Et le Parc naturel régional, quoi de neuf ? Une petite fiction nous en donne des nouvelles. Fiction ? Pas du tout ! Il suffit de lire ce texte jusqu’au bout pour comprendre que cette séance a belle et bien été jouée telle quelle, il y a quelques mois...
Ceci n’est qu’une fiction…
A l’appel de l’Organisation, les 113 nouveaux représentants des filiales sont tous venus ; enfin, presque tous. Le moment doit être pris au sérieux. Il pourrait constituer un tournant délicat. Afin d’assurer le coup, le “Big Boss“ a fait le voyage en personne. Même s’il en a vu d’autres, il sait qu’aucune partie n’est gagnée d’avance, si anodine qu’elle paraisse.
A la suite d’une sévère campagne d’évaluation, les équipes des filiales viennent d’être remaniées. L’étiquette veut qu’en pareil cas, la hiérarchie remette son sort aux suffrages des filiales. Elle s’expose ainsi au risque, il est vrai assez théorique, de devoir y laisser des plumes.
Dans le staff de l’Organisation, on s’accorde sur un point : le formalisme démocratique est tout à fait excellent, à condition d’être étroitement encadré. Le Big Boss et ses lieutenants comptent bien mettre à profit ce qui à leurs yeux doit rester une péripétie protocolaire, pour parachever une fois pour toute leur mainmise sur une zone qu’ils considéraient jusque là comme négligeable.
Le formalisme démocratique est tout à fait excellent, à condition d’être étroitement encadré.
D’autant que les temps sont durs. L’Organisation gérée sous la férule du Big Boss vient de perdre de nombreuses parts de marché aux confins du territoire. Les factions concurrentes, même si on les sait d’expérience promptes à se contenter des miettes, pourraient finir par prendre de l’assurance.
Plus préoccupant, trop de petites filiales directement au contact de la population indigène semblent contaminées par cet esprit frondeur, dans lequel tout observateur sérieux ne peut voir qu’un regrettable frein à la marche des affaires.
Et puis le statu quo n’a que trop duré. Il est grand temps de faire le ménage. Il faut sortir les muscles et montrer à tous qui commande dans ce pays ! Opportunément, les statuts de la Division locale avaient été bien faits. La décision repose sur trois collèges : les caïds régionaux qui contrôlent l’essentiel des flux financiers, les intermédiaires départementaux, petits frères plus ou moins loyaux des précédents, et toute la piétaille des filiales, largement majoritaire, mais dont l’avis par une savante alchimie ne pèse en bloc pas plus lourd que celui des précédents.
Reste à mener la messe à son terme. En l’absence d’autre candidat et de tout programme, la reconduction provisoire du vieux Président incarnera l’indispensable “continuité“. Pour ça, il suffira de le laisser entonner son chant favori : “On est tous dans le même bateau… l’avenir du territoire… nous devons nous serrer les coudes, etc.“. Jusque là pas de problème.
Tout se jouera ensuite sur l’élection du Bureau : une vingtaine de comparses sélectionnés pour tenir les manettes de la joint-venture locale. Là, pas question d’improviser, la liste des candidats a été concoctée d’avance. Pour accentuer le fait accompli, on la projetera sur écran géant. Imparable ! Pour faire bonne mesure, on y rajoutera s’il le faut quelques postulants de dernière minute. Ça fait “démocratique“ et ça ne mange pas de pain.
Pour plier l’affaire, il restera à faire élire les “vice-présidents“. Ceux à qui l’on confiera les divers secteurs “thématiques“. Une “commission“ par secteur. Quatre noms eux aussi choisis d’avance. Quatre membres notoirement acquis à l’Organisation, des lieutenants du Big Boss.
Il y aura aussi des femmes dans la salle. Ces histoires de parité sont toujours un problème. Si par malheur, une de ces représentantes de filiale tente une diversion désespérée, par exemple en s’indignant de la composition exclusivement masculine de l’équipe, on la fera mentir en lui offrant un siège avec les autres dirigeants.
