Les problématiques rencontrées en matière de santé et d’accès au soins sur la Montagne limousine ne sont que le reflet d’un phénomène national. Cumuler certaines contraintes territoriales particulières ne fait que l’exacerber. D’un point de vue global, trois lignes directrices émergent.
Premièrement l’enjeu démographique. La population est vieillissante, les besoins augmentent d’un point de vue quantitatif mais aussi d’un point de vue qualitatif, car nos modes de vie ont conduit à l’apparition de nouvelles pathologies, bien souvent chroniques et difficiles à prendre en charge. À cela se rajoute un facteur ponctuel, la vague démographique du baby-boom. Quasiment un tiers des professionnels de santé en France seront en âge de prendre leur retraite d’ici 2021. L’équation est simple, le système de santé solidaire va devoir faire plus et mieux mais avec moins, et vite !
Deuxième enjeu : le patient d’un point de vue individuel. Nous devons anticiper sa nouvelle typologie afin de modifier notre approche. C’est un patient atteint d’une maladie chronique voire de plusieurs ce qui complexifie sa prise en charge. L’arsenal thérapeutique est lui aussi de plus en plus complexe et les limites du “tout curatif“ ont été atteintes. Place au préventif. Nous sommes à l’heure de l’éducation en santé et de l’éducation thérapeutique du patient. L’objectif est qu’il prenne conscience de l’environnement de sa pathologie et en devienne l’acteur principal, qu’il s’autonomise et modifie son mode vie pour prévenir d’éventuelles complications, parfois liées aux traitements eux-mêmes. De plus, nous vivons à l’heure d’internet et des nouvelles technologies, le « nouveau » patient s’informe, communique avec ses pairs en s’engageant dans des associations. Il évolue avec son temps, parfois plus facilement que les professionnels de santé eux-mêmes. De fait, il réclame à juste titre que l’on respecte ses droits, ses connaissances, ses compétences et son altérité.
Troisième enjeu : le professionnel de santé. Là aussi, une nouvelle typologie est à prendre en compte afin de développer une attractivité envers lui. Le rapport au travail change. Le médecin de campagne isolé, taillable et corvéable à souhait 60 heures par semaine, c’est terminé. Et heureusement ! Car ce mode d’exercice est source d’une souffrance psychologique, d’un épuisement et d’une perte d’empathie que l’on regroupe sous le terme générique de “burn-out“. Ce constat pose la question de la qualité de l’offre de soins d’un professionnel de santé lui-même en souffrance. Une approche plus humaniste, à la manière d’Abraham Maslow, doit être mise en avant afin de répondre aux besoins des jeunes professionnels de santé et ainsi de favoriser leur épanouissement et leur installation dans des territoires qu’ils ne connaissent bien souvent qu’à travers leurs préjugés.
Pour résumer, face à la complexité des enjeux, les professionnels de santé ne peuvent plus se permettre de travailler isolément. Ils doivent s’organiser pour produire de nouveaux services et maintenir une offre de soin territoriale innovante, efficiente et inscrite dans une amélioration continue de la qualité de prise en charge. Resserrer les liens avec les citoyens usagers pour développer une participation communautaire en santé est aussi souhaitable, car les enjeux seront plus facilement relevés si chaque individu s’implique.
La philosophie portée par les maisons et pôles de santé tente de répondre à ces enjeux et problématiques. Ces structures se construisent avec une méthode bien particulière. La première condition indispensable est la volonté des professionnels de santé à vouloir travailler en équipe et à porter un “projet de santé“ destiné à donner un cap. Rien n’est gravé dans le marbre, car le projet de santé peut évoluer avec l’apparition de nouveaux intervenants, professionnels de santé ou non, désireux de s’y engager. Ce projet est rédigé sur la base d’une approche territoriale, d’un “diagnostic“, qui va conditionner sa rédaction. Ainsi, et pour revenir à des choses plus terre à terre, le projet qui a vu le jour sur la Montagne limousine ne pouvait pas se permettre de polariser l’offre de soins dans une “grosse“ maison de santé plantée au milieu du plateau, car cela aurait créé une inégalité d’accès. Nous avons donc opté pour une répartition de l’offre en multipliant les sites de soins. Mais comment maintenir un travail d’équipe lorsque les différents intervenants sont répartis sur le territoire ? C’est ici qu’intervient un autre pilier des maisons et pôles de santé, le système d’information partagé. C’est un logiciel, utilisant la technologie d’internet, qui nous permet de communiquer et partager certaines données liées à l’état de santé du patient afin de mieux coordonner sa prise en charge. Les données sont sécurisées sur un serveur agréé et ne sont accessibles que par les professionnels du pôle.
Une autre particularité de notre engagement est la maîtrise de stage. De nombreux stagiaires sont ainsi accueillis chaque année afin de « goûter » à l’exercice en milieu rural au sein d’une équipe de soins pluridisciplinaire. C’est la méthode la plus attractive afin de pérenniser l’installation et l’épanouissement de nouveaux professionnels de santé, contrairement aux méthodes coercitives parfois débattues. De plus, ces étudiants font souvent un travail de recherche en lien avec les problématiques de notre territoire lors de la rédaction de leur thèse d’exercice, ce qui apporte beaucoup sur le bien fondé de notre démarche et l’orientation du projet de santé territorial.
A l’heure actuelle, les sites de soins sont fonctionnels, le logiciel est utilisé par une majorité des professionnels de santé, des jeunes praticiens s’installent ou projettent de s’installer et des liens se tissent avec des usagers soucieux de l’avenir de la santé sur le territoire. Le chemin est encore long mais cela avance, petits pas par petits pas. Affaire à suivre…
Antoine Prioux