause. Ce malaise diffus résulte d'un ensemble d'évolutions qui se cumulent : les nouveaux transferts de compétence opérés par la loi NOTRe y participent.“ Tiens tiens, il n'y a donc pas que dans les feuilles de chou récalcitrantes comme IPNS qu'on lit ces choses-là ?
Comment assurer une réelle démocratie locale dans de si grands ensembles et éviter que le conseil communautaire ne soit qu'une chambre d'enregistrement des décisions prises par l'exécutif ?
Creuse Grand Trou
Et ces choses-là on les vit quotidiennement dans les communautés de communes du secteur qui ont pour la plupart bien du mal à trouver leurs marques. À commencer par Creuse Grand Sud (voir pages suivantes) où l'on frise la mise sous tutelle et où la population attend avec angoisse ses impôts locaux (en octobre) pour savoir de combien ils vont augmenter. 40 % comme le suggérait drastiquement la Chambre régionale des comptes ou 8 à 10 % comme l'espérait Jean-Luc Léger à l'issue d'un conseil communautaire où l'on a vu 11 communes sur 26 refuser de reverser soit ce qu'on appelle “l'attribution de compensation“, soit la totalité du FPIC (Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales), soit les deux, à la com com. Le résultat : grâce à ces communes fort peu solidaires, la solution proposée par Jean-Luc Léger de zéro hausse d'impôts ne sera pas possible ! Remercions donc ces chaleureuses communes : Alleyrat, Felletin, Moutier-Rozeille, St-Avit-de-Tardes, St-Maixant et St-Yrieix-la-Montagne (qui ne voulaient pas partager leur part de FPIC), Néoux, Moutier-Rozeille, St-Amand, St-Avit-de-Tardes, Ste-Feyre-la-Montagne, St-Frion, St-Maixant, St-Pardoux-le-Neuf et St-Yrieix-la-Montagne (qui voulaient garder leur attribution de compensation). On veut bien partager les dépenses mais pas les recettes ! C'est un peu comme si sur un bateau on ne voulait pas partager les canots de sauvetage. Pendant ce temps, le principal responsable du naufrage, Michel Moine, va donner des leçons à l'IUT de Guéret sur le thème : “Le financement des collectivités locales par projet“ (c'était en mai 2017).
Guerre judiciaire à Bourganeuf
La communauté de communes Bourganeuf-Royère-CIATE, née de la fusion des deux com com Bourganeuf-Royère d'un côté et la CIATE de l'autre, est née début 2017. En janvier, lors du premier conseil communautaire a eu lieu comme il se doit l'élection du président. Le maire de Bourganeuf (la « grosse » ville), Jean-Pierre Jouhaud (PS), pensait se faire élire haut la main et sans contestation. Mais c'était sans compter avec la candidature de Sylvain Gaudy, un paysan de 30 ans, maire de Saint-Pierre Chérignat (moins de 200 habitants) qui s'est porté candidat contre lui pour mettre fin à la « dictature de Bourganeuf ». L'exemple des vicissitudes de leurs voisins de Creuse Grand Sud leur a peut-être servi de contre-exemple à ne surtout pas suivre. Toujours est-il qu'aux deux premiers tours de scrutin les deux candidats sont arrivés à égalité et que Jouhaud n'a été élu, de justesse, qu'au troisième tour ! Mais c'était en comptant les bulletins blancs comme des bulletins exprimés, ce qui est contraire au code électoral. Du coup Jouhaud démissionne, Gaudy porte l'affaire devant le tribunal administratif qui lui donne raison, annule l'élection de Jouhaud et considère Gaudy comme le légitime président de la com com. Paradoxe : le jeune président, de sensibilité politique de droite, est entouré d'un bureau composé de 9 vice-présidents qui sont tous socialistes ou apparentés ! La méfiance vis-à-vis de la ville dominante, le fait que la plupart des projets de l'ancienne com com Bourganeuf-Royère étaient tous sur Bourganeuf avaient rendu méfiants les élus des petites communes... Depuis la com com a commencé à travailler, mais un conseil communautaire avec 47 communes dont les plus éloignées sont à 1h30 de distance l'une de l'autre, ce n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler de la proximité...
- Faux-la-Montagne et La-Villedieu s'interrogent
Faut-il rester dans Creuse Grand Sud ou aller voir ailleurs ? Cette question, une assemblée d'habitants de Faux-la-Montagne et La-Villedieu se l'est posée l'année dernière, sans avoir tranché ni dans un sens ni dans l'autre. L'assemblée en question s'est donc réunie à nouveau avant l'été pour échanger sur ce qui lui paraissait important à défendre pour son territoire. Une cinquantaine de personnes, aux profils assez mélangés, s'est ainsi retrouvée à travailler par petits groupes sur ce qui lui tient vraiment à cœur et que, quelque soit la communauté de communes dans laquelle elle ira, elle compte bien défendre mordicus. À l'issue de cette assemblée, quatre habitants ont travaillé sur un texte qui résume les travaux des habitants. Le mardi 5 septembre au soir une nouvelle assemblée s'est réunie pour discuter du texte proposé et l'approuver après y avoir apporté un certain nombre de modifications. La prochaine étape ? Avec ce manifeste, aller voir une ou deux communautés de communes voisines pour envisager l'avenir... dans ou hors Creuse Grand Sud.
