La grande réforme territoriale voulue par le chef de l’État va transformer l’architecture territoriale de la République, contribuer à la baisse des dépenses publiques et mieux prendre en compte les besoins de nos concitoyens.“ C'est Laurent Cayrel, dernier préfet de la région Limousin, qui, en bon serviteur de l'État, répétait en 2015 la doctrine officielle, aussi peu crédible soit-elle, surtout lorsqu'on relit ces lignes aujourd'hui. On ne croit pas savoir que beaucoup d'économies ont été réalisées suite aux fusions de régions ou de communautés de communes. Quant à la meilleure prise en compte des besoins des habitants... on reste dubitatif. Et pas que nous !
Dans un très officiel rapport sénatorial en date de mars 2016, consacré à un premier retour d'expériences de terrain, l'on peut lire : “La question la plus préoccupante concerne la place de l'assemblée délibérante dans la gestion de ces communautés : comment assurer une réelle démocratie locale dans de si grands ensembles et éviter que le conseil communautaire ne soit qu'une chambre d'enregistrement des décisions prises par l'exécutif ? Quelle sera la place des conseillers communautaires et donc, dans quelle mesure pourront-ils défendre les particularismes, les besoins de leur commune et permettre leur prise en compte par l'intercommunalité désormais compétente dans de nombreux domaines pour les régler ?“ Dans le même rapport on peut encore lire : “À Besançon, des élus ont relayé la voix des communes“ qui, pour reprendre les mots du maire de Les Auxons, M. Serge Rutkowski, “ont le sentiment de perdre leur identité“. L'élargissement des périmètres n'est pas seul en cause. Ce malaise diffus résulte d'un ensemble d'évolutions qui se cumulent : les nouveaux transferts de compétence opérés par la loi NOTRe y participent.“ Tiens tiens, il n'y a donc pas que dans les feuilles de chou récalcitrantes comme IPNS qu'on lit ces choses-là ?
Et ces choses-là on les vit quotidiennement dans les communautés de communes du secteur qui ont pour la plupart bien du mal à trouver leurs marques. À commencer par Creuse Grand Sud (voir pages suivantes) où l'on frise la mise sous tutelle et où la population attend avec angoisse ses impôts locaux (en octobre) pour savoir de combien ils vont augmenter. 40 % comme le suggérait drastiquement la Chambre régionale des comptes ou 8 à 10 % comme l'espérait Jean-Luc Léger à l'issue d'un conseil communautaire où l'on a vu 11 communes sur 26 refuser de reverser soit ce qu'on appelle “l'attribution de compensation“, soit la totalité du FPIC (Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales), soit les deux, à la com com. Le résultat : grâce à ces communes fort peu solidaires, la solution proposée par Jean-Luc Léger de zéro hausse d'impôts ne sera pas possible ! Remercions donc ces chaleureuses communes : Alleyrat, Felletin, Moutier-Rozeille, St-Avit-de-Tardes, St-Maixant et St-Yrieix-la-Montagne (qui ne voulaient pas partager leur part de FPIC), Néoux, Moutier-Rozeille, St-Amand, St-Avit-de-Tardes, Ste-Feyre-la-Montagne, St-Frion, St-Maixant, St-Pardoux-le-Neuf et St-Yrieix-la-Montagne (qui voulaient garder leur attribution de compensation). On veut bien partager les dépenses mais pas les recettes ! C'est un peu comme si sur un bateau on ne voulait pas partager les canots de sauvetage. Pendant ce temps, le principal responsable du naufrage, Michel Moine, va donner des leçons à l'IUT de Guéret sur le thème : “Le financement des collectivités locales par projet“ (c'était en mai 2017).
