transport

  • “J’aimerais bien, moi, que les vaches puissent voir passer les trains !“

    Pas inintéressant d’assister à ce qu’on appelle un comité de ligne. C’est une réunion (en général annuelle) où la Région Nouvelle Aquitaine propose aux usagers des lignes férroviaires TER de donner leur avis sur les améliorations possibles du service, en présence de représentants de la SNCF. Si la limite de la “concertation“ (c’est le mot qui est utilisé) est vite atteinte, on y apprend toujours des choses. Le mardi 28 mai 2019 à Limoges avait ainsi lieu un comité pour trois lignes : Limoges-Angoulême, Limoges-Poitiers et Limoges-Ussel, cette dernière ligne intéressant directement le Plateau. Qu’y a-t-on appris ?

     

    Que lorsqu’il n’y a plus de train, il y a moins de passagers...

    Démonstration sur la ligne Limoges-Angoulême. Depuis mars-avril 2018 la ligne ne va plus jusqu’à Angoulême, l’état de la ligne, que la SNCF n’a pas entretenue pendant trop longtemps, interdisant pour des raisons de sécurité la circulation des trains de Saillat-sur-Vienne jusqu’à Angoulême. Seul le tronçon Limoges-Saillat fonctionne encore. Effet immédiat : le nombre de voyageurs a été, en gros, divisé par deux, 200 000 voyageurs-km disparaissant du jour au lendemain ! Pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour établir le lien... Comme dit un élu haut-viennois du coin : “J’aimerais bien, moi, que les vaches puissent regarder passer les trains vers chez moi !“

     

    Que les vieilles machines peuvent encore servir

    Si la ligne Limoges-Ussel est en bon état technique et qu’on aura bientôt une gare toute rénovée à Eymoutiers, elle a néanmoins connu cette année des petits problème de signalisation. La SNCF a rassuré les usagers en expliquant qu’il s’agissait d’un problème de cartes électroniques qui était maintenant résolu (les cartes étaient trop sensibles et cramaient quand il y avait des orages). Désormais, de nouvelles cartes ont été commandées et livrées et, selon le responsable de la SNCF “ça marchera jusqu’en 2022-2023“. Mais d’ajouter aussitôt : “Reste à résoudre un problème d’ordinateur à Limoges : pour que le système fonctionne il faut un vieil ordinateur“. Appel aux bonnes volontés : envoyez vos vieux clous informatiques à la SNCF !

     

    Que la convention signée entre la région et la SNCF n’est pas toujours respectée

    C’est un conducteur TER qui a signalé que la convention signée entre la région et la SNCF est loin d’être toujours respectée par la société nationale, en particulier concernant “l’équipement en personnel des trains“. La convention prévoit dans chaque train un conducteur et un agent d’accompagnement (pour la sécurité, le contrôle, le renseignement, la sûreté des voyageurs). Or beaucoup de trains ne circulent qu’avec un conducteur, sans agent d’accompagnement ! Aux chiffres officiels de la SNCF qui dit que le cas ne s’est présenté que deux fois depuis le début de l’année, les agents de la SNCF apportent un sérieux démenti : fin mars, cela concernait 2 à 3 trains chaque jour. Le 18 avril 2019, ce sont 21 circulations sans contrôleur qui étaient prévues en préopérationnel (c’est-à-dire que cette absence était prévue en amont et qu’il ne s’agissait pas d’une décision de dernière minute...).

     

    Qu’acheter son billet dans le train est désormais pénalisé

    L’aventure est arrivée le 17 mai 2019 à un jeune voyageur sur le tronçon Eymoutiers-Limoges. Il a l’habitude de prendre cette ligne et prend son billet “Top jeune“ auprès du contrôleur pour 7,50 €. Mais ce jour-là le contrôleur lui explique que désormais, prendre son billet dans le train lui coûtera... 15 € ! La région a été avertie de cette nouvelle politique de la SNCF et a dûment protesté, réclamant que pour les gares sans guichets et sans bornes, cette pénalité ne soit pas appliquée. La SNCF a semble-t-il accepté. On se demande à quelle logique obéit le service ferroviaire (j’allais écrire public, excusez l’anachronisme) pour remplacer un service simple et pratique au client par une pénalité... Pour forcer les gens à acheter leur billet ailleurs que dans le train ? L’explication est peut-être à chercher dans le paragraphe précédent...

     

    trafic ligne limoges ussel 2019Que le trafic de la ligne du Plateau est loin d’être en berne

    Le graphique ci-contre montre l’évolution mensuelle du nombre de voyageurs-km en 2017 et en 2018 sur la ligne du Plateau. “Un bon résultat“ selon les responsables de la région avec une moyenne mensuelle autour de 500 000 voyageurs-km. Creux en mars 2018 avec un peu plus de 300 000 voyageurs-km et pic en août 2017 avec presque 1 million ! 

     

    Que lorsque les tarifs baissent, le trafic augmente

    La pointe de trafic, sur le même graphique, en juillet et août, que ce soit en 2017 ou 2018, est analysée par les responsables ferroviaires comme étant en lien direct avec l’existence du Passauvert, ce billet à prix compétitif mis en place l’été pour rejoindre Vassivière depuis Limoges (l’aller-retour à 3, 5 ou 7 euros selon l’âge). Si on suit leur raisonnement, plus le prix est attractif, plus il y a de voyageurs !

     

    Que la gratuité des transports n’est pas un sujet tabou

    Suivons donc leur raisonnement jusqu’au bout. Si le transport était gratuit, n’y aurait-il pas beaucoup plus d’utilisateurs ? Et donc moins de voitures sur les routes, moins de carbone dans l’air, moins de bouchons en entrée de Limoges, moins d’accidents automobiles, etc. Certainement. Mais ça coûterait beaucoup trop cher allez-vous dire... Pas sûr ! Le coût des voyages en TER pris en charge par la région est déjà de 80 % (soit exactement 296 millions d’euros par an, soit ce qu’on appelle la “contribution d’exploitation TER“). En augmentant cette contribution de 20 à 25%, on pourrait faire des transports gratuits sur toute la Nouvelle Aquitaine ! (il faudrait en gros passer de 300 millions à 380 millions par an). Pas hors de portée donc. Et pour valider l’idée, pourquoi ne pas l’expérimenter d’abord sur deux ou trois lignes de manière à pouvoir mener une analyse objective de l’effet de la mesure ? Cela ne coûterait pour le coup pas plus de 5 à 6 millions, soit à peine 2% de plus sur le budget TER de la région. William Jacquillard, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine délégué aux gares et à l’intermodalité, ne balaie pas la proposition d’un revers de la main : “La question de la gratuité : le débat n’est pas refusé par la Région, c’est en débat, c’est quelque chose qui doit être étudié mais qui n’est pas impossible à condition de trouver les bonnes conditions pour le faire.“ Il est vrai qu’il ajoute aussitôt : “Mais on n’en est pas là.“

     

    Michel Lulek

    En savoir plus :
    Vous pouvez visionner sur internet ce comité de ligne : https://concertations.nouvelle-aquitaine.fr/processes/CL2019-7 

     

    La parole d’un non-usager

    “Dommage que les concertations se cantonnent aux usagers des TER. Penchez-vous aussi sur les non-usagers, interrogez aux gares de péage entre la Rochelle et Bordeaux les automobilistes, comme moi, contraints chaque jour de prendre la route car les TER sont trop lents (Saintes-Bordeaux : 1h30 à 2h pour 90 km), les horaires inadaptés, sans parler des retards ou des suppressions de trains. En clair, pas de confiance ! Mettez à disposition un moyen de transport fiable et efficace, et les TER se rempliront !“

     

    vache trainLa ligne Limoges-Ussel en 4 chiffres

    111 kilomètres de ligne
    14 gares
    4 500 trains par an
    360 voyageurs par jour

     

    La phrase d’Alain Rousset

    “Mon objectif aujourd’hui est de ne fermer aucune ligne.“
    C’est Alain Rousset, président du conseil régional, qui le dit dans les documents fournis par la Région à l’occasion des comités de ligne.

     

    Blaireau rire
    Le Conseil Départemental de Haute-Vienne a la douleur de vous faire part du décès de son très cher projet de déviation de Feytiat-Panazol.


    Le défunt a succombé à une crise cardiaque lors d'une réunion de Limoges Métropole où siégeaient une foule de traîtres.


    Pour les obsèques, pas de (con)doléances, juste des fleurs naturelles du Val d'Auzette. 
  • Changement de plateau pour la mobilité à vélo

    veloPeu nombreuses sont les personnes qui osent affronter les dénivelés et les distances de leurs trajets quotidiens sans véhicule motorisé. À côté de la voiture, le vélo à assistance électrique, plus économique et écologique, est une alternative pertinente pour de nombreux parcours même les plus vallonnés. Encore faut-il pouvoir s’en offrir un, quand un modèle correct avoisine les 1 000 €, neuf. 

    Pour en encourager l’acquisition, les collectivités locales les plus fortunées mettent la main à la poche en proposant des aides financières aux personnes aux revenus modestes. Auquel cas l’État complétait, pour un total allant jusqu’à 400 €, et parfois plus localement. Un système intéressant mais inaccessible financièrement pour l’énorme majorité des collectivités locales dont les plus rurales. Et double peine pour les habitants, car ce sont souvent ces-mêmes territoires qui sont les bien moins desservis par les transports collectifs.

    Conscientes de cette lacune, les associations de cyclistes ont poussé pour que le gouvernement revoie sa copie. C’est désormais chose faite depuis le 15 août dernier : l’État apportera une aide à l’achat sans exiger que la collectivité locale participe, jusqu’à 400 € et 40 % du prix d’achat du vélo, sous condition de ressources. Une contribution financière qui ne résout pas le problème du reste à charge, mais amène un début de solution pour plus de mobilité à vélo sur le Plateau. 

    Les aides sont également étendues pour l’achat d’un vélo classique, d’un vélo pliant, cargo, ou d’une remorque pour vélo électrifiée. Le moment de s’y mettre ? Le groupe mobilité du Syndicat de la Montagne limousine vous propose ses conseils : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

  • Défi ou nécessité ?

    maisEmmanuel Bailly, ex paysan bio et aujourd’hui membre de l’association Intelligence Verte, a mené en 2005 une étude détaillée sur l’agriculture limousine en regard de la question de l’indépendance alimentaire du Limousin. Ce travail suggère des pistes nouvelles pour l’agriculture de la région, pistes radicalement différentes de celles qu’elle a empruntées jusqu’à aujourd’hui.

    Une suite à cette recherche aura lieu les 9 et 10 février à Limoges dans le cadre des “Assises du Limousin” qui se veulent le point de rencontre de tous ceux qui aspirent au développement d’un autre modèle agricole, et plus globalement, d’une autre manière d’envisager l’organisation économique régionale. Un exercice de “penser global, agir local” assez passionnant…

    En collaboration avec Christophe Bellec, Emmanuel Bailly présente dans cet entretien les grandes lignes de sa réflexion et de ses propositions.

     

    IPNS : Dans votre étude et les propositions que vous en tirez, vous considérez la question de l’indépendance alimentaire du Limousin comme un élément clé pour l’avenir d’une région comme la nôtre. Pourquoi ?

    Emmanuel Bailly : Un développement économique rationnel et pérenne doit se baser sur la maîtrise préalable de quelques domaines fondamentaux. Nombre de ces fondamentaux se déclinent sous la forme de ressources. Trois d’entre elles sont plus particulièrement vitales : les ressources hydriques (l’eau), les ressources alimentaires (ou agroalimentaires) et les ressources énergétiques. Il peut apparaître surprenant de se préoccuper de ce sujet : la maîtrise de ces ressources, perçues comme abondantes en Limousin, ne fait d’ordinaire guère l’objet de débats ni de doutes. Et quand bien même certaines d’entre elles viennent à ne pas être fournies complètement sur la seule échelle de la région, le fonctionnement en économie ouverte qui s’est mis en place depuis plusieurs décennies à l’échelle européenne, voire mondiale, permet de les obtenir simplement et quasiment en temps réel.

    C’est très précisément ici que s’inscrit la spécificité de notre réflexion et de notre contribution : ce contexte d’interdépendance économique, d’interconnexion des réseaux d’approvisionnement en ressources doit faire l’objet d’un réel débat. Il apparaît en effet que la maîtrise effective et durable des ressources alimentaires n’est pas assurée en Limousin. Or certaines fragilités actuelles, certaines menaces à venir semblent suffisamment sérieuses pour devoir être prises en compte dans la stratégie de développement de la région. C’est pourquoi nous proposons d’intégrer un nouveau thème de réflexion stratégique, en plus de ceux déjà identifiés : le thème du rétablissement de la souveraineté alimentaire du Limousin.

