Les serpents ont une grande capacité adaptative : ils occupent quasiment tous les milieux, de l’équateur au cercle polaire. Nombreux sont terrestres, plusieurs fréquentent, au moins pour la chasse, les eaux douces, d’autres s’aventurent ponctuellement ou vivent dans la mer. Certains sont arboricoles, et quelques uns sont capables de planer. Le plus grand est le python réticulé, en Asie du Sud-Est : il mesure 10 m de long !
Mais revenons à nos serpents. Le Plateau abrite cinq espèces : deux vipères – la vipère aspic (Vipera aspis) et la vipère péliade (Vipera berus), et 3 couleuvres – la couleuvre à collier (Natrix natrix), la couleuvre vipérine (Natrix maura), et la coronelle lisse (Coronella austriaca). Même si certaines couleuvres à collier atteignent parfois 1,5 m, la plupart de ces serpents mesurent de 50 à 80 cm.
Les serpents sont des animaux ectothermes : leur métabolisme dépend d’un apport d’énergie extérieur - à la différence des endothermes (oiseaux et mammifères), qui produisent et régulent leur température à partir de l’énergie contenue dans leurs aliments. Improprement appelés animaux “à sang froid“, leur température interne peut dépasser 30°C.
La température interne des serpents dépend donc des conditions extérieures : rayonnement solaire, température de l’air et du sol. Les serpents régulent leur température en alternant phases d’exposition au soleil et phases abritées. A température basse, leur métabolisme est au ralenti et ils sont en léthargie ; à température élevée, leur métabolisme s’emballe et ils surchauffent. Conséquences de cette physiologie : en périodes froides, ils se réfugient dans des endroits frais, ne consommant qu’une infime part de leurs réserves (à la différence des mammifères qui sortent salement amaigris de leur hibernation) ; en périodes chaudes, ils s’abritent dans des endroits tempérés. Les serpents affectionnent les journées couvertes avec des éclaircies, et une température d’environ 15°C. On les croisera plus au printemps qu’en été. Et puis, “quand la couleuvre traverse le chemin, orage avant demain matin“.
Cette stratégie physiologique explique en grande partie la répartition des espèces en fonction du climat – et donc de la latitude et de l’altitude. Les deux vipères du Plateau l’illustrent bien. La vipère aspic, présente sur la majorité du territoire français, se développe dans des climats plutôt chauds. La vipère péliade est présente dans les zones septentrionales, et en France, est cantonnée au Massif Central, au Massif Armoricain et au Jura. A température égale, la vipère péliade a un métabolisme plus actif que la vipère aspic : elle trouve donc son optimum physiologique dans des climats plus frais. Les aires de répartition de ces espèces sont ainsi exclusives : sur le Plateau, la limite est vers 650 m, en dessous: aspic, au dessus : péliade. Il n’existe que de très rares zones où les deux espèces sont présentes ; c’est le cas dans une zone restreinte au nord de Royère-de-Vassivière.
“Les couleuvres sont ovipares, les vipères vivipares“ Cette affirmation, pas fausse, reste simpliste. D’une part, on observe chez les serpents non pas deux modes distincts, mais tout un continuum entre oviparité et viviparité (le terme d’ovoviviparité n’est dorénavant plus employé). D’autre part, si les vipères sont effectivement vivipares sur le Plateau, ce mode est moins strict dans d’autres régions. Ces modes de reproduction imposent des comportements différents pour l’incubation des embryons. La couleuvre va rechercher des endroits chauds (tas de matières organiques par exemple) pour sa ponte, l’incubation se faisant sans l’intervention de la mère. Les vipères quant à elles s’exposeront aux rayons solaires pour permettre le développement des embryons qu’elles portent.
Ces comportements déterminent les stratégies de reproduction. Les couleuvres sont itéropares, c’est-à-dire capables de se reproduire plusieurs fois dans leur vie. Elles sont actives et chassent durant la formation des œufs ; elles accumulent les réserves vitellines en “flux tendu“, ne ponctionnant pas leurs réserves corporelles. Une couleuvre après la ponte est souvent aussi bien portante que si de rien n’était, et tout à fait apte à remettre le couvert l’année suivante. La vipère aspic, quant à elle, est sémélipare, c’est-à-dire – à l’instar de Sémélé (cf. encadré) et des saumons, qu’elle ne va se reproduire qu’une unique fois dans sa vie. Elle supporte des coûts indépendants de la fécondité : qu’elle porte 3 ou 12 vipéreaux, une vipère gravide devra quand même s’exposer aux rayonnements de l’astre solaire et par la même aux prédateurs, tel le Circaète Jean-le-Blanc. D’où, pour rendre “rentables“ les risques pris, une tendance à produire une progéniture importante. Pour assumer cette fécondité élevée, les vipères vont accumuler pendant plusieurs années des réserves graisseuses leur permettant, à partir d’un seuil défini, de se reproduire. L’incubation des embryons se fait donc grâce aux réserves accumulées par la mère, qui après la mise bas, est extrêmement affaiblie (tout y passe : réserves graisseuses, masse musculaire, matière osseuse). Et si la vipère ne trouve pas très rapidement après la mise bas un campagnol à se mettre sous la dent, elle est condamnée. Ainsi, en moyenne, les vipères mettent bas, au bout de 5 ans, le plus souvent de 5 à 7 vipéreaux – ce qui correspond au meilleur compromis bénéfices/risques ; environ 75 % des vipères ne survivent pas à la mise bas. En Italie, à l’inverse, la thermorégulation peut se faire à l’abri, ce qui réduit les coûts indépendants de la fécondité : les vipères italiennes sont plus souvent itéropares.
