Safer

  • Pour qui roule la SAFER ?

    logo saferL’affaire Stéphane Rozet

    L’épisode qui nous intéresse a commencé au début de l’été 2007. Stéphane Rozet habite à Saint-Vaury en Creuse. Il possède actuellement 1 Ha de terrain sur lequel il a planté quelques arbres fruitiers, un bâtiment et du matériel d’arboriculture. Diplômes en poche, son objectif est de s’installer progressivement en arboriculture afin de pouvoir à terme vivre pleinement de son activité agricole.

    Sa situation est relativement classique, nombre de jeunes intéressés par l’agriculture sont aujourd’hui dans une démarche d’installation progressive. Faute de capitaux de départ, il s’agit de limiter l’investissement et de développer l’activité agricole petit à petit avec souvent, dans un premier temps, des compléments de revenus extérieurs. Mais le problème en agriculture reste de trouver des outils de production et plus particulièrement des terres cultivables. La chose n’est pas toujours aisée, loin de là. Que la pression foncière fasse monter les prix, on s’en était presque fait une raison, mais qu’un jeune en quête d’installation ne puisse même pas acheter au prix fort 3 Ha de terres médiocres sur un lot de 50 Ha… Cela devient particulièrement indigne ! C’est pourtant la mésaventure qui est arrivée à Stéphane.

    Nous pourrions nous rassurer en nous disant qu’il existe un organisme semi-public, d’intérêt général, en charge de ces affaires de foncier : la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural). Mais pour qui roule-t-elle exactement ?

     

    L’histoire de Stéphane avec la SAFER

    Acte I : Le premier Comité Technique SAFER

    Au début de l’été 2007, le domaine de Lorcivaud à Saint Vaury est en vente. Il s’agit d’un lot de terres d’une cinquantaine d’hectares qui touche le bâtiment et les terres de Stéphane. C’est une occasion rêvée pour conforter son installation par l’acquisition de quelques hectares supplémentaires. Sur un lot de 50 Ha, il devrait pouvoir négocier l’acquisition de 3 ha, de qualité moyenne, situés en bout de domaine. Le concurrent est un GAEC bovins-porcins, de taille déjà confortable, dont la situation est également contiguë au domaine de Lorcivaud. A défaut d’accord amiable entre les deux postulants, ce sera la SAFER qui tranchera pour les fameux 3 Ha. Le résultat du vote du comité technique de la SAFER (instance décisionnelle départementale) est sans appel et le refus des terres pour Stéphane est justifié… par la mauvaise qualité des terres. En résumé, lui laisser ces 3 Ha ne serait vraiment pas un cadeau à lui faire et malgré l’appui technique de GABLIM (Groupement des Agrobiologistes du Limousin) le projet n’est pas considéré comme «viable»…

    En juillet, la réaction est citoyenne, une centaine de personnes se réunissent à Saint Vaury pour affirmer son soutien au projet de Stéphane et pour demander que la décision de la SAFER soit revue et corrigée. Les médias ayant relayé l’affaire, le dossier est sûrement considéré comme «délicat» puisqu’il passe d’instances en instances pendant tout l’été sans que d’autres décisions officielles ne soient prises. Pendant ce temps, Stéphane travaille et peaufine son projet en fonction de la «viabilité» et avec l’aide de GABLIM, il reconsidère sa demande. Finalement, il obtient une dérogation auprès du préfet pour refaire une demande de concurrence sur la totalité du domaine, étude technico-économique à l’appui.

     

    Acte II : Le deuxième Comité Technique SAFER

    Septembre, le Comité Technique SAFER Creuse se réunit de nouveau et étudie la situation du domaine de Lorcivaud. Il fut bien surprenant pour les participants, dont le représentant de la Confédération Paysanne, de ne pas entendre parler de la demande de Stéphane. Par contre la SAFER propose une solution sortie du chapeau : elle présente une promesse de vente du GAEC concurrent sur une parcelle de 5,8 Ha. Pris de cours devant une proposition qui semble honnête (et qui de toute façon est invérifiable à la table de réunion), le Comité Technique l’accepte à sa grande majorité. La proposition est faite à Stéphane qui refuse car les terres proposées n’appartiennent pas au domaine de Lorcivaud, elles sont distantes de 10 km (elles sont à l’autre bout de la commune), ce qui nécessite la construction d’un nouveau bâtiment (hors de prix).

     

    Acte III : Le Conseil d’Administration SAFER

    Traditionnellement, les décisions de la SAFER doivent être actées par les commissaires au gouvernement qui sont en Limousin le DRAF et le TPG (Trésorier Payeur Général). Face à leur perplexité, le dossier «Lorcivaud» passe alors en Conseil d’Administration de la SAFER (la plus importante instance décisionnelle régionale). En accord avec les officiels, le dossier doit être traité en fonction de 4 axes :

    • l’accès à l’eau,
    • l’accessibilité des terres,
    • la qualité agronomique,
    • le regroupement parcellaire.

    Celui-ci ne tarde pas à se réunir, la demande de Stéphane n’est toujours pas présentée mais une nouvelle solution miraculeuse et opportune est alors proposée. C’est par communiqué de presse qu’on apprend que la SAFER propose 14 Ha de bonnes terres du domaine de Lorcivaud avec accès à l’eau et tout le toutim. Sauf qu’après enquête sur place, seuls 2,5 Ha sont directement cultivables, le reste étant des landes et mouillères pas même exploitable pour le bois. Aucun chemin ne permet d’accéder à ces 14 Ha… qui ne sont par ailleurs pas regroupés. Quant à l’accès à l’eau, il y a bien des ruisseaux mais aucune assurance légale pour la construction d’une réserve collinaire. Enfin, ce lot est proposé pour la modique somme de 20 000 euros, auxquels il aurait fallu ajouter le prix de la construction d’une éventuelle réserve collinaire.

