La Montagne du 15 août 2016 consacre une page entière aux “cinq raisons d’aller sur le plateau cet été“ et précise en sous-titre : “détente, culture, randonnées et paysages, il y a tout ce qu’il faut sur le plateau de Millevaches“. De quoi conforter l’ambition de Philippe Connan, président du PNR : “faire en sorte que le Parc devienne une destination vacances“. A cette vision positive, il nous a semblé intéressant d’opposer celle développée par le briviste J.B. Lavialle, “instituteur honoraire, correspondant du Musée social, délégué de la société Gay-Lussac de Limoges“ dans le bulletin annuel du congrès de l’Arbre et de l’eau de 1931. Nous publions ci-dessous un extrait de son article, dont le pessimisme et l’appréciation négative évoque celle de Richard Millet quarante ans plus tard. Mais ce dernier est un romancier qui développe une vision subjective et artistique, alors que J.B. Lavialle se targuait d’une approche objective et savante. Ce texte est aussi à rapprocher de toutes les rumeurs circulant en limousin au début du XXé siècle concernant des enfants dévorés par des loups, présentées comme avérées mais dont aucune trace n’est retrouvée dans des documents écrits.
Jean-François Pressicaud
“À cinq lieues au-delà de Limoges, après les gracieux versants de la Vienne et les jolies prairies en pente du Limousin, qui rappellent la Suisse en quelques endroits, et particulièrement à Saint Léonard, le pays prend un aspect triste et mélancolique. Il se trouve alors de vastes plaines incultes, des steppes sans arbres ni chevaux, mais bordées à l’horizon par les hauteurs de la Corrèze.“ Ces lignes sont extraites du roman d'Honoré de Balzac, Le curé de village (1841).
L'inquiétude me gagne. Selon Balzac, il y aurait donc deux Limousins : un beau, dont St Léonard serait en quelque sorte le joyau. Un autre, particulièrement sinistre et peu attirant, que le célèbre romancier situe vers la Corrèze. Ne s'agirait-il pas ici de notre Plateau ? Pourtant, on est loin de la description tracée par un grand ami de Balzac – Jules Sandeau – la même année, qui nous parle, lui, de la Creuse : “Nos chères montagnes“ parfumées par les “bruyères au milieu des landes solitaires“. Ouf ! Tout ceci existe bien, la preuve : “Les collines, les ruisseaux limpides“ font irrésistiblement penser à la Montagne limousine.
Mais plus loin, dans Le curé de village, on peut lire encore ceci: “Si cette plate transition, entre les paysages du Limousin, de la Marche et ceux de l’Auvergne, présente au penseur et au poète qui passent les images de l’infini, l’effroi de quelques âmes... pour l’habitant, cette nature est âpre, sauvage et sans ressources. Le sol de ces grandes plaines grises est ingrat... Là, manquent ces grandes résidences qui parfois vivifient ces déserts... où la civilisation gémit, où le touriste ne trouve ni auberge ni ce qui le charme : le pittoresque“. Aïeehh!
Le romancier aurait donc cru trouver chez nous un décor crédible, sans pour autant aller plus loin dans l'authenticité de la description. C'est, selon moi, le côté aléatoire qui explique bien des approximations comme quand on lit “qu'un cavalier s'avançait au galop dans la plaine“. Personne ici ne se hasarderait à utiliser le mot plaine. Non seulement parce qu'il est un contre-sens topographique, mais parce que, même plats, les fonds de vallée ne sont jamais appelés ainsi. D'ailleurs, la seule plaine limousine se trouve dans les environs de Brive. Il semble donc clair que – malgré quelques timides emprunts – le souci de la véracité géographique n'a jamais effleuré Honoré. Dans une de ses biographies, on lit pourtant ceci : “Doté du génie de l'observation, Balzac attache une grande importance à la documentation et décrit avec précision les lieux de ses intrigues, n'hésitant pas à se rendre sur place pour mieux s'imprégner de l'atmosphère, ou interrogeant des personnes originaires d'un lieu qui joue un rôle dans son récit. Il a un sens aigu du détail vrai.“ À vous de juger. Un début de réponse est à chercher dans la chronologie de la vie de Balzac. S'il est certain qu'il a bien séjourné à Limoges, il n'en a jamais dépassé, vers l'est... le faubourg Saint-Étienne. En somme, sur notre plateau, il n'a jamais mis les pieds. Reste à savoir ce qui a pu guider son choix. Alors, Honoré, tu repasseras !
Emile Vache