Le 14 novembre 2010, le préfet de la Corrèze organisait une réunion de concertation autour de la question du déclassement / reclassement des rivières du département. Il y avait là les APPMA (Associations de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques) et leur fédération, les associations environnementales et leurs fédérations, les représentants des CPIE (Centres permanents d’initiatives pour l’environnement), des administrations préfectorales, notamment la DDT (Direction départementale des territoires) et la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), et les représentants d’EPIDOR (Etablissement public interdépartemental Dordogne) chargé par l’Etat de la mise en œuvre du projet global.
Le déclassement impliquait la mise à plat des anciennes protections “rivière classée“ et “cours d’eau réservé“ qualifiant les parcours aquatiques à haute valeur patrimoniale et biologique et impliquant de fait des procédures de déclaration – voire d’autorisation – préfectorales, avec ou sans enquête publique, pour tous ouvrages et interventions sur le cours d’eau à finalités hydrauliques, piscicoles, agricoles ou touristiques mobilisant la ressource en eau.
Le reclassement, piloté par les DREAL (en l’occurrence Midi-Pyrénées et Limousin), agirait selon deux axes essentiels, en gros : “cours d’eau réserves biologiques“ et “cours d’eau à fort potentiel énergétique“. Cette dernière rubrique faisait apparaître clairement sur la cartographie disponible cinq zones rouges concernant les bassins versants du Chavanon, du Vianon, de la Luzège, du Doustre et de la Vézère, du nord-est au sud-ouest du département.
Associations de protection de la nature et pêcheurs connaissaient bien ces vieux projets de producteurs d’hydroélectricité, d’EDF et autres pétitionnaires au travers de grosses “microcentrales“ et barrages, notamment sur le Chavanon et la Luzège. Apparaissait également le projet de Redenat en Xaintrie qui était porté par EDF et était de loin le plus élaboré (voir encadré page 5).
Etaient bien évidemment présents dans la salle les représentants d’EDF, de SHEM (GDF-Suez) et de Direct’Energie, donc un partenaire désormais semi-public (plus pour longtemps) et deux partenaires privés dont l’un adossé à une grande banque. Pour la petite histoire, concernant le formidable et très convoité escalier des grands barrages de la Dordogne, GDF-Suez a déjà dans son escarcelle le barrage de Marège qui était à vendre.
Nous sommes entrés dans la phase de renouvellement des concessions hydroélectriques qui doit s’achever en 2015 et l’Etat a décidé d’ouvrir cette opération à la concurrence. Ces informations complémentaires pour donner une plus juste idée de l’ambiance de cette concertation...
Parvenu à un certain stade des débats pour lesquels pêcheurs et associations environnementales demandaient plus de transparence, le préfet s’enquiert auprès d’EDF et de SHEM de la nature des projets hydroélectriques en Corrèze. Il lui est répondu que ces projets sont encore confidentiels et peuvent être consultés auprès de la DREAL Midi-Pyrénées ! Colère (contenue) du préfet. Demande réitérée plus fermement. Nouveau refus de communiquer des initiés !
Nous comprenons dès lors tous très bien que dans le cadre d’une concurrence féroce qui est tout sauf “libre et non faussée“, puisqu’il y a un énorme gâteau à se partager, la concertation vraie, dans la transparence avec la société civile n’aura jamais lieu, quoi qu’en pense le préfet lui-même.
Les associations de protection de la nature et les pêcheurs font valoir que tous les projets extrapolés, plus Redenat, ne représenteront jamais qu’une production dérisoire par rapport aux 20% d’énergies propres supplémentaires actés par le Grenelle de l’environnement, avec par contre à la clé des impacts environnementaux considérables et irréversibles au plan de la continuité écologique.
Les associations de protection de la nature représentées par Corrèze-Environnement qui récuse les supercheries du Grenelle de Borloo, rappellent qu’elles ont participé en 1992 à la rédaction de la charte Vallée de la Dordogne au sommet de Bergerac impulsé par EPIDOR aux côtés de 17 signataires dont l’Etat, EDF, les agriculteurs, les pêcheurs professionnels et de loisirs, les quatre régions et six départements concernés par le bassin de la Dordogne (Puy-de-Dôme, Cantal, Corrèze, Dordogne, Charente et Gironde). Cette charte de protection et de valorisation patrimoniale de la rivière Dordogne et de ses affluents, forte de 372 articles consensuels qui ont étayé largement la dernière mouture du SDAGE Adour-Garonne (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) et permis de mettre en œuvre des SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) et des Contrats de rivières.
Les associations de protection de la nature rappellent également qu’elles ont contribué, dès 1994, à la demande de France Nature Environnement, à la rédaction du SDAGE Adour-Garonne sous l’égide du ministère de l’Ecologie. Elles s’associent aux constats navrants énoncés par la fédération des pêcheurs et font savoir qu’elles condamnent ce passage en force de type néocolonial qui aboutira à la mise en coupe réglée d’un patrimoine aquatique et périaquatique à préserver. Qu’elles se battront dossier par dossier, projet après projet dans les commissions préfectorales, sur le terrain en amont et lors des enquêtes publiques et feront appel au Tribunal administratif et Conseil d’Etat aussi souvent que nécessaire en référence au Code de l’environnement et aux lois, directives et règlements en vigueur.
Elles rappellent solennellement leur attachement à un grand service public des énergies tant les ressources en ce domaine sont précieuses, service qui seul pourrait garantir l’intérêt général et ne sacrifier que la portion congrue du patrimoine commun en cas de nécessité absolue, dans la concertation, la transparence et le respect des engagements pris devant la société civile soigneusement informée.
Nous connaissons parfaitement l’intérêt historique des réseaux de chemins ruraux, du réseau routier, des réseaux maritime et ferroviaire. Nous sommes parfaitement aptes à nous intéresser aux dossiers des grands travaux d’intérêt socio-économique général avéré. Nous sommes sans doute plus sceptiques pour ce qui concerne les Lignes ferroviaires à grande vitesse et les autoroutes, surtout quand l’Etat, en banqueroute, s’en remet au tout privé parce que sa dette exorbitante l’a placé tout entier entre les mains des capitaines d’industrie, des grands groupes financiers et leurs prêteurs internationaux spéculateurs. Nous connaissons bien les ravages dans nos vallées dus à la mode des microcentrales des années 1960 à 1990, avec aujourd’hui des dizaines d’ouvrages abandonnés qui ont fait la fortune de quelques poignées d’actionnaires auxquels le contribuable lambda payait la différence substantielle du prix du KW qu’EDF avait obligation de lui racheter.
Dans ce contexte de déliquescence des institutions républicaines et notamment du service public mis sauvagement en concurrence avec les groupes ultralibéraux d’un appétit sans précédent, sans foi ni loi, nous attendons de la décentralisation, (commencée depuis 30 ans !), que les régions puissent au moins assurer la sauvegarde du patrimoine commun, comme elles le font déjà si bien avec les Conservatoires régionaux des espaces naturels, et notamment les rivières et leur biodiversité.
Le Chavanon, la Luzège sont les dernières grandes rivières “sauvages“ du Massif Central. La faune et la flore y sont d’une richesse sans pareil. Les museler et les saccager pour faire quelques milliers de KW alors même que la région Limousin est en ce domaine autosuffisante, parce qu’elle a déjà beaucoup donné, est un alibi à peine coloré en vert par Borloo. Il s’agit bel et bien de faire du fric.