    Ces arguments ont suffit à Stéphane pour refuser cette nouvelle et dernière offre, non sans se justifier auprès des personnes concernées. Une nouvelle mobilisation citoyenne et associative devant le siège de la SAFER en Haute-Vienne ne changera rien et malheureusement l’affaire se terminera sur cette fausse note, laissant en suspens de multiples questions, notamment par rapport aux motivations réelles de la SAFER dans cette histoire.

     

    Les gros SAFER, Les petits galèrent !

     

    Les non-dits et les interprétations diverses

    Le résultat n’est absolument pas satisfaisant, et particulièrement pour Stéphane qui aura pourtant su regrouper beaucoup de gens autour de lui et porter le dossier devant les plus hautes autorités. Beaucoup de questions semblent sans réponse et il est tentant d’essayer des interprétations car il est difficile de croire que la SAFER a vraiment mis de la bonne volonté pour « régler » ce conflit de manière neutre, telle que ses missions théoriques le prescrivent.

     

    Une bataille autour de l’étang ?

    Ne faut-il pas chercher une explication sur la parcelle cadastrée AV4, qui fait partie des 3 Ha demandés initialement par Stéphane et sur laquelle se trouve un étang ? Selon certaines sources, il peut sembler crédible qu’un simple point d’eau ait pu envenimer la situation de la sorte. Il faut préciser, pour mieux comprendre les enjeux, que le GAEC concurrent est principalement producteur de porcins. Une telle production nécessite une certaine surface, ne serait-ce que pour l’épandage de lisier. Or, une nouvelle loi a défrayée la chronique ces derniers temps, interdisant l’épandage des lisiers à moins de 500 mètres des étangs classés d’intérêt piscicoles (*). Cela représente concrètement une superficie de 78,5 ha. Le risque pour le GAEC était donc de voir cet étang obtenir ce classement et de fait, de ne plus pouvoir épandre son lisier sur toutes les parcelles avoisinantes. L’argument s’entend parfaitement mais Stéphane avait dit, redit et re-redit qu’il n’avait aucunement l’intention de changer la classification de cet étang.

    Dans cette histoire, chacun semble en avoir fait une affaire personnelle, les membres du GAEC se sentant probablement entravés et attaqués dans leur projet d’agrandissement, et Stéphane privé d’une opportunité de vivre son métier et sa passion. Le résultat est en tous cas parfaitement regrettable et aurait sûrement nécessité un arbitre digne de ce titre.

    Conscient que la SAFER soit un outil indispensable au contrôle et à la maîtrise des transactions foncières, son rôle dans cette histoire aura pourtant été parfaitement obscur. Pourquoi n’a-t-elle pas soumis au vote les différents projets présentés par Stéphane ? Pourquoi n’a-t-elle pas fait de propositions réellement concertées (elle n’est jamais venue négocier avec Stéphane) ? Quid de la politique nationale en matière d’installation, de la sauvegarde des exploitations agricoles à taille humaine, de tous les discours partagés pourtant par le Conseil Régional, la DRAF, la DDA de la Creuse, la SAFER et même tous les syndicats agricoles… Le rouleau compresseur est en marche et sera difficile à arrêter. Le sujet dépasse pourtant les seuls enjeux agricolo-agricoles car il s’agit directement de la vitalité de nos campagnes en terme de tissu social, de gestion des paysages et d’alimentation locale.

     

    Guillaume Challet
    *Article 18 de l’arrêté du 29 février 1992, modifié par l’arrêté du 14 août 2000, fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les porcheries au titre de la protection de l’environnement.
  • Produire local, une nécessité

    Il y a deux ans, IPNS consacrait un premier dossier à l'agriculture sous l'angle de l'autonomie alimentaire (IPNS n° 14). Aujourd'hui nous revenons sur ce sujet en privilégiant, à partir d'initiatives et d'exemples concrets, ce qu'il est possible et urgent de faire si nous voulons nous réapproprier notre alimentation. Dans les pages qui suivent, nous nous interrogerons également sur le rôle que devraient jouer des infrastructures ou des institutions comme un abattoir ou la SAFER pour mener à bien une telle démarche.
    Pour commencer, Yvan Tricard a synthétisé les réflexions issues du forum social limousin sur la question de la relocalisation de l'agriculture. Leçon en quatre points.

     

    Le constat

    Au fil des ans, depuis 1970, on assiste à un recul permanent des ressources alimentaires en Limousin. Les chiffres sont affolants. Le Limousin terre agricole par tradition est devenu une région de totale dépendance alimentaire, cela se résume en un chiffre : la souveraineté alimentaire du Limousin n'est aujourd'hui que de 10%. Dit autrement, seuls 10% des produits alimentaires consommés dans notre Région y ont été produits et transformés, c'est donc 90% de notre alimentation qui est importée d'autres régions ou d'autres pays (voir IPNS n°14). La culture légumière a été quasiment abandonnée (la surface cultivée a été divisée par 25 en Limousin, elle couvre aujourd'hui 23% des besoins , les légumes frais 8%, les œufs 24%, la culture du blé dur 0%...) La production de volaille, de porcins qui dans les années 70 alimentait chaque maison limousine, s'est transformée pour l'essentiel en un élevage intensif hors-sol. Paradoxalement les effectifs de la production hors sol censés nourrir le monde entier ont chuté pour toutes les productions spécialisées hors bovin et ne peuvent répondre aux besoins de la population limousine ! La filière porcine a divisé par 2,2 son cheptel. La filière avicole quant à elle s'est totalement effondrée.

