Les rédacteurs du bulletin municipal se félicitent de l’importance de l’événement. Ils reproduisent à la virgule près la prose alléchante des promoteurs. On y vante l’incroyable supériorité du nouveau combustible, tous les bienfaits environnementaux dont il est porteur. Ses qualités énergétiques sont proches de celles du charbon, mais il n’en a plus les défauts.
L’usine de Bugeat-Viam sera construite sur un terrain de 27 hectares, constitué par l’actuelle gare-bois et la zone industrielle voisine. Toutes deux ont été aménagées après la tempête de 1999, il y a presque 20 ans, par le Syma A89 (Syndicat mixte d’aménagement en haute Corrèze). Un établissement public qui se consacre à des infrastructures destinées à la “filière bois“.
L’inauguration vit se déplacer l’ordinaire des sommités locales et même le directeur général de la SNCF. Mais l’investissement fut loin de connaître le succès escompté. Il constitue même une sorte de cas d’école en matière de gestion désastreuse des deniers publics. Personne, en effet, n’a réussi jusqu’à ce jour à voir un train et son chargement quitter cette “gare-bois“. Et la zone “industrielle“ attenante, à l’abandon, ne connut qu’un usage calamiteux.
Que ce champ de ruines puisse aujourd’hui intéresser un repreneur, devenir le théâtre d’une vraie activité industrielle, créer des emplois, voilà qui passera facilement pour un miracle aux yeux des élus et responsables du coin. Pourquoi y regarderaient-ils de plus près ?
La nouvelle fut rapportée dans le Populaire du 27 février 2017. “Des investissements à hauteur de 20 M€ et une quinzaine d’emplois en haute Corrèze“, titre un article dans la rubrique “économie“. Les promoteurs du projet annoncent de leur côté vingt emplois sur place, et quarante de plus pour l’activité forestière locale et l’acheminement de la matière première.
Pour les entreprises impliquées, le montage fait sérieux. Une officine privée d’aménagement du territoire, la SOMIVAL, agit en commanditaire direct, avec l’aide opérationnelle de deux de ses filiales. Elle affiche les partenariats suivants : Eiffage (3e groupe français du BTP), Dynalim (un fonds d’investissement régional qui se consacre aux PME), les Charbonnages de France, et même le CEA qui, paraît-il, produit du “pellet torréfié“ au titre de ses recherches sur les énergies alternatives.
La matière première du pellet “nouvelle génération“, ce sont les “rémanents“. A elle seule, la consonance très “technique“ du vocable dit tout le dédain que ce genre d’entreprise peut nourrir envers la ressource qu’elle convoite, et le milieu dont elle l’extrait. Pour éclairer le profane, les “rémanents“, ce sont les rebuts d’abattage (branches, souches et autres résidus de coupes rases) qui pour la plupart restaient sur le terrain et finissaient en andains.
Depuis quelques années, il est vrai - depuis que même les végétaux les plus dédaignés ont été élevés au rang de “biomasse“ - une partie se voyait déjà prélevée et transformée en “plaquettes“ pour alimenter des chauffages collectifs dans la région. L’essentiel du rebut, cependant, exempt de valeur négociable, pourrissait lentement sur place, avec le seul mérite de ralentir, encore que très médiocrement, la stérilisation du sol due aux prélèvements intensifs sur la forêt.
Fortement encouragé par un marché de l’énergie officiellement sommé de réduire ses émissions de gaz carbonique, le déchet méprisé se métamorphose en ressource économique, par la magie de techniques nouvelles. Il devient valorisable à grande échelle pour d’audacieux investisseurs, toujours en quête de placements fructueux. À l’exemple des feuillus limousins qui, dans la dernière décennie, se sont vus livrés massivement à l’abattage au nom des énergies propres*, le rémanent apparaît comme une aubaine de plus pour les propriétaires de parcelles qui ne voudront sûrement pas bouder un complément de revenu, fût-il modeste. Mettre à profit les “rémanents“, quoi de plus logique ? On ne va tout de même pas jeter les restes quand on peut les accommoder. Malheureusement, toute cette histoire de “rémanents“ n’est que propagande : ce sont les arbres eux-mêmes qui finiront en poudre, tout comme ils sont déjà réduits en granulés. La “transition écologique“ est à ce prix - on déforeste déjà par dizaines de milliers d’hectares en Amérique du Nord pour fournir les pellets “renouvelables“ qu’engloutissent désormais les centrales à charbon européennes.
Aux propriétés énergétiques en tous points excellentes, le “pellet torréfié“ se présente donc comme un très bon substitut du charbon, mais en beaucoup plus “écologique“. Il s’agit d’un pellet classique de consommation désormais courante, dont la fabrication passe par une phase finale de torréfaction à l’abri des flammes et de l’air. À l’exemple du charbon de bois de nos barbecues ou du fameux gazogène de la Traction Citroën durant l’occupation.
L’usine de Bugeat-Viam vise à produire chaque année 45 000 tonnes de pellets torréfiés dès son entrée en fonctionnement, prévue en 2019. Cela suppose un volume de matières premières de 100 000 tonnes de “rémanents“, dont l’approvisionnement générera un trafic de 40 camions par jour. Se glissant au milieu des autres grumiers, ils arpenteront la Montagne limousine dans un rayon de 80 km.
