Il était une fois un petit village bâti sur le flanc de la montagne jurassienne, entre quatre cent et six cent mètres d’altitude, à douze kilomètres de Sochaux. Un village de quelques six cent âmes, d’où les hommes partent pour travailler.
Comme des milliers d’autres villages de France, Vandoncourt somnole. L’imagination, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas au pouvoir. Il y a un Conseil Municipal, comme dans toutes les communes de France. Les électeurs en entendent parler régulièrement, tous les six ans lorsqu'ils l’élisent. Il défend, paraît-il, les intérêts communaux. C’est ce que les candidats proclament dans leur profession de foi, la seule information qu’ils adressent à leurs concitoyens... Tous les six ans. Le maire gère en père de famille et tranche en autocrate. Si conflit il y a, c’est lui qui décide ; le Conseil entérine tous les trimestres. Il sait déterminer seul, ou presque, ce qui est bon pour la population... et ce qui ne l’est pas.
A Vandoncourt, y avait plus de dimanche, plus de bon pain, plus de village.
Jusqu’à ce jour de 1971 où de nouveaux arrivants, de retour d’un long séjour en Afrique, impliqués depuis deux ans dans la vie de la commune, décident de se présenter aux élections municipales. Un questionnaire est lancé. Destiné à une centaine de personnes choisies dans le village en fonction de leur appartenance à différentes communautés (hommes, femmes, jeunes, vieux, professions libérales, ouvriers, paysans...), il porte sur la vie du village, l’animation culturelle, la participation de la jeunesse à la prise de responsabilité, les liens des associations entre elles, l’administration du village... Les réponses sont anonymes et la synthèse réalisée constitue un programme cohérent qui reste toujours la base de l'action municipale à Vandoncourt. Une équipe toute neuve entre à la Mairie.
Démocratie, contrôle populaire, c’est désormais de cela qu’il s’agit à Vandoncourt. Pour l’équipe, il s’agit bien de donner à la démocratie toute sa dimension. En associant les forces vives à la gestion. En multipliant les structures de concertation. En informant complètement et régulièrement. En limitant la délégation de pouvoir par une pratique permanente de la démocratie directe.
Treize élus pour administrer, où plutôt pour animer la commune, c’est trop peu ! C’est même dérisoire, injuste et scandaleux. Le village a besoin de tous pour se régénérer. Pour faire émerger les besoins. Pour retrouver l’identité d’une commune vivante. Pour décentraliser les initiatives. Pour créer des canaux qui permettent à chacun de s’exprimer. Pour informer. Pour imaginer...
Imaginer !... Les projets ne manquent pas à Vandoncourt. On ne parle plus de réunion du conseil municipal, mais de réunion des conseils. Un conseil de treize membres, bien sûr. Comme dans toute commune de cette taille. Mais il ne se réunit jamais sans les trois autres conseils : celui des jeunes, celui des anciens, celui des associations, un véritable petit parlement où tous sont représentés. Les conseils se réunissent au moins chaque mois : ce sont là soixante citoyens rassemblés. Parfois, il se transforme en réunion publique, la mairie en forum. Sans vote, ni contrainte. Il s’agit de libérer au maximum l’expression. Pas de maire, pas de chef à Vandoncourt. Sept commissions sont mises en place (scolaire, budget, technique, développement économique, social, fêtes et cérémonies, environnement). Ce sont elles qui s’informent des besoins, qui élaborent les solutions pratiques. Elles sont sous le contrôle des conseils. Ainsi pour la commission des finances, elle est composée d’élus et de non-élus ; elle publie dans le bulletin du village, qui paraît toutes les trois semaines, le budget et le compte administratif en expliquant et en commentant les chiffres. Au mois de novembre, la mairie organise des journées de discussion sur le budget. Tous les postes sont retranscrits sur des grandes feuilles accrochées au mur, dans différents points du village et dans le préau de l’école. On peut ainsi voir l’évolution des dépenses et des recettes, année par année. Les conseils, la commission des finances et la population peuvent ainsi confronter leurs idées. N’importe quel groupe, individu, association peut proposer un projet. Les conseils en apprécient l’urgence, les commissions – ouvertes - en étudient la mise en pratique. La démocratie directe s’est rapidement mise en place.