     

    vache

     

    Il existe trois explications majeures à cette situation Il y a tout d'abord l'inadéquation de la production agricole par rapport aux besoins alimentaires standards de la population. La Politique agricole commune voulue par l'Europe et, ici, appuyée par la Chambre agricole et la FNSEA, a spécialisé la production du Limousin sur trois secteurs (bovins, ovins, pommes golden pour l'essentiel) abandonnant la production maraîchère et alimentaire aux seuls aléas du "Marché".

    Il y a aussi la présence insuffisante des filières de transformation dans la Région. Le tissu artisanal ou industriel de la transformation agroalimentaire est très insuffisant, aujourd'hui de nombreuses productions agricoles quittent donc la région pour approvisionner des ateliers et des usines qui sont situés ailleurs. La fermeture des abattoirs de proximité aggrave la situation, obligeant les agriculteurs à rejoindre les filières de la grande industrie de l'agroalimentaire (sur la question des abattoirs, voir dans ce numéro d'IPNS, page 14). Il y a enfin l'emprise forte de la grande distribution. Tous les produits vendus en grande surface sont fournis par leurs centrales d'achat qui n'attachent aucune importance particulière au caractère local des produits proposés dans leurs magasins. Seul acheter " le moins cher possible " les guide, n'hésitant pas à mettre en concurrence la production d'une région contre une autre pour faire chuter les prix. Cette situation n'est pas propre au Limousin, mais reflète à l'échelle nationale une " exception " bien française : l'omniprésence de la grande distribution. Le résumé tient en deux chiffres : 5 centrales d'achat seulement se partagent 90% du commerce de détail en France. Il est impossible aux secteurs agricole et agroalimentaire d'échapper, directement ou indirectement, à l'emprise de la grande distribution : c'est elle qui fixe les règles du jeu. La taille gigantesque des centrales d'achat et leur connivence quant aux pratiques commerciales (derrière une concurrence de façade) mettent n'importe quel fournisseur dans une situation de soumission face au seul critère qui compte à leurs yeux : le prix, même si, bien souvent, c'est au détriment de la qualité (voir les légumes : tomates sans goût, salades d'un jour, ou viande ionisée d'Argentine ou du Brésil). Les productions limousines ne font pas exception à la règle : seules les plus concurrentielles sont encore présentes, spécialisées et concentrées sur quelques produits agricoles ou agroalimentaires… qui seront alors diffusées dans toute la France, voire à l'exportation.

    Les possibilités de distribution en dehors du circuit de la grande distribution sont marginales, et c'est encore plus vrai en Limousin, car les surfaces commerciales par habitant en hyper- et supermarchés sont près de deux fois supérieures à la moyenne nationale.

    En quoi cette situation de faible autonomie alimentaire pose-t-elle problème ? Cette mécanique économique permet de pouvoir vendre et exporter les productions phares du Limousin que sont bovins, pommes et ovins : c'est une conséquence logique d'un fonctionnement en économie ouverte de marché, chaque partenaire territorial se connectant aux autres dans une dynamique d'interdépendance, valorisant ses points forts et profitant en retour de ceux des autres. Ce mode de raisonnement est aujourd'hui généralisé par les tenants de l'économie de marché. Je voudrais en souligner les conséquences négatives en matière environnementale, sociale ou économique.

     

    La catastrophe écologique annoncée

    Ce qui était le cri d'un petit nombre il y a quelques années encore, après le "Grenelle de l'environnement" est admis par tous : du fait de l'activité humaine on va vers un réchauffement climatique dont personne ne peut prévoir le niveau de déréglementation. Une telle situation va réclamer la mise en oeuvre rapide d'actions d'une ampleur inédite. Or faire circuler 90% de nos besoins alimentaires sur souvent des milliers de kilomètres, faire transporter sur ces mêmes distances des produits agricoles pour les transformer (un pot de yaourt parcourt environ 2500 km avant d'arriver dans le rayon de l'hypermarché), est un non sens écologique. C'est une des sources importantes de l'émission des gaz à effet de serre. L'ère des déplacements bon marché, faciles, rapides et sans limites est appelée à prendre fin. De plus, l'agriculture, sous sa forme intensive : mécanisation, engrais, culture hors sol est devenue un secteur dépendant des ressources pétrolières. La politique agricole actuelle, en plus d'être particulièrement énergivore, est grande consommatrice d'intrants agrochimiques particulièrement nocifs pour l'environnement Une catastrophe sociale L'Union Européenne a pris en compte depuis longtemps l'ouverture des marchés, et sa mise en oeuvre en matière agricole, la PAC (Politique Agricole Commune) a provoqué des résultats contradictoires. Elle a renforcé la logique concurrentielle poussant à la spécialisation sur quelques productions et à une productivité agricole à marche forcée. A l'échelle du Limousin, (les éléments présentés plus haut en témoignent) la filière bovine et la filière pomme sont devenues des références de niveau européen en terme de qualité et de notoriété, mais au prix d'une hyper-spécialisation réalisée au détriment des autres productions et du maintien de la souveraineté alimentaire.

