Une modification profonde de l’organisation territoriale et politique des collectivités territoriales.
Pour être comprise, la réforme des collectivités territoriales doit être replacée dans son contexte, c’est-à-dire dans un contexte de rigueur.
Rigueur financière tout d’abord puisque l’Etat n’a de cesse d’imposer aux collectivités la cure d’austérité qu’il s’est lui-même infligé à travers la fameuse RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques). Autant dire qu’il attend de ces dernières de ”réduire leur train de vie” en réduisant leurs dépenses de fonctionnement, en limitant le nombre de fonctionnaires et en se restructurant.
Rigueur, ou plutôt rationalisation ensuite, puisque l’Etat se fait ici le porte-voix des critiques du modèle institutionnel local français, qui serait illisible à nos concitoyens au motif d’un empilement excessif de niveaux, des 36 793 communes à la région, en passant par les intercommunalités et les départements.
Mais en quoi consiste cette simplification et cette cure d’amaigrissement ?
Si l’existence de la région et du département ne sont pas remises en cause, la loi portant sur la réforme des collectivités territoriales n’en définit pas moins un nouveau type d’élu : le conseiller territorial, qui siègera dans les deux assemblées. Exit les conseillers généraux et les conseillers régionaux à partir de 2014.
Elus pour six ans au scrutin uninominal à deux tours dans le cadre de nouveaux cantons restant à définir, ces élus seront moins nombreux que leurs prédécesseurs : 3 496 contre 4 182 conseillers généraux et 1 880 conseillers régionaux actuellement.
Le but du gouvernement est de ”faire fonctionner [chaque niveau] sur le mode de la complémentarité et non sur celui de la concurrence”.
Reste que cette évolution fait l’objet de vives critiques.
La principale d’entre elles porte sur l’atteinte à la parité qu’entraîne le choix du scrutin uninominal : alors que les conseils régionaux, élus au scrutin de liste avec alternance homme-femme, comptent aujourd’hui 48 % de femmes, les conseils généraux, élus au scrutin uninominal, n’en comportent que 12,3 %. Un recul majeur à venir ...
Marqué par la volonté d’éviter les triangulaires, ce choix a du mal à masquer la volonté de renforcer la bipolarisation de la vie politique autour de l’UMP et du PS.
Plus fondamentalement, cette nouvelle configuration rompt avec l’équilibre qui prévalait jusqu’alors en matière d’aménagement, avec un bloc Europe-Etat-Région tourné vers la stratégie, les solidarités entre territoires et un bloc départements-intercommunalités-communes tourné vers la gestion des solidarités de proximité. Le couple ”Département-Région” ressemble ici au mariage de la carpe et du lapin...
Et que dire de l’institutionnalisation du cumul des mandats qui s’opère à cette occasion, à rebours de toutes les attentes pour revivifier la démocratie locale ? Elu quasi professionnel, pluri-compétent, le conseiller territorial aura demain un poids probablement accru dans la vie politique locale, tout en s’éloignant du citoyen, en particulier en milieu rural, compte tenu du redécoupage des cantons. Un retour en force du notable ?
Qu’en est-il en Limousin ? Comme ailleurs, on assiste à une réduction apparente du nombre de représentants puisque ce sont 91 conseillers territoriaux qui siègeront demain dans les deux assemblées : 43 élus en Haute Vienne, 29 en Corrèze et 19 en Creuse en remplacement de 148 élus actuellement : 42 conseillers régionaux (20 élus en Haute Vienne, 15 en Corrèze et 7 en Creuse) et 106 conseillers généraux (42 en Haute Vienne, 37 en Corrèze et 27 en Creuse). Difficile de masquer le retrait des territoires ruraux dans cette nouvelle architecture...
Les communes, départements et régions bénéficiaient jusqu’à présent d’une ”clause de compétence générale” et pouvaient s’emparer de l’ensemble des sujets qui les préoccupaient, dans le respect du principe de libre administration des collectivités locales.
Une situation que d’aucuns considèrent préjudiciable à une bonne lisibilité du rôle respectif de chacun des niveaux, appelant à une clarification autour de ”blocs de compétence” spécifiquement attribués. Le législateur les a entendus puisqu’à compter du 1er janvier 2015, les départements et régions n’exerceront plus que des ”compétences d’attribution exclusives” restant à définir. Le texte législatif précise de surcroît que ces collectivités pourront se saisir de tout domaine pour lequel le législateur n’a pas statué, et retient la possibilité d’une délégation de compétence d’une collectivité à l’autre.