Ces stratégies reproductives expliquent la morphologie et le comportement de ces bestioles.
La couleuvre est très musculeuse. Elle chasse activement sur son territoire, notamment dans les zones aquatiques (la vipère quant à elle honnit l’élément liquide). Les couleuvres sont des constricteurs : elles étouffent leur proies, et les avalent entières en se démantibulant la mâchoire si nécessaire – chez elles, pas de problème à avoir les yeux plus gros que le ventre... Les couleuvres du Plateau ne sont pas venimeuses.
Vipère | Couleuvre | |
Yeux | Pupille verticale | Pupille ronde |
Ecailles | Petites écailles sur la tête Plusieurs rangées entre l’oeil et la bouche |
Grosses écailles sur la tête Une rangée entre l’oeil et la bouche |
Queue | Courte et épaisse | Longue et effilée |
A l’inverse, les vipères sont des espèces de saucisses de Morteau, qui, encombrées par leurs réserves de graisse, seraient bien incapables de pourchasser les campagnols dont elles se nourrissent ! Elles chassent à l’affût, lovées sur elles-mêmes, et se détendent brusquement pour attraper les proies qui passent à leur portée. Vous ne risquez donc sûrement pas de vous faire courser par une vipère ! Les vipères sont effectivement très vives, mais dans leur faible rayon d’action – d’où le besoin d’immobiliser la proie instantanément, par l’inoculation d’un venin violent. Précisons que les serpents ne sont pas agressifs : ils ne tenteront une morsure de défense que s’ils se sentent acculés. La couleuvre à collier et la coronelle lisse, elles, simulent la mort : sur le dos, bouche ouverte, langue pendante et odeur de charogne.
Les serpents ont une très bonne perception de leur milieu. Bien que totalement sourds puisque dénués de tympans, ils perçoivent les vibrations du sol, et possèdent une très bonne vue. Ils sont dotés d’un sens tout à fait ophidien appelé vomérolfaction : la langue bifide capte des molécules odorantes dans l’environnement et les ramène sur un capteur situé au niveau du palais ; la différence entre les deux branches de la langue indiquant la direction à suivre. Si les serpents tirent la langue, c’est pour repérer leurs proies, partenaires ou concurrents, et prédateurs.
Du fait de leur impérieux besoin de thermorégulation, impliquant de passer alternativement par des phases de chauffage au soleil et de refroidissement à l’ombre, les serpents occupent essentiellement les haies et lisières. On ne les trouvera que rarement dans de vastes étendues exposées au soleil et sans abri, non plus que dans des couverts denses où la lumière ne perce pas.
Leur abondance est difficile à estimer, en partie à cause du manque de suivis de terrain. Frédéric Lagarde, dans le cadre de ses travaux de recherche à Gentioux, mentionne une quinzaine de contacts en 3 mois – en cherchant activement. Sont-ils vraiment peu nombreux ? En tous cas, nous ne sommes a priori pas sur un territoire “infesté“ de serpents...
Ici, la principale menace pour les serpents est la fermeture des milieux (par l’enrésinement massif). La fragmentation des habitats (parcellisation, destruction des haies) joue aussi son rôle. Ailleurs, la mortalité routière peut être un facteur important. Et enfin, la méconnaissance humaine : combien de serpents tués pour leur seule parenté ophidienne ? Tous les serpents sont protégés réglementairement ; les vipères ne font l’objet que d’une protection partielle, en raison de leur potentielle dangerosité pour l’homme. Ce qui questionne au passage les choix en termes de conservation de la biodiversité : plus facile de sauvegarder le “meûgnon“ koala que la perverse vipère ou l’infâme ours... Alors que tous ont leur place et leur rôle dans le fonctionnement des écosystèmes. Bref, avant de massacrer les pauvres bestioles, il conviendrait déjà de différencier s’il s’agit d’une vipère ou d’une couleuvre (cf. encadré), mais aussi, s’il s’agit d’une vipère, de déterminer si l’exécution est vraiment nécessaire ! Les situations d’urgence (légitime défense) sont extrêmement rares, donc autant se poser la question avant plutôt qu’après.
Pour en savoir plus :