     

    IPNS : Qu’en est-il donc de notre souveraineté alimentaire aujourd’hui ?

    E B : La situation actuelle de la région est claire. Les chiffres ne laissent guère de doute sur la forte dépendance alimentaire régionale. Ce constat initial est simple à comprendre car il se résume en un chiffre : la souveraineté alimentaire du Limousin n’est aujourd’hui que de 10 %. Dit autrement, seuls 10% des produits alimentaires consommés dans notre région y ont été produits et transformés : pour répondre aux besoins quotidiens des Limousins, c’est donc 90 % de notre alimentation qui est importée d’autres régions ou d’autres pays.

    Ainsi la culture de la pomme de terre a complètement été abandonnée pour passer de 7 400 hectares à quelques 300 hectares, soit 0,034 % de la SAU (Surface agricole utile) du Limousin. Si en 1970 la production totale limousine dépassait les 200 000 tonnes, aujourd’hui la quantité produite en pommes de terre (7 000 tonnes) couvre seulement 23,5 % des besoins de la population.

    De même, la culture légumière couvrait en 1970 près de 6 300 hectares de surfaces contre 300 hectares en 2000 (6 700 tonnes). La production régionale ne couvre que 8,1 % des besoins en légumes frais de la population.

    La conclusion que nous pouvons tirer de ce panorama de l’agriculture limousine est assez claire. En dehors des productions de bovins, de pommes et d’ovins sur lesquelles la région s’est hyperspécialisée, et à l’exception notable du blé tendre, toutes les autres productions agricoles accusent un niveau de dépendance qui se révèle parfois spectaculaire (comme pour la production maraîchère, les pommes de terre, les volailles ou le blé dur). On observe donc un fort déséquilibre des répartitions agricoles qui provoque une grande inadéquation par rapport aux besoins. A cette étape de la filière alimentaire, le niveau de souveraineté alimentaire en terme de production agricole ne dépasse pas 43 %. Or, il ne va cesser de se dégrader étape après étape tout au long de la filière.

     

    IPNS : Alors justement, que se passe-t-il au niveau des industries de transformation agroalimentaires en Limousin ?

    E B : C’est ici que se situe une autre faiblesse spécifique à notre région : le tissu industriel et artisanal dans la transformation agroalimentaire est insuffisant. De nombreuses productions agricoles quittent donc la région pour approvisionner des ateliers et des usines qui sont situées ailleurs. L’exemple le plus visible est celui de la production bovine avec l’exportation massive de broutards vers l’Italie. Mais il n’est pas le plus préjudiciable : en effet, au vu d’une indépendance de 680 % pour la production bovine, les installations d’engraissage, d’abattage et de transformation du Limousin suffisent à absorber les besoins théoriques de sa population. Cette situation s’applique également à la production ovine.

     

    "le limousin doit pouvoir se nourrir"

     

    Pour le reste, la situation actuelle est beaucoup moins favorable. Seule la filière basée sur le blé tendre (farine, pain et produits céréaliers) arrive à s’en sortir sur le plan de l’autonomie au niveau régional, grâce entre autres à la petite trentaine de meuneries et minoteries présentes en Limousin. Toutes les filières de transformation liées aux légumes, aux pommes de terre, aux fruits (à l’exception de la pomme), aux pâtes alimentaires (fabrication quasi absente pour ce produit de base), à la volaille ou à la pisciculture sont à des niveaux d’autonomie relativement bas, parfois inexistants.

     

    IPNS : Et plus en aval qu’avez-vous constaté en ce qui concerne la distribution et le commerce alimentaire ?

    E B : Prendre en compte ce secteur est aussi une nécessité pour prendre la mesure de la souveraineté alimentaire réelle : il n’y a aucune implication directe entre le fait de produire des produits agricoles et de les vendre dans le même périmètre régional.

    L’étude de la situation dans la distribution et le commerce alimentaire montre même qu’une déconnexion très nette entre le lieu de production et le lieu de consommation, loin d’être l’exception, est plutôt la norme. Dit autrement, il est traditionnel de trouver dans les magasins des produits alimentaires d’autres régions ou pays, même quand ces produits peuvent être fournis localement. Cette situation n’est pas propre au Limousin, mais reflète à l’échelle nationale une “exception” bien française : l’omniprésence de la grande distribution et la concentration quasi-monopolistique de ce secteur. Le résumé tient en deux chiffres : seulement 5 centrales d’achat se partagent 90 % du commerce de détail en France. Il est donc globalement impossible aux secteurs agricole et agroalimentaire d’échapper, directement ou indirectement, à l’emprise de la grande distribution : c’est elle qui fixe les règles du jeu. Elles n’attachent aucune importance particulière au caractère local des produits proposés dans leurs magasins. Seuls les fournisseurs les plus compétitifs sur les prix ont une chance d’être référencés, mêmes s’ils viennent de l’autre bout du monde et que leurs pratiques sociales et environnementales sont déloyales.

    Voilà pourquoi la situation de souveraineté alimentaire du Limousin, initialement peu fringante sur le plan agricole, en arrive à se dégrader fortement jusqu’à atteindre 10 % : c’est le résultat de l’insuffisante densité du tissu industriel agroalimentaire et de la pression incontournable de la grande distribution, étanche au critère régional.

     

    IPNS : Vos constats sont clairs, mais au fond, en quoi cette situation de faible indépendance alimentaire pose-t-elle vraiment problème ? Le Limousin n’est pas la seule région française à faire appel à des produits alimentaires venant d’ailleurs...

    E B : Effectivement. Mais si un tel mode de raisonnement est aujourd’hui généralisé, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur sa mise en perspective par rapport à certaines problématiques qui nous semblent cruciales. L’évolution observée ces dernières années sur la prise de conscience du phénomène de réchauffement climatique et de dégradation des écosystèmes est spectaculaire, tant sur le plan mondial que national et local. Il n’était que temps : les rapports alarmistes émanant d’institutions internationales ne cessent de se succéder.

    Les travaux du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat), regroupant les travaux de milliers de scientifiques de tous les pays sur le réchauffement climatique, font désormais l’unanimité tant dans les milieux scientifiques que politiques internationaux. Ils font état de scénarios climatiques annonçant des températures en hausse de 1,5 à 6°C à l’échelle de ce siècle en fonction de notre capacité à réduire fortement ou pas nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui va représenter un choc climatique inédit dans l’histoire humaine. Le dernier rapport du GIEC, approuvé à l’unanimité, est clair : “Seules de très fortes réductions d’émissions seraient susceptibles d’atténuer les dérèglements climatiques à venir”. 

    Intégrer cette dimension environnementale et climatique à la réflexion stratégique pour le développement du Limousin nous semble une nécessité au regard des menaces potentielles qui se profilent à l’horizon. De manière directe ou indirecte, la région pourrait être amenée à subir les conséquences de crises liées au dérèglement climatique. Ces crises peuvent prendre la forme de “catastrophes sur-naturelles”, mais aussi de ruptures d’approvisionnement en ressources liées au climat ou à l’épuisement des écosystèmes voire même des difficultés dans l’acheminement des marchandises. Dans un cadre futur beaucoup moins sûr, la maîtrise de ces ressources, en particulier alimentaires, peut s’avérer un facteur d’équilibre atténuant les effets de ces crises. Un niveau élevé de souveraineté alimentaire représenterait alors pour le Limousin une précaution appréciable, voire une garantie cruciale pour sa stabilité et son développement.

     

    IPNS : Parmi les phénomènes mondiaux qui auront une incidence sur nos vies de tous les jours, il y a aussi la question de la fin du pétrole et son impact sur les transports.

    E B : C'est là aussi une problématique qui ne fait plus guère de doute quant à sa réalité. Il est ici nécessaire de faire preuve d'un comportement lucide : il n'existe pas d'alternative sérieuse pour remplacer le pétrole au regard de notre niveau de consommation actuel. Les biocarburants n'offriront jamais que quelques pour cents de ce niveau : les surfaces agricoles qu'il faudrait leur consacrer sont 2 à 3 fois supérieures à la surface totale du pays, sans compter la nécessité prioritaire de nourrir la population.

    Deux secteurs sont plus directement concernés par ce phénomène lié au pétrole. Le premier saute aux yeux, vous l'avez cité : c'est celui des transports. L'ère des déplacements faciles, rapides et sans limites est appelée à prendre fin, et sans doute à brève échéance. La plupart des experts sont formels : l'avenir est clairement à la redécouverte des circuits économiques courts et économes.

    Cette logique de relocalisation va permettre de mettre fin à ce gaspillage énergétique confinant à l'absurde qu'on peut observer aujourd'hui dans les transports. Elle doit aussi permettre de sécuriser les approvisionnements vitaux de la région. Cette problématique n'a rien d'une hypothèse d'école, puisque l'actualité récente a fourni un exemple révélateur. Lors du blocus maritime imposé en octobre 2005 par les marins en grève de la SNCM, la Corse s'est retrouvée en rupture d'approvisionnement en légumes et produits frais au bout de... 4 à 5 jours ! Son caractère insulaire en fait peut-être un cas extrême : il n'en reste pas moins que la logique d'interdépendance en ressources alimentaires couplée à celle des flux tendus peut faire perdre très rapidement la maîtrise de son autonomie alimentaire à un territoire fragilisé.

     

    IPNS : Et après les transports quel est le second secteur concerné ?

    E B : Le second secteur est moins visible immédiatement : c'est celui de l'agriculture. Sous sa forme intensive (la plus répandue aujourd'hui dans les pays du Nord), ce secteur est particulièrement dépendant des ressources pétrolières. Le niveau de mécanisation ne cesse d'augmenter. La fabrication d'intrants chimiques (engrais, pesticides,...) nécessite de très grandes quantités de pétrole. Certaines pratiques hors sol (serres chauffées au fuel) sont très gaspilleuses en énergie. De manière globale, le modèle agricole actuel est trop dépendant de ressources fossiles et se révèle non soutenable à terme. Anticiper la raréfaction du pétrole revient à privilégier rapidement des formes d'agriculture économes, locales, respectueuses du milieu naturel et de ses ressources. Il ressort de ces éléments que le développement économique exogène et globalisé n'est pas un modèle pérenne pour l'avenir, en Limousin comme ailleurs.

     

    IPNS : Dans le cadre de l'économie mondialisée le Limousin n'est pourtant pas perdant dans tous les secteurs. Nous avons même des filières de référence leaders dans leur domaine comme la filière bovine ou la production de pommes.

    E B : Effectivement. La filière bovine et la filière pomme sont devenues des références de niveau européen en terme de qualité et de notoriété, mais au prix d'une hyperspécialisation réalisée au détriment des autres productions et du maintien de la souveraineté alimentaire. Elle s'est aussi faite au prix d'une intensification et d'une productivité qui ont provoqué un laminage spectaculaire des emplois dans le secteur agricole. Toutes exploitations confondues, entre 1970 et 2003, 29 300 exploitants ont jeté l'éponge en Limousin. Ainsi 2,5 exploitations mettent la clef sous la porte chaque jour depuis maintenant près de 32 ans, soit 60 % des exploitations. 74 600 actifs sur exploitation étaient dénombrés lors du recensement de 1970 pour seulement 25 800 en l'année 2000. Ainsi 48 800 emplois agricoles directs ont été perdus sur le Limousin soit une diminution de plus de 65 % des ressources humaines pour ce secteur d'activité. Ramené à l'ensemble de la population régionale, ce prorata d'actifs travaillant dans le secteur agricole est de 3,6 % pour une surface agricole utile de 861 000 hectares.

    Cette situation ambivalente est en train d'évoluer de manière plus défavorable encore : l'OMC poursuit son travail d'ouverture tous azimuts des marchés alimentaires mondiaux aux dispositifs de protection et de subventions agricoles, et l'Union Européenne lui emboîte le pas. Il s'agit là d'une menace pour le développement économique du Limousin, une menace non pas émergente mais avérée, puisque ses effets se font déjà sentir sur les filières phares de la région.

    Prenons tout d'abord le cas de la filière pomme. La golden du Limousin doit désormais faire face à une nouvelle concurrente redoutable, la golden chinoise. Typiquement montée comme une filière d'exportation (les Chinois sont peu consommateurs de ce fruit), la production de pommes chinoises amène sur le marché mondial des quantités massives de fruits, dans la même saisonnalité que pour le Limousin, à qualité équivalente mais à un tarif environ deux fois moins cher, transport compris !

    Considérons également le cas de la filière bovine. Les concurrents les plus sérieux actuellement viennent d'Amérique du Sud (Brésil et Argentine), et la viande en provenance de ces pays commence peu à peu à rentrer sur le marché européen. Là encore, la qualité des produits correspond au standard occidental (voire même supérieure), et à des tarifs imbattables.

