1989, plus de 300 Kurdes, fuyant les exactions dont ils sont victimes en Irak, arrivent en Auvergne à l’initiative de Danièle Mitterrand et de sa fondation France Libertés. Après deux mois passés au camp militaire de Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, une soixantaine d’entre eux “débarquent“ à Peyrelevade, au cœur de la Montagne limousine, pendant que d’autres sont accueillis en Creuse, à Mainsat, ou encore dans le Puy-de-Dôme ou en Ariège.
Un geste humanitaire de la part de la municipalité de l’époque, dirigée par Bernard Coutaud, le père du maire actuel, Pierre Coutaud. Mais aussi une opportunité pour revitaliser un territoire en déclin démographique, maintenir l’école, vivifier une économie locale bien fragile … à la condition, toutefois, que ces réfugiés se fixent, “fassent leur trou“ dans la société locale, c’est-à-dire apprennent le français, trouvent du travail, nouent des liens avec la population en place.
Un véritable défi au regard de l’échec que fut, de ce point de vue, l’accueil, au milieu des années 1980, de réfugiés politiques cambodgiens, aucun de ces derniers n’étant demeuré à Peyrelevade ou dans les environs. Mais un défi relevé, au moins partiellement. Car si aujourd’hui, plus aucun membre des sept familles kurdes accueillies ne vit à Peyrelevade certains sont toutefois restés dans la région, que ce soit à Ussel, Brive ou Limoges, et ont créés des activités économiques, dans la restauration rapide ou l’immobilier, par exemple. La conséquence, évidente, d’une volonté politique d’accueil, partagée par une bonne part de la population et d’un travail de proximité pour permettre aux réfugiés de trouver un toit, (une fois la phase d’accueil d’urgence en gîtes passée, des logements leurs furent loués en cœur de bourg), d’apprendre le français, (des formations d’alphabétisation furent proposées aux adultes pendant que les enfants fréquentaient l’école du bourg), et de trouver du travail.
Pierre Coutaud ne dit pas autre chose aujourd’hui lorsqu’il plaide pour un certain sens de l’accueil, une forme d’empathie et un véritable travail de mise en relation des demandeurs d’asile et des habitants de la commune.
Bien conscient qu’une opportunité immobilière est loin de suffire à la réussite d’un projet d’accueil de demandeurs d’asile, il décrit un processus complexe, fait à la fois de sensibilisation auprès de la population, d’anticipation des besoins à venir des résidents du CADA, de construction d’un projet global répondant aux aspirations de la population, pour que prenne la greffe d’un tel équipement. “Sur la base d’un travail d’étude portant sur la réutilisation de la maison de retraite, et qui montrait que le dynamisme de la commune s’effritait, on s’est dit que la réponse à l’appel à projet lancé par le ministère de l’Intérieur pourrait permettre de réoccuper le bâtiment, de conforter l’école tout en ayant des retombées culturelles, économiques, sociales. Si des craintes se sont exprimées, en particulier de la part de résidents secondaires inquiets pour leur tranquillité, elles ont été rapidement levées à l’occasion d’une réunion publique d’information.“
Mais ce qui fait l’originalité et surtout l’intelligence du projet, c’est sa capacité à fédérer des publics différents, à mêler dans un même lieu demandeurs d’asile et habitants, en s’appuyant sur les espaces non utilisés par le CADA pour y créer un lieu d’accueil et de service pour toute la population de Peyrelevade, demandeurs d’asile compris. “Notre idée, c’est que les personnes puissent se rencontrer sur ce lieu, se croiser, échanger et partager, que chacun puisse se mobiliser avec ses ressources“.
Et quoi de mieux pour ce faire que la présence de la bibliothèque, d’espaces de réunions, d’une salle d’activités flanquée d’une cuisine collective ? Sans compter l’installation de l’espace info’énergie Énergies pour Demain, de petits logements temporaires meublés, voire d’une association de planning familial.
Restent des craintes, bien entendu, dont la moins importante n’est pas de fragiliser des demandeurs d’asile en les accueillant dans un lieu isolé, difficile d’accès pour qui est contraint d’utiliser les transports collectifs. A cette évocation, Pierre Coutaud se rassure en se remémorant l’accueil des Kurdes irakiens : “Pour eux, ça a été une chance d’être à la campagne, ça leur a apporté une certaine sérénité, la paix.“ Un propos que ne démentirait pas Mahmoud Rashid, aujourd’hui installé à Limoges : “Être à la campagne, ça a facilité notre intégration, c’est sûr. Les gens sont venus vers nous.“1
Quant à l’argument qui voudrait que les déboutés du droit d’asile soient plus vulnérables à la campagne, plus faciles à repérer par les forces de l’ordre, il est également battu en brèche par un représentant du Réseau Éducation Sans Frontières, présent à Eymoutiers lors d’un week-end consacré au droit d’asile : “A la campagne, on est connu, on bénéficie d’un soutien et on est potentiellement plus fort“.
Raison de plus, pourrait-on dire, pour saluer une autre des initiatives en gestation à Peyrelevade, la constitution d’une association des amis du CADA dont l’objet serait de parrainer et d’assister les demandeurs d’asile accueillis, d’organiser des temps de rencontres entre résidents du CADA et habitants, de mettre en place du co-voiturage, bref de faciliter leur parcours et leur intégration.
Alors, l’histoire réussie des Kurdes est-elle susceptible de se répéter ? Difficile de se prononcer, ne serait-ce que parce-que les personnes accueillies en CADA ne sont pas encore considérées comme des réfugiés, à la différence des Kurdes accueillis en 1989. Demandeurs d’asile, elles seront même entre 60 et 80 % à être déboutées, si l’on s’en tient aux statistiques actuelles ...
Mais la préparation du projet d’accueil du CADA en lien avec la population et les acteurs locaux, le travail en cours avec l’association Forum Réfugiés pressentie pour gérer le CADA sont autant de jalons dans cette direction. Ne reste plus que l’accord définitif des services de l’Etat, et l’accueil des premiers demandeurs d’asile ...
Un parcours de longue haleine, mené sans naïveté - “On ne réussira pas à chaque coup ...“ -, mais avec pugnacité.
1 Mahmoud Rashid, article de la Montagne, 23 novembre 2011