Si quelqu’un d’autre en vient à exiger le vote à “bulletin secret“, on lui accordera que c’est un droit, “un droit auquel nul ne peut s’opposer“. Ça se passera donc comme il le demande, à “bulletin secret“. On lui précisera toutefois que, secret ou pas, le vote doit porter sur la liste en bloc. Pas question d’en exclure tel ou tel en rayant des noms.
Cette légère complication de procédure, volontairement évitée au départ, devra être organisée sur le tas. Elle réclamera un peu de préparation, suscitera un petit temps mort. Le Big Boss pourra s’en saisir pour asséner un de ces discours triomphateurs qui enfoncent le clou. Du genre : cette émanation locale de notre puissant appareil “doit recentrer ses activités sur ses fonctions régaliennes… Sa composition doit refléter les équilibres …“. Dans la salle, tout le monde traduira “le pouvoir de décision sans partage de l’Organisation“. L’unique liste de vice-présidents sera immanquablement élue. Sur le papier, le scénario parait solide.
Il se déroulera d’ailleurs grosso modo comme prévu. Au sortir, profitant de l’anonymat permis par la procédure, et malgré les consignes plusieurs fois martelées, 36 filiales auront néanmoins choisi d’entacher la belle euphorie de la grande famille à nouveau en ordre de marche, en produisant des bulletins raturés. Légèrement agaçant, mais jusqu’à preuve du contraire, assez anecdotique.
A quoi peut bien renvoyer cette fiction de série télé mille fois rabâchée ? Dans quel milieu se déroule cet exercice de management hors sol parfaitement classique ?
… et cela n’est que le réel
La scène n’a rien d’original. Elle pourrait avoir lieu n’importe où. Pas besoin d’aller chercher dans les hautes sphères, passées ou présentes, de l’hyper-puissance : stalinocraties d’hier, coalitions maffieuses d’aujourd’hui, multinationales tentaculaires, lobbies et fonds d’investissement qui se jouent des frontières et du droit, etc. Les grosses ficelles de la “gouvernance“ sont partout, infiniment disséminées et imitées.
Pas besoin d’aller chercher loin, en effet. Par une de ces coïncidences dont seul le hasard possède les clefs, notre histoire ressemble étrangement à celle du Comité syndical du
PNR, réuni à Eymoutiers le 19 mai 2014 dans le but d’accueillir les nouveaux élus communaux sortis des élections du mois de mars.
Par habitude, ce “Comité syndical“ est resté désigné ainsi, parce que son nom renvoie à une époque du passé où des habitants et des élus de la montagne limousine rêvaient d’une “union syndicale des communes“. Dans les faits à présent, notre “Comité syndical“ ressemblerait plutôt à une assemblée d’actionnaires qui se seraient fait fourguer des titres douteux.
Loin d’avoir su répondre aux attentes initiales, le Parc s’apprête à lâcher les quelques leviers dont il disposait pour peser dans la réalité locale. La nouvelle charte, en gestation depuis 2 ans, et qui le restera pour un an encore, verra ses versions successives naviguer entre le Plateau, la Région et l’État, jusqu’à ce qu’à coup de gomme, de compromis en concessions, vidée de toute substance, devenue parfaitement lisse, elle rencontre enfin l’agrément de toutes les instances qui se sentent fondées à se prononcer sur notre destin local.
Dans sa version provisoire actuelle, elle ne comporte déjà plus que des missions liées au patrimoine et à l’environnement. De méchantes langues diront “le décor pour les touristes“. Fini l’économie locale ! Fini l’agriculture ! Fini la forêt ! Ces fonds d’intervention, et les pouvoirs de décision associés, passeront en d’autres mains (“Pays“, “Communautés de communes“ organisés depuis la périphérie du Plateau ou bien futures Méga-Régions commandées à partir des super-métropoles).
Quittant dubitatif la salle polyvalente d’Eymoutiers le 19 mai, un nouvel élu, qui se rappelait une certaine “plateforme de la montagne limousine“ se murmurait à lui-même “Le Parc ne sera décidemment plus ce qu’il n’aura jamais été !“
Ikbin Irgendeiner
habitant du Plateau