    La prochaine étape de l'ouverture des marchés agricoles va permettre à ces pays d'exporter non plus de la viande mais du bovin sur pied. Cela signifie que les ateliers d'engraissement et de transformation italiens, clients majoritaires des broutards limousins, vont se tourner vers des fournisseurs argentins ou brésiliens pour approvisionner leurs installations à des tarifs inférieurs au Limousin.

    Ces deux exemples illustrent la fragilité dans laquelle peut se retrouver l'agriculture limousine, fragilité d'autant plus grande que l'hyperspécialisation sur quelques productions est accentuée.

     

    IPNS : Alors comment répondre à ces risques que vous dénoncez ?

    E B : On peut y répondre de deux manières. On peut choisir d'accentuer encore les démarches de productivité et de concentration pour améliorer sans cesse la compétitivité des productions limousines et "rester dans la course" au niveau mondial. Mais au grand jeu des avantages comparatifs le Limousin part perdant s'il joue dans la cour mondiale, puisqu'il ne dispose pas d'une carte aujourd'hui maîtresse, celle du dumping social. Bien sûr cette carte est truquée, et c'est tout à l'honneur de notre région de refuser de s'en servir. Mais dès l'instant où la règle du jeu mondiale autorise (voire favorise) ce genre de "désorganisation organisée", le Limousin a tout à perdre à s'investir trop fortement à cette échelle.

    L'autre manière de répondre à ces menaces est de prendre le contre-pied de cette course en avant débridée : au lieu de tout miser sur quelques productions spécifiques destinées au grand marché mondial, il vaudrait mieux élargir sa palette tout en la remettant en adéquation avec des besoins plus localisés, idéalement à l'échelle régionale. Et de nouveau nous nous retrouvons face au thème stratégique du rétablissement de la souveraineté alimentaire du Limousin, ce qui montre une nouvelle fois sa pertinence.

     

    IPNS : Mais ne pensez-vous pas que cette deuxième manière de répondre au problème sera considérée comme un renfermement sur soi ?

    E B : Non ! Cette aptitude à répondre et cette capacité de réaction ne sont pas l'objet de mesures protectionnistes et xénophobes mais sont bel et bien le fruit d'une intelligence collective visant au respect du principe de prévention et du principe de précaution. La recherche d'équilibre et d'autonomie alimentaire et énergétique pour un territoire trouve sa légitimité dans la mise en application de ces principes. La reconstitution du système agro-alimentaire d'une région passe indubitablement par la régénération d'une multitude d'outils de production (maraîchage, arboriculture, pisciculture, apiculture, aviculture, polyculture, élevage) couplée à une dynamique d'actions transversales dans des domaines aussi complémentaires que la transformation, la commercialisation, la formation et la recherche. Les impacts positifs d'une telle dynamique en matière de création d'emplois directs et indirects sont une véritable opportunité pour lutter contre la précarité et l'exclusion sociale pour ne prendre que le seul cas du Limousin.

    Le périmètre écorégional de souveraineté (qui ne couvre qu'une petite moitié de la surface agricole utile totale) a besoin d'au minimum 50 000 actifs là où ne demeurent aujourd'hui que 30 000 personnes sur l'ensemble de la SAU.

    Le regard que nous portons sur le développement économique du Limousin est, nous le savons, quelque peu différent et original par rapport aux différents acteurs régionaux. Ce regard est aussi, nous en sommes profondément convaincus, un regard novateur, tourné vers l'avenir. Ce n'est pas pour assouvir une quelconque nostalgie passéiste, ni même un réflexe frileux de repli identitaire, que nous mettons ainsi en avant le rétablissement de la souveraineté alimentaire du Limousin. Nous considérons simplement cette démarche de relocalisation des activités agroalimentaires comme une nécessité émergente, comme une forme d'application cohérente du principe de précaution.

    A l'échelle d'une région, avoir une meilleure maîtrise de ses approvisionnements en ressources, alimentaires en particulier, va s'avérer un facteur de plus en plus déterminant pour son développement, pour le maintien de sa stabilité face aux profonds changements de ces prochaines décennies, pour la sauvegarde de ses ressources naturelles dans son ensemble.

     

    Pour en savoir plus :
    Cet entretien est une version (très) synthétique de l'étude réalisée par Emmanuel Bailly "Le concept de l'Ecorégion ou comment restaurer le système immunitaire des régions" . C'est un document de 124 pages qui donne toutes les explications et données chiffrées aux questions que cet entretien pourra susciter auprès de nos lecteurs. Enfin les Assises du Limousin qui se dérouleront les 9 et 10 février aborderont toutes ces questions (voir le programme de ces journées page suivante).
  • Demain une révolution ferroviaire en Limousin

    Dans sa publication de l’été 2006, IPNS présentait sur deux pages le projet d’un réseau ferroviaire de lignes à grande vitesse (LGV) à l’usage des voyageurs et du fret de marchandises : une Transversale Alpes-atlantique. Il était présenté par ALTRO (association logistique Transport ouest),  aujourd’hui Transline. Un projet ambitieux pour tracer un schéma national d’aménagement du territoire à la mesure des impératifs socio-économiques et environnementaux des prochaines décennies. Le surenchérissement du prix du pétrole et sa rareté conjugués avec les projets de la taxe carbone justifient à eux seuls cette prospective du renouvellement et de l’intensification du trafic ferroviaire. Qu’en est-il aujourd’hui ? Deux débats, l’un national, l’autre régional, viennent jeter des bâtons dans les rails de ce projet.

     

    transline 2009Un état toujours plus jacobin

    Dans sa frénésie réformiste à vau-l’eau le gouvernement prépare à la fois une réforme des collectivités territoriales et un nouveau schéma d’aménagement territorial tourné vers la métropolisation du territoire. Onze ou douze métropoles, c’est selon, régiront l’espace national en sur-urbanisation. Adieu la ruralité et l’originalité de l’espace français dans le tissu européen. Le réseau ferré de France (RFF) est prié d’établir un réseau de train à grande vitesse (TGV) à l’usage exclusif des voyageurs. Il doit relier et nouer toutes ces métropoles à la pieuvre parisienne. Ce plan des TGV à connotation jacobine ne retient pas le principe de la transversale Alpes Atlantique. Celle-ci pourtant en associant tout mode de transport : rail, route, fluvial et maritime, porte un coup sévère à l’hégémonie autoroutière. Elle ridiculise le transport aérien sur courte distance aux tarifs exorbitants. Enfin elle offre à la façade atlantique et à la péninsule Ibérique la perspective de liaisons vers l’Europe du sud et du centre sans toucher Paris.

     

    Les enjeux d’un état 

    ssl train

    A l’échelle régionale le débat mobilise une énergie citoyenne pour réfuter le double argumentaire gouvernemental. Il a pris un ton très vif avec le collectif “oui à l’optimisation du POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) - Non à la LGV“.

    Rappelons le contexte. En 2004 pour la campagne des élections régionales les élus s’engageaient pour la promotion et la modernisation du POLT. L’Etat pour des raisons encore bien mal élucidées rejette le projet et lui substitue le barreau TGV Poitiers Limoges.

     

     

    transline 3 branchesEn 2006 le conseil régional se prononce en faveur de la création du tracé Poitiers Limoges sans jamais afficher très fermement son lien avec l’axe transversal proposé par la Transline. Nos édiles sous la férule de l’impérialisme limougeaud n’ont semble-t-il d’autre ambition que de s’assurer le moyen de transport  le plus rapide pour rejoindre Paris ! Aussi acceptent-ils un tracé du barreau TGV Poitiers-Limoges conçu à voie unique. Une aberration dès lors que le fret des marchandises en est exclu. Un TGV cul de sac à l’usage du microcosme de Limoges. Il ne répond plus du tout aux exigences de la Transline. De son, côté en focalisant ses revendications sur la modernisation du POLT, le collectif des opposants s’enferme dans un schéma d’aménagement du territoire orienté vers Paris et  trop limousin. De plus lorsqu’il souhaite faire circuler des TGV sur ce POLT ne prend-t-il pas le risque d’exclure la capitale creusoise de la transversale Alpes Atlantique ? Avec le POLT transformé en LGV, il fait de Vierzon le pivot de l’Y renversé représenté sur la carte ?

    A l’inverse la Transline propose de relier Limoges à Clermont par Montluçon. Enfin pour compliquer le tableau il convient de se rappeler que la région Auvergne se bat afin d’obtenir une liaison à grande vitesse Paris-Clermont et  pour un doublement de la ligne Paris et Lyon. Un nouveau risque de faire pencher la balance pour Vierzon. Pauvre Creuse demeurera-t-elle enfermée dans son unique point ferroviaire futuriste de La Souterraine ?

     

    Projet doublement ligne ferrovoaire Paris Lyon

     

    Comment cette prospective Transline d’un système de transport ferroviaire performant pour assurer une meilleure irrigation du territoire national  parviendra-t-il à surmonter cette triple résistance : l’Etat qui ne l’inclut pas dans son schéma d’aménagement du territoire, la faible volonté d’engagement des élus régionaux limousins inféodés à Limoges, et la fronde grandissante d’élus et d’organisations locales de plus en plus inquiets devant la dégradation du service public de transport à courte et moyenne distance au seul bénéfice du TGV.

     

    Alain Carof­ 
  • Demain, voyager sans pétrole

    Filons bientôt épuisés

    L'échéance de la fin de l'ère du "tout pétrole" se profile à l'horizon. Ce sera, selon les fluctuations des intérêts et des pronostics, vers 2030 ou 2050. Même s'il n'y a pas tarissement des gisements, sa rareté et la flambée continue des prix vont très vite réduire la part du pétrole dans la panoplie de nos ressources énergétiques. Comme celles-ci ne cessent de s'amplifier nous sommes acculés à l'innovation et au changement pour penser l'avenir.

    Avec la fin du pétrole, nos sociétés de plus en plus caractérisées par la mobilité des personnes, des biens et des marchandises, sont appelées à des mutations radicales notamment en matière de moyens de transport. Il est urgent de précéder ce mouvement et de sortir de notre frénésie pétrolière pour voyager et transporter autrement. Pour ne retenir qu'un exemple, sous la pression des lobbys des transporteurs routiers, des entreprises de travaux publics et des sociétés d'autoroute… 75 % du transport des marchandises se fait aujourd'hui par la route. Ce transport routier a bondi de 43 % en moins de quinze ans.

     

    carte transversale alpes atlantique

    Carte 2 - la transversale Alpes Atlantique

     

    Les transports de demain

    Une association composée de spécialistes du transport, de collectivités territoriales et de citoyens s'est constituée depuis une dizaine d'années : l'ALTRO(Association logistique Transport Ouest). Elle propose "un projet pour façonner le réseau de transport régional, national et européen du troisième millénaire". Elle tente d'apporter une réponse à toutes les exigences de mobilité, d'échanges et d'interdépendance entre les hommes et les territoires à l'échelle nationale et européenne.

    Elle s'est fixée trois objectifs.

    • Le premier participe à "l'ardente obligation" d'inventer et d'économiser les ressources énergétiques alternatives au pétrole, avec en corollaire la réduction des gaz à effet de serre.
    • Le second élabore un système de transport fondé sur le développement et le réaménagement du réseau ferré français. A partir d'une trame de lignes à grande vitesse, de connexions inter-régionales et de ferroutage, il associe les différents modes de transport par : fer / route / mer /air.
    • En troisième lieu, avec cette "intermodalité" des transports, l'Etat, les Collectivités territoriales et les citoyens sont appelés à repenser autrement l'aménagement de notre espace national.

     

    Par une irrigation hexagonale

    L'ALTRO, avec son projet de Transversale Alpes-Atlantique (T.A.A) dessine un aménagement du territoire équilibré. Il drainera les régions aujourd'hui délaissées tout en se libérant de l'attraction systématique de Paris et en désengorgeant les axes surchargés du Rhin-Rhône et de la façade méditerranéenne. Il intégrera les activités du transport maritime de l'Arc atlantique dans le futur réseau trans-européen.

    Avec ce projet ambitieux l'ALTRO privilégie l'interdépendance des territoires. Elle rejette le principe de leur compétitivité, tel qu'il est aujourd'hui programmé par l'ex-DATAR devenue depuis le 1er janvier 2006 : la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). La carte n° 1 parue dans le journal Le Monde du 30 mars 2006 est une parfaite illustration de l'absurdité de cette prétendue compétitivité.

    Le futur réseau transeuropéen laboure les mêmes sillons déjà surchargés : la côte méditerranéenne et le couloir rhodanien jusqu’à l’Europe du Nord via Paris ou Luxembourg. Le grand ouest, une fois de plus, est laissé de côté.