Pour constater le renouvellement des institutions territorriales, il suffit de regarder deux cartes. En Limousin, de 2012 à 2017 on est passé de 66 EPCI à 29. Sur le Plateau on est passé de 10 communautés de communes à 6. Au niveau national, pendant la même période, on passait de 2 581 EPCI à 1 266.
Prendre des décisions sous la pression
La loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) a également conduit à la dissolution du SIVOM (Syndicat intercommunal à vocation multiple) qui gérait jusque-là sur 27 communes (20 de Bourganeuf-Royère et 7 de la CIATE) la voirie, les ordures et l'assainissement (les ordures et l'assainissement allant à la nouvelle com com, la voirie étant rendue aux communes).
Pour que cette dissolution soit effective, il a fallu que les collectivités membres du syndicat se répartissent le personnel avant le 31 décembre 2016, ce qui a été fait. Il fallait ensuite se répartir l’actif et le passif du syndicat. Le conseil syndical du SIVOM a délibéré le 19 juin 2017 sur ce sujet et des clés de répartition devaient être approuvées à l’unanimité des communes avant le 30 juin 2017, sans quoi un liquidateur nommé par la Préfecture devrait être nommé. Mais deux communes, St-Moreil et Faux-Mazuras, ont voté contre, et une autre, St-Martin-Château, s'est abstenue. Son conseil municipal a expliqué les raisons de ce choix en pointant divers dysfonctionnements de la collectivité. Il s'en est expliqué du reste de manière très précise dans son bulletin municipal : Le conseil municipal de Saint Martin-Château avait mandaté son délégué lors de la séance du conseil syndical du 19 juin 2017 pour voter contre le mode de calcul de cette répartition pour les raisons suivantes :
- il avait été décidé le 19 octobre 2016 à l’unanimité du Conseil syndical de faire appel à un cabinet d’expertise pour calculer ces clés ; le bureau du SIVOM est passé outre la décision des élus et a décidé de ne pas faire appel à un cabinet d’expertise. Nous pensons que les décisions doivent émaner du conseil syndical et non d’un petit groupe d’élus (le bureau).
- entre le 7 décembre 2016 et le 1er juin 2017, pas une seule réunion du SIVOM n’a eu lieu. De ce fait, il est demandé une fois de plus aux communes de décider dans l’urgence ; en mettant ainsi les élus sous pression, certains souhaitent éviter toute discussion et réflexion.
- depuis 18 mois et la fin plus ou moins annoncée du SIVOM, la quasi-unanimité des membres a déclaré que la répartition de l’actif et du passif devrait tenir compte des travaux confiés ou non au SIVOM par les communes adhérentes, selon le principe “on ne va pas payer deux fois“ (il est admis que les tarifs du SIVOM étaient environ 20% plus cher que des entreprises concurrentes, et que ces 20% servaient à payer [un bâtiment construit à Masbaraud-Mérignat]).
- le 6 juin 2017, en réunion des maires, le manque à combler total est de 1 095 738 €. Le 13 juin 2017, un mail du Président annonce qu’ “après vérification“, le déficit est en fait de 1 011 546 €. Et enfin le 16 juin 2017, un nouveau mail annonce un déficit total de 784 229 €. Comment pourrions-nous nous prononcer sur des chiffres aussi fluctuants ?
- le 6 juin 2017, en réunion des maires, sont proposées deux modes de calculs de clés de répartition, qui seront présentées en conseil syndical le 19 juin 2017. Ainsi les élus auront le temps d’en discuter avec leurs conseils municipaux respectifs. Mais au dernier moment, vendredi 16 juin 2017, un nouveau mode de calcul est présenté, et seul lui sera finalement présenté en conseil syndical trois jours plus tard. Ainsi une fois de plus, tout échange ou débat au sein des conseils municipaux a été évité.
- nous n’approuvons pas le mode de calcul adopté à la majorité en conseil syndical, car pour 90% de la dette il s’agit d’un partage égal et non équitable (et nous continuons de penser que nous ne voulons “pas payer deux fois“). Et pour les 10% restants, le calcul ne prend pas assez en compte la population (or une grande partie des dotations des communes est fonction de leur population).