    Mais c'est aussi un immense gâchis social !

    Cette agriculture intensive a provoqué un laminage spectaculaire des emplois dans le secteur agricole. C'est vrai au niveau national, cela est vrai en Limousin : toutes exploitations confondues, entre 1970 et 2003, 29 300 exploitants ont jeté l'éponge. Ainsi 2,5 exploitations mettent la clef sous la porte chaque jour depuis maintenant près de 32 ans, soit 60 % des exploitations. 74 600 actifs sur exploitation étaient dénombrés lors du recensement de 1970 pour seulement 25 800 en l'année 2000. Ainsi 48 800 emplois agricoles directs ont été perdus sur le Limousin Demain une nouvelle catastrophe économique La prochaine étape est l'ouverture des marchés mondiaux voulue par l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce ). Cela va encore accentuer l'impact de cette carte truquée "du marché libre et non faussé": les filières exportatrices vont se trouver en concurrence avec la pomme Golden de Chine et les bovins et ovins du Limousin en concurrence avec les grands troupeaux d'Amérique su Sud. Mais au grand jeu des avantages comparatifs dont dispose chacun des concurrents, le Limousin part perdant s'il joue dans la cour mondiale, puisqu'il ne dispose pas d'une carte aujourd'hui maîtresse, celle du dumping social.

     

    D'autre part, les orientations actuelles du gouvernement au nom de la défense "du panier de la ménagère" vont aggraver la main mise de la grande distribution leur permettant de fixer leurs prix et d'avoir les mains totalement libres pour choisir les lieux et les méthodes de production. De même chaque fois qu'un maire autorise ou se bat pour implanter une grande surface sur sa commune (comme c'est le cas à Limoges et à Tulle) c'est un coup de plus porté à l 'agriculture et aux industries de transformations locales. L'autre manière de répondre à ces menaces est de prendre le contre-pied de cette course en avant dévastatrice.

    Consommer une alimentation achetée ou transformée au plus près de son lieu de production est une simple règle de bon sens mais aussi une priorité vis-à-vis de la problématique du réchauffement climatique.

    La reconstitution du système agro-alimentaire d'une région est un pari très compliqué qui devrait être l'objectif n°1 des chambres d'agriculture et des élus régionaux, car cela devra mettre en oeuvre une multitude d'outils de production (maraîchage, arboriculture, pisciculture, apiculture, aviculture, polyculture, élevage...) couplés à une dynamique d'actions dans des domaines aussi complémentaires que la transformation, la commercialisation, la formation et la recherche.

    Relancer, ou relocaliser une partie de la production agricole, et de la transformation des produits, revoir le système de commercialisation, cela demande une volonté politique forte mais c'est pourtant la seule réponse qui existe aux problèmes que je viens de soulever et qui sont devant nous.

    De plus cette démarche est créatrice d'emplois à l'opposé de la l'agriculture intensive et spécialisée actuelle.

    La culture bio, La culture maraîchère, les ateliers de transformation demandent des agriculteurs, des ouvriers, des techniciens. Une étude faite dans le cadre du Schéma d'aménagement de la Région par un atelier du Forum Social Limousin et transmise au Conseil Régional, avait montré que des milliers d'emplois pouvaient être créés dans cette démarche (par exemple le GAEC "Champs libres" à St-Julien-e-Petit a transformé une ferme spécialisée en élevage bovin sur environ 40 ha en une ferme de maraîchage : les emplois sont passés de 1 à 7). Ce qui est un exemple devrait pouvoir se multiplier à condition de bien aborder les trois facteurs : production, transformation, commercialisation.

    En attendant cette prise de conscience des décideurs, toutes les initiatives, les actions, comme le développement de la culture bio ou de la culture paysanne, les AMAP (Aide au Maintien de l'Agriculture Paysanne), les coopératives de production ou de transformation, les ventes directes sont autant de germes pour l'avenir.

     

    Yvan Tricard
  • Que vient faire le CERN à Saint-Pardoux-Morterolles ?

    munch nucleaireIl y a quelques jours, la SAFER a publié pour information la vente  de 53 hectares de bois et taillis sur la commune de Saint-Pardoux–Morterolles en Creuse.  Rien de bien extraordinaire… sauf que le nom du futur propriétaire nous colle des sueurs froides : l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, basée à Genève, organisation toujours plus connue sous l’acronyme de CERN.

    Pourtant, l’acquisition de ce domaine se fait dans l’indifférence générale. Personne ne semble officiellement au courant de la vente, à part les agriculteurs qui consultent le site de la SAFER. Et donc personne ne semble au courant des projets du CERN sur ce territoire… En lisant les publications et en consultant le site internet du CERN, l’hypothèse d’une opération de greenwashing semble la moins improbable.  Mais d’autres scénarios catastrophes sont- ils possibles ?

    IPNS offre 1 an d’abonnement à celle ou celui qui trouvera ce que le CERN mijote dans les parages.