     

    Regardons de plus près le tracé de cette TAA dans notre espace hexagonal. Il sera constitué par une liaison ferroviaire à grande vitesse qui reliera l'Océan aux Alpes (voir la carte n° 2). A cet axe ferroviaire transversal seront connectées des liaisons à grande vitesse en provenance de tous les grands ports de la façade atlantique. Celles-ci convergeront par Angoulême ou Poitiers - déjà reliée à Paris - sur Limoges. De là, la TAA traversera le Massif Central pour rejoindre Lyon par Clermont-Ferrand. Limoges et Lyon seront les pôles convergents et les plaques tournantes de cette colonne vertébrale de l'Europe des transports ferroviaires (voir la. carte n° 3). Toutes ces lignes à grande vitesse seront empruntées par les trains de voyageurs ou de marchandises.

     

    carte reseau ferre transeuropeencarte TAA

    Carte 1 Le futur réseau ferré transeuropéen  -  Carte 3 La transversale Alpes Atlantique dans le corridor Lisbonne-Kiev

     

    Un débat dans l'urgence

    Les concepteurs de cette nouvelle infrastructure de communication, tous spécialistes reconnus de la logistique du transport, travaillent depuis longtemps sur cette ébauche. Ils l'ont présentée dans un ouvrage très technique publié en 2000. Ils y développent les multiples interactions de la TAA avec le réseau ferré déjà existant et toute la chaîne du transport des marchandises à courte, moyenne et longue distance. Ils sont conscients que parmi les solutions projetées en 2000 quelques unes sont déjà obsolètes. Représentants de la société civile, ils osent ouvrir un débat sur l'aménagement du territoire, jamais encore réalisé à cette échelle européenne. Ils entendent le mener à son terme. Aussi ont-ils confié à un cabinet d'études spécialisé une pré étude fonctionnelle pour sa réalisation d'ici à vingt ans.

     

    Lancée au mois de mai 2006, des premiers résultats interviendront en novembre. Elle sera terminée pour la fin 2007, début 2008. S'ils sont déjà assurés de la moitié du financement, le concours financier des régions des départements, des collectivités urbaines et des chambres consulaires leur est impérativement indispensable pour terminer l'étude. Ainsi en Limousin, le président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Haute-Vienne et le député maire président de l'Agglomération de Limoges se sont déclarés en faveur du projet dans les colonnes de l'Echo du Centre du 30 mai dernier. A l'inverse, toujours dans ce même quotidien, la Région, par la voix du vice-président de la Région refuse de s'engager. Il exprime une certaine défiance à l'égard d'un projet mené par une association ! Et sa fixation sur le train pendulaire est quelque peu restrictive. Dans sa projection de l'avenir, il ne voit pas beaucoup plus loin que la haie de son jardin. Comme "il a d'autres chats à fouetter" il n'a peut-être pas pris le temps de lire le projet ALTRO. Celui-ci inclue bien entendu le projet de TGV pendulaire, et souhaite sa réalisation à court terme. Mais la liaison pendulaire Paris-Toulouse ne fait guère progresser le débat sur l'aménagement du territoire, encore une fois il l'enferme dans le centralisme parisien.

    Nos inventeurs de la TAA nous assurent cependant qu'elle peut se réaliser dans les vingt cinq prochaines années. Il y a donc urgence à se mobiliser pour booster les élus à s'engager dans cette réflexion prospective. L'urgence est d'autant plus vive qu'un rapport réalisé par des experts suisses révèle une dégradation alarmante du réseau ferré français par manque d'entretien. Les usagers l'observent tous les jours avec l'accumulation des retards et l'augmentation des temps de parcours, à l'exception des lignes TGV. Comme la Poste ou les Hôpitaux, Gaz de France et demain EDF, la SNCF est entraînée dans le tourbillon de la privatisation libérale. En se défaussant sur les régions pour la gestion des lignes Corail interrégionales l'Etat tend à se dégager du service public du rail. Là encore il est sous la tutelle du lobby des transports routiers qui le pousse à la construction de nouvelles autoroutes. Dans le scandale des rémunérations des patrons des grandes entreprises du MEDEF on a bien remarqué les appétits luxuriants du groupe Vinci, le spécialiste de la construction et de la concession des parkings et des autoroutes. Avec l'aimable complicité des barons adoubés de l'appareil de l'Etat, il vient de se porter acquéreur de la Société des autoroutes du Sud de la France (ASF). L'intermodalité des transports des voyageurs et des marchandises autour du rail est une alternative à la croissance du trafic routier et au surenchérissement des ressources énergétiques. Les liaisons à grande vitesse à l'échelle de l'Europe sont aussi une alternance au trafic aérien continental. Or elles exigent l'électrification de tout le réseau ferré ; et de plus, les motrices de ces rames ferroviaires sont très dispendieuses en énergie. Les promoteurs de la TAA restent très discrets sur ce chapitre. Il est vrai qu'ils sont des fidèles représentants de la culture technocratique formidable propulseur de mobilité. Elle exige toujours la plus grande vitesse et la plus courte durée pour tout déplacement.

    C'est la tyrannie de l'immédiateté, l'un des moteurs de l'économie libérale. Celle qui pense et organise le marché à l'échelle de la mondialisation, de tout le marché : affaires, voyages, vacances, fret …et rien que le marché, celui qui nourrit le CAC 40 et ses actionnaires. Mais avec l'obligation d'entrer dans l'ère de la restriction dans la consommation des ressources, ils seront nécessairement appelés à inventer des motrices moins gourmandes en carburant et fonctionnant avec des sources d'énergie alternatives. Comme dans le transport maritime ou aérien intercontinental la voie demeure grande ouverte à la recherche et à l'invention. Déjà des navires, des dirigeables et des avions gros porteurs fonctionnent, à titre expérimental, en système multi-énergie : solaire, éolien …

    La TAA avec ses ramifications inter-régionales répond au double défi du désenclavement du territoire et des exigences environnementales. L'emprise spatiale d'une infrastructure ferroviaire est beaucoup plus limitée que celle des ouvrages autoroutiers et s'intègre quand même mieux dans l'environnement. Le débat reste totalement ouvert pour toutes suggestions nouvelles. Notamment celles qui contribuent à réduire les gaz à effet de serre et leur incidence sur le changement climatique. C'est pour demain, apprendre à voyager et transporter autrement.

     

    Alain Carof

    Parce qu'elle est l'émanation de la société civile, l'ALTRO ne regarde pas que les élus. Elle souhaite rassembler le plus grand nombre de citoyens pour forcer la main de l'Etat et l'enjoindre à développer et maintenir le service public des transports. On peut adhérer à l'ALTRO en lui écrivant : BP 104, 17004 La Rochelle Cedex 1. La cotisation est de 20 euros.

     

    D'hier et d'aujourd'hui

    Le quotidien La Montagne du 4 juillet 2006 relate une manifestation de protestation des usagers de la liaison Montluçon-Ussel. Ils font état des nombreux ralentissements des trains faute de travaux d’entretien des voies, ils expriment leur crainte que les trains ne puissent bientôt plus rouler par mesure de sécurité. Entre Montluçon et Evaux-les-Bains les trains ne roulent plus qu’à 40 km/heure, soit moins vite qu’il y a 110 ans à la création de la ligne ! Dans la même édition on apprend que sur la ligne Paris-Toulouse des arrêts à la gare de La Souterraine vont être supprimés. Alors que la Région entreprend des travaux importants pour conforter les fonctions de cette unique gare du nord Limousin. Et dans le même temps la SNCF raye de sa carte la desserte rurale de la gare de Saint Sébastien. Aujourd’hui comme hier le service public néglige la population de l’espace rural.

    Déjà L’Echo de la Creuse du 1er juin 1889 rapporte «un vœu du Conseil Général de la Creuse appuyé par la grande industrie d’Aubusson. La Cie d’Orléans a décidé que le train qui part de Guéret pour Saint Sébastien serait retardé afin qu’il prenne des voyageurs pour les verser dans l’express de Toulouse qui passe à Saint Sébastien et arrive à Paris avant minuit. C’est là une bonne chose sans doute, mais à la condition expresse que ce train ne soit pas réservé uniquement aux voyageurs des premières, c’est à dire qu’il y ait dans le train allant à saint Sébastien et dans celui de Toulouse des voitures de toutes  les classes (1ère, 2ème, 3ème). La situation faite aux petites bourses est surtout ce qui nous intéresse». Ce n’est certainement pas aujourd’hui la sensibilité des gestionnaires politiques de notre compagnie nationale qui poursuivent peu à peu sa privatisation. Elle avait été amorcée dès 1997 en séparant la gestion des infrastructures, c’est à dire des voies ferrées, par le Réseau Ferré Français (RFF) de la gestion du trafic par la SNCF.

     

    vaches

     

    Le débat est ouvert

    Pour la première fois, la Région Limousin a créé une Commission particulière du débat public pour le projet de ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges. Cette procédure consiste à donner la parole aux citoyens pour décider de l’avenir d’un grand projet d’aménagement du territoire. Les débats s’échelonneront du 4 septembre au 15 décembre 2006 dans plusieurs villes limousines selon un calendrier déjà établi. 
    Initialement le débat porte sur le projet d’une ligne à grande vitesse entre Poitiers et Limoges pour raccourcir le temps de parcours de Limoges à Paris. En rejoignant la ligne Sud-Europe-Atlantique (Paris- Bordeaux) les TGV mettraient la gare de Limoges à moins de deux heures de Paris-Montparnasse. Outre qu’il s’oppose au projet du train pendulaire Paris-Toulouse, il reste dans l’indéracinable logique de la centralisation parisienne et de l’appauvrissement des territoires ruraux. Puisque toute personne qui le souhaite peut émettre une proposition, soyons nombreux à participer au débat pour la construction de cet axe Poitiers-Limoges, mais en le recadrant sur l’axe de la transversale Alpes-Atlantique (TAA). On ira quand même en moins de deux heures à Paris, mais aussi à Lyon en 1h15 au lieu de plus de 5 heures aujourd’hui !
  • Hyperloop ou Hyperlouche ?

    Un récent article de La Montagne, du 15 janvier 2018, m'a laissé rêveur : “Un centre d'essai pour l'hyperloop à Limoges ?“. Habitué des pétitions pour le maintien de la gare SNCF de la Souterraine ou du guichet d'Aubusson, je passais d'un coup dans un monde futuriste. Précisément dans le monde de l'Hyperloop, ou train du futur, pour lequel la société franco-canadienne Transpod était à la recherche d'un terrain autour de Limoges pour y créer son centre d''essais.

     

    hyperloop

     

    Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, l'hyperloop est “une capsule mue par un moteur électromagnétique qui circule à plus de 1 000 km/h dans des tubes sous vide fixés sur des pylônes en béton“. C'est pour installer ces pylônes sur une ligne expérimentale de 3 kilomètres1 que les promoteurs du projet cherchaient des partenaires et des financements. Rapidement, ils ont trouvé des oreilles bien intentionnées chez des décideurs politiques et économiques limougeauds de premier plan. Ce n'était qu'un début, puisque d'autres rendez-vous étaient pris, en janvier et  février  avec les présidents Rousset et Macron. Dans la foulée, l'association Hyperloop Limoges déposait ses statuts et la visite d'une ancienne voie ferrée était organisée dans le secteur de Châteauponsac. Quelques jours plus tard, un autre article de La Montagne rapportait que le premier site visité pouvait convenir à Transpod. Que voilà une affaire rondement menée ! Dommage que personne n'ait pensé à proposer l'ancien site d'essai de l'aérotrain Bertin : celui que les voyageurs du POLT longent sur une vingtaine de kilomètres au nord d'Orléans. Totems de béton toujours aussi inutiles et indestructibles après plus 50 ans !

     

    Signal fort

    “Mettre Limoges au centre du monde et à une demi-heure de Paris“, voilà le pari proposé par les dirigeants de Transpod à nos édiles. C'est sûr qu'à ce train-là “fini l'image d'immobilisme qui colle à la peau de Limoges“. Sublimée la perte de la LGV et ses modestes 300 km/h, on entrerait d'un coup dans l'hypermobilité. C'est Alexis Monge, Président de l' ALIPTIC (Association limousine des professionnels des technologies de l'information) qui ringardise la LGV “technologie vieille, voire très vieille“. À ce point de leur article, les journalistes de La Montagne commencent à se poser des questions : Pourquoi Limoges et pas Orléans ? Ou bien le Canada et ses grands espaces ? Pourquoi des promoteurs aussi pressés (décision sur le projet de site impérativement avant l'été) et surtout “comment obtenir la subvention régionale de 10 millions € qui manquent au budget“ ? Mais la confiance règne : il paraît “impossible“ aux tenants du projet qu'Alain Rousset ne donne pas un signal fort2 envers les Limousins et refuse cette subvention. Personnellement, j'y vois l'illustration d'un de ces “contrats de coopération métropolitaine“ évoqués par Aude Chopplet dans son article. Des contrats, précise-t-elle, assortis de 150 millions € dont les métropoles régionales peuvent disposer comme bon leur semble. J'ai peur d'imaginer une séance de nuit à l'assemblée régionale, des conseillers fatigués, des arrangements de couloirs entre amis et pof ! 10 millions € qui se vaporisent dans l'hyperloop. On aurait joué à qu' “hyper gagne“ pourrait dire la Tata du Limousin.

