Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, l'hyperloop est “une capsule mue par un moteur électromagnétique qui circule à plus de 1 000 km/h dans des tubes sous vide fixés sur des pylônes en béton“. C'est pour installer ces pylônes sur une ligne expérimentale de 3 kilomètres1 que les promoteurs du projet cherchaient des partenaires et des financements. Rapidement, ils ont trouvé des oreilles bien intentionnées chez des décideurs politiques et économiques limougeauds de premier plan. Ce n'était qu'un début, puisque d'autres rendez-vous étaient pris, en janvier et février avec les présidents Rousset et Macron. Dans la foulée, l'association Hyperloop Limoges déposait ses statuts et la visite d'une ancienne voie ferrée était organisée dans le secteur de Châteauponsac. Quelques jours plus tard, un autre article de La Montagne rapportait que le premier site visité pouvait convenir à Transpod. Que voilà une affaire rondement menée ! Dommage que personne n'ait pensé à proposer l'ancien site d'essai de l'aérotrain Bertin : celui que les voyageurs du POLT longent sur une vingtaine de kilomètres au nord d'Orléans. Totems de béton toujours aussi inutiles et indestructibles après plus 50 ans !
“Mettre Limoges au centre du monde et à une demi-heure de Paris“, voilà le pari proposé par les dirigeants de Transpod à nos édiles. C'est sûr qu'à ce train-là “fini l'image d'immobilisme qui colle à la peau de Limoges“. Sublimée la perte de la LGV et ses modestes 300 km/h, on entrerait d'un coup dans l'hypermobilité. C'est Alexis Monge, Président de l' ALIPTIC (Association limousine des professionnels des technologies de l'information) qui ringardise la LGV “technologie vieille, voire très vieille“. À ce point de leur article, les journalistes de La Montagne commencent à se poser des questions : Pourquoi Limoges et pas Orléans ? Ou bien le Canada et ses grands espaces ? Pourquoi des promoteurs aussi pressés (décision sur le projet de site impérativement avant l'été) et surtout “comment obtenir la subvention régionale de 10 millions € qui manquent au budget“ ? Mais la confiance règne : il paraît “impossible“ aux tenants du projet qu'Alain Rousset ne donne pas un signal fort2 envers les Limousins et refuse cette subvention. Personnellement, j'y vois l'illustration d'un de ces “contrats de coopération métropolitaine“ évoqués par Aude Chopplet dans son article. Des contrats, précise-t-elle, assortis de 150 millions € dont les métropoles régionales peuvent disposer comme bon leur semble. J'ai peur d'imaginer une séance de nuit à l'assemblée régionale, des conseillers fatigués, des arrangements de couloirs entre amis et pof ! 10 millions € qui se vaporisent dans l'hyperloop. On aurait joué à qu' “hyper gagne“ pourrait dire la Tata du Limousin.
Hasard ou prémonition citoyenne, quelques jours plus tard j'écoute l'émission “Matières à penser“ sur France Culture3 qui reçoit Yves Crozet, spécialiste reconnu de l'économie des transports. Il s'y montre très sévère sur l'hyperloop. Prenant pour exemple le projet de liaison Los Angeles - San Francisco, il le qualifie de “califor-niaiserie“4, rappelant au passage que les ingénieurs suisses ont abandonné la même “chimère technologique“ du nom de Swiss Metro après 30 ans d'essais infructueux…
Fort de ces informations et références, somme toute inquiétantes pour nos finances régionales, je les ai envoyées aux auteurs des différents articles. Je n'ai pas eu de réponse de leur part. J'ai eu plus de succès avec un conseiller régional EELV qui m'a répondu qu'il était au courant, ajoutant “que les escrocs sont prêts à profiter du désarroi de certains élus“. Retenons donc que d'autres élus sont en alerte et que les 10 millions d'euros ne sont pas encore dans les poches de Transpod and co.
Aux alentours du 1er avril 2018, j'aurais pu croire à un gag tant la ficelle était grosse. Pourtant elle attrape de gros poissons : le président du conseil départemental, Jean-Claude Leblois, le président d'agglomération de Limoges, Gérard Vandebroucke, et biens d'autres dont on peut, sur cette affaire, s'interroger sur leur sagacité à gérer l'argent public. Un réflexe d'habitant de Creuse Grand Sud, sans doute… Avouer aux journalistes: “Franchement on en a marre de prendre des baffes“, ne peut pas tenir lieu d'excuse en politique ou alors c'est prendre le risque de s'exposer, et aux escrocs de passage, et aux blaireaux citoyens.
Sur la forme : à supposer qu'il ne s'agisse pas d'une blague de journaliste voulant piéger notables et lecteurs, je regrette de ne pas avoir eu de réponse ou de débat avec les journalistes ou les lecteurs de La Montagne. J'espère que ce sera mieux avec ceux d'IPNS et que la série “Rions un peu avec l'aménagement du territoire“ s'enrichira de nouvelles contributions.
Sur le fond, ces temps-ci, je trouve les rédactions de La Montagne et Centre France un peu trop enclines à tenter de remplir les vides de l'hyper-ruralité avec du vent. Nouvel exemple dans l'édition du 13 février 2018 : “La grande vitesse, un rêve impossible ?“ où la journaliste imagine des voyages en hyperloop au départ de Limoges (pourquoi pas Felletin d'ailleurs !) : 25 minutes pour Paris avec des billets à 60 €. Eureka, Limoges est désenclavée et devient la banlieue de Paris : “d'ailleurs 70 % des voyageurs font l'aller-retour dans la journée“ comme de vrais banlieusards, la verdure du Limousin en prime. Yapluka ressortir le barreau LGV Limoges-Poitiers (1,5 milliard d'euros) et on aspire Bordeaux ! La Montagne n'arrête pas là sa machine à rêves avec un article (le 20 février 2018) sur “la première esquisse pour la piste d'essai de l'hyperloop en Haute-Vienne“ avec de beaux schémas en couleurs. De quoi recruter de nouveaux adhérents pour l'association Hyperloop Limoges, dont le président Vincent Léonie annonce : “Notre travail de promotion de cette technologie va pouvoir s'accélérer“. Mieux que “dormez brave gens“, c'est “rêver braves gens“ !
Si j'ai bien lu, l'hyperloop, c'est Concorde qui mettait Paris à 2 heures de New York pour 10 000 € le billet, la démocratie en plus avec des billets à 60 € pour environ 20 000 voyageurs par jour à raison de 30 navettes de 20 personnes sur 18 heures dans les 2 sens. À moins que, comme Concorde qui transportait les grands de ce monde aux dépens des contribuables, l'hyperloop ne tranporte que les nombreux présidents limougauds et leurs “égaux“. Espérons qu'ils auront mis fin “à leurs querelles politiques“ pour y monter tous ensemble. Pas très en ligne avec le projet de réforme Spinetta tout ça. Pour peu que “l'intérêt socio-économique ne puisse être démontré“ et qu'en plus, un partenariat public-privé ait été conclu comme celui de la LGV Poitiers Bordeaux (garantie de la prise en charge des déficits pour Vinci), le rêve virerait au cauchemar. Excusez-moi, c'est le syndrome Creuse Grand Sud qui me reprend !
Jean-Luc Caillau