On délivre encore des fiches d‘état-civil, on y reçoit toujours des demandes de renseignements, mais la mairie est avant tout le centre de l’effervescence démocratique, le laboratoire des propositions et des analyses populaires. Un "café du commerce" parfois. A Vandoncourt au moins, le vocable de maison commune n’est pas usurpé.
“Tu as envies de... Tu souhaites créer un... Tu veux préparer une manifestation... Tu veux relancer une activité de... Très bien. Excellente idée. Tu peux compter sur le soutien d’une commission, des conseils, des associations. Mais vas-y. Prépare un projet, commence et la collectivité te soutiendra”. Ainsi naissent et se développent de multiples activités au village.
Encouragement à l’initiative, utilisation des compétences, bénévolat : C’est sur ce triptyque que s’appuie l’animation permanente du village. “L’animation c’est la politique !”. La politique ce n’est pas ce passage successif sur les tréteaux ou les écrans d’un certain nombre de professionnels patentés et homologués – par qui ?- mais la prise en charge de la vie quotidienne du plus grand nombre ; vingt-cinq siècles après une définition de Périclès : la politique, gestion de la cité. Par TOUS. “Gouverner, c’est faire croire”, disait Machiavel. Mais au contraire, ANIMER c’est rendre, c’est redonner, c’est permettre, c’est critiquer, c’est devenir libre.
La majorité de la population de Vandoncourt pratique sans le savoir un contrôle populaire sur la vie quotidienne. Peut-être certains préféreraient-ils parler de démocratie, de fraternité, d’honnêteté, de participation, de responsabilisation. Ou encore de liberté !
C’est à Vandoncourt que fut créé le premier tri sélectif des déchets. Il y a 30 ans !
C’est à Vandoncourt que l’on s’opposa à l’enrésinement. La population empêcha l’office national des forêts de planter dix hectares d’épicéas qui auraient détruit une partie de la flore.
C’est à Vandoncourt que l’on prit très tôt position dans les grandes luttes nationales (Larzac, canal Rhin-Rhône, fusées pluton, nucléaire civil et militaire, la cause Kanak, etc.)
Contre le pouvoir centralisateur, paperassier, contrôleur de toutes les initiatives, gérant de la bonne norme contre toutes les déviances, la population de Vandoncourt répond à la manière de Gandhi : “La fin est contenue dans les moyens, comme l’arbre dans la semence”. On y souligne volontiers la nécessaire concordance entre les exigences de demain et le comportement d’aujourd’hui.
Ailleurs, les élus dénoncent vaillamment un pouvoir qui les empêche de réaliser cette démocratie locale, cet apprentissage de l’autogestion qu’ils réclament dans les motions, les conseils, assemblées, assises, séminaires, forums, carrefours, meetings... Mais le pouvoir et la loi deviennent vite pour eux l’alibi qui autorise à ne rien changer, la diversion qui permet d’interdire aux groupes concernés de réfléchir collectivement à leur devenir.
A Vandoncourt, rarement la démocratie directe n’a été portée aussi loin. Aujourd’hui beaucoup sont encore surpris du chemin parcouru, surpris de l’autonomie individuelle ou collective acquise, surpris de cette capacité à reconstruire parfois le quotidien.
A Vandoncourt c’est tous les jours dimanche ! Il ne tient qu’à nous pour que, dans notre village, notre ville, ce soit aussi tous les jours dimanche !
Sources : “A Vandoncourt, c'est tous les jours dimanche" de Christophe Wargny (1980) "Liberté, fraternité à Vandoncourt" de Jean LouIs Bato (1977) deux ouvrages malheureusement épuisés… "L'Echo de notre village" (Bulletin municipal de Vandoncourt).