     

    Laurent, lecteur assidu de notre journal, a fait de multiples démarches pour trouver ce fameux terrain acheté par le CERN à Saint-Pardoux-Morterolles (voir IPNS n°79). Il est arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’un investissement au même titre que certaines banques ou groupements d’assurances. Les parcelles sont principalement des surfaces boisées situées aux lieu-dits Villemaine, le pré Bourdet, Bois Rimbaud et du Moulin de Villemaine pour une surface totale de 53 ha 32 a 67 ca appartenant à une certaine Françoise Barthomivat de la Besse, demeurant à Paris. Spéculation sur la forêt qui est devenue une denrée rare ?
    Chose promise chose dûe ! Laurent a son abonnement d’un an !
  • Recherche logement désespérément…

    logement2On le sait : le logement est sur le plateau un frein important à l'accueil. Or ce verrou n'est pas facile à faire sauter. D'une part il touche à la question de la propriété et du patrimoine, sujets quasi tabous et intouchables. D'autre part les investissements que réclame l'immobilier sont tout de suite très importants et même les collectivités locales n'ont pas toujours les moyens d'intervenir dans ce domaine... En ouvrant le dossier du logement, IPNS s'associe à la réflexion actuellement en cours au sein du réseau d'acteurs de la Montagne limousine pour trouver des solutions nouvelles à ce problème crucial.

     

    Des chercheurs de toit témoignent

    Ils sont plusieurs à la recherche d'un toit sur le plateau, avec un peu ou pas mal de terrain autour. Voici, brut de décoffrage, leurs témoignages qui disent bien les difficultés rencontrées. La recherche d'un logement ou de terrains ? Un véritable parcours du combattant.

     

    Vendredi 10 décembre 2004

    Nous nous promenons à pied sur la route à la sortie d'un hameau de la commune d'Ars (à 15 kilomètres à l'ouest d'Aubusson). Une Polo noire arrive à vive allure et s'arrête à notre hauteur. Son chauffeur, au sourire soucieux d'efficacité, baisse la vitre automatique et demande sans autre détour : "Bonjour, je travaille pour une agence immobilière. Je cherche des maisons à vendre. Savez-vous s'il y en a par ici ?". Nous nous regardons, un peu estomaqués. L'un d'entre nous lui demande sa carte :

    M. XXX Agence Marcon Immobilier (Century 21) Aubusson

     

    Fin novembre 2004 : Appel à une vingtaine de mairies du nord du Parc naturel régional

    On nous a dit qu'il fallait appeler les mairies car ce sont des carrefours d'information dans les communes. Nous établissons la liste des mairies situées sur le PNR et les appelons systématiquement, en commençant par le Nord-ouest. Nous demandons large : locations, ventes, maisons vides en attente de clarification (rénovation, mise en vente, habitation par les petits enfants, etc.) dont on pourrait contacter les propriétaires pour leur proposer une location courte…

    Extraits de conversations :

    "Les anglais achètent beaucoup… Il y a bien une maison à 40 000 € dans le bourg mais ce n'est pas très grand… Je vous donne les numéros de deux agences immobilières à Peyrat et à Eymoutiers".

    "Il n'y a pas de location sur la commune... Quant aux ventes, les transactions ont lieu avant qu'on sache qu'il y avait mise en vente… Appelez le pôle local d'accueil de la communauté de commune de Royère-Bourganeuf".

    "Je prends vos coordonnées… J'ai entendu dire que la vente d'une maison à des anglais aurait échouée. Peut-être qu'en attendant…"

    "Je prends vos coordonnées au cas où… C'est rare ces choses-là que vous demandez…"

    logement1"Allez voir Century 21 à Bourganeuf, ils vendent une maison, je vous donne le numéro…"

    "Il n'y a rien à louer… Je regarde pour les ventes mais c'est très vite acheté par les anglais…"

    "Il y a très peu de logements vacants, ce sont surtout des maisons secondaires …

    Aujourd'hui on ne sait même plus quand les maisons sont à vendre.

    Le temps de le savoir elles sont déjà vendues… Il y a une maison à louer : meublée, 4 chambres et un bureau, 400 €"

    "Il n'y a rien… Attendez, je demande derrière… Non rien"

    "Ici, aussi bien en privé qu'en communal, il n'y a rien. Peut-être y a-t-il des possibilités sur X ou Y"

    "Au niveau communal, il n'y a rien. Je me renseigne dans le privé et s'il y a quelque chose je vous appelle"

    "Dès qu'une maison est à louer, elle est prise d'assaut, sans même passer par nous… Je note votre demande, mais sans grand espoir…"

    "Nous avons un logement HLM… Sinon, essayez par les notaires si vous avez des offres à faire pour des maisons à vendre ou vacantes"

    "Au niveau des ventes, il y a la clientèle anglaise… On a de la demande, il y a une OPAH, on espère que ça va faire bouger les gens… Je vous donne les numéros de trois agences à Saint Léonard"

    Sur les 53 communes repérées, nous en avons joint une vingtaine. Toutes ont pris nos coordonnées, aucune ne nous a rappelés.

     

    Du côté de la SAFER

    Nous sommes retournés à la SAFER. C'était plus positif que la première fois, où nous avions été à peine accueillis : on avait dû demander pour qu'ils prennent par écrit nos coordonnées et notre demande. Ils avaient l'air de s'en foutre alors que nous sommes l'archétype du public prioritaire : des jeunes cherchant à s'installer. Ils nous avaient dit que c'était bien de revenir régulièrement. On a vu plus de monde : comme on cherche sur une zone à la frontière entre quatre zones SAFER, on a rencontré quatre personnes différentes. Ils n'avaient rien à proposer car ils avaient tout soldé ce qu'ils avaient en 2004. Ils repartent maintenant sur 2005.

