Terres Communes à défendre
Rappelons la dernière séquence de la lutte à la zad : en début d'année, annonce de l'abandon du projet d'aéroport accompagnée de déclarations gouvernementales sur un prochain “retour à l'État de droit“ dans la zone occupée ; affirmation réitérée, de la part des occupants et de nombreux soutiens, de leur détermination à rester sur place après l'abandon du projet afin que puisse perdurer la dynamique collective initiée dans le cours de l'opposition ; mise en place de négociations par l'État et la Préfecture contraints de prendre acte de la poursuite des occupations ; nombreuses manifestations de solidarité malgré la défection d'une partie des “historiques“ ; conflits au sein du mouvement d'occupation, destruction par les autorités d'une partie des lieux de vie et poursuite des stratégies de division ; poursuite des mobilisations de soutien, reconstructions, départs, signature de conventions d'occupation précaires qui couvrent la quasi totalité des terres du mouvement ; poursuite des activités sur la zone et maintien sur place d'un nombre presque constant de défenseurs de la “zone à défendre“, inscrits ou non dans le processus des conventions.
La période actuelle est donc cruciale, et le rassemblement de fin septembre en sera une étape essentielle. La zad de NDDL n'est plus aujourd'hui une “zone d'aménagement différé“ : l'aménagement y a repris, et dans les formes les plus brutales. Le gouvernement a fait détruire des lieux d'habitation, dont certains avec l'ensemble de leurs infrastructures (agricoles par exemple, comme à la ferme des 100 Noms), pour la seule raison que le mouvement voulait affirmer la force du collectif contre l'injonction à l'individualisation. Les conventions d'occupation précaires qui ont été acceptées l'ont été sur des bases individuelles, malgré la grande habileté des occupants à les entremêler. Pis : ces conventions seront à renégocier ou à confirmer dès la fin de cette année. En outre, au mois d'octobre, le COPIL (“comité de pilotage“ institutionnel comprenant notamment la Préfecture, la chambre d'agriculture et les syndicats agricoles) va décider du destin des terres de la zad, avec le risque qu'elles soient désormais confiées à des personnes ou structures n'ayant nullement participé à les préserver contre le projet d'aéroport. En prenant leur temps, avec assurance, le gouvernement et la préfecture cherchent à faire rentrer dans le rang une zone certes fragilisée, mais toujours bien vivante. Une zone qui a été et demeure un lieu majeur d'affirmation et d'inspiration pour des formes politiques déterminées à tenir ensemble la vie et la lutte, qui prennent à bras-le-corps les questions des communs, de l'auto-organisation sans délégation, du lien entre des habitants et leur territoire vivant, mais qui ont aussi su se jeter dans les luttes et multiplier les rencontres et complicités avec ceux qui partout, aussi, se battent.
Ces éléments font aussi partie de ce que nous voulons affirmer avec la fête de la Montagne. Si l'entreprise de réaménagement que subit la zad était imposée aujourd'hui dans nos contrées, elles risqueraient bien d'en sortir amochées, voire expurgées de ce qui en fait un “territoire rebelle“. Un certain nombre d'autorités s'échinent à faire de la zad une zone agricole conventionnelle et productiviste, mettant à mal tous types d'expérimentations (sur les plans agricole, de l'habitat, de la forêt), et voulant écarter les projets artisanaux ou culturels, et surtout non-lucratifs... Imaginez un tel tour de vis sur le Plateau, avec ses exigences de rentabilité, son lot de déclarations et de formulaires à tout-va et à tous endroits, un nom exigé derrière chaque “collectif“, une scrutation paranoïaque et opportuniste des autorités sur la soumission aux règles les plus absurdes et pointilleuses (en matière d'urbanisme, de production et consommation de produits fermiers ou artisanaux, d'événements ouverts au public), un autoritarisme revendiqué sur ce que doit devenir le territoire ! La résistance sur la zad nous a maintes fois inspirés dans nos rebellions : il ne s'agirait pas de s'en détourner à l'heure où elle est appelée à se réinventer sur de nouvelles bases avec tous ceux qui ont cru sincèrement à un devenir post-aéroport. D’autant que ce qui lui arrive pourrait aussi nous tomber dessus à brève échéance, voire même, commence déjà à poindre dans certains discours colonialistes de la nouvelle préfecture de la Creuse ou dans les prises de positions vindicatives de certains élus corréziens hostiles à toute contestation.
Il y a malheureusement trop de Cassandre qui n'ont pas perçu que la zad n'était pas “finie“, mais toujours “sur la brèche“, “en devenir“, et que ce devenir dépendait largement des appuis et des gestes qui l'aideraient à ne pas se faire digérer peu à peu par la machine capitaliste-démocratique, à ne pas se sentir seule face à elle. De même que le Plateau demeure lui aussi toujours sur la brèche, en devenir, contrairement à ce qu'ont pu affirmer d'autres Cassandre qui ont voulu y dénoncer un “marketing territorial“ sans conséquences. La période récente de mobilisations sur le Plateau, tant pour l'accueil sans conditions des exilés, que contre le pillage du territoire et de ses ressources, aura assez démontré que nous savons garder ou retrouver le cap. Elle démontre s'il en était besoin que c'est notamment une affaire de persévérance et de manières de se tenir ensemble face à l'adversité. De même que l'organisation sur la zad de “rencontres intergalactiques“ en cette fin août, où ont convergé plusieurs centaines de personnes, tout comme la poursuite de la quasi-totalité des activités collectives mises en place sur la zone, montrent qu'elle n'est pas du tout prête à abandonner ce qui en a fait le terreau d'une lutte victorieuse.
Les 29 et 30 septembre 2018, que ce soit à la fête de la Montagne ou au rassemblement pour des Terres Communes, les habitants de deux bouts de pays éloignés de 500 km revendiqueront donc (au sens d'affirmer, au sens où l'on “revendique“ quelque chose qui existe déjà et qu'on refuse de céder), en même temps et chacun à leur manière, leur légitimité à décider de leurs façons de vivre ensemble, de prendre soin de leurs espaces de vie, de persévérer dans leurs combats, contre l'autoritarisme des aménageurs et des politiques. Cette concordance pourrait devenir encore plus visible en mettant en place les conditions d'une réelle présence de la zad lors de la fête de la montagne, et du plateau lors du rassemblement à la zad : rédaction et échange de messages de soutien, retransmission d'émissions de radio en direct ou en différé, récit d'aventures communes entre la zad et le plateau, mise à disposition de cartes et documentation... Ne serait-ce qu'au regard des dix dernières années, entre l'opposition à certains grands projets néfastes (aéroport ou usine à charbon), le foisonnement de structures d'autoproduction et de lieux collectifs, la recherche de bases collectives d'organisation (textes en 6 points et processus d'assemblées à la zad, plateforme en six points et assemblées sur le Plateau), l'accueil et le soutien concret envers les exilés et naufragés du monde entier, les occasions d'initier ou de poursuivre des échanges avec ce qui se trame dans le bocage nantais ne devraient pas manquer.
Les gouvernements se durcissent, le monde se referme, et il est sans doute plus que temps de resserrer les liens entre les territoires en bataille – pour autant que le nôtre, et d'autres encore, arrivent vraiment à éclore et à persister dans leurs combats. Cet article se veut une première contribution en ce sens, et un appel à ce que celles-ci se multiplient.
Des membres de l'amicale PZP