     

    “Mettre Limoges au centre du monde et à une demi-heure de Paris“, voilà le pari proposé par les dirigeants de Transpod. C'est sûr qu'à ce train-là “fini l'image d'immobilisme qui colle à la peau de Limoges“

     

    Califor-niaiserie

    Hasard ou prémonition citoyenne, quelques jours plus tard j'écoute l'émission “Matières à penser“ sur France Culture3 qui reçoit Yves Crozet, spécialiste reconnu de l'économie des transports. Il s'y montre très sévère sur l'hyperloop. Prenant pour exemple le projet de liaison Los Angeles - San Francisco, il le qualifie de “califor-niaiserie“4, rappelant au passage que les ingénieurs suisses ont abandonné la même “chimère technologique“ du nom de Swiss Metro après 30 ans d'essais infructueux…

    Fort de ces informations et références, somme toute inquiétantes pour nos finances régionales, je les ai envoyées aux auteurs des différents articles. Je n'ai pas eu de réponse de leur part. J'ai eu plus de succès avec un conseiller régional EELV qui m'a répondu qu'il était au courant, ajoutant “que les escrocs sont prêts à profiter du désarroi de certains élus“. Retenons donc que d'autres élus sont en alerte et que les 10 millions d'euros ne sont pas encore dans les poches de Transpod and co. 

    Aux alentours du 1er avril 2018, j'aurais pu croire à un gag tant la ficelle était grosse. Pourtant elle attrape de gros poissons : le président du conseil départemental, Jean-Claude Leblois, le président d'agglomération de Limoges, Gérard Vandebroucke, et biens d'autres dont on peut, sur cette affaire, s'interroger sur leur sagacité à gérer l'argent public. Un réflexe d'habitant de Creuse Grand Sud, sans doute… Avouer aux journalistes: “Franchement on en a marre de prendre des baffes“, ne peut pas tenir lieu d'excuse en politique ou alors c'est prendre le risque de s'exposer, et aux escrocs de passage, et aux blaireaux citoyens.

     

    aérotrain BertinLimoges-Paris en 25 minutes !

    Sur la forme : à supposer qu'il ne s'agisse pas d'une blague de journaliste voulant piéger notables et lecteurs, je regrette de ne pas avoir eu de réponse ou de débat avec les journalistes ou les lecteurs de La Montagne. J'espère que ce sera mieux avec ceux d'IPNS et que la série “Rions un peu avec l'aménagement du territoire“ s'enrichira de nouvelles contributions.

    Sur le fond, ces temps-ci, je trouve les rédactions de La Montagne et Centre France un peu trop enclines à tenter de remplir les vides de l'hyper-ruralité avec du vent. Nouvel exemple dans l'édition du 13 février 2018 : “La grande vitesse, un rêve impossible ?“ où la journaliste imagine des voyages en hyperloop au départ de Limoges (pourquoi pas Felletin d'ailleurs !) : 25 minutes pour Paris avec des billets à 60 €. Eureka, Limoges est désenclavée et devient la banlieue de Paris : “d'ailleurs 70 % des voyageurs font l'aller-retour dans la journée“ comme de vrais banlieusards, la verdure du Limousin en prime. Yapluka ressortir le barreau LGV Limoges-Poitiers (1,5 milliard d'euros) et on aspire Bordeaux ! La Montagne n'arrête pas là sa machine à rêves avec un article (le 20 février 2018) sur “la première esquisse pour la piste d'essai de l'hyperloop en Haute-Vienne“ avec de beaux schémas en couleurs. De quoi recruter de nouveaux adhérents pour l'association Hyperloop Limoges, dont le président Vincent Léonie annonce : “Notre  travail de promotion de cette technologie va pouvoir s'accélérer“. Mieux que “dormez brave gens“, c'est “rêver braves gens“ !

     

    Du rêve au cauchemar

    Si j'ai bien lu, l'hyperloop, c'est Concorde qui mettait Paris à 2 heures de New York pour 10 000 € le billet, la démocratie en plus avec des billets à 60 € pour environ 20 000 voyageurs par jour à raison de 30 navettes de 20 personnes sur 18 heures dans les 2 sens. À moins que, comme Concorde qui transportait les grands de ce monde aux dépens des contribuables, l'hyperloop ne tranporte que les nombreux présidents limougauds et leurs “égaux“. Espérons qu'ils auront mis fin “à leurs querelles politiques“ pour y monter tous ensemble. Pas très en ligne avec le projet de réforme Spinetta tout ça. Pour peu que “l'intérêt socio-économique ne puisse être démontré“ et qu'en plus, un partenariat public-privé ait été conclu comme celui de la LGV Poitiers Bordeaux (garantie de la prise en charge des déficits pour Vinci), le rêve virerait au cauchemar. Excusez-moi, c'est le syndrome Creuse Grand Sud qui me reprend !

     

    Jean-Luc Caillau

    1 À la vitesse d'environ 300 mètres par seconde, l'engin devra défier les lois de la physique : accélérer et décélérer sur seulement 3 000 mètres de voie ? Ça devient hyperlouche...
    2 Rapport Spinetta : “l’État doit envoyer un signal clair en ne consacrant plus aucun crédit aux lignes dont l'intérêt socio-économique n'est pas démontré. “
    3 France Culture le 24/01/2018. À réécouter ici : http://bit.ly/2BUB6fY
    4 Projet d'Elon Musk, grand magicien de la high tech.
  • Hyperloop persiste et signe persiste et signe

    hyperloopTransPod, la start-up canadienne créée en 2015 qui installe à Droux, en Haute-Vienne, son centre d’essais, a annoncé le 24 août 2020.

    « la signature d’un protocole d’entente avec le gouvernement de l’Alberta au Canada, pour développer le projet d’une ligne Hyperloop entre Calgary et Edmonton », deux villes distantes d’environ 300 km. C’est ce que nous apprend le journal La Dépêche. Mieux : TransPod annonce aussi « après la réalisation de l’étude d’une ligne entre Marseille centre-ville et aéroport, et Marseille - Nice, le lancement des études de faisabilités en 2021 pour les corridors Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et Paris-Le-Havre ». Lorsqu’elle s’est installée à Droux, l’entreprise avait pourtant bien précisé qu’elle n’envisageait pas une liaison Limoges-Paris. En faisant miroiter aujourd’hui cette possibilité elle cherche peut-être à rassurer les financeurs publics qui lui ont accordé des aides (fonds européens Feder et région Nouvelle-Aquitaine). Le mirage du transport à très très très très grande vitesse fait donc encore rêver celles et ceux qui, pourtant, ne cessent depuis la crise sanitaire de proclamer qu’il faut revoir nos modèles de consommation, de déplacement et de développement...

     

  • Investir dans une déviation routière... ou réinvestir le chemin de fer ?

    Tandis qu'on nous concocte du côté est de Limoges une déviation routière qui passerait par Feytiat et Panazol, la ligne de chemin de fer qui dessert Limoges depuis le Plateau fait l'objet d'un désengagement des pouvoirs publics. Il est temps de réagir !

     

    amenagement routier limoges feytiatNon à la priorité à la voiture !

    Le développement de la circulation routière semble compromis du fait de la très grande dépendance au pétrole, ressource non renouvelable et polluante, de plus en plus onéreuse et taxée, et que, à ce jour, ne semble être connue aucune autre solution énergétique satisfaisante, pouvant être utilisée à grande ampleur, tant du point de vue technique que du coût, qui permettrait de continuer à circuler avec l’intensité que l’on connaît actuellement. Pourtant, c’est maintenant que le conseil départemental de Haute-Vienne et la communauté d’agglomération de Limoges, pour contourner Limoges à l’est, entre Feytiat et Panazol, ont le projet d’offrir un nouveau boulevard à la circulation des véhicules individuels et des camions.

    On peut légitimement s’interroger sur la vision qu’ont ces institutions quant aux solutions en matière d’énergie renouvelable et non polluante. Dans le contexte actuel, et vraisemblablement encore pour un grand nombre d’années, est-il vraiment pertinent d’envisager ce projet annoncé à 50 millions d’euros, au bas mot (enveloppe du conseil départemental... qui n’aurait pas d’autres priorités ?), qui, de surcroît, va soustraire au minimum 25 hectares à l’agriculture et aux espaces naturels (rupture de la Trame Verte et Bleue du Schéma Régional de Cohérence Ecologique !), sans compter l’artificialisation ultérieure des sols par les constructions induites dans la périphérie de cette nouvelle desserte routière ?

     

    Vaut-il mieux préserver et développer la desserte ferroviaire et irriguer Limoges et sa périphérie par des transports en commun, ou bien construire le contournement est de Limoges pour augmenter l’afflux de véhicules ?

     

    Un des principaux arguments avancés pour justifier la déviation est le nombre croissant de camions. Encore un investissement lourd pour un lobby néfaste à l'environnement et dont on connaît bien l'impact sur la dégradation des chaussées, sans qu'il ne participe à l'entretien ou à la remise en état, toujours à la charge des collectivités. Pour favoriser l’accès aux agglomérations, ailleurs en France et dans le monde, des solutions sont plutôt envisagées par le recours aux transports collectifs à partir de la périphérie des villes, les véhicules individuels étant stationnés sur des parkings desservis par des transports en commun irriguant ensuite les agglomérations.  Soit dit en passant, si les collectivités porteuses de ce projet n’ont plus d’investissement à réaliser pour le bien commun, il leur est loisible de baisser les impôts…

     

    Pendant ce temps, du côté du chemin de fer...

    Dans le même temps, en matière de transport en commun et de desserte de l’est de Limoges, on apprend que la ligne de chemin de fer Ussel-Meymac-Eymoutiers-Châteauneuf Bujaleuf-St Léonard-de-Noblat-Limoges est menacée. Le coût d’investissement de la mise aux normes du système de signalisation de cette ligne est d’environ 20 millions d’euros et de la compétence de la région Nouvelle-Aquitaine qui doit négocier avec SNCF-Réseau. Nous n’oublions pas d’évoquer les insuffisances de service déjà constatées : horaires inadaptés aux besoins de la population, gares et guichets fermés …  A rappeler : l’investissement d’un montant de 24 millions d’euros réalisé en 2011 pour la rénovation des voies de ladite ligne et financé par l’Etat, la Région et RFF (Réseau Ferré de France aujourd’hui remplacé par SNCF-Réseau) plus la reprise d’ouvrages d’art d’un montant de 6,8 millions d’euros financé par RFF. De plus, des travaux de réhabilitation du bâtiment de la gare d’Eymoutiers sont entamés depuis la fin de l’année 2018. Nous voulons croire que tous ces investissements bénéficieront durablement aux usagers de la ligne et permettront des circulations plus adaptées aux besoins. De plus, il serait souhaitable que la ligne permette le transport de marchandises, ce qui s’est pratiqué dans le passé (transport de bois opéré dans les années 2000). Il ne serait pas recevable que des dépenses importantes eussent été réalisées sur fonds publics, donc sur nos impôts, il n’y a pas si longtemps, en 2011 et 2018, pour fermer la ligne quelques années plus tard !       

    Sauf à imaginer que, comme au temps des “trente glorieuses“, il est possible de financer allègrement sur fonds publics ces deux grands projets, qui plus est sans se soucier des impacts sur l’environnement (pollutions, artificialisation des sols…), manifestement, les décideurs vont devoir choisir en se fondant sur une vision à long terme, et au-delà de leur strict périmètre d’intervention.

     

    Sauver la ligne SNCF Limoges-Ussel

    Pour sauver la ligne SNCF Limoges-Ussel, on ne peut nous objecter des arguments juridico-administratifs sur les compétences spécifiques des collectivités territoriales et l’impossibilité de financements “croisés“. Des exemples de tels financements existent, entre autres la ligne ferroviaire Sarlat-Bergerac-Libourne : “Le financement de cette opération, dont le coût est estimé à près de 84 millions d’euros est assuré selon la répartition suivante : 27,27 M€ Etat, 35,18 M€ Région, 14,66 M€ SNCF Réseau et 6,75 M€ collectivités territoriales“1.

