On aime ou on n’aime pas. On en rit ou on s’en désole. On s’y reconnaît ou pas. Le tag est-il un mode d’expression parmi d’autre ou est-il plus agressif ? Un tag est-il un moyen d’afficher sans censure une opinion ou de l’imposer dans l’espace public sans attention ? À chacun sa réponse. En voici une.
Toi, ou toi encore qui demain écriras à la bombe de peinture sur un mur ou sur la route, ta pensée, ta colère, ton désir, tu dois savoir que le résultat que tu escomptes ne sera pas au rendez-vous. Quelque part tu te tires une balle dans le pied, tu provoques incompréhension et colère de personnes qui pourtant auraient pu être convaincues autrement. Ton geste va éloigner plutôt que rapprocher, créer de la distance, de la défiance, de la méfiance plutôt que de la sympathie ou de l’empathie.
A Plazanet, sur la commune de Faux-la-Montagne, la réponse du berger à la bergère "TAGGEURS bande de gros pors"
Chez toi, sans moi, sans nous
Tu t’affiches, tu nous dis ce qu’il faut penser, croire ou faire. Tu te l’autorises, sans consulter personne, en te fichant de savoir si c’est dans les pratiques, dans la culture. Mon avis, nos avis ne t’intéressent pas. Tu ne portes pas d’attention. Attachez de l’importance au lieu ? On en doute. Tu es partout chez toi, sans moi, sans nous. Tu as besoin de crier, de gueuler et tu veux être entendu. Un peu comme un colon qui s’installe en terrain conquis ou d’un gamin sans éducation qui joue au foot dans le wagon et tant pis si le ballon tombe sur la tête de la mamie un peu sourde qui dormait. Une sorte de sentiment de mépris et de sans-gêne. Impression pour certaines et certains d’être “envahis“ par une forme d’arrogance qui a ses codes, ses usages et ses pratiques, hermétiques voir sectaires... et pas très loin derrière, un sentiment de peur puis de rejet qui se développe. Est-ce bien à cela que tu souhaitais arriver en écrivant ta révolte ?
Donneur de leçon
Le PDG de la société de torréfaction ne vit pas sur place, pas plus que le policier de la BAC : ils se moquent de tes tags, au contraire, tu deviens involontairement leur allié, ils se serviront de toi, te montreront du doigt en ricanant “gros dégoûtant“. Ils t’utiliseront pour discréditer un juste combat. Le vivre ensemble nécessite de faire attention aux uns et aux autres. Beaucoup d’ici, et surtout ceux qui étaient là avant toi, ne comprennent pas qu’on manifeste en écrivant sur les murs, sur “leurs murs“. Quand on arrive quelquepart, on ne vient pas en “donneurs de leçon“. Il faut s’apprivoiser mutuellement. C’est déjà compliqué. Il faut du tact, de l’écoute, de la rencontre, du faire ensemble. Il ne s’agit pas de se renier mais de connaître, se connaître, s’apprécier, se découvrir dans nos différences, même s’il y aura, c’est vrai, des grincheux ou des grincheuses pour toujours trouver une raison de te détester, gratuitement.
Mal élevé
Taguer, ici, c’est être “mal élevé“, non pas version éducation bourgeoise hypocrite mais version “politesse“, respect de l’autre. Taguer ici, ce n’est pas favoriser l’expression mais casser la communication. Car le tag politique, majoritairement, ne fait pas partie du référentiel local, il choque plus qu’il ne crée l’adhésion. “Mais c’est qui ceux qui écrivent ça ? Ils se prennent pour qui ? C’est sûrement pas des gens d’ici, ça vient de la ville“. Il y a les causes nationales mais plus grave quand ça devient local. L’insulte étant le degré zéro de la communication, on a pu lire : “Chasseurs assassins, forestiers saccageurs, ou pépiniéristes sulfateurs !“... Sûr que ça fait avancer les choses. C’est ainsi que la forme tue le fond... Il paraît que ça défoule, que ça libère, c’est quasi hormonal !
Un tag qui colle à la peau
Alors, moi qui sur le fond adhère à beaucoup de tes luttes, qui partage ton désir d’un monde meilleur, qui ne crois pas plus au libéralisme sauvage et au consumérisme que toi, qui te respecte dans tes choix, tu me disqualifies. Je rentre, sans le vouloir, dans la catégorie de “ceux qui font ça et ne respectent rien“. Car l’anonymat permet ainsi tous les amalgames, les raccourcis faciles, les préjugés tenaces, les étiquettes. Avant même de discuter, on a un handicap, un tag qui colle à la peau. Il faut tenter d’expliquer, de justifier, de dire : “Oui, mais c’est juste certains ou certaines qui écrivent comme ça et je ne sais même pas qui ; je suis pas trop d’accord avec la méthode mais sur le fond, si on dépasse un peu ce côté ado et provoc, quand même, c’est vrai qu’il y a un gros problème non ? ...“. C’est lourd !
Voilà, c’est dit. Tu feras bien ce que tu voudras, tu pourras rire et te moquer, ou crier “putain, mais c’est la jeunesse qui hurle, on n’en veut pas de votre monde de merde, vieux con, père la morale“, ou t’offusquer qu’on puisse imaginer rogner ta liberté, dire qu’on ne vit pas dans un monde de bisounours, et bonjour le qu’en-dira-t-on, le respect des conventions, le “propre sur soi“des nantis et des bourgeois, que la pub que l’on subit c’est bien pire, qu’on ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs, qu’il faut savoir vivre avec son temps, être créatif, drôle, casser les codes et bouleverser les habitudes, ranimer, réveiller et galvaniser les consciences, mettre un coup de pied dans la fourmilière, qu’en face il y a des méchants qui n’ont pas ces scrupules, qu’on va à la cata (et qu’on doit donc se taire et ne rien faire ?), qu’au final ce n’est que de la peinture, qu’on n’a fait de mal à personne et qu’on ne va pas en faire tout un plat. Certes.
Peut-être te diras-tu aussi : “Tiens, je n’avais pas vu ça sous cet angle... “
Olivier Davigo
- Quand les tagueurs se justifient
Fin décembre 2017, juste avant Noël, un tag était bombé à Millevaches sur la maison du Parc, attaquant nommément le président du Parc Philippe Connan. Ses auteurs ont pris le soin, dans un mail de revendication, de justifier leur geste et d'anticiper les critiques que leur geste pourrait susciter. Voici leur explication : "CONNAN, BARBARE ! On ne se laissera pas peler : c'est l'inscription que nous avons faite dans la nuit de jeudi à vendredi sur la maison du PNR à Millevaches. Sans doute tout le monde va hurler à la dégradation et à la fausse écologie qui salit les murs. Pourtant on a fait attention à écrire droit et à ne pas faire de fautes. Un tag ça s'efface, mais une usine à pellets ça s'enlève comment ? Et les trahisons de ceux qui prétendent sauvegarder le territoire en le vendant à l'industrie, ça laisse quelle genre de "traces" ? Sans doute bien plus qu'une pauvre inscription."
- L'irradié : Débranchons les centrales
Le désespéré : Police partout, justice nulle part
Le radical : Nique la sdat
Le libertin : zad partouze
Le poétique : C'est pas Julien, c'est l'esprit de Guingouin qui arrête les trains
Le canaille : En creuse, racaille heureuse
Le signalétique : Ici plateau insoumis
Le programmatique : Résister, désobéir, repeupler