Cette volonté de clarification, jugée illusoire et inopérante par de nombreux élus, a toutefois dû subir quelques coups de canif devant la grogne des parlementaires et la pression du monde associatif, sportif et culturel, inquiet de la forte baisse attendue des financements induite par cette spécialisation. Des ”compétences d’attribution partagées” entre les catégories de collectivités territoriales ont donc été définies, couvrant le sport, la culture et le tourisme.
C’est, ”accessoirement”, faire peu de cas d’autres domaines essentiels à la vie locale, dont les compétences sont aujourd’hui partagées : le logement, les politiques liées à l’environnement et au développement durable, l’aménagement du territoire ... C’est surtout limiter la capacité d’initiative et d’imagination des collectivités, c’est-à-dire leur liberté d’ajuster leurs réponses en fonction des besoins identifiés de la population.
Concomitamment à cette volonté de clarifier le rôle respectif des différentes collectivités, le législateur a souhaité limiter les ”financements croisés” et ”responsabiliser” les maîtres d’ouvrage.
Dès le 1er janvier 2012, ces derniers devront donc obligatoirement financer au moins 20 % du montant total des opérations qu’ils initient. Et dès le 1er janvier 2015, le texte législatif prévoit l’élaboration entre les département et la région d’un schéma permettant de ”définir la répartition optimale des compétences entre la région et le département et [d’en] tirer les conséquences en terme de réorganisation des interventions financières”. A défaut de son adoption, tout cumul de subvention régionale et départementale sera interdit, sauf dans les domaines du sport, du tourisme et de la culture.
Un choix qui ne laisse pas d’inquiéter nombre d’associations, fortement dépendantes de partenariats financiers noués avec les départements et les régions.
S’appuyant sur une critique récurrente du ”mille-feuilles” institutionnel français, supposé illisible, la réforme des collectivités vise clairement la restructuration des communes et des intercommunalités, voire des autres niveaux de collectivités.
En conséquence, la loi prévoit la fusion des petites communes, ainsi que celle des départements et des régions.
Surtout, elle établit un calendrier détaillé pour achever et rationnaliser la carte intercommunale. Le chantier s’amorce début 2011 avec la réunion d’une Commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI), lieu de dialogue entre les élus et le Préfet. Cette commission doit adopter avant fin 2011 un Schéma départemental de la coopération intercommunale élaboré par le Préfet en concertation avec les élus locaux, qui vise une couverture totale de chaque département par des intercommunalités et surtout une simplification par fusion de petites intercommunalités.
En Limousin, où subsiste un certain nombre de ”petites” intercommunalités, les débats risquent d’être houleux ... pour peu que les élus concernés se saisissent de la question et élaborent leur propre vision prospective du territoire.
Renforcement également de l’intercommunalité dans les grandes zones urbaines du pays avec la création des ”métropoles”, nouveaux établissement publics de coopération intercommunale dédiés aux agglomérations de plus de 500 000 habitants. Héritant potentiellement de compétences aujourd’hui détenues par les départements (transports scolaires, gestion des routes, collèges, action sociale, tourisme ...) ou les régions (lycées, dévelopement économique), ces métropoles contribueront demain à réduire à peu de chose le rôle des départements concernés, les cantonnant à intervenir dans quelques espaces ruraux résiduels.
Une nouvelle manière de gommer l’institution départementale sans le dire ? Une façon de concentrer richesses et moyens sur les zones déjà les plus favorisées ? C’est en tous cas ce que de nombreux élus laissent entendre.
A tout le moins, comme pour l’intercommunalité, c’est une vision de l’aménagement largement urbano-centrée et peu soucieuse d’un développement égalitaire des territoires qui s’affirme.
En témoigne le silence de la loi sur l’organisation de vastes territoires ruraux, arrimés pour certains à des villes moyennes ou des bourgs structurants. Il est vrai que les ”pays” et leurs ”conseils de développement”, espaces de réflexion, de concertation et de démocratie locale, sont passés à la trappe, la loi ayant supprimé leur reconnaissance légale.