Sommes-nous si démunis que cela face aux terres et bâtiments abandonnés ?
La présence de biens vacants, notamment immobiliers, sur le ban des communes, constitue fréquemment une épine dans le pied des élus locaux : outre les risques encourus pour la sécurité des personnes, ces biens pèsent sur l’image et l’attractivité des bourgs et villages et donnent une image d’abandon qui ne facilitent pas la revitalisation des centres-bourgs. Disséminés dans les zones agricoles et forestières, ils contribuent à l’enfrichement et à la fermeture des paysages, amplifiant le sentiment d’un espace en voie de désertification.
Face à cela, l’évolution du droit, notamment au début des années 2000, a donné aux collectivités locales de réels moyens d’agir. Indépendamment de la procédure de péril, qui porte sur des édifices menaçant ruine et présentant un risque pour la sécurité des biens et des personnes, les procédures de déclaration de parcelle en état d’abandon manifeste et d’acquisition de biens sans maître ont ainsi ouvert d’intéressantes perspectives pour les communes.
Juridiquement fondé sur l’article L 1123 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques et sur l’article 713 du Code Civil, le régime des biens sans maître concerne soit des biens qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans et pour laquelle aucun héritier ne s’est manifesté, soit des biens n’ayant pas de propriétaire connu et pour lesquels les taxes foncières n’ont pas été acquittées depuis plus de 3 ans ou ont été acquittées par un tiers.
Il ouvre la possibilité aux communes, selon des modalités qui diffèrent en fonction des cas de figure, d’incorporer ces biens au patrimoine communal. La procédure débute par une enquête permettant aux communes de s’assurer que le bien est effectivement sans maître. A ce stade, la consultation du cadastre, tout comme le recours à une personne ressource locale ayant une idée précise de la généalogie et des successions s’avère précieux.
Si l’enquête est concluante et qu’il s’agit d’un cas de succession ouverte depuis plus de 30 ans pour laquelle aucun héritier ne s’est manifesté, l’acquisition est de plein droit pour les communes. Aucune formalité n’est juridiquement nécessaire, la prise d’une délibération formalisant l’acquisition étant toutefois recommandée. Dans le cas d’un bien sans propriétaire connu pour lequel les taxes foncières n’ont pas été acquittées depuis plus de 3 ans, la marche à suivre est un peu plus complexe.
Elle passe :
Saint Martin Château et La Villedieu, deux communes du sud creusois se sont emparées avec profit de cet outil puisque ce sont respectivement pas moins de trois biens (dont une maison) et une quinzaine de parcelles équivalant à 3 ha qui ont été acquises par les deux municipalités.
Une façon de faire grossir un bas de laine ? Pas exactement puisque de l’avis des élus concernés, il ne s’agit pas de “faire des sous“, mais bien de ramener de la vie sur la commune, d’utiliser cette procédure comme levier dans le cadre d’une politique de revitalisation. La maison acquise par la commune de Saint Martin a d’ailleurs été revendue pour une somme fort modique afin d’être à nouveau habitée.
Accueillir, mais aussi aider à l’installation ou au développement d’activités agricoles ou encore constituer des biens communs accessibles aux habitats pour y faire du bois de chauffe : les objectifs sont certes divers mais convergent au service d’un mieux-vivre porté par des municipalités volontaristes.
Car tout cela demande quelqu’effort : “il faut pointer la situation parcelle par parcelle, croiser les infos dont on dispose localement avec le cadastre, solliciter des personnes qui connaissent le territoire et l’histoire des successions des familles. Il y en a pour une bonne année de travail en gros.“
Mais, cerise sur le gâteau, ces efforts sont reconnus et validés par les habitants là où l’on aurait pu craindre des réactions liées à une forme d’atteinte au droit de propriété : à La Villedieu comme à Saint Martin, “absolument aucune réaction : pas de protestation, pas un courrier, un coup de fil, plutôt des encouragements.“ “Je m’attendais, lorsqu’on a revendu la maison, que ça passe pour du favoritisme. Au contraire, les gens ont été contents que ça revive.“
Sans doute l’absence de propriétaire identifié facilite-t-il l’acceptation de cette procédure. Peut-être n’en irait-il pas de même de la déclaration d’une parcelle en état d’abandon manifeste, qui constitue une autre modalité intéressante de mobilisation du bâti vacant qui, pour le coup, peut conduire à l’expropriation du propriétaire négligent.
Basée sur les articles L 2243-1 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales, la reconnaissance d’état d’abandon manifeste constitue une procédure d'expropriation spéciale conduite par le maire à la demande du conseil municipal, à des fins d’habitat ou pour des projets d’intérêt collectif.
Elle s’analyse néanmoins en premier ressort comme une obligation faite à un propriétaire d’entamer des travaux pour mettre fin à l’état d’abandon et éviter en conséquence l'expropriation. Concernant des bâtiments ou des terrains situés à l’intérieur des espaces bâtis, cette procédure est engagée par le maire à la demande du conseil municipal.
Elle comporte trois étapes :
A l’issue de la période de mise à disposition du public, le maire élabore un dossier complet sur la base duquel le Préfet prendra l’arrêté indiquant l’utilité publique du projet et autorisera l’expropriation.
Inusitée à ce jour sur le territoire de la montage limousine, cette procédure présente pourtant des intérêts évidents pour déverrouiller des situations en voie de pourrissement. Sans doute faut-il voir à cela des explications plus politiques que juridiques. Car ce qui se joue là, c’est l’encadrement du droit de propriété dès lors qu’il empiète trop fortement sur l’intérêt collectif … Plus prosaïquement, un nid à emm… et le meilleur moyen de prendre des coups …
Stéphane Grasser