Départ à Orly : huit valises de décors, costumes et effets personnels. Vérification de dernière minute. Les visages sont gais. L’excitation monte. Décollage réussi, les voix algériennes se font déjà entendre autour de nous. Depuis le hublot de droite, à jardin, Claude nous montre sa côte méditerranéenne.
Atterrissage : un car rustique vient nous chercher au bout de la piste et nous amène aux bureaux de l’aéroport : un petit hall tristounet - néons ; longue file d’attente. Nos visas sont examinés à la loupe par des uniformes bleus anthracites portés par des femmes au regard soupçonneux. Nous ne sommes qu’à moitié rassurés jusqu’à ce que nous apercevions notre hôte, le directeur du Centre culturel d’Annaba, Patrick Garaud. Ouf ! Ca y est on avance… STOP ! Nous sommes assaillis par un groupe d’uniformes : l’une de nos valises est suspecte, un petit matériel d’éclairage a semé le doute. Enfin, nous sommes libres et gagnons les deux voitures qui nous attendent.
Traversée de la ville. Premières impressions contrastées. Grande ville : nombreux taxis, flux nerveux de voitures, piétons sur le bord des routes, moutons broutant ça et là, enfants à vélo, palmiers, affiches gigantesques de l’équipe de football algérienne posant avec le chef du gouvernement. Nous arrivons au Centre Culturel Français. La façade principale est maculée d’affiches du spectacle que nous allons jouer : “Les Chiens ne font pas des chats“ - pas de doute, nous sommes attendus. Présentations chaleureuses. Découverte d’une partie de l’équipe de Patrick et du lieu de travail. Direction le Consulat où nous découvrons nos logements dans un très bel ensemble rectangulaire avec patio. Première soirée : nous rencontrons autour d’un buffet somptueux une partie des élèves à qui nous allons dispenser plusieurs formations ; il y aura du théâtre bien entendu, de la lecture à voix haute, du chant et de la technique d’éclairage. Les étudiants amateurs de théâtre sont impatients de commencer ; le décor est chaleureux, dans un café-restaurant à vocation culturelle, un lieu nouveau, dirigé par un couple passionné des arts.
Nous rentrons au logis ; il fait nuit ; nous longeons le cimetière français parsemé de tombes monumentales. Guérite avec policiers veilleurs de nuit à l’entrée, nous appuyons sur la sonnette toute proche ; une porte métallique s’ouvre, et se referme derrière nous : nous sommes dans le sas d’entrée. Deux policiers derrière une vitre nous examinent, nous demandent de décliner nos noms, cherchent sur leur registre. Je chasse mon début de poussée d’adrénaline qui se met en route sans contrôle dans les espaces clos ; je souris avec les autres, en espérant que la deuxième grille s’ouvre...: Je perçois une légère tension chez mes camarades. C’est bon, tout est noté, l’heure de notre retour et nos noms. Nous pénétrons dans le patio gigantesque ; là le ciel étoilé surgit ; nous pouvons aller dormir tranquille, nous sommes bien gardés.
Lever 8 heures – après une longue somnolence depuis le premier réveil par l’appel à la prière – toute l’équipe se retrouve pour partir installer les décors, les costumes et répéter. Le soleil brille ; nous longeons des bureaux devant lesquels une longue queue s’allonge ; il s’agit de la délivrance des visas. Nous traversons un quartier de petites maisons coquettes avec jardins fleuris et poules picorant. Un chemin que nous ferons quotidiennement, aller et retour. Enfin, nous arrivons au Centre ; nous faisons connaissance avec Moncef, gardien du sas d’entrée qui nous souhaite la bienvenue. Pierre grimpe dans la salle : il a hâte de commencer l’implantation technique du spectacle. C’est Hacène qui lui donne les instructions. Pendant ce temps nous allons saluer Djamel avec qui nous parlons planning et spectacle. Nous visitons l’ensemble du Centre : accueil, espace bibliothèque, espace formation, salle de spectacle, chacun est à son poste et le lieu est une ruche dans laquelle entrent et sortent de nombreux jeunes étudiants. L’équipe se glisse dans l’obscurité de la salle, n’osant trop interrompre le cours de notre travail. Le piano est magnifique, la scène étroite mais les sièges sont confortables ; nous songeons au public. Nous interrogeons sur notre texte : Bourgeyx va-t-il passer ?... Inch’allah. Représentation : le public est attentif ; il découvre notre style avec intérêt ; il sourit, et finit par rire… tout va bien. Nous saluons, soulagés.
Manger local, mais où ? Dans la rue nous demandons une adresse ; ils sont trois, quatre à nous indiquer où aller ; Karim interrompt son travail pour nous accompagner. Nous marchons deux kilomètres dans la ville ; et arrivons devant le restaurant : complet. Notre guide nous offre un café dans le bar en face… c’est normal.
La formation commence demain, nous nous préparons à transmettre nos rudiments. Qui seront-ils ? Qu’attendent-ils de nous ? Enfin les voilà : Soufiane, Faten, Mohamed, Awatef, Mouda, Basma, Redouane, Nadir, Karim, Ahmed, Lola, Rym, Nizar, Abdel, Amina… Ils sont beaux, ils ont envie, de théâtre et ne le savent pas toujours.
Midi, nous faisons la pause, manger vite fait, à côté… ils sont là, nous suivent, ne nous quittent pas. Ils sont heureux ; nous parlent de leur vie, de leur pays, de leurs études, de leurs familles, de leurs rêves.
Cinq jours ensemble, un spectacle à monter au bout ; on travaille ; ça commence à 9 heures le matin et ça finit à 19 heures le soir. L’échange est intense ; il faut servir chaque stagiaire, être équitable, compréhensif et exigeant ; nous donnons tout. Gilles fait chanter et accompagne au piano, Claude et Sylvie dirigent et mettent en scène, Pierre élabore des plans d’éclairage, rencontre des musiciens… Patrick et Djamel nous suivent. Le deuxième spectacle a lieu puis le troisième… Il faut rentrer. Retour en France, les messages arrivent dans nos boites aux lettres… Envie de poursuivre.
Sylvie Peyronnet