    La SAFER reçoit les propositions pourvu qu'on se donne la peine d'écrire un projet d'installation. Ils n'ont pas tant de demandes que cela, donc ils ne sont pas mécontents d'avoir des dossiers à instruire. Passer par la SAFER permet de faire des économies : pas de frais de notaire et leur rôle est d'éviter la hausse du prix des terres. Le problème est qu'ils ont peu d'offres. Ils nous ont dit n'avoir que deux fois tous les trois ans des grandes surfaces avec du bâti. Et c'est souvent très cher. Le truc aussi est qu'il faut les appeler tous les jours pour qu'ils bougent (se rappellent de ton dossier, sachent où il est, puis le trouvent…).

     

    … Et du PNR

    Nous avons appelé le PNR (le chargé de mission accueil et développement économique) par curiosité, pour leur demander ce qu'ils pensaient faire sur la question du logement et du foncier. Deux choses principalement : L'opération programmé d'amélioration de l'habitat (OPAH), soit une aide financière aux propriétaires souhaitant rénover leur résidence principale ou du bâti à louer comme logement, et un projet de sensibilisation des propriétaires qui laissent des bâtiments à l'abandon, via une plaquette et un article dans le journal du PNR. Sur la question de la multiplication des maisons secondaires, il se disent impuissants car cela relève du secteur privé. Aucune loi n'empêche de vendre. C'est du ressort des mairies qui ont un pouvoir de préemption.

     

    D'autres pistes à explorer…

    Nous avons aussi contacté le pôle d'accueil limousin en expliquant notre situation et nos démarches. Réponse : "Vous avez tout fait ce qu'il fallait faire, on ne peut rien faire de plus".

    Nous avons appelé France bleue Creuse pour qu'ils passent une annonce. Aucun retour sur cette annonce pour le moment…

    Quant aux maires, ils nous disent qu'il y a plein d'opérations vente achat sur leur commune dont ils ne sont pas au courant.

    Nous avons aussi été parler dans les villages. Une fois j'ai passé une heure avec un vieux qui m'a dit que peut-être là-bas, une maison… Nous avons été vérifier au cadastre.

    Finalement, dans ce genre de plan, la terre est soit réservée à un neveu, soit elle est exploitée et les bâtiments sont abandonnés. Il y a tout de même des vieux qui veulent barrer la route à l'agrandissement de leur voisin. Il faut y retourner plusieurs fois.

    Dans un village, un jour, on m'a dit qu'il n'y avait rien. Le deuxième jour, peut-être une maison, le troisième peut-être des terres avec et le quatrième c'était 6 ha. Il y a aussi le cas, dans les bourgs, d'un voisin qui ne veut pas de nouveaux voisins et donc rachète les maisons voisines de la sienne. "

    Nous avons aussi envoyé une version abrégée de notre projet à 130 maires. Un sur dix nous a répondu. Depuis c'est par ces quelques maires (Tarnac, Bugeat, Peyrelevade) que nous avons eu des touches. Nous utilisons alors la SAFER pour faire baisser les prix. Il y a des mairies qui se bougent, d'autres non.

    Il y a aussi l'agent immobilier d'une agence immobilière d'Ussel. Il joue l'affectif avec les vieux et réussit à négocier des maisons pas très chères avec quelques hectares autour (souvent 1 ou 2, parfois plus). Sinon, on a été voir tous les notaires et toutes les agences, c'est déprimant. Ils n'ont que des trucs pour les anglais. On a vu dans une agence un truc à 285 000 € que nous avions vu partir à 105 000 € dans une vente aux enchères (vente des domaines).

     

    Témoignages de plusieurs groupes de personnes recueillis par Loïc Bielmann
  • Ruée sur l’agrivoltaïsme

    « Laissez-nous travailler », « Nous, on nourrit le monde » : autant de slogans-tiroirs de la FNSEA, principal syndicat agricole, de droite et défendant l’agro-industrie, que les agriculteurs ne pourront plus ressortir avec l’agrivoltaïsme ! C’est la mode, c’est là qu’il y a du fric à prendre, tout le monde se jette dessus, à tel point qu’on se demande s’il restera encore une commune dépourvue de projet de parc photovoltaïque au sol.

     

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    Expliquons donc d’abord ce que c’est l’agrivoltaïsme : ce ne sont pas juste des hangars photovoltaïques, ce sont des champs couverts de panneaux solaires. Il s’agit donc tout bêtement de parcs photovoltaïques au sol, de dizaines d’hectares dédiées à la production énergétique. L’agriculteur perçoit une forme de loyer (ou dédommagement…) de la boîte qui installe les panneaux.

     

    Cheville langagière : « C’est de l’agrivoltaïsme ! »

