La collection Noir inaugure la maison d’édition, avec le roman Retour à la nuit, d’Eric Maneval, suivi de Bois, de Fred Gevart, puis de Recluses, de Séverine Chevalier. Une deuxième collection voit le jour sur Ecorce en 2012 : No Collection, qui accueille des livres qui ne sont ni noirs ni blancs ; simplement des coups de cœur inclassables, dont le livre Coco, d’Hafed Benotman, illustré par Laurence Biberfeld, et Vagabond, de Franck Bouysse.
Il faut attendre juin 2014 pour que la collection Territori voit le jour, avec deux romans simultanés, tirés en petit format et à très peu d’exemplaires : Clouer L’ouest, de Séverine Chevalier, et Pur Sang, de Franck Bouysse.
La direction donnée est la suivante : Territori réunit des auteurs français contemporains qui, au cœur d’une crise sociale, économique, écologique, confrontent leurs personnages à des milieux ruraux, à la nature. La collection s’inscrit dans une époque déterminée, à l’heure de la surexploitation des ressources naturelles, d’inégalités croissantes dans la répartition des richesses, d’initiatives alternatives qui visent à s’éloigner des milieux urbains pour se rapprocher de la nature et renouer avec elle – renouer avec soi-même à l’heure où l’individualisme prôné à outrance mène à une perte de repères et d’identité.
2014 est aussi l’année de sortie du roman Grossir le Ciel, de Franck Bouysse, à La Manufacture de Livres, maison d’édition créée en 2009, établie à Paris et dirigée par Pierre Fourniaud qui, comme Franck et Cyril, est né en Limousin. Pierre suit depuis quelques temps déjà les éditions Ecorce. Cette rencontre occasionne des discussions et révèle des affinités. De fil en aiguille, la collection Territori rejoint la Manufacture de Livres en 2015, ce qui offre non seulement une meilleure visibilité aux romans, mais aussi une diffusion à l’échelle nationale.
Afin de marquer le coup, trois romans sortent en juin 2015 : Battues, d’Antonin Varenne, Crocs, de Patrick K. Dewdney, et la réédition de Clouer L’ouest, de Séverine Chevalier.
Trois écritures différentes, trois univers façonnés par des préoccupations très éloignées, mais trois récits résolument attachés à la terre.
La terre qui est organique dans Crocs ; charnelle, grouillante de vie et de mort, elle est à la fois poétique, à la fois virulente.
La forêt tangue tout autour, comme pour étouffer le cercle de lumière. Le manichéisme des choses sauvages. Sans compromis, sans subtilités, tout en actes, brutes et binaires. Quelque part, un renard glapit son mécontentement. Ils ne veulent pas voir que ce feu est le moindre mal. Ils ne veulent pas savoir de quel côté je suis. Ils ne veulent pas endurer mes blasphèmes de primate, même un peu, même si ça ne durera plus très longtemps.
Les terres sont des propriétés dans le roman Battues, que les hommes se sont disputées de tous temps et par tous les moyens.
La harde était en bonne santé, signe que la meneuse était une bête intelligente. Les femelles tournaient autour de la carcasse du chevreuil, attendant le signal. La meneuse quitta son poste d’affût et trotta jusqu’à la dépouille. Sans hésiter, elle planta ses défenses dans l’arrière train. D’un seul mouvement de tête, elle arracha vingt centimètres carrés de peau et de pelage, mettant les muscles à nu. Les membres de la harde la rejoignirent et le repas débuta.
Battues a obtenu le prix de la ville de Mauves-sur-Loire en avril 2016, ainsi que le prix Sable Noir au mois de mai, au festival du Lavandou.
Les forêts du plateau de Millevaches de Clouer L’ouest sont le théâtre d’un drame familial où la neige et la glace ne résistent pas à la puissance des braises des secrets enfouis.
Un jour tu reviendras comme un chien retourne à sa niche, murmure le Doc à l’insu de la mère, en lui tenant paternellement l’épaule sur le perron de la vieille maison familiale, et il croise le regard de son frère, front posé derrière la fenêtre de la cuisine, avant de déguerpir. Sous l’arbre tordu à la frontière, 4L arrêtée, il fait un bras d’honneur à l’ensemble : lui, eux, elle, ce territoire austère qu’il a toujours détesté, aussi loin qu’il s’en rappelle. Nature, hommes et animaux compris.
Le prix Calibre 47 a récompensé Clouer l’Ouest en mars 2016.
Depuis, trois autres romans ont vu le jour, dont Plateau, de Franck Bouysse – le même plateau que Clouer l’Ouest, Crocs et Battues. La même région du Limousin où plusieurs auteurs de la collection résident, bien que la portée du projet ne soit aucunement régionaliste. Elle entend bien s’ouvrir, voyager, sans tenir compte des limites administratives. C’est le cas du roman Cavalier Seul, de Fred et Nat Gevart, qui se déroule dans la Drôme. Le prochain roman de Séverine Chevalier investira l’Auvergne.
Il n’est pas question de région, mais bien de zones rurales au sens large. La nature est en jeu, elle est le décor des intrigues que les auteurs organisent, lorsqu’elle n’est pas le cœur même des histoires qu’ils écrivent, à l’instar de l’œuvre de Jean Giono où la terre possède des poumons, des nerfs, où elle respire, où elle explose de rage parfois, et où les affaires des hommes sont des querelles d’insectes prétentieux qui s’agitent sous les astres.
Cyril Herry