Se lancer dans une étude de la participation des Espagnol-e-s à la Résistance en Limousin, c’est à la fois s’inscrire dans une tradition et proposer un renouvellement.
En effet, la Résistance limousine a été largement étudiée, et pour cause : c’est une des rares régions de France à concentrer à la fois toutes les formes de Résistance (légale et clandestine, rurale et citadine, armée ou non…) et des figures tutélaires et presque mythiques (Georges Guingouin notamment, mais aussi Edmond Michelet). Par ailleurs, la création en 2008 de l’Ateneo Republicano du Limousin (association liée à la mémoire des républicains espagnols exilés) a été concomitante à l’émergence d’une nouvelle vague de jeunes chercheurs au sein de l’université de Limoges. Ils ont multiplié les études départementales et régionales liées à l’arrivée des réfugiés espagnols en Limousin, mettant en exergue le passage par la région, entre 1936 et 1946, de près de 12 000 Espagnol-es, hommes et femmes. Mais étudier la Résistance sous cet angle, c’est aussi tenter de renouveler une vision trop souvent centrée sur une histoire politico-militaire et donc masculinisée du phénomène. Il s’agit donc de faire appel à l’histoire sociale, à la micro-histoire et à une perspective de genre pour faire émerger une histoire interprétative et culturelle de la participation des Espagnol-e-s à la Résistance en Limousin, en mettant l’accent sur l’aspect transnational de leur antifascisme.
Ce travail de thèse s’articule autour de trois questionnements majeurs qui sont : la construction des identités, le rapport à la violence et le caractère transnational des parcours. En effet, le maquis est un environnement viril dont sont exclues les femmes et dans lequel se construisent de jeunes hommes au moment crucial du passage à l’âge adulte. Il faut donc s’interroger sur les multiples identités (de combattant, de militant politique, d’homme et de femme, d’enfant et d’adulte…) à la fois construites par les résistants eux-mêmes et par ceux qui les entourent. Comment les résistants espagnols sont-ils perçus par les autres résistants ? Et par la population limousine ? Ne sont-ils forcément que le “dangereux bandit rouge“ ou “le courageux instructeur“ ? De la même façon, des rôles (infirmières et agents de liaison) sont attribués de façon presque systématique aux femmes résistantes. Il faut s’interroger sur leurs réalités aussi bien que sur les raisons de l’attribution de tels rôles (qu’ils soient réels ou fantasmés). Par ailleurs, les différentes cultures politiques présentes dans la Résistance limousine donnent un sens différent à la violence et modèlent le rapport des résistants à celle-ci. L’âge moyen plus élevé des résistants espagnols, leur expérience d’une première guerre en Espagne et l’antifascisme dans lequel s’insère souvent leur combat en France rendent parfois à leurs yeux la violence légitime, voire nécessaire. En effet, les résistants espagnols s’inscrivent dans un parcours transnational qui donne un sens particulier à leur expérience de la Résistance : leur lutte peut être le fruit autant d’un antifascisme global, que d’une volonté de se retourner ensuite contre Franco avec le soutien de la France ou encore s’inscrire dans la quotidienneté d’un groupement de travailleurs étrangers (GTE).
Retrouver les résistant-e-s espagnol-e-s du Limousin n’est pas chose aisée, puisqu’il n’existe pas de liste les recensant. L’une des démarches que j’ai adoptée consiste à relever les noms “à consonance hispanique“ sur les stèles de la Résistance de la région. C’est ainsi que j’ai par exemple identifié Roger Estruga sur la stèle de Farsac (Eymoutiers) et réussi à retracer une partie de son parcours. Il est né le 3 juillet 1924 à Mequinenza, en Aragon (Espagne) sous le nom de Joseph (peut-être plutôt José) Estruga. Il est le fils de Joaquina Coso et de José Estruga, tous deux installés comme cultivateurs à Saint-Julien-le-Petit (où son nom figure également sur la stèle). Entré aux FTPF le 10 janvier 1944, il fait partie du groupe des Tigres du commandant Fernand (Philibert). Installé dans des caves et des souterrains du château de Farsac, aidé par les paysans, notamment les familles Manivaud et Périgaud, le groupe multiplie les actions contre l’occupant. Suite à une dénonciation, les résistants sont attaqués le matin du 5 février : il y a trois morts, dont Roger Estruga, et trois blessés chez les résistants qui parviennent à s’échapper. Le jeune Espagnol est inhumé au cimetière d’Eymoutiers en présence d’une foule nombreuse et reçoit le 25 avril 1945 la mention “Mort pour la France“.
Tiphaine Catalan