Et si c’était un des facteurs favorisant le cancer du sein et de la prostate ? L’hypothèse est lancée, elle n’est pas prouvée. Mais elle n’est pas non plus sans fondement.
Elle est en tout cas argumentée par le Pr George Brainard qui, dans le domaine, avait déjà à son actif quelques découvertes des divers rôles de la lumière. Ce neurobiologiste de l’Université Thomas Jefferson de Philadelphie a en effet élucidé quelques mécanismes de la lumière qui n’ont rien à voir avec la vision. Il s’agit principalement de ceux qui font que notre cerveau “sait“ que nous sommes le jour et non la nuit et que divers mécanismes hormonaux sont enclenchés à un moment précis du cycle jour/nuit et pas à un autre.
En fait, sous l’effet de la lumière artificielle, l’épiphyse (petite glande située dans le cerveau) diminue nettement la production de mélatonine dont les bienfaits seraient multiples : anti-vieillissement, freine le développement des tumeurs, stabilise la tension, maintient la libido...
Selon des chercheurs de l’Université de Toronto (Canada), notre exposition quotidienne à la lumière électrique a considérablement augmenté pour atteindre jusqu’à 7 heures par jour en moyenne, cette exposition prolongée non naturelle constituerait une ”pollution par la lumière artificielle”.
Une récente étude du Centre interdisciplinaire de recherche chronobiologique de l’Université de Haïfa, ville côtière d’Israël, a ainsi établi un lien entre une exposition à la lumière la nuit et un risque accru de cancer. L’étude expérimentale a porté sur quatre groupes de souris, ayant reçu des injections de cellules cancéreuses. Simulant une exposition à la lumière artificielle supérieure au nombre d’heures de lumière naturelle de la journée, l’un de ces groupes a été exposé à des journées de 16 heures de lumière et de 8 heures d’obscurité. Soumis au même régime lumineux, un second groupe a reçu en parallèle un traitement à la mélatonine, ou “hormone du sommeil“, libérée en phase nocturne. Un troisième groupe a suivi un rythme de 8 heures de lumière pour 16 heures d’obscurité, de même que le quatrième groupe. Ce dernier a, toutefois, été exposé à la lumière durant la période d’obscurité, à des intervalles d’une demi-heure
Les résultats observés montrent que les tumeurs cancéreuses chez les souris exposées à des périodes d’obscurité plus longues sont plus petites que celles développées par les souris exposées à des intervalles réguliers à la lumière, durant la nuit. Les souris soumises à des “jours longs“ présentaient les croissances les plus importantes. Le rôle de la mélatonine a également été mis en évidence, la taille de la tumeur chez les souris exposées à de “longs jours“, mais bénéficiant de mélatonine, étant moins élevée. En outre, le taux de mortalité chez ces souris est significativement plus faible que chez celles non traitées.
Ces travaux confirment de précédentes études, issues du même site universitaire, lesquelles ont démontré que les hommes vivant dans des zones à fort éclairage de nuit présentaient un risque de cancer accru de la prostate. Dans les mêmes conditions, les femmes révélaient une prédisposition au cancer du sein. L’hypothèse alors avancée pour justifier ces résultats invoquait la réduction de la production de mélatonine, augmentant le risque de cancer
Ces nouveaux éléments font écho à la décision du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de classer le travail de nuit ou posté comme “cancérogène probable“.
Mais elle sert peut-être à autre chose. Comme le Pr Brainard l’expliqua naguère lors de la réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement des sciences, on lui a découvert un effet cytostatique. En d’autres termes, elle freine la prolifération des cellules, notamment des cellules du cancer du sein que l’on met en culture en laboratoire.
D’où l’idée que, peut-être, il faudrait trouver, au moins pour une part, dans notre frénésie d’éclairage (nous ne produisons beaucoup de mélatonine que dans le noir !) l’explication au fait qu’il y a infiniment moins de cancer du sein dans les pays du tiers-monde. Mais cela incite tout de même à se poser des questions à propos de notre suréclairage. Les chercheurs s’étaient surtout intéressés aux bienfaits de la lumière (notamment pour traiter les dépressions saisonnières), maintenant, ils se passionnent pour ses effets secondaires. Ils ne vont pas nécessairement nous contraindre à vivre dans le noir. Mais par exemple à préférer la lumière naturelle (une étude américaine a montré une amélioration de 25 % des performances scolaires dans les classes où la lumière venait par les fenêtres !) dans la mesure où son spectre est plus complet (les ampoules électriques produisent peu de lumière bleue, indispensable à la régulation de notre horloge interne).
Michel Bernard