    Ligne Chateaubriant-Rennes : “Plan de financement des études d’avant-projet de l’opération de renouvellement : les 2 études s’élèvent au total à 1,7 million d’euros : Rennes – Retiers : 900 000 € (Etat 20%, région Bretagne 40%, Rennes Métropole 10%, Ille-et-Vilaine 5%, communauté de communes du Pays de la Roche aux fées 10%, SNCF Réseau 15%). Retiers – Chateaubriant : 800 000 € (Etat 20%, région Bretagne 17,6%, région Pays-de-la-Loire 37%, Ille-et-Vilaine 5%, communauté de communes du Pays de la Roche aux fées 5,4%, SNCF Réseau 15%)2

    Autrement dit, à grands traits, et sans oublier les nécessaires compléments en mobilité à imaginer et réaliser à l’est de Limoges : vaut-il mieux préserver et développer la desserte ferroviaire pour les voyageurs comme pour le transport de marchandises, et irriguer valablement la ville de Limoges et sa périphérie par des transports en commun, ou bien construire le contournement est de Limoges pour augmenter l’afflux de véhicules vers la ville, polluants pour encore x années (y compris les véhicules électriques polluants à leur façon) et, rappelons-le, dont personne ne sait s’ils pourront à terme circuler avec un système énergétique durable, non polluant et d’un coût abordable ? 

    Mais, quelle instance a donc une vision globale, pertinente et anticipatrice de la mobilité sur ce territoire, c’est-à-dire une vision qui n’ignore pas les impacts sur l’environnement et soit respectueuse des préceptes de la “transition énergétique et écologique“, de façon à opérer des choix adaptés aux besoins de la population et de l’activité économique, tout en envisageant les évolutions à long terme ? La réponse devrait se trouver à l’échelle du Contrat de Plan Etat Région, à charge pour les assemblées délibérantes et les élus des collectivités territoriales concernées de saisir les responsables de la programmation : l'Etat et la Région.

     

    Helena Pergame

    1 Bergerac.fr, 18 avril 2018.
    2 “Nouvelle étape vers la modernisation de la ligne TER Rennes-Châteaubriant“ sur le site de la préfecture de Bretagne : https://bit.ly/2NiwtzX 

     

    eymoutiers gare 2018Mobilisation citoyenne 

    Les deux sujets abordés dans l'article ci-dessus se rejoignent sur bien des points. Notamment parce qu'ils mobilisent des groupes de citoyens, POUR la défense de la ligne SNCF, et CONTRE le projet de déviation Limoges-est. Aux dernières nouvelles, on tendrait à terme à supprimer « une partie » de la ligne Limoges-Ussel, étant entendu que le prolongement vers Clermond-Ferrand n'existe plus depuis plusieurs années. Le trafic Eymoutiers-Limoges et retour serait suffisant pour envisager le maintien de ce tronçon. Tout ça au conditionnel, les responsables politiques, à différents niveaux, se concertant, paraît-il, avec d'autres autorités, les responsables SNCF leur renvoyant la balle. Le papotage inutile est probablement un sport régional (et national). Très concrètement, depuis la manifestation du 8 décembre 2018, et la réception musclée en gare de Limoges (voir IPNS n° 65), seul le groupe des gilets jaunes dit “de la Montagne Limousine“, renforcé par des citoyens non-engagés dans ce cadre-là, maintient un peu de pression sur les décideurs. Récemment ont eu lieu deux allers-retours Eymoutiers-Châteauneuf-Bujaleuf, genre “occupation“ symbolique et gratuite du train. Beaucoup parmi ces citoyens attendent des informations sur le devenir de la ligne, mais aussi de la gare d'Eymoutiers. Toujours en travaux, qu'elle va être belle ! On se demande bien quel avenir sera réservé aux guichets, ou si un jour on pourra acheter son billet en même temps que son pain, son paquet de tabac, ou son Popu.  Affaire à suivre.
  • Le piège

    le piege Jean Paul TrichetC'est un lecteur d'IPNS qui nous a envoyé un petit livre édité à Chamonix et consacré au tunnel du Mont Blanc. Quel intérêt pour nous qui habitons le plateau de Millevaches, qu'un ouvrage qui parle d'un fond de vallée à l'autre bout du pays ? Penser cela serait tomber dans le piège de croire que les problèmes auxquels sont confrontés d'autres territoires ne nous concernent pas. Le sujet de cet ouvrage dépasse en effet de loin la simple histoire locale. Et il est même revenu en force dans l'actualité nationale avec l'accident de deux poids lourds dans le tunnel de Fréjus le 4 juin dernier.

    Il se trouve, pur hasard, que l'auteur, Jean Paul Trichet n'est pas sans liens avec le plateau : "Mon père est originaire de Vendée. Technicien en communication, il a installé de nombreux relais télé aussi bien en France qu'en Europe. C'est au cours d'une de ses missions, en Creuse, qu'il a rencontré sa future épouse. Ma mère possède ses racines sur le plateau de Millevaches en Limousin. J'ai vu le jour à Limoges". Jean Paul Trichet grandit donc en Limousin, mais la montagne limousine n'est pas à la hauteur (dans tous les sens du terme) de sa passion naissante pour la montagne. "Pas plus à Limoges qu'à Cieux ou Collonges les hivers daignaient offrir "ce manteau blanc" dont on parlait parfois sur les terres plus élevées de la montagne limousine. Mes études à Egletons, en lisière du plateau de Millevaches, ne parvinrent pas à combler ce manque que ma passion de la montagne avait exacerbé". A 20 ans, Jean Paul Trichet quitte donc le Limousin et va s'installer dans les Hautes Alpes d'abord, dans la vallée de Chamonix ensuite : "Ce fut le déclic. Je découvrais enfin les grands espaces, la pratique de la haute montagne et celle du ski. Chamonix était devenu mon ancrage, la satisfaction comblée d'un rêve de gosse".

    Vingt ans plus tard, Jean Paul Trichet est toujours chamoniard et est même devenu une personnalité incontournable de la cité alpine. Habitant actif de son pays d'adoption, amoureux de ses paysages, il s'est vite aperçu que la "vallée blanche" devenait, année après année, un véritable couloir à poids lourds de plus en plus nombreux, qui polluent la vallée pour emprunter à 1400 mètres d'altitude les 11,6 km du plus profond tunnel routier du monde : le tunnel du Mont Blanc. Du coup il s'engage résolument au sein de l'ARSMB, l'association pour le respect du site du Mont Blanc, dont il assurera la présidence de 1997 à 2003. C'est cette histoire militante et associative qu'il raconte en détail dans son livre intitulé : "Le Piège".

     

    Une catastrophe… pour rien.

    Le piège bien sûr, c'est d'abord ce tunnel construit au début des années 60 et qui, très vite, n'est plus du tout adapté à l'intensité du trafic : 4000 à 5000 poids lourds par jour, un toutes les 10 à 15 secondes ! Et ce que les militants de l'ARSMB craignaient depuis longtemps se réalise le 24 mars 1999 : l'accident dramatique de ce camion belge qui transportait de la farine et de la margarine, l'incendie non maîtrisable qui dure trois jours, 39 morts et des dégâts considérables. Le piège a terriblement fonctionné.

    Mais le piège c'est aussi la logique marchande et économique qui va très vite reprendre ses droits après la catastrophe. Car si l'ARSMB se mobilise plus que jamais pour obtenir la fin de la circulation des camions dans la vallée, rien n'empêchera le tunnel de ré-ouvrir aux poids lourds, d'abord pour une circulation alternée, puis dans les deux sens à partir du 3 mars 2003.

    Pourtant, "le tunnel du Mont Blanc n'est pas conforme aux nouvelles réglementations françaises, rédigées en août 2000, après la catastrophe du 24 mars 1999, qui stipulent qu'un ouvrage de plus de 1000 mètres doit posséder une galerie indépendante de sécurité et faire au moins 9,50m de large. La chaussée du boyau du Mont Blanc mesure sept mètres, soit la largeur d'une cage de but de football, ou un peu moins que le fuselage du nouvel Airbus A380. Quant à cette galerie d'accès indépendante, elle est absente (…) Paradoxe : la nouvelle réglementation française d'août 2000, conséquence du drame du Mont Blanc, s'applique à tous les ouvrages français sauf… à celui du Mont Blanc".

     

    Défaite du politique

    La lecture de ce petit ouvrage est extrêmement instructive. Pas seulement sur les manœuvres autour du tunnel du Mont Blanc (le black out de l'information le premier jour de la catastrophe, la disparition des disques d'enregistrement du trafic de ce même jour, les pressions du préfet sur l'ARSMB et sur le maire de Chamonix qui s'est mis en tête d'organiser un référendum sur la question). En fait, "le Piège" nous en apprend autant sur l'état de la démocratie française et sur le poids énorme des lobbies industriels ou financiers (en l'occurrence ici, celui de la route). Après l'accident du tunnel, Jacques Chirac se déplace et tient un discours volontariste comme il sait si bien le faire pour défendre le ferroutage et critiquer le tout routier… Discours qu'il oublie aussi vite - comme il sait là encore si bien le faire. Mais le ministre des transports de l'époque ? Jean Claude Gayssot, communiste et ancien cheminot, pourquoi n'a-t-il rien opposé au retour du fret routier dans le tunnel ? Et Dominique Voynet, alors ministre verte de l'environnement, pourquoi, là encore, n'a-t-elle rien entrepris ? Passivité ? Inertie ? Impuissance ?

    Devant cette défaite du politique, la leçon du "Piège" est qu'on ne peut compter que sur soi-même et que seule une minorité active mais déterminée peut aller à contre courant de "choix" de politique générale désastreux mais puissamment soutenus. Bataille perdue malgré une mobilisation populaire exceptionnelle : une pétition qui rassemble 300 000 signatures, un référendum local qui refuse à 97% le retour des camions dans la vallée…

    Ce qui montre bien la taille des enjeux auxquels s'est mesurée l'ARSMB. Encore combien de catastrophes pour remettre en cause le tout routier ? Et quelles actions pour réussir un changement de politique ? Nos petits panneaux "non aux OGM" en entrée de communes, nos pétitions, nos canards, nos manifestations… ont-ils quelque chance de faire changer les choses ? Jean Paul Trichet nous invite certes à persévérer (et sans conteste, il le faut), mais son histoire nous dit aussi que les enjeux sont si grands qu'il n'est rien de moins sûr que de parvenir à ses fins.

     

    La route avant tout

    transport boisLa critique du tout routier s'accompagne d'une défense et illustration du ferroutage que nos voisins suisses ou autrichiens ont très largement entrepris. Déjà dans les années 80 le trafic routier transalpin passait de 46% à 38% en Autriche, alors qu'en France il grimpait de 45% à 51%...

    Et ici, la problématique est-elle très différente ? Les initiatives de la SNCF en matière de transport des bois montrent malheureusement que la solution routière n'a pas à craindre la concurrence du rail. En effet ce n'est pas moins qu'une augmentation de 60% de ses tarifs que la société nationale a pratiqué en un an, de septembre 2003 à novembre 2004. Et "sans concertation avec ses clients" comme le souligne Bernard Tissandier, le président des scieurs et exploitants forestiers de la Creuse. Une hausse que ne conteste pas la SNCF qui a décidé que désormais chacune de ses branches devait devenir rentable.

    Comme le dit joliment René Lavie, le responsable du fret régional, il s'agit de "nous responsabiliser sur des comptes d'exploitation". Concrètement on n'y est pas allé de main morte : les 42 personnes du service fret de Limoges ne sont plus que 5 et l'essentiel de la gestion commerciale et technique s'est concentré sur Toulouse ou Tours ; sur les 18 gares bois limousines on en a fermé 14 (seules demeurent Bourganeuf, Felletin, Bugeat-Viam et Limoges) ; et bien sûr on a augmenté les tarifs de façon à ne plus faire une seule prestation à perte, puisque la mutualisation entre les services (fret / voyageurs / etc.) a été remise en cause. Conséquence ? Les 150 000 tonnes de bois limousin transportées en 2002 ou 2003 par la SNCF seront divisées par trois en 2005. Cela veut dire un peu plus de camions sur nos routes. D'ores et déjà les deux trains hebdomadaires qui alimentaient l'usine papetière de Saillat ont été remplacés par des camions : quelques 3000 poids lourds de plus chaque année sur l'axe Plateau-Limoges-Saillat. L'entreprise Marty qui faisait venir 40% de ses bois en train depuis Bourganeuf, affrète désormais des semi-remorques. Au total, si l'on considère qu'environ 100 000 tonnes de bois ne transitent plus par le rail, c'est plusieurs milliers de camions supplémentaires qu'on croisera sur les routes limousines.