Un préfet qui n'aime pas qu'on lui “chie dans les bottes“
Devant la situation bloquée par le vote négatif des deux communes et l'abstention de la troisième, le préfet de la Creuse a aussitôt convoqué les trois communes récalcitrantes. C'est Olivier Maurel, le secrétaire général de la préfecture, qui les a reçues. C'est un ancien de la pénitentiaire qui, avant d'avoir été sous-préfet à Ussel, avait dirigé des maisons d'arrêt et, de 2005 à 2009, le Renseignement à la Direction de l'administration pénitentiaire. Avec lui ça ne rigole pas ! Le secrétaire général de la préfecture a vertement tancé les trois communes en les menaçant de leur supprimer la DETR (Dotation à l'équipement des territoires ruraux) si elles ne changeaient pas d'avis. Celes-ci n'ont pas été plus accomodantes pour autant, et une liquidatrice a été nommée pour proposer une nouvelle clé de répartion qui sera imposée par volonté préfectorale.
Michel Lulek
- Moins d'élus locaux ? Les conseils municipaux dans le collimateur.
Emmanuel Macron a clairement affiché la couleur au Sénat le 17 juillet 2017 lors de la Conférence nationale des territoires en annonçant une réduction du nombre d'élus locaux. Le Président de la République a indiqué, au détour d’une phrase, vouloir “engager une réduction du nombre d’élus locaux“ comme pour les parlementaires. “Nos concitoyens ne comprendraient pas, sinon, un tel traitement différencié“, a-t-il expliqué (l'argument est confondant de naïveté ou de bêtise : pourquoi pas, du coup, réduire aussi le nombre d'instituteurs ?). Avant de préciser de façon floue : “moins d’élus, mais des élus plus protégés, mieux rémunérés et plus libres de leur action.“ Les premières réactions ne se sont pas fait attendre. Dominique Bussereau le président de l'Assemblée des départements de France a répliqué : “Moins d’élus locaux, Ce n’est pas une bonne idée. La plupart sont des bénévoles, qui sont les premiers que l’on va chercher au conseil municipal pour aménager tel ou tel chemin, réparer le toit de l’église du village, etc. Et quasiment chaque mandat d’élu local bénévole supprimé occasionnera son remplacement par un fonctionnaire territorial rémunéré…“
Vu d'ailleurs / Quand les élus s'essayent à la sociocratie
Les fusions d'intercommunalités produisent toujours les mêmes effets : être plus gros, plus grands (cette manie de s'appeler Grand Truc ou Grand Machin !) conduit toujours à éloigner l'institution des habitants. Exemple édifiant dans le Gard en 2011.
La communauté de communes autour d'Anduze (2C2A), est une ancienne entité administrative du Gard. Née en 1998, elle regroupait huit communes rurales du Gard, raconte Alain Beaud, son dernier président. Aujourd'hui, les municipalités ne représentent souvent plus qu'un pouvoir symbolique, résiduel. Dans une opacité démocratique, car le citoyen n'en est que peu conscient, ce sont les communautés de communes qui gouvernent vraiment localement des territoires qui nous paraissent artificiels.
À partir de 2009, “on a cherché à développer une identité communautaire afin que les habitants se sentent citoyens de la communauté de communes“ explique Alain Beaud. Durant l'année 2000, la 2C2A a animé des ateliers participatifs avec une centaine d'habitants en se fondant sur la sociocratie. Les habitants ont collaboré à la rédaction d'un projet de territoire regroupant les actions concrètes à mener pour les 15 ans à venir. Cette démarche s'est construite en trois temps : la mobilisation des acteurs (information des citoyens) ; première réunion publique pour expliquer la démarche ; trois assemblées de territoire avec des temps de plénière et des groupes de suivi thématique.
En 2011, la réforme des collectivités publiques annonce à la 2C2A qu'elle est appelée à fusionner avec la communauté d'agglomération du Grand Alès. Les habitants se mobilisent contre cette fusion qui annonce la mort du territoire intercommunal, lequel serait “phagocyté“ par la grande cité. À travers une grande consultation organisée par la 2C2A, la population s'est prononcée contre la fusion à plus de 80 %, preuve que la communauté de communes n'était plus un territoire imaginaire mais que “du lien avait véritablement été créé“, nous dit Alain Beaud. Un maire ou deux s'est fait “acheter“ par des promesses et des postes, et finalement les élus de la 2C2A ont voté pour la fusion dans le Grand Alès. “On a été décapités“, conclut Alain Beaud.
Source : Silence n°426, septembre 2014.
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ThèmeCommunauté de communes
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Anduze | 2C2A | Gard | réduction | SIVOM | Besançon | La Villedieu | conseil municipal | élu | communes | loi Notre | Bourganeuf | Creuse Grand Sud | réforme | Faux-la-Montagne | communauté de communes | territoire
IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 -
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