S’il est très difficile d’obtenir des chiffres pour quantifier l’importance de la vente en circuit court par rapport aux logiques de circuit long1, une chose est sûre, ce n’est plus du tout un phénomène marginal. Après avoir connu une période de creux dans les années 60-70, ce mode de vente reprend aujourd’hui de l’importance. Cela se ressent principalement dans les villes où les marchés connaissent une meilleure fréquentation et où des Amap2 se créent. Rattrapées par leur succès, ces Amap rencontrent même des difficultés à trouver des producteurs pour se fournir. Ce regain d’intérêt pour la vente en circuit court est en grande partie le fait de certains consommateurs qui portent une attention particulière à leurs achats alimentaires, à leur impact sur leur santé et l’environnement. Chose que ni le monde agricole, ni les collectivités territoriales n’avaient vu venir. Le premier a du mal à répondre à la demande et à sortir de sa logique de filière spécialisée (la viande et la pomme en Limousin) et les secondes ont gâché la plupart des terres maraîchères qui ceinturaient les villes en les destinant à l’étalement urbain.
En Limousin, la vente directe sur les marchés ou à la ferme a toujours existé. Mais depuis quelques années certains agriculteurs se sont associés pour ouvrir des magasins de producteurs tels que “La petite ferme” et “Les saveurs fermières” à Limoges. Ailleurs en France, des communes tiennent compte dans leurs documents d’urbanisme de la nécessité de préserver leurs dernières terres agricoles de l’appétit des bétonneurs. A Pau (64), la Fédération régionale des Civam travaille en collaboration avec les collectivités, la restauration collective et les agriculteurs pour favoriser l’installation de jeunes agriculteurs. Elle les aide à trouver des terres, dans un rayon de 80 km maximum autour de Pau, mais aussi des débouchés pour leurs produits (marché en ville, restauration collective). La FR Civam estime qu’actuellement seulement 10% des produits agricoles consommés à Pau sont produits localement et qu’il est réaliste d’atteindre les 16%. Pour mémoire, la région Limousin n’est auto-suffisante que pour 10% des produits alimentaires qu’elle consomme (voir IPNS n°14). Les organismes professionnels, les administrations et les collectivités s’intéressent eux aussi à la vente en circuit court. L’Ademe et le Conseil régional du Limousin réfléchissent à l’édition d’un guide-conseil à destination des groupements de consommateurs. La Région essaie aussi de structurer des outils pour accompagner des agriculteurs sur des projets individuels ou collectifs de vente directe. Même le Ministère de l’agriculture se penche sur la question et anime depuis le début 2009 un groupe de travail sur la question. L’objectif serait d’élaborer une charte des circuits courts... charte qui fait courir le risque d’une standardisation et d’une paralysie de l’imagination et des initiatives.
La vente directe valorise davantage les produits et le territoire, réduit le transport et les intermédiaires (donc les émissions de gaz à effet de serre), permet l’accès des citoyens à une nourriture locale, rapproche les producteurs des consommateurs... Mais elle génère plusieurs contraintes. En effet, c’est un mode de commercialisation chronophage où l’abattage et la découpe (pour la viande), le conditionnement, la distribution et la vie du fichier client (relances, prospections...) demandent beaucoup de temps et des compétences qu’il faut acquérir. Un agriculteur de Saint-Martin-Château pratiquant la vente directe estime qu’il consacre l’équivalent de deux mois de travail par an à la commercialisation et la livraison. Dans le cas de l’élevage, se pose aussi le problème des distances entre le lieu d’exploitation et l’abattoir. L’insuffisance d’abattoir de proximité pose de vrais soucis (voir page 7 l’article sur le projet d’abattoir en Creuse) et le problème est accentué pour les éleveurs en agriculture biologique car ils doivent faire abattre leurs bêtes dans un abattoir agréé spécifiquement. Pratiquer la vente directe est plus facile lorsqu’on est installé près de Limoges ou Brive, où il est possible de faire abattre et de commercialiser une vache dans un rayon de 10 km. Sur le plateau de Millevaches, la faible densité de population et la distance entre les différents consommateurs élargissent considérablement ce rayon. Les agriculteurs doivent donc être particulièrement organisés entre eux et avec leur clientèle. Certains, par exemple, mutualisent leurs équipements : la voiture-frigo, l’atelier de découpe-chambre froide...
A l’heure où l’Inde doit produire le lait de l’ensemble de la planète, l’Argentine la viande bovine et le Maroc les tomates, la vente directe semble à contre-courant. Mais elle répond à des enjeux de sociétés, climatiques et environnementaux niés par la mondialisation. Il lui reste maintenant à se populariser, se donner les moyens d’être accessible à tous et remplacer la culture “boîte de conserve et plat surgelé“.