Début 2025, les panneaux de signalisation d'entrées de communes sont à nouveau retournés ou recouverts de plastiques noirs, plastiques parfois bombés au rouge d'un « Non au Mercosur » ou autres slogans, cris de rage ou de désespoir lancés aux regards d'une population prise à témoin d'un monde qui marche à l'envers, marche sur la tête.
Il y a dix ans, en 2015, Pyramide production sortait un documentaire, Le vieil homme, les paysans et le ventre de la terre, réalisé par Jean-Marc Neuville et Maryline Trassard, tourné sur le plateau, avec comme personnage pivot Edgar Pisani. Ce dernier décède un an plus tard, à 98 ans. Cet homme âgé fut ministre de l'Agriculture sous de Gaule. C'est lui le père de la PAC*...Un documentaire, malgré ses dix ans, effroyablement d'actualité, qui s'appuie sur les propos d'un homme qui fut l'artisan de notre agriculture présente, mais d'un homme qui, avec le recul, concède qu'on est allé trop loin et qu'aujourd'hui, déjà hier, les enjeux ne sont plus les mêmes, qu'il faut non pas faire « machine arrière » mais repenser complètement le logiciel agricole. Autour de la table et d'un repas festif, au Freyssinet de Tarnac, au côté d'un Edgard Pisani au bon coup de fourchette, on retrouve Marc Poulet et André Bessette, agriculteurs locaux, présents par ailleurs dans le dernier numéro d'IPNS. Ce film, dont le visionnage est fortement conseillé**, n'a pas perdu une ride. Les problèmes sont toujours là, la situation n'a guère évolué sinon en pire.
Début janvier 2025, une toute jeune association de Faux-la-Montagne, « Faux qu'on en cause », qui se donne comme objectif de faire des réunions thématiques publiques sur des sujets qui font débat, proposait une rencontre, autour de l'agriculture. Une salle pleine, environ 80 personnes, des agriculteurs et des agricultrices et des citoyennes, des citoyens, comme vous et moi. Tous les syndicats étaient conviés, mais seuls Le Modef et la Confédération paysanne étaient représentés. Le constat est amer, des aveux d'impuissance, une prison dans laquelle évolueraient des agriculteurs et des agricultrices à bout. La Safer a senti le vent du boulet : devenue une agence immobilière préoccupée de sa propre rentabilité, elle échoue à remplir sa mission. Libéralisme sauvage et débridé, multiplicité des contraintes et des normes sans contrepartie, course à l'endettement, revenus insignifiants... Impression et sentiment de fatalité, de colère contenue, d'impuissance... Comment casser cette spirale infernale, qui s'aggrave depuis quarante ans ?
Revenons à ce que disait notre ami Edgar. Dans un de ses derniers livres, Un vieil homme et la terre, neuf milliards d'êtres à nourrir, la nature et les sociétés rurales à sauvegarder, en plus d'une présentation synthétique de son analyse sur l'agriculture mondiale, de réflexions sur des alternatives aux modèles dominants, des erreurs ou des courtes vues qui ont pu être les siennes et qu'il reconnaît, il pointe la faillite qui nous attend et émet moult propositions. On comprend bien qu'il y a plusieurs échelles en jeu. Il parle des traités internationaux, et transcontinentaux et des batailles qui se jouent à ce niveau-là, mais aussi à l'échelle de l'Europe, ou de la nation. En tant que citoyen lambda, je peux me sentir, concernant les grandes échelles, relativement impuissant, si ce n'est par mon bulletin de vote une fois tous les 5 ans, et encore, faut-il y croire...Paradoxalement, pour Edgar Pisani, une partie de la solution, se joue à l'échelle locale, très locale. « À la vérité, aucun des grands problèmes qui se posent à nous n'est abordé de telle sorte qu'un débat s'instaure entre tous ceux qui s'y trouvent intéressés. Il n'y a débat qu'entre agriculteurs et gouvernement. Cela n'a jamais été suffisant. Cela n'est plus acceptable, car l'activité agricole pose désormais des problèmes de société et de territoire, de sécurité alimentaire qualitative et d'environnement, que les agriculteurs ne peuvent plus résoudre seuls... » (page 13) Plus loin, page 65 : « Le problème agricole, la crise de l'agriculture et du milieu rural font partie d'une crise générale des sociétés modernes et c'est refuser de les résoudre que de les aborder isolément. Il y a un intérêt mutuel (pour le monde agro-rural et pour la société tout entière), à ce qu'ils confrontent leurs situations et leurs difficultés ... »C'est pourquoi, si de grandes réunions débats sont utiles pour faire émerger une conscience, orienter un vote et se raccrocher à une politique décidée ailleurs, ce n'est que la petite partie visible de l'iceberg solution. L'autre partie, et la plus importante me semble t-il, c'est le travail de terrain à la recherche de nouvelles pratiques locales qui, de proche en proche et avec tous les réseaux et liens possibles, prendront de l'ampleur pour dessiner d'autres avenirs plus réjouissants. N'étant ni agriculteur ni agronome, et relativement ignare sur la question, mais conscient de l'importance du sujet, j'apporte ici ma petite contribution, une proposition de méthode qui n'est pas très originale mais qui a déjà montré ailleurs sa pertinence.
Je propose que cette dynamique soit portée par le PNR en association avec le Syndicat de la Montagne Limousine et de communes volontaires. Le PNR qui pourrait, avec une commission ad hoc élargie, entre autres, trouver des financements, animer et mettre au travail une équipe de chercheurs, chercheuses, enquêtrices, enquêteurs et pourquoi pas avec le recours d'étudiants et d'étudiantes, en sociologie ou en en géographie humaine. Il faut des professionnel.les pour à la fois correctement compiler des données, réaliser des rencontres de terrain et faire la restitution sous diverses formes jugées les plus pertinentes. En plus de films, d'émissions radio, d'articles, pourquoi pas aussi des réunions publiques, bilans commune par commune, qui déboucheraient sur l'aide à la constitution de groupes mixtes (agriculture/société citoyenne) qui s'auto-constitueront librement, sur du temps long, à cet exercice de rencontre et prospection. Pour que les choses existent, il suffit parfois de les nommer. Appelons cette démarche, ce projet, cette idée « Semence», quitte à changer si un nom plus judicieux fait surface. On peut imaginer que certains de ces groupes travailleront dans la durée et produiront du contenu, d'autres non : les aléas des rencontres et les facteurs humains (amitiés, inimitiés, accidents de la vie...) comme d'habitude, et c'est normal, façonneront cette dynamique. Avec plusieurs groupes répartis sur un territoire comme celui du PNR, on multipliera les chances de réussite.
Fin décembre 2024, l'Ipamac (Interparc Massif Central) lance un appel d'offres pour travailler à l'échelle de 6 communes de six parcs différents, dont celui du Millevaches, sur la notion d' « habitabilité » des territoires. La commune de Faux la Montagne est une des six communes lieux d'étude. Un groupement d'associations***, a remporté l'ensemble du marché, à l'échelle du Massif Central. L'étude a commencé. Ce concept d'habitabilité prendra t-il en compte la dimension « agricole » du territoire ? Et comment en fera t-il état ? N'est-ce pas aussi une opportunité : allonger la mission en intégrant la proposition « Semences », une réunion de concertation avec le PNR de Millevaches pour valider ? Affaire que je veux bien suivre...