    A la SNCF même, on ne croit plus au fret bois intrarégional ! On sait que les critères de rentabilité ne peuvent être obtenus que sur des transports massifs à longue distance (la distance minimale rentable est au-dessus de 400-500 km). Pas étonnant dans cette configuration que la dernière gare construite en Limousin, la gare bois de Viam ait fait un flop monumental. En 2004 seulement 2500 tonnes de bois en sont parties : cela fait cinq trains dans l'année. Pour 2,3 millions d'euros investis en 2000-2001 dans l'aventure, cela fait cher la tonne transportée… Bref, la route a encore de beaux jours devant elle. Pour ses riverains, c'est une autre histoire. Le "Piège" du Mont Blanc en la matière n'est que l'exemple paroxystique d'un phénomène global auquel nous n'échappons malheureusement pas.

     

    Michel Lulek

    Jean Paul Trichet (avec Daniel Taboury) : Tunnel du Mont Blanc : Le Piège. Editions Guérin, 2005, Chamonix. 13 euros.
  • Le vélo, ça roule même à la campagne !

    Dans le dossier “Mobilité, se déplacer autrement“ du n°29 d’IPNS, j’ai été déçu de constater qu’il n’y avait aucune place pour le vélo. Etant moi-même un adepte du vélo utilitaire que je pratique depuis l’enfance et l’époque où je livrais à vélo du pain aux clients de la boulangerie paternelle, cette omission m’a gêné. On m’a objecté que si le déplacement cycliste est concevable en ville, et remporte même un certain succès, il est difficilement imaginable en milieu rural, qui plus est limousin avec son relief relativement accentué.

    Or, il me semble que la faible utilisation actuelle du vélo pour les déplacements quotidiens dans nos campagnes provient d’abord de réticences culturelles. Combien de personnes qui pratiquent volontiers le cyclotourisme ou le sport cycliste et qui parcourent des milliers de kilomètres par an, utilisent-elles leur monture pour aller au travail ou faire des achats ? Certainement très peu, comme sont peu nombreux les randonneurs pédestres qui ne prennent pas leur automobile pour aller chercher le pain ou le journal. Par ailleurs, des raisons pratiques telles que l’absence d’aménagements (parkings, itinéraires cyclables) expliquent aussi la faiblesse des déplacements cyclistes.

    Pourtant, pour des raisons tant économiques (renchérissement du pétrole) qu’écologiques (diminution de la pollution), le vélo doit prendre sa place.

    Pour aller plus loin dans la réflexion, j’ai consulté un spécialiste de la “mobilité douce“, responsable du cabinet Cyclomore à Nevers, Nicolas Pressicaud. Ce dernier, auteur de l’ouvrage “Le vélo à la reconquête des villes, bréviaire de vélorution tranquille “ (Ed. L’Harmattan), a justement achevé en 2009 une recherche sur le potentiel d’utilisation du deux-roues en milieu rural en combinaison avec les transports collectifs. Nous publions ici l’essentiel d’un texte rendant compte de ce travail.

    Jean-François Pressicaud

     

    Combiner transports collectifs et deux-roues : une alternative à l’automobile

     

    velo3Si les Plans de déplacements urbains (PDU) ont mis en exergue la combinaison entre transports collectifs (TC) et vélo, on a peu pensé à transposer l’idée aux zones rurales, comme si les transports collectifs s’y suffisaient par eux-mêmes. Or, c’est là qu’on trouve des lignes (notamment routières) très peu fréquentées. Et pour cause : elles irriguent mal la campagne à moins de faire du cabotage. Mais elles gagnent alors en potentiel de clientèle ce qu’elles perdent en compétitivité. Il en résulte des réseaux qui fonctionnent essentiellement à partir de publics spécifiques : scolaires, personnes âgées, ménages pauvres. En revanche, dans la perspective d’un renchérissement des prix du carburant, ils ne constituent généralement pas, en l’état actuel, d’alternative crédible à l’automobile. Il pourrait en être autrement s’ils intégraient un système d’intermodalité procurant, aux arrêts TC, du parking deux-roues sécurisé mais également, pour certains d’entre eux, des bicyclettes, des vélos à assistance électrique et des cyclomoteurs électriques. Ces deux-roues, réservés aux voyageurs, permettraient d’effectuer les trajets terminaux et de rallier efficacement des correspondances. Elargissant considérablement les zones d’accessibilité des points d’arrêt des lignes routières comme des petites gares, cette inclusion des deux-roues dans les systèmes départementaux et régionaux de transports permettrait de mieux couvrir les territoires ruraux tout en y rendant plus attractive l’offre TC.

     

    Une enquête en Mayenne et dans la Somme

    Cette idée a fait l’objet d’une recherche1 comparée sur deux départements ruraux, l’un d’habitat dispersé (la Mayenne), l’autre d’habitat groupé (la Somme). Le type d’habitat génère en effet d’importantes différences de desserte du territoire par les infrastructures de communication et de transport. Dans un secteur d’habitat dispersé comme la Mayenne, où l’on trouve peu de petites villes, les liaisons ferroviaires ont presque toutes disparu, il y a peu d’autoroutes et les liaisons TC (essentiellement routières) maillent très incomplètement les campagnes. Dans un secteur d’habitat groupé comme la Somme, où l’on trouve davantage de petites villes, le réseau ferroviaire est encore assez dense et il y a également un kilométrage important d’autoroutes et de grandes routes. Du coup, les liaisons TC routières sont davantage orientées vers le cabotage.

     

    Des réseaux pas adaptés

    Ces réseaux, en leur état actuel, sont-ils aptes à intégrer un système d’intermodalité TC - deux-roues ? Leur analyse conduit à répondre par la négative à plusieurs titres.

    Tout d’abord, la maillage en lignes interurbaines routières apparaît largement insuffisant tandis que le réseau ferré actuel, considérablement réduit par rapport à son apogée des années 1920, offre un maillage bien trop lâche pour desservir suffisamment les campagnes. Des parties significatives des territoires départementaux apparaissent ainsi peu accessibles (sinon en voiture) et, inversement, leurs habitants sont très dépendants de l’automobile.

    Dans la perspective d’une hausse importante des prix du carburant, les départements mais également les régions auraient donc tout d’abord à définir, en concertation, des réseaux et des services de lignes complémentaires, ferroviaires et routières, alliant performance et couverture des territoires.

    Le second constat est la dégradation relative des conditions de circulation à vélo et en cyclomoteur. Il conviendrait donc, à l’échelle des départements, de travailler à l’élaboration d’un maillage du territoire au moyen d’un réseau structurant qu’on pourrait qualifier d’avenant aux deux-roues légers. Il serait constitué à la fois de petites routes apparaissant comme assez sûres aux cyclistes et cyclomotoristes (faible trafic, très peu de poids-lourds, faibles vitesses, bonne visibilité...) et d’anciens grands axes routiers aménagés.

    C’est à ces deux conditions, une offre de transports interurbaine renouvelée et un réseau routier identifié offrant de bonnes conditions de circulation pour les vélos et cyclomoteurs, que l’intermodalité deux-roues depuis des petites gares ou des arrêts de cars trouverait sa pertinence comme alternative crédible à la voiture en zone rurale. L’accessibilité des sites d’activités isolés ou implantés en périphérie de villes en serait grandement améliorée et contribuerait à rendre plus attractive l’offre TC2.

     

    le velo electrique

     

    Les deux-roues électriques

    Que donne l’investigation pour les deux départements étudiés : pour la Mayenne, un besoin d’environ 50 points d’arrêt à équiper en parkings deux-roues, dont une vingtaine dotés de deux-roues mis à la disposition des voyageurs, pour la Somme, respectivement 60 et 40.

    Parmi les deux-roues à mettre en place, les cyclomoteurs électriques apparaissent pertinents dans les secteurs où la densité du maillage TC demeurera faible, du fait, principalement, de la faible densité démographique. Avec une vitesse moyenne une fois et demi supérieure au vélo, le voyageur disposerait ainsi d’un moyen d’effectuer un trajet terminal d’une dizaine de kilomètres en un temps raisonnable. Les vélos à assistance électrique présenteraient un grand intérêt dans la mesure où la campagne française est souvent vallonnée et où une partie importante des utilisateurs potentiels sont peu familiers de la dépense physique que demande la bicyclette. Les batteries des vélos à assistance électrique et des cyclomoteurs électriques seraient rechargées en station et celles-ci seraient équipées de panneaux photovoltaïques.

    Une évaluation théorique de pertinence du système a été effectuée dans les deux départements étudiés. Elle valide indéniablement l’utilité du système d’intermodalité dès lors qu’il se greffe sur un maillage TC plus en phase avec les besoins de déplacement au départ ou à destination des cantons ruraux3.

     

    Nicolas Pressicaud
    Cabinet Cyclomore, 50bis avenue Colbert, 58 000 Nevers 

    Notes :
    1 Rapport disponible sur internet  (était)
    2 NDLR : Pour le Limousin rural en général et la Montagne limousine en particulier, on peut affirmer que les déplacements cyclistes sont aisés parce qu’il existe un réseau dense de petites routes, généralement bien entretenues et au trafic faible. C’est seulement sur les grands axes et dans les zones péri-urbaines que le déplacement cycliste est difficile et peu agréable en raison de l’intensité du trafic routier.
    3 NDLR : Dans la Montagne limousine, deux facteurs rendent moins favorable qu’en Mayenne ou dans la Somme la mise en place d’un tel système : la densité de la population, très faible, qui ne favorise pas l’organisation des déplacements en TC et la proportion importante de personnes âgées.



    Aubusson et le vélo électrique

    L’office de tourisme d’Aubusson possède 4 vélos à assistance électrique (VAE), achetés 800 € environ l’un, loués à des utilisateurs pour des durées de 2 heures à 2 ou 3 jours, avec prêt d’un topoguide répertoriant des circuits touristiques. Les batteries sont au plomb, donc assez lourdes, mais permettent une utilisation plus longue entre deux recharges (sur le secteur). L’autonomie est de l’ordre de 50 km.


    Le vélo à assistance électrique (VAE)

    C’est un vélo auquel ont été ajouté une batterie et un moteur. Ce dernier ne se met en marche que si on pédale et cette assistance électrique cesse au delà de 25 km/h. Cela permet de grimper aisément les côtes et d’affronter facilement le vent contraire. D’un point de vue juridique, il reste un vélo : pas d’obligation du port du casque, ni d’assurance spécifique. Son prix : de 700 à 2000 €.


    2 questions à Nicolas Pressicaud

    Pourquoi l’idée de combiner vélos/cyclos et transports collectifs en milieu rural n’a-t-elle jamais été mise en œuvre en France ?
    Les autorités organisatrices des transports interurbains sont encore dans une logique “transport“ : les véhicules circulent, aux usagers de s’adapter. Intégrer les deux-roues n’est pas dans leur culture. Mais cela a changé dans les grandes villes avec l’émergence des vélos en libre service. Par ailleurs en zone rurale, les trajets en combinaison avec les transports collectifs peuvent être beaucoup plus longs. Le vélo ne suffit pas. On a besoin de cyclomoteurs. Or, aujourd’hui, contrairement à il y a 5 ans, on trouve des modèles électriques ce qui est compatible avec la logique du Grenelle de l’environnement.

    En quoi la mise en œuvre d’un tel projet serait-elle pertinente dans les années à venir ?
    La pression immobilière a poussé beaucoup de jeunes ménages à s’installer dans les campagnes en périphérie des villes avec pour corolaire une dépendance coûteuse et accrue à l’automobile. Or, nous allons atteindre le “peak-oil“ et il faut s’attendre à une montée des prix du carburant qui aura un impact fort sur leur budget déplacements. Ils auront besoin de réseaux de transports collectifs offrant un niveau de services (horaires, fréquence, vitesse) que les lignes ferroviaires TER ont plus ou moins mais pas la grande majorité des lignes routières, qu’elles soient régionales ou départementales.

     


      

    Un autre Tour de France sur le plateau de Millevaches

     

    altertourDepuis 2008, l’Alter Tour propose une autre version de “la grande boucle“.  Sans dopage, sans compétition et sans caravane marchande, ce relais cycliste familial prend son temps pour aller à la rencontre des initiatives concrètes et locales. Cette année, l’AlterTour se terminera sur les routes sinueuses du Plateau de Millevaches.  

     

    Passer le mois de juillet 2010 à sillonner la France à bicyclette, sans forcer et en prenant le temps de découvrir les actions locales et militantes, voilà à quoi vous invite l’AlterTour... 

