Avril 2022, le tout nouveau directeur de Contribuables associés se présente
Lenoir est porte-parole du parti d’Éric Ciotti, l’UDR. Son programme est simple : baisse massive des impôts et des dépenses publiques. À qui profiteront les baisses d’impôts ? À tous les Français, promet Ciotti. Mais dans tous les pays où sont appliquées des baisses massives d'impôts, les ménages les plus riches et les grandes entreprises en sont toujours les premiers bénéficiaires. Or la Creuse est l’un des départements les plus pauvres de France. Ses ménages et ses entreprises bénéficieront donc moins des baisses d’impôts que le reste de la France. Il pâtira en revanche plus que les autres des coupes dans les aides sociales et les services publics. Département le plus âgé de France, il est fortement dépendant des aides sociales et du secteur médico-social. 18,7 % des ménages creusois vivent sous le seuil de pauvreté.
Lenoir dit vouloir débureaucratiser le pays. Les administrations publiques, l’hébergement médico-social et social et l’action sociale sans hébergement pèsent pour un tiers de l’emploi salarié1. Les services départementaux sont par exemple le premier employeur du département. Une telle politique se traduira donc par une hausse du chômage en Creuse.Le résultat de telles politiques est déjà visible à l'étranger. Son chef de parti, Éric Ciotti, dit vouloir s’inspirer du nouveau président argentin Javier Milei, célèbre pour sa promesse électorale de tailler « à la tronçonneuse » dans les dépenses publiques. Pour quel bilan ? Un an après son élection, la pauvreté en Argentine a bondi de plus de 10 % et l’inflation a continué d’augmenter. Notons qu’Éric Ciotti s’est également réjoui de l’élection de Donald Trump. La hausse des tarifs douaniers qu’a promise Trump frappera en premier lieu l’industrie et l’agriculture françaises, que Lenoir se fait pourtant fort de défendre.
2022 : Bartolomé Lenoir échange avec Eric Zemmour pour Contribuables associés
Pour régler le problème des déserts médicaux, Lenoir est contre toute contrainte à l’installation des soignants. Pas étonnant pour un petit-fils de médecins. Sur le plateau de France 3 lors du débat d’entre deux tours, il proposait comme solution... la natalité. « La natalité d’aujourd’hui, ce sont les médecins de demain. » À supposer que sa politique nataliste porte ses fruits (mais alors il faudra des crèches, coûteuses en dépenses publiques), et que les Creusois aient la patience d’attendre trente ans que les bébés Lenoir soient en âge d’exercer le soin, son plan se heurterait à une réalité sociologique : les études de médecine étant l’apanage des habitants des métropoles et des classes supérieures, sous-représentées dans le département, les Creusois ont moins de chances que d'autres d'atteindre la fac de médecine. À supposer que les rares élus souhaitent revenir exercer au pays par patriotisme départemental, il semble hasardeux de compter sur eux pour soigner la Creuse en 2050.Il y a fort à parier, en revanche, que si la politique anti-immigration qu’il prône était appliquée, de nombreux soignants étrangers repartiraient dans des pays plus accueillants. À titre d’exemple, près de la moitié des 36 dentistes du département seraient de nationalité étrangère. On imagine le désastre.
Selfie avec Marion Maréchal Le Pen au salon de l'élevage de Clermont-Ferrand le 3 octobre 2024 (compte Instagram de Bartolomé Lenoir)
La Creuse est particulièrement exposée aux conséquences du changement climatique. Si l’on suit la pente d’un réchauffement à 4°C, hypothèse optimiste compte tenu du niveau actuel des émissions de CO2, le climat du département ressemblera à celui du littoral de l’Afrique du nord en 21002. L’agriculture creusoise, fondée sur l’élevage, aura périclité depuis longtemps. Même la viticulture y sera impossible. Un politique œuvrant dans l’intérêt de la Creuse aura donc à cœur de tout faire pour que la planète atteigne la neutralité carbone en 2050, seule solution pour contenir le réchauffement en deçà de 2°C selon le GIEC.Or, l’association Contribuables associés dont Lenoir a été directeur nie le consensus scientifique selon lequel les émissions de CO2 d’origine humaine sont à l’origine du réchauffement. « À longueur de pages ou d’émissions, on nous répète qu’il faut « sauver la planète » et pour cela émettre moins de CO2, ce qui réduira le réchauffement climatique et toutes ses conséquences prétendues néfastes (…) Or ce n’est pas vrai: le CO2 est la nourriture des plantes et par là de tout ce qui vit sur Terre (…) la croissance du CO2 est une conséquence, et non une cause, du réchauffement. »3 Pour l’association, l’action climatique n’est qu’un prétexte pour soutirer plus d’argent au contribuable. Il est donc urgent de ne pas agir et de laisser la Creuse se réchauffer jusqu’à y rendre toute agriculture impossible.
Côté culture, il dénonce les subventions aux propositions artistiques non-rentables, dépendant de l’argent public, tandis que l'UDR réclame la fin de l’intermittence du spectacle, autant dire la fin de l'action culturelle en Creuse, qui ne pourra jamais être rentable. Aux oubliettes la Scène nationale d’Aubusson et toutes ces petites associations qui bricolent valeureusement pour animer le territoire, contribuant à son attractivité pour les nouvelles populations comme pour les touristes.Voilà Lenoir plongé dans d’importantes contradictions : militant acharné de la coupe dans les dépenses de l'État, il se proclame maintenant « défenseur de l'école publique »... L'association Contribuables associés tire à boulets bruns sur l'école publique et réclame la mise en place d'un chèque éducation : les parents pourraient demander à recevoir de l'État l'argent que celui-ci budgète pour leur enfant afin de le dépenser librement en l'inscrivant dans le privé. Imaginons un instant l'effet d'une telle mesure sur les écoles de village creusoises qui peinent à boucler leurs effectifs. Ce dispositif conduirait immanquablement à l'effondrement de l'école publique laïque et gratuite pour tous4.
Autre contradiction de taille, Lenoir s'insurgeait en août dans un courrier au président de la SNCF contre la possible fermeture de la ligne Guéret-Felletin en 2025. Dans le même temps, son chef de parti défend la privatisation de la SNCF5. On imagine mal, une fois le rail privatisé, les investisseurs privés se jeter sur ce tronçon aussi peu rentable pour proposer une desserte de qualité ! Les usagers de la ligne Bordeaux-Guéret-Lyon, fermée depuis dix ans maintenant, en savent quelque chose.
Lenoir est finalement mal tombé dans la Creuse. Ce département a besoin à la fois d'un fort niveau d'aides sociales et d'investissements de la part de l'État, ce que Lenoir n'a cessé de décrier au long de sa brève carrière politique. Combien de temps pourra-t-il prétendre réclamer plus de moyens pour la Creuse, tout en votant à Paris avec un parti qui exige la réduction massive des dépenses publiques ? L'illusion Lenoir pourrait vite s'estomper.