    La Confédération Paysanne a, par exemple, adopté une attitude sur ces panneaux au sol : pas sur des surfaces naturelles (bois, landes, zones humides) ni sur des surfaces agricoles. Il y a assez de friches industrielles pour cela. C’est peu ou prou la position que défend d’ailleurs le Parc naturel régional de Millevaches. Sauf que certaines communes, avec la loi d’accélération de la transition énergétique, se voient obligées de définir des zones sacrifiées à cette-dite transition et salivent surtout devant un moyen de faire de l’argent (pour quoi faire ensuite…ça… ?? Changer les lampadaires ?). Des surfaces, propriétés de la commune (bois ou champs) louées se retrouvent donc destinées à des projets solaires. C’est le cas de la commune de Flayat, où au moins une vingtaine d’hectares communaux loués à l’agriculteur sont visés pour la reconversion en agrivoltaïsme.
    Bien sûr, la plupart du temps, ces types de projets sont portés par des privés : des agriculteurs. Pour que cela reste de l’ « agricole », ils ont trouvé la cheville langagière de dire que c’est de l’agrivoltaïsme, que ça reste donc des surfaces agricoles, et donc que ces surfaces-là, ce qui est le plus important pour eux, comptent toujours dans le versement des primes.
    Le premier agriculteur (retraité) que l’on connaît qui s’est lancé là-dedans en Creuse, Marc Lefranc à Aubusson, aidé à l’époque par une modification du Plan Local d’Urbanisme communal, n’avait selon toute vraisemblance nullement un projet agricole avec son parc ! Vous l’admirerez aujourd’hui dans le paysage aubussonnais.
    On trouve l’excuse de faire pâturer des bêtes dessous, en général des moutons, mais possiblement des vaches, avec des panneaux solaires qui seront alors beaucoup plus haut sur pied. Ces bêtes ne servent qu’à entretenir les panneaux, à empêcher la friche de pousser et de faire de l’ombre, et à garder les fameuses primes agricoles. Par contre, celui qui faisait un peu de blé, devra reconvertir ses parcelles dans la pâture !
    La recette pour les agriculteurs serait d’environ 4000 euros par hectare. Pour plusieurs d’entre eux, ce n’est pas un revenu du travail… mais bien un capital-retraite ! Laissez travailler le pognon : voilà le slogan agricole !

     

    Alleyrat

    Prenons l’exemple, pour les chiffres, de la commune d’Alleyrat, où il y a un projet solaire, porté par RP Global sur 70 ha des terres cultivables (dont du blé) et où une association, Apne-Alleyrat19, bataille contre le projet. Elle a regardé et a trouvé que la rentabilité pour la boîte (RP Global) était de 40 000 euros par an par hectare. Et par an, au total avec les 70 ha, ce serait : 48 000 euros pour la commune, 5000 euros pour la communauté de communes et 32 000 euros pour le département. Pour l’heure, une commission « paysage » (CDNPS) a retoqué tous les projets en Corrèze. Commission que suit la préfecture en général… pour le moment… Si seulement nous pouvions avoir les mêmes espérances en Creuse où beaucoup d’élus sont malheureusement cul et chemise avec la FNSEA, ce serait toujours ça contre les lobbys financiers à l’œuvre dans l’agrivoltaïsme.
    À Alleyrat, précisons encore qu’il s’agit de maxi panneaux, de 3m16 de hauteur parce que ce seraient des vaches qui les débroussailleraient. On tombe sur la tête !

     

    Saint-Agnant-près-Crocq

    Autre exemple, à Saint-Agnant-près-Crocq : un projet de 27,3 ha porté par un agriculteur avec le groupe Enoe Développement, jouxte en partie un village. Les habitants auront donc plusieurs hectares de panneaux sous leurs fenêtres, en bordure d’une rivière d’ailleurs, en pleine zone humide, en plein PNR de Millevaches : autant vous dire qu’ils sont ravis. Voilà bien un coup bas de l’agriculteur qui ne leur a évidemment nullement annoncé le projet. Ici les panneaux feraient 2m20 de hauteur. La mentalité cachotière du projet a d’ailleurs été accompagnée par la commune de Saint-Agnant (un exemple de mairie creusoise cul et chemise avec un gros agriculteur) : aucune concertation avec la population n’a été menée, comme le dénoncent les plus proches villageois du projet. La commune de Saint-Agnant, ni une ni deux, a proposé toutes les parcelles en zone d’accélération pour la transition énergétique (délibération du conseil municipal du 27 octobre 2023) ! On a les yeux bien plus gros que le ventre ! Le PNR a d’ailleurs invité cette commune à « reconsidérer le zonage photovoltaïque sur les zones agricoles et naturelles ».
    Sur cette commune, le raccordement au parc se situe à 8 kilomètres. On ne pense pas assez souvent à ce point dans les projets énergétiques mais il s’agit souvent de centaines de mètres de câbles à tirer et à enterrer, de nouveaux transformateurs à implanter, d’une capacité énergétique de stockage qui doit être au rendez-vous, et qui n’arrive parfois qu’après la réalisation des projets !
    Selon les informations récoltées par les opposants, il paraîtrait qu’en dessous de 15 ha, le projet serait annulé. Il est vrai qu’en général, les sociétés préfèrent et privilégient les gros projets : plus rentables ! On préfère faire la démarche une fois pour 30 hectares que trois fois pour 10 hectares… Cela dit, ça m’étonnerait qu’on crache beaucoup sur un petit projet. À moins que l’investissement pour le raccordement ne soit trop coûteux ? Une anecdote agricole : en cas d’arrêt du projet, les loyers seront pour la Chambre d’agriculture. Des habitants ont écrit une lettre ouverte aux différentes instances du territoire : « Nous demandons une prise de conscience générale et départementale sur le sujet avant que, de tous côtés, des agriculteurs soient vivement incités financièrement à consacrer des dizaines d'hectares pour la rente photovoltaïque. »

     