La communauté de communes Bourganeuf-Royère-CIATE, née de la fusion des deux com com Bourganeuf-Royère d'un côté et la CIATE de l'autre, est née début 2017. En janvier, lors du premier conseil communautaire a eu lieu comme il se doit l'élection du président. Le maire de Bourganeuf (la « grosse » ville), Jean-Pierre Jouhaud (PS), pensait se faire élire haut la main et sans contestation. Mais c'était sans compter avec la candidature de Sylvain Gaudy, un paysan de 30 ans, maire de Saint-Pierre Chérignat (moins de 200 habitants) qui s'est porté candidat contre lui pour mettre fin à la « dictature de Bourganeuf ». L'exemple des vicissitudes de leurs voisins de Creuse Grand Sud leur a peut-être servi de contre-exemple à ne surtout pas suivre. Toujours est-il qu'aux deux premiers tours de scrutin les deux candidats sont arrivés à égalité et que Jouhaud n'a été élu, de justesse, qu'au troisième tour ! Mais c'était en comptant les bulletins blancs comme des bulletins exprimés, ce qui est contraire au code électoral. Du coup Jouhaud démissionne, Gaudy porte l'affaire devant le tribunal administratif qui lui donne raison, annule l'élection de Jouhaud et considère Gaudy comme le légitime président de la com com. Paradoxe : le jeune président, de sensibilité politique de droite, est entouré d'un bureau composé de 9 vice-présidents qui sont tous socialistes ou apparentés ! La méfiance vis-à-vis de la ville dominante, le fait que la plupart des projets de l'ancienne com com Bourganeuf-Royère étaient tous sur Bourganeuf avaient rendu méfiants les élus des petites communes... Depuis la com com a commencé à travailler, mais un conseil communautaire avec 47 communes dont les plus éloignées sont à 1h30 de distance l'une de l'autre, ce n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler de la proximité...
Pour constater le renouvellement des institutions territorriales, il suffit de regarder deux cartes. En Limousin, de 2012 à 2017 on est passé de 66 EPCI à 29. Sur le Plateau on est passé de 10 communautés de communes à 6. Au niveau national, pendant la même période, on passait de 2 581 EPCI à 1 266.
La loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) a également conduit à la dissolution du SIVOM (Syndicat intercommunal à vocation multiple) qui gérait jusque-là sur 27 communes (20 de Bourganeuf-Royère et 7 de la CIATE) la voirie, les ordures et l'assainissement (les ordures et l'assainissement allant à la nouvelle com com, la voirie étant rendue aux communes).
Pour que cette dissolution soit effective, il a fallu que les collectivités membres du syndicat se répartissent le personnel avant le 31 décembre 2016, ce qui a été fait. Il fallait ensuite se répartir l’actif et le passif du syndicat. Le conseil syndical du SIVOM a délibéré le 19 juin 2017 sur ce sujet et des clés de répartition devaient être approuvées à l’unanimité des communes avant le 30 juin 2017, sans quoi un liquidateur nommé par la Préfecture devrait être nommé. Mais deux communes, St-Moreil et Faux-Mazuras, ont voté contre, et une autre, St-Martin-Château, s'est abstenue. Son conseil municipal a expliqué les raisons de ce choix en pointant divers dysfonctionnements de la collectivité. Il s'en est expliqué du reste de manière très précise dans son bulletin municipal : Le conseil municipal de Saint Martin-Château avait mandaté son délégué lors de la séance du conseil syndical du 19 juin 2017 pour voter contre le mode de calcul de cette répartition pour les raisons suivantes :
Devant la situation bloquée par le vote négatif des deux communes et l'abstention de la troisième, le préfet de la Creuse a aussitôt convoqué les trois communes récalcitrantes. C'est Olivier Maurel, le secrétaire général de la préfecture, qui les a reçues. C'est un ancien de la pénitentiaire qui, avant d'avoir été sous-préfet à Ussel, avait dirigé des maisons d'arrêt et, de 2005 à 2009, le Renseignement à la Direction de l'administration pénitentiaire. Avec lui ça ne rigole pas ! Le secrétaire général de la préfecture a vertement tancé les trois communes en les menaçant de leur supprimer la DETR (Dotation à l'équipement des territoires ruraux) si elles ne changeaient pas d'avis. Celes-ci n'ont pas été plus accomodantes pour autant, et une liquidatrice a été nommée pour proposer une nouvelle clé de répartion qui sera imposée par volonté préfectorale.
Michel Lulek