    Parcourant 2600 km en 45 jours et 39 étapes, ce relais cycliste n’a rien à voir avec la compétition sportive télévisée. Interviewé par L’Esprit Village (n°104, juin-août 2010), Mathieu Fromont le coordinateur de l’évènement confirme : “Le seul point commun, c’est qu’on part au même moment. Nous parcourons deux fois moins de distance en 2 fois plus de temps “.Ici le mot d’ordre est donc : à chacun son rythme !“. Les vélos sont partagés. Il est possible à tout moment de troquer sa selle contre une place dans le bus qui suit  les cyclistes. Idéal pour les enfants et les cyclistes dilettantes !

     

    Chaque étape est l’occasion de rencontrer des citoyens engagés localement. Après  la lutte contre les OGM (2008) et les dangers des antennes-relais de téléphonie mobile (2009), le thème de cette année sera l’artificialisation des sols. L’AterTour visitera des initiatives de préservation de la biodiversité, des chantiers de construction écologique, des projets d’économie locale, des collectifs de défense des services publics. Comme le rappelle Mathieu Fromont : “Le but de l’AlterTour est d’éveiller les consciences, de valoriser une société plus humaine et au final responsabiliser les participants“.

     

  • Les tribulations d’une urbaine en voie de désurbanisation

    Les 1er, 2 et 3 octobre 2021 se sont déroulés à Nedde, les états généraux du post-urbain, un séminaire d’échanges et de débats qui défend l’impératif d’un exode urbain devenu indispensable pour résoudre les problèmes majeurs, et pas seulement écologiques, qui se posent à notre société. Près de 150 participants venus de toute la France étaient là. Parmi eux, Fanny Ehl, doctorante en géographie et parisienne, y est venue... à vélo ! Non pour la prouesse sportive de faire 560 km en pédalant pendant 6 jours, mais pour répondre individuellement aux questions posées collectivement par les états généraux du post-urbain. Voici son récit.

     

    J-4. Paris-Lyon, 392 kilomètres à vol d’oiseau, deux heures et six minutes. Plus que quatre jours avant de partir à vélo direction Nedde dans l’objectif de rejoindre les États-Généraux du Post-Urbain.

     

    rando2Avant

    Me voilà dans le TGV lancé à toute vitesse pour me rendre à Lyon. D’ici, les paysages défilent et se métamorphosent brusquement, sans transition, sous l’élan vif du TGV symbolisant l’indiscutable prouesse de la vitesse, les voies ferrées coupant quant à elles les champs et prairies comme si rien d’autre n’avait d’importance que l’intensité de la rapidité, la hâte d’arriver à destination. La date de mon départ à vélo approche, au moins bien aussi vite que ce train. Assise confortablement, observant les différents panoramas que m’offre le TGV, je sens l’angoisse et la frustration me gagner tout comme grandit en moi l’espoir secret d’arriver à Nedde, seule et par mes propres moyens, mes propres capacités, mes compétences et ma détermination ; ne comptant que sur l’effort physique et niant en bloc l’existence des TER ou de tout autre véhicule motorisé afin d‘affirmer un engagement fort à l’égard de nos modes de vie actuels, énergivores en tout point.

    Malgré ce déterminisme à toute épreuve, l’attente se crée de toute part tandis que la peur continue de m’envahir. Je redoute la solitude et la pluie. J’ai peur des temps longs et des nuits courtes. Des silences perpétuels et continus. De décevoir en échouant, sans arriver à bout de ce que je nomme maladroitement « périple », long de six jours. Des angoisses et des angoisses, jour et nuit. Car jusqu’à présent, jamais je n’ai fait l’expérience d’être seule ainsi dans la durée face à l’épreuve physique et morale. La peur équivaut, je le crois, au degré d’urbanité qui me caractérise. J’ai 28 ans, j’habite Paris depuis presque toujours. Je réside dans un studio de 19 m², plutôt commode pour un petit appartement parisien. C’est ici que je trouve refuge. De fait, impossible d’échapper à l’angoisse de l’inconnu, de l’imprévu et de l’imprévisible, et, disons-le, au manque de confort auquel je suis aveuglément habituée.

     

    560 km à vélo

    À l’évidence, l’ambition de cette traversée était de partir avec ce qui m’était utile, nécessaire et indispensable dans l’objectif de questionner mes besoins primaires et secondaires, la notion de confort et le mode de vie urbain qui me caractérise, tout en faisant l’expérience d’une forme de privation partielle, m’incitant à me concentrer sur l’essentiel de cette traversée à savoir : me déplacer, m’alimenter correctement pour avancer, dormir suffisamment pour continuer.

    Bien que temporaire, le bouleversement de mes habitudes ainsi que de ma manière de vivre quotidiennement représente une véritable étape spirituelle et parfaitement conscientisée par le simple fait que mon corps semble grippé à la machine métropolitaine. La préparation en amont de cette traversée tant redoutée me permit d’alléger certaines angoisses, particulièrement sur la projection des différentes étapes constituant ma traversée. Mon itinéraire fut donc établi sous les précieux conseils de deux de mes amis cyclistes. Pour afficher distinctement l’engagement et les motivations de cette action, une plaque en bois peinte à la main était fixée au cadre du vélo. Le recto portait la mention : « Urbaine en voie de désurbanisation », à son verso : « Paris - Nedde, 560 km à vélo ». Afin de documenter cette traversée, un support pour ma caméra était accroché à mon guidon. Enfin, deux sacoches contenant le reste de mes affaires et provisions reposaient sur mon porte-bagage. Malgré les conseils de nombreux cyclistes qui me faisaient part de la monotonie des routes au départ de Paris, de la difficulté à traverser les banlieues et autoroutes par l’agressivité générale des automobilistes, l’acte de quitter la métropole m’a semblé absolument indispensable dans le discours que je souhaitais porter à bras le corps et véhiculer à travers cette traversée.

     

    S’affranchir à tout jamais des mobilités idéologiquement métropolitaines peut-il être une forme de désurbanisation partielle et individuelle ?

     

    Partir de « chez moi », quitter la ville dans laquelle je vis et que j’aime puisque j’y suis justement « chez moi », mais que je rejette pour toute l’idéologie métropolitaine à laquelle elle renvoie, mon studio comme point de départ ; et m’en éloigner davantage chaque jour pour atteindre mon point de destination situé à plus de 560 kilomètres de « chez moi » et par mes propres capacités : voilà la puissance de cet acte.

     

    rando1Une sortie métropolitaine, radicale et douce

    Totalement consciente de la possible absurdité que peut représenter cette traversée aux yeux de nombreuses personnes déconnectées des réalités écologiques actuelles, cette action invite tout un chacun, individuellement, à se poser la question des possibilités et des moyens pour une sortie métropolitaine, radicale ou douce, idéologique ou située, en mouvement ou statique, selon ses propres ressources et ses propres capacités, sa propre réalité et situation de vie. Cette traversée suppose une remise en question de son confort personnel et individuel pour aller dans le sens d’un confort, certes moindre, mais collectif et partagé. Elle invite également à s’interroger sur ses propres besoins vitaux ou non-vitaux, sur les nécessités primaires et secondaires.

    En somme, que sommes-nous capables de faire individuellement pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes collectivement ? De quelles façons pouvons-nous bousculer nos habitudes et nos manières de vivre parfaitement individualisées pour un devenir commun ? Pédaler pendant plusieurs jours pour se rendre à un séminaire de recherche, épuiser les ressources de son corps pour ne plus épuiser les ressources naturelles et se mettre parfois en danger, est-ce véritablement faisable et possible quotidiennement ? 

    Puis-je changer radicalement mes habitudes et accepter d’effectuer tous mes futurs trajets à vélo pour me rendre où que ce soit en France ? Est-ce véritablement possible et réalisable ? Est-ce que cela a du sens ? S’affranchir à tout jamais des mobilités idéologiquement métropolitaines peut-il être une forme de désurbanisation partielle et individuelle ?

     

    Après

    Aujourd’hui, quelques mois se sont écoulés depuis ma traversée. Je constate comme on me l’a tant répété qu’il y a effectivement « un avant », et « un après ». Désormais, les angoisses ont disparu, ma confiance personnelle a grandi. Plus concrètement, je peux affirmer que j’ai les capacités physiques pour me rendre à Nedde, seule, par ma propre autonomie de déplacement, malgré quelques difficultés techniques rencontrées lors du trajet. Mais ce que je peux désormais pleinement attester est le fait de me sentir indéniablement éloignée d’un environnement de vie sain et primaire, et je dirais même naturel et vivant. Le rapport au sol, aux reliefs, à ce qui est en mouvement, vivant, à ce qui est présent, physique et palpable comme le contact du vent sur la peau, celui de l’air chaud ou de la pluie dégoulinant sur le visage, l’humidité sur les vêtements pourtant imperméables, la brume scintillant le matin, le brouillard voilant le soleil, ses rayons perçants sous les épais nuages… cette énumération, probablement sentimentale et romancée, est bien ce à quoi j’ai été confrontée chaque jour en pédalant sur mon vélo.

    Assurément courte et temporaire, cette déconnexion radicale du milieu métropolitain, très certainement arrachée de mes habitudes de vie et projections quotidiennes, semble avoir véritablement remis en perspective la relation de mon corps aux éléments météorologiques, mais également aux milieux de vie que j’ai traversés en suivant les nombreux cours d’eau que j’ai croisés sur ma route. Avoir longé la Loire pendant plusieurs centaines de kilomètres au rythme infailliblement lent de mes jambes m’a sensibilisé à son immensité. Elle me touche désormais, elle attise ma curiosité par son étendue, le silence à chaque instant dominant malgré le chant des oiseaux majestueux que je n’ai pas su identifier, me donnant l’impression de m’élancer maladroitement sur des pistes qui étaient les leurs. Perchée sur mon vélo claquant entre chaque coup de pédale, j’eus le sentiment de déranger malgré toute l’humilité que j’avais emportée avec moi. Pourtant, je n’adoptais qu’une position d’observatrice. Je ne faisais là que passer, empruntant modestement les vélo-routes et voies vertes s’offrant gracieusement à moi.

     

    Aller vers des communs

    Mon arrivée à Faux-la-Montagne restera l’un des moments marquants : j’avais atteint le point le plus haut, gravi les plus haut dénivelés, et le spectacle du lac me laissa sans voix, avant même de retrouver ma respiration. Pour répondre aux questions posées, je peux dire que tout ceci a du sens, que cette traversée m’a éveillée et m’a profondément changée. Je crois que pédaler pendant plusieurs jours pour se rendre à un séminaire de recherche consacré à l’idée du Post-Urbain n’est pas une absurdité. Je crois également qu’épuiser les ressources de son corps et ne plus épuiser les ressources naturelles est le chemin vers lequel nous devons aller selon nos possibilités individuelles et collectives. Je crois qu’il est possible de s’affranchir des mobilités idéologiquement métropolitaines à condition de quitter complètement le mode de vie métropolitain et capitaliste dans lequel nous vivons globalement toutes et tous aujourd’hui. Cette traversée a été et restera un cheminement personnel et individuel. En ce sens, j’espère qu’elle éveillera en chacun de celles et ceux qui la découvriront le désir de questionner ses propres besoins et ressources individuelles pour aller vers des communs collectifs et partagés.

     

    Fanny Ehl
  • Un projet d'huilerie itinérante

    logo roulons versRoulons vers… association créée en juin 2005 par une quinzaine de personnes issue du milieu agricole a décidé de permettre à des paysans de produire leur propre énergie : le premier projet est de fabriquer du biocarburant à partir de la graine de colza ou de tournesol.

    L'association Roulons vers… "a pour but de promouvoir les énergies renouvelables, de mettre en réseau les personnes sensibilisées aux questions d'énergies et de pollutions.

    L'association mettra en oeuvre des réalisations concrètes afin de proposer un autre modèle de production et de consommation de l'énergie qui soit moins polluant et qui oeuvre pour une société responsable, respectueuse de son avenir et socialement plus équitable".

    Les membres créateurs de l'association ont souhaité définir un objet beaucoup plus large que les biocarburants. A ce jour le projet commun du groupe ; 21 fermes des cantons de Bourganeuf, Pontarion, Royère de vassiviere (Creuse) et Eymoutiers (Haute Vienne), est de mettre en place concrètement un projet itinérant de presse à huile végétale brute (HVB). D'autres projets d'aménagements des fermes et des habitations utilisant les énergies, solaires, éoliennes ou bois sont dans les idées.

    Pour la mise en place de la presse à huile itinérante (pour la fin de l'année 2005) nous avons un investissement de 42 000 euros à réaliser (presse, filtres, remorque, trémie, bac, trieur, pompe, et accessoires). Nous cherchons des personnes, des entreprises qui seraient prêtes à nous soutenir par l'adhésion (20 euros, 10 euros pour étudiant et chômeur), des dons, des avances sur l'utilisation de la presse, ou des prêts...

     

    Jérome Orvain