Les débouchés pour de telles quantités seraient dès aujourd’hui acquis : cinq centrales à charbon d’EDF encore en fonctionnement et des installations de chauffage urbain en région parisienne. C’est assez dire tout le bénéfice local que d’aucuns pourraient avoir la faiblesse d’en attendre. Ainsi donc, c’est un ogre industriel qui vient s’installer au coeur du massif forestier du Plateau en vue de l’avaler tout entier et - c’est déjà prévu - aller se poser, après démontage et remontage, au milieu d’une autre forêt à dévorer, quelque part en Belgique, en Roumanie ou en Pologne.
Les habitants que le sort désigne pour devenir les riverains du lieu de production ont quelques bonnes raisons d’être inquiets. Les nuisances aux abords de l’usine, bien entendu présentées comme parfaitement indolores, pourraient s’avérer malgré tout désagréables : bruit, écoulements toxiques, fumées nauséabondes et poussières disséminées alentour au gré des vents. Chacun peut les comprendre, nous n’insisterons pas sur ce point.
Nous ajouterons cependant que s’ils étaient la contrepartie d’installations vraiment utiles, il n’est pas non plus complètement impensable de devoir en accepter quelques désagréments en retour. Des installations, par exemple, par lesquelles les habitants parviendraient à réduire leurs dépendances au système, gagner en liberté et en maîtrise de leurs conditions de vie. Mais le projet de Bugeat-Viam n’est évidemment pas cela.
Il est un stéréotype grossier de toutes les arnaques du “green business“, le capitalisme des prédateurs habillés de vert, menées au nom des enjeux écologiques (fermes d’éoliennes géantes, centrales photovoltaïques gigantesques, déploiements massifs d’automobiles électriques, mégapoles invivables mais faites de bâtiments à “haute qualité environnementale“, etc., qui invariablement accentuent encore le contrôle et la mise en dépendance des populations, au nom d’une soi-disant “transition énergétique“, devenue idéologie d’Etat).
Lorsque l’on veut vraiment venir à bout d’un problème, n’importe qui peut comprendre qu’il est aberrant d’en confier la solution aux gens et aux instances qui l’ont engendré. S’agissant des périls écologiques qui dégradent la planète, c’est pourtant la situation pathétique dans laquelle les populations se voient piégées. Jamais, depuis les années 1970, un mouvement politique n’eut à sa disposition d’arguments plus sérieux que ce pauvre mouvement écologiste ; aucun autre sujet ne rencontra autant de sympathie dans la population, et jamais un mouvement ne connut un aboutissement plus dérisoire et plus pervers. Chacun se souvient de ce ridicule “Grenelle environnement“ de 2007, dont les comparses, écologistes en tête, s’accordèrent d’avance pour ne pas avoir à traiter du nucléaire.
L’hypocrite comptabilité des émissions de carbone, que certains se représentent comme un pas méritoire vers le salut, mais qui dans la réalité sert à abriter toutes les tricheries, n’a d’autre fonction que d’empêcher un questionnement plus sérieux sur la structure et le fonctionnement de ce monde. Une molécule de chimie ne peut en aucun cas passer pour la principale menace ici-bas. Il faudra continuer de chercher ailleurs…
Pour le CO2, notre fabricant de charbon artificiel se targue de l’excellence de son comportement lorsqu’il brûle. C’est peut-être vrai. C’est une qualité couramment mise en avant pour les combustibles issus du bois, et pour le bois lui-même, lorsqu’il n’était encore que bûches. Ce fut le cas du moins jusqu’à l’hiver dernier, quand la petite flambée du soir dans les cheminées des Parisiens fut à son tour rendue responsable de tous les maux de la capitale.
C’est un principe élémentaire de la propagande : la vérité n’y sert qu’à faire avaler le mensonge. Quand un fabricant de pellets veut tirer avantage de ce que sa marchandise rejette moins de carbone que les autres, alors qu’il s’apprête à faire raser la forêt jusqu’à la dernière brindille, c’est pour éviter d’avoir à produire le bilan intégral du cycle de production, de l’abattage au produit final, en passant par les phases de transport, de transformation, de manutention, etc.
Au même instant, une directive ministérielle évidemment pondue au titre du climat, intitulée “Programme national de la forêt et du bois“ vise à commercialiser 12 millions de mètres cubes de bois supplémentaires par an d’ici à 2026. Un tiers de plus que les 37 millions de mètres cubes annuels récoltés aujourd’hui.
S’il est une issue qui est prévisible, c’est ce que pèseront dans le bilan climatique les forêts, piégeuses de carbone et prodigues en oxygène, quand la cupidité aveugle des propriétaires et l’appétit des investisseurs auront fini de les consumer.
* L’association “Nature sur un Plateau“, ainsi qu’une brochure, anonyme, intitulée “Rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenirs possibles“, dénoncèrent chacune de leur côté, dès 2013 l’hécatombe programmée des bois de feuillus, sacrifiés sur l’autel du bois-énergie.