    Privatisation du paysage

    On trouve parfois quelques communes qui s’opposent aux projets agricoles de parcs photovoltaïques. C’est le cas pour Banize qui s’est opposée à un projet d’environ 30 ha à proximité du bourg. Sur France Bleu le maire de Banize, Luc Escoubérou, a dit être « un peu abasourdi, parce que tout ce qui fait l'attrait de notre commune aujourd'hui, ce sont les espaces naturels ». Mais visiblement, il y a d’autres communes qui n’ont envie d’attirer personne et de devenir le terrain privilégié des derniers propriétaires fonciers, une forme de privatisation du paysage.
    Les gains espérés de l’agrivoltaïsme font saliver beaucoup trop d’agriculteurs. Curieusement, ceux qui ne cessent de mettre en avant leur travail, dès qu’il y a un moyen de gagner au loto, de gagner du pognon sans rien foutre, se ruent dessus. Ceux qui ne cessent de prétendre qu’ils nourrissent le monde n’ont, d’un coup, plus que leur compte en banque à nourrir. Comment résister à tant d’argent promis, surtout quand on l’aime tant, et surtout quand il faut faire partie du bon wagon ? Car le filon de l’agrivoltaïsme, qui emploie moult matériaux dont des métaux rares, ne durera sûrement qu’un temps ! Vite, il faut être sous la pissée : voilà ce que se disent certains. Et tant pis pour les autres !
    Il va falloir des délibérations fermes des différentes collectivités pour que nos paysages ne soient pas saccagés par l’agrivoltaïsme, d’autant plus qu’un décret (eh oui, encore un, vive la démocratie !) paru le 8 avril 2024, encourage « la production d’électricité issue d’installations agrivoltaïques », décret contesté par la Région Normandie (ndlr : une région bocagère comme la Creuse) qui a déposé un recours.

     

    Charte et arrêté

    Plus près de nous, le département de Puy-de-Dôme, a signé en 2022 une charte sur la question photovoltaïque. On y lit : « Pour les installations photovoltaïques au sol, la charte favorise les implantations sur les terrains fortement dégradés ou pollués. Elle refuse les projets sur des secteurs naturels, agricoles, naturels et forestiers à forts enjeux. » C’est peut-être mieux que rien, même s’il faudra beaucoup plus de contraintes et un refus beaucoup plus catégorique de l’agrivoltaïsme pour préserver nos paysages. Un arrêté (encore quelque chose de bien démocratique) du 21 mai 2024, comprenant tout à fait la cupidité des agriculteurs, a permis de rendre éligibles aux aides de la PAC (Politique Agricole Commune) les champs de panneaux solaires. Avant, quand il y avait plus de 30% du champ couvert de panneaux, les primes étaient sucrées.
    L’agrivoltaïsme, c’est une mode qui est en train de débouler sur les campagnes, à grand coups d’incitations financières, et les associations d’opposants ont tout intérêt à s’entraider pour freiner cette menace. Cette mode-là risque d’ailleurs d’être plus importante que celles des bassines qui soulèvent à raison de nombreuses opposants, et de concerner bien davantage d’hectares.
    Les départements et collectivités les plus pauvres, comme en Creuse, où les agriculteurs ne sont pas les plus riches, semblent d’ailleurs tout à fait corruptibles par les lobbys agrivoltaïques. Pauvres, des communes et des agriculteurs qui ne voient la terre que comme une surface foncière ; la seule chose qui leur restera sera un compte en banque, avec le collier et la laisse.

     

    Julien Dupoux

    Deux références sur la critique de l’agrivoltaïsme :
    « Agrivoltaïsme : la course folle des géants de l’énergie » par Elsa Souchay, Reporterre.
    « Nous ne tomberons pas dans le panneau de l’agrivoltaïsme », brochure de la Confédération Paysanne.

     

    Des projets partout !

    Essayer de suivre les projets d'agrivoltaïsme sur le Plateau est une véritable course. Il y en a dans nombre de communes et aucun recensement général n'existe. On les découvre souvent lorsqu'une commune ou des habitants se mobilisent contre un projet tant leurs promoteurs n'en font guère la publicité... Cependant, un relevé partiel nous permet de repérer des projets sur au moins dix communes de Corrèze (Eygurande, Aix, Lamazière-Haute, St-Etienne-aux-Clos, Saint-Augustin, Saint-Angel, L'Eglise-aux-bois, Vitrac-sur-Montane, Sarran, Saint-Fréjoux, Meymac, Alleyrat), quatre en Creuse (Mansat-la-Courrière, Flayat, Saint-Merd-la-Breuille, Saint-Agnant-près-Crocq) et deux en Haute-Vienne (Cheissoux et Saint-Anne-Saint-Priest). Mais certains sont abandonnés, d'autres surgissent ailleurs, bref le flou domine et il est toujours difficile d'avoir une idée précise de l'état des projets en cours.

     

    Un lobby très organisé

    Le principal lobby de l’agrivoltaïsme se nomme « France Agrivoltaïsme », il siège 12 rue Vivienne à Paris (2ème arrondissement). Dans son conseil d’administration, on trouve entre autres Olivier Dauger, co-président de la FNSEA, André Bernard, secrétaire général des Chambres d’Agricultures (quasi toutes dirigées par la FNSEA), Stéphane Ermann, administrateur à la chambre d’agriculture de Moselle, Ugo Batel, administrateur de la coopération agricole et bien sûr tout un tas d’administrateur d’entreprises de l’énergie !
    La FNSEA est bien évidemment membre de France Agricoltaïsme, tout comme la fédération nationale des Safer et, par exemple, au hasard : la chambre d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine. Ce lobby se vante d’accueillir « des personnes qualifiées extérieures qui viennent régulièrement contribuer aux travaux de France Agrivoltaïsme : Les Jeunes agriculteurs, l’IDELE, l’INRAE, AFNOR Certification… ».