L’annonce de la fermeture de la ligne (Guéret) Busseau-sur-Creuse/Felletin semble être la goutte d’eau qui fait déborder le vase des liquidations massives de lignes ferroviaires dans le Massif central depuis des décennies et de la désertification ferroviaire de la France dédaigneusement qualifiée de « périphérique » par les élites du centralisme français. Le 22 février à Aubusson puis le 1er mars à Guéret, les opposants à la fermeture et les partisans du maintien d’un service public décent de transport ferroviaire dans le sud de la Creuse ont appelé à manifester. Quelques jours auparavant, le 14 février, une manifestation pour la réouverture de la ligne Volvic-Le Mont-Dore/Ussel avait rassemblé 200 personnes à Ussel. Avec cette fermeture c'est la fin des deux allers-retours TER quotidiens reliant Felletin à Limoges par Guéret qui est actée. Cela signifie la fin de la ligne puisque plus aucun trafic fret ne la parcourt.
Les 34,5 km menacés de neutralisation constituent le reliquat de la ligne Busseau-sur-Creuse-Felletin-La Courtine-Ussel, longue de 78 km mise en service entre 1865 et 1904. Elle a été amputée de son service voyageurs sur sa section courant au sud de Felletin jusqu’à Ussel en septembre 1979. La ligne reliant Saint-Sébastien (sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse) à Guéret (44,7 km), qui permettait un itinéraire rapide entre Paris et Ussel, mise en service en 1886, avait vu son service voyageurs supprimé dès juin 1940.Selon Yann Desenfant, secrétaire à la CGT cheminots, la ligne « n’a pas reçu de travaux d’entretien conséquents pendant des décennies » : « Sur le tronçon Busseau-sur-Creuse/Felletin, le plus vieux rail sur la ligne date de 1901 tandis que le plus jeune est de 1946. » Il conviendrait par ailleurs de rechaper les voûtes de deux tunnels actuellement garnis de briques, pour un devis estimé à 7 millions d’euros. Pourtant la ligne a bénéficié de travaux d'urgence fin 2022. Ce chantier de 3,5 millions d’euros avait été pris en charge à 75 % par la Région. En fin d’année, ces 3,5 millions d’euros seront donc probablement passés par profits et pertes. Ce ne sera pas la première fois que la bureaucratique puissance publique investit sur une ligne peu de temps avant de la fermer.SNCF Réseau estime qu’il faudrait entre 50 et 80 millions d’euros pour pérenniser cette section mais Jean-Luc Gary, directeur territorial SNCF Réseau Nouvelle-Aquitaine, a indiqué que « le coût total pour pérenniser la ligne n'est même pas chiffré ». La Région Nouvelle Aquitaine assure que, malgré une politique volontariste, elle ne peut pas financer les travaux de modernisation partout. Lors d’une visite à La Souterraine en novembre, le précédent ministre délégué aux transports, François Durovray, avait affirmé sa détermination de trouver une solution pour garder des trains à Felletin. Depuis, plus rien.
Gare de Felletin côté voies. La voie du premier plan était utile pour le croisement des trains reliant Busseau-sur-Creuse à Ussel, par La Courtine, commune désormais privée de tout accès ferroviaire.
La ville de Guéret est vent debout contre la liquidation programmée de Busseau-sur-Creuse/Felletin. Sa maire, Marie-Françoise Fournier, a publié cette protestation : « Cette ligne nécessite aujourd’hui des travaux urgents à la fois sur le rail et les tunnels. Son maintien est vital pour les besoins de la population, le développement économique et touristique, les déplacements estudiantins mais également pour un retour du fret. A l’heure des "mobilités douces", des financements doivent être priorisés par l’État, les autorités en charge de la mobilité et l’opérateur historique, SNCF Réseau, afin de pérenniser cette petite ligne structurante et essentielle au bassin de vie du sud creusois : sans ces financements, la petite ligne Guéret – Felletin fermera en août 2025. Sans mobilisation, c’est le devenir des petites lignes qui est menacé. Sans mobilisation, c’est l’avenir de nos territoires qui est en danger. »Les maires de Felletin et d'Aubusson ont demandé une réunion d'urgence avec toutes les parties. Elle s’est tenue le 13 janvier. Le maire de Felletin, Olivier Cagnon, déplore l'état de la ligne : « Je ne défends pas la ligne telle qu'elle est aujourd'hui car les horaires ne sont pas adaptés et les tarifs sont relativement prohibitifs, à 10 euros alors que le bus propose 2,30 euros. Mais je défends cette ligne sur le long terme. Si on ferme cette ligne, on le regrettera dans quinze ou vingt ans. On a un bel outil, une pépite à préserver. » Il explique que ce serait « une erreur » de mettre en arrêt la ligne TER : « Une étude de revitalisation est en cours, attendons de voir. »François Landry, défenseur de la ligne, a confié à La Montagne : « J’ai compris que si personne ne l’utilisait, c’est parce que les horaires n’étaient plus adaptés ». Il était quasi-impossible de faire un aller-retour Felletin-Guéret intéressant, puisque le voyageur arrivait en fin de matinée pour repartir en début d’après-midi… « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage… », dénonçaient ses partisans. Depuis, les horaires ont été opportunément recalés. Le départ du matin depuis Felletin est fixé à 6 h 23 pour arriver à Guéret à 7 h 16 et à Limoges à 8 h 25. Dans l’autre sens, le départ du soir est fixé à 17 h 10 de Limoges, 18 h 20 de Guéret pour une arrivée à 19 h 10 à Felletin.
Gare de Budelière-Chambon, dans l'est de la Creuse.Le bâtiment voyageurs a été rasé et remplacé par un abri en ciment avant même la suppression du service ferroviaire. Est-ce l’avenir des voies à Felletin ? (photo : Raildusud).
Mais la préfète de la Creuse Anne Frackowiak-Jacobs estime que financer les travaux pour maintenir la ligne est quasiment « impossible », se contentant d’envisager que l’Etat participe à l’expérimentation d’un « train léger ». Mais on sait que l’essentiel dans le chemin de fer réside dans la qualité de son infrastructure… et que plus le train est « léger » plus la voie doit être parfaite. La promesse de la préfète sonne comme une homélie d'obsèques.Cette ligne en antenne concerne pourtant des populations situées bien au-delà du sud creusois, puisque les deux allers-retours TER quotidiens relient Felletin à Limoges. La distance ferroviaire entre Felletin (qui abrite un lycée professionnel fréquenté par 450 élèves issus de toute la région) et Limoges s’établit à 127,5 km. La disparition de tout trafic de Busseau-sur-Creuse à Felletin, si elle se confirme, sera la sixième amputation sur les trois grands axes nord-sud de la partie médiane du nord du Massif central. Elle ne laissera plus aucune pénétrante ferroviaire directe nord-sