A qui les Nuits du 4 août font-elles peur ?
Les lecteurs d’IPNS ont pu lire dans notre dernier numéro qu’une grande manifestation festive et politique (mais sans étiquettes) aurait lieu les 4, 5 et 6 août à Eymoutiers : “les Nuits du 4 août“. Nos abonnés ont même reçu pour l’occasion un encart spécial “Le Peuple hilare du Centre“ réalisé par les organisateurs de cette fête.
La fête a eu lieu. Ce fut un beau succès, plus de mille personnes (chaque jour) venues du plateau et de beaucoup plus loin, pour échanger, débattre, danser, se rencontrer, rêver, assister à des spectacles, des concerts ou des conférences. La fête a eu lieu, mais non à Eymoutiers comme cela était prévu depuis des mois (avec l’accord de la municipalité), mais à Peyrelevade, en Corrèze.
Qu’est-ce qui a fait migrer ainsi cette manifestation de la cité pelaude au cœur du Plateau ?
A peine un mois avant la date de la manifestation les organisateurs ont été convoqués par la mairie d’Eymoutiers qui leur a tout simplement annoncé qu’elle interdisait la tenue de la fête sur son territoire. Épaulés par la gendarmerie locale et un représentant du maintien de l’ordre venu tout exprès de Limoges, le conseil municipal leur a dit que les risques de voir dégénérer cette manifestation étaient trop grands, et que pour éviter toute atteinte à l’ordre public, il n’était plus question de Nuits du 4 août à Eymoutiers.
Mis devant le fait accompli et sans discussion possible, il a donc fallu tout réinventer en trois semaines pour tout réinstaller sur un autre lieu plus accueillant. Raison supplémentaire pour saluer cette fête comme un succès !
La question est de savoir pourquoi cette manifestation a été interdite à Eymoutiers sous prétexte de sécurité alors qu’en Corrèze elle devenait soudain inoffensive...
On a d’abord pensé à des ordres venus de la préfecture ou même de bien plus haut, du fait de la présence parmi les nombreuses personnes qui participaient à l’organisation, de quelques habitants d’une petite commune corrézienne que le ministère de l’Intérieur a dans le collimateur depuis quelques années. Mais si tel avait été le cas, pourquoi aucune “pression“ sur le maire de Peyrelevade alors ?
Non, il faut chercher ailleurs :
- Peur inconsidérée et phobie irraisonnée de quelques conseillers municipaux ? Peut-être.
- Rage d’une nomenklatura socialiste limougeaude de voir les “gauchistes“ du plateau (Front de gauche, écolos ou anars) tenir le haut du pavé sur le territoire départemental : “Tu ne vas quand même pas accueillir tous ces contestataires dans ta commune ?! “ Possible.
Si ces raisons sont tout à fait crédibles, il en est une supplémentaire, qui refléte malheureusement trop bien l’air du temps. On a peur. On se calfeutre. On ne tolère plus les cris un peu trop vifs, la véhémence des propos. On ne veut pas faire de bruit, ni en entendre. On s’accommode d’un esprit du temps qui voit toute contestation, fut-elle festive et avouons-le, même bon enfant, comme un dangereux et insupportable (même si elle n’est qu’hypothétique) crime de lèse-majesté.
Alors on anticipe, on va au-delà de ce que demanderait peut-être le pouvoir : on interdit.
Inutile de dire qu’à IPNS nous jugeons cette réaction inadmissible et dangereuse. Si on interdit les Nuits du 4 août, que ne faudrait-il pas interdire ? Bientôt, à Eymoutiers, sauf jour de foire, tout rassemblement de personnes sera-t-il interdit ?
IPNS

Communiqué final des “Nuits du 4 août“
Plus de 2000 personnes, venues de toutes parts, ont fait le chemin de Peyrelevade les 4, 5 et 6 août, en dépit des messages de panique répandus dans l’espoir d’empêcher que cette fête ait lieu.
La fête a donc bien eu lieu, dans une de ces communes dont les représentants mettent encore un point d’honneur à ne pas se contenter de fleurir les ronds-points et accueillir les vide-greniers.
Le nombre des participants dépassa même quelque peu les espérances des organisateurs. Deux jours, deux nuits, de liesse lucide pour une foule que tout parvenait à convaincre qu’elle vivait là un de ces moments réputés impossibles, un moment d’où s’étaient effacés la barrière de l’argent, le soi-disant fossé des générations, et tous ces messages de désespérance que les pouvoirs, médiatiquement appuyés, s’attachent, chaque instant que la vie fait, à envoyer aux populations pour nourrir l’illusion de leur impuissance collective.
Deux jours, deux nuits où tout n’était que rencontres, écoute attentive, intelligence, don et gratuité, portés par une centaine de musiciens, comédiens, acrobates, conteurs, poètes, cinéastes, conférenciers et autres combattants venus témoigner de leurs guerres contre l’actuel système de domination.
Organiser une fête, c’est viser ce point où l’organisation s’efface devant ce qui y advient. Ce point d’évanouissement de la logistique, de la séparation entre organisateurs et organisés, on peut dire que nous l’avons vécu assez continûment durant ces deux jours ; et que ce fut une grâce. Si la fête fut réussie, c’est que, plus qu’une fête, elle fut une promesse vivante projetée sur l’avenir, l’ouverture délibérée d’une brèche dans le cours programmé des défaites et des renoncements.
Un des moments les plus magiques fut celui du banquet le vendredi soir qui rassembla à la même table plus de 600 convives. Est-il si courant en ce bas monde qu’un groupe de cinquante personnes sans moyens particuliers, s’offrent la compagnie de tant d’invités illustres ou anonymes sans devoir les faire passer à la caisse ?
Est-il si courant par ailleurs que se tienne un événement procédant d’autant de talents conjugués, réunissant tant d’intervenants, d’efforts cumulés, de concours spontanés et d’aides matérielles gracieuses, sans que personne ne songe à en tirer un euro ?
Si toutefois les Nuits du 4 août sont parvenues à démontrer quelque chose, c’est avant tout que “la guerre de tous contre tous“ n’est qu’une chimère dans l’imaginaire ravagé des Pouvoirs. Si nous sommes parvenus à rassembler 2000 personnes au fin fond du plateau de Millevaches, à partir d’une plateforme de révolte et d’exhortation au combat, en restant par ailleurs convaincus que nous en aurions pu faire dix fois, cent fois plus si nos moyens l’avaient permis, c’est simplement que le peuple réel diffère fondamentalement de ce qu’en reflètent les télévisions. Le peuple réel est tout autre chose que ces visions de foules hagardes que l’organisation dominante convoque dans ses espaces sous contrôle : pour un rallye, un match de foot, un bain de soleil sur une plage, une quelconque grand-messe de la culture, ou dans la galerie marchande du samedi après-midi.
Non, la détermination populaire et la vie qui résistent n’ont pas été éradiquées. Elles restent entières, contrairement à ce que martèlent tenants et valets d’un système dont ils sont les seuls à s’éblouir, tout en étant toujours prompts à vendre la peau de l’ours.
Si les “Nuits du 4 août“ se sont tenues comme elles se sont tenues, c’est que l’impossible est proche d’advenir. Ce qui était perceptible là, c’était non le caractère exceptionnel des organisateurs, mais bien celui des circonstances historiques dans lesquelles nous vivons.
Tout reste donc à faire …
Le comité d’organisation des Nuits du 4 août
Extraits du Communiqué
Pour José
Il y a, dans nos mémoires, une histoire qui nous tient debout. Celle des années 30 où le communisme libertaire, en Catalogne, en Aragon, en Andalousie, avait mis en place collectivités agraires et autogestion dans l’industrie et le commerce. Une révolution sociale volontairement oubliée.
Heureusement, il y a la mémoire toujours à vif de nos compagnons libertaires espagnols qui ont fait du Limousin leur terre d’exil. Comme José Fortuny qui vient de nous quitter et que nos chants ont accompagné ce dimanche 7 août au cimetière de Pérols/Vézère.
Né le 6 décembre 1919 à Villalonga, province de Tarragone, dans une famille ouvrière, il adhère très jeune aux Jeunesses Libertaires (CNT-FAI). Lorsqu’éclate la guerre civile, il est volontaire et participe aux combats sur le front d’Aragon. Mais, les affrontements des militants de la CNT-FAI avec les communistes en 1937 à Barcelone ont mis à mal les espoirs d’une révolution libertaire.
Suite à la militarisation forcée, José déserte avec quelques camarades fin 1938. Arrêtés,, ils sont condamnés à mort mais graciés par le Président Negrin, vu leur jeune âge. Ensuite, pour José, ce sera l’exode, les camps d’internement en France, l’incorporation dans un GTE (Groupe de Travailleurs Etrangers). Il ira travailler dans les tourbières du Plateau de Millevaches. En 1943, il entre en contact avec le maquis FTP local et participe à des actions ponctuelles de sabotage.
A la libération, il continue à travailler comme ouvrier agricole à Pérols et aux alentours. Pendant l’hiver 1950/51, on le retrouve à Collioure, maçon, docker, charbonnier et même contrebandier ! Après la mort de sa compagne, il passera sa retraite à la “Maison du Peuple“ de Tarnac.
Fidèle jusqu’à la fin à ses engagements de jeunesse, il n’a jamais voulu se marier, n’a pas non plus demandé sa naturalisation. Il est revenu une seule fois dans son village natal mais, déçu, il n’a pas gardé de relations avec son pays, préférant la chaleureuse amitié des jeunes de Tarnac avec lesquels il partageait bien des idées. Avec, toujours chevillé au cœur, l’espoir d’un monde rouge et noir, sans exploitation, sans domination.