Sur la phobie sécuritaire, Toulouse, où j’habite, a innové magistralement avec la création de ”l’office de la tranquillité ” (mis en place par la gauche). C’est un numéro de téléphone, où bossent des intérimaires sur-précarisés qui sous-traitent le travail de la police en sélectionnant les appels selon qu’ils nécessitent d’envoyer une équipe de police municipale, de la police nationale ou juste de remplir les statistiques du ”sentiment d’insécurité”, lesquelles permettront de motiver de nouveaux investissements politiques et économiques dans la ”sécurisation”. Avec quelques amis, nous avons tenté l’expérience. Nous avons d’abord appelé pour dénoncer nos voisins bruyants, avec qui nous ne pouvons plus communiquer ”parce que ces gens, vous savez, qui font shabbat et khanouka... on ne peut pas parler avec eux”. Résultat : envoi d’une unité de police municipale à la fausse adresse que nous avions donnée. Le lendemain, on appelle pour dénoncer des ”basanés en bleu de travail qui embauchent à 5 heures du matin devant chez nous”. Résultat: envoi d’une unité de la Police nationale. On peut donc, grâce à la politique de sécurisation toulousaine, balancer des Juifs et des sans-papiers et être un ”bon citoyen” bien impliqué dans ce nouvel impérialisme local nommé ”Grand Toulouse” (Ils doivent en avoir des traces puisque les appels et les conversations sont enregistrées).
Mais pour le cas de la classe Défense et sécurité globales de Felletin, il y a, de toute évidence, plutôt qu’une réaction de phobie, une attraction liée à des intérêts précis. Il semble que les perspectives de carrière de Madame la principale motivent fortement cette ”innovation citoyenne”. Le sécuritaire est une réaction de phobie politique mais aussi d’attraction économique. Il semble bien que toutes les formes de pouvoir s’assoient sur des alliages de peur et de séduction pour fonctionner. Il faut sans doute viser les deux facettes du problème.
Le sécuritaire est un vaste marché économique mais aussi politique qui conduit une transformation importante, depuis l’après-1968 et jusqu’à aujourd’hui, du capitalisme et de l’Etat. Il s’agit de créer de nouveaux secteurs de marchandisation du contrôle mais aussi de rentabiliser et de maximiser l’auto-contrôle pour dégager les Etats des coûts de production de la soumission. Diffuser et légitimer la ”pensée de défense et de sécurité” vise nécessairement à réduire les coûts de l’encadrement humain en stimulant la ”participation” et la collaboration de ”la population” à son propre contrôle. Cela circule depuis les instances de commandement et de financement internationales (FMI, G20, Otan...) jusque dans les initiatives locales des petits administrateurs du carnage dont on sait bien, en haut, qu’ils peuvent être très créatifs notamment parce qu’ils connaissent bien ”le terrain et les populations à sécuriser”. Le pouvoir les séduit par des perspectives de ”promotion socio-économique” ou simplement en caressant leurs egos flattés de participer, à leur niveau, à la création d’un nouvel ordre local et mondial.
Les États sécuritaires entretiennent des zones d’expérimentation, des laboratoires et des vitrines de l’innovation économique et politique dans le domaine du contrôle : Gaza pour Israël, les stades de foot pour l’Italie, les favellas pour le Brésil, les quartiers populaires pour la France... mais toutes sortes de nouveaux laboratoires peuvent émerger constamment.
De toute évidence, pour la création de la ”classe de défense et de sécurité globales” il y a un lien avec la présence du camp militaire de la Courtine et les directives nationales pour le recrutement sur les ”bassins d’emploi” de la sécurité et de la défense. Mais la stigmatisation du Plateau et du département depuis ”l’affaire de Tarnac” n’y est sûrement pas pour rien non plus. Madame la Principale sait que l’ensemble de sa hiérarchie trouvera assez bienvenu d’innover dans ces domaines depuis que le territoire est désigné comme une ”zone subversive” par l’État (on en revient à ce niveau au statut historique de ”zone résistante” au nazisme français durant la deuxième guerre mondiale).
Je crois qu’on ne peut pas l’analyser seulement comme une initiative individuelle. Cela se joue entre les perspectives de carrière de la dame et des directives administratives qui existent réellement. Le projet parle d’”excellence” (liée à la mise en concurrence des structures ”éducatives” par la restructuration néolibérale) et de ”plus-value” pour l’établissement. La pensée et les pratiques du néo-management et de la gestion de la société comme entreprise continuent d’avancer, cette fois sur le terrain du ”contrôle” et donc de ”l’éducation”. Rappelons-nous que l’Éducation nationale a été créée par la IIIe République comme ”religion civique” face au risque révolutionnaire, pour empêcher les communistes et les anarchistes de créer des écoles de l’émancipation collective (C’est expliqué ainsi dans les débats au parlement à l’époque).
La Principale a très probablement participé à une de ces ”journées d’information Défense et sécurité” qui incitent les ”acteurs de l’Éducation nationale” à développer ”l’esprit de défense et de sécurité” dans le cadre des ”trinômes académiques”, ces protocoles de collaboration entre l’Éducation nationale et l’armée mis en place depuis le début des années 1980.
Elle présente son projet comme de la pédagogie Freinet : au travers de la ”rencontre” avec les professionnels de la Défense et de la sécurité il s’agirait de motiver les apprentissages de la lecture et de l’écriture... C’est un joli spécimen de retournement, on récupère les méthodes de ”l’éducation nouvelle” (autonomie, pédagogie de projet...) pour asseoir la restructuration sécuritaire. Mais alors que Celestin Freinet (viré de l’Éducation nationale avant d’être enseigné dans les IUFM) visait l’émancipation collective, la sécurité et la Défense servent à contrôler et faire la guerre pour le compte des classes dominantes.
Si la Principale semble se complaire dans un statut de petit rouage, gardons bien à l’esprit que loin des tours d’ivoire, c’est bien localement et dans les petites hiérarchies que se mettent en place au quotidien et concrètement les transformations pratiques de la domination. Et c’est donc bien sur ce terrain-là, celui que nous habitons réellement, qu’il est d’abord possible de saboter les mécanismes de l’oppression. Le petit peuple du plateau qui a fait reculer ”l’innovatrice” semble l’avoir bien compris.
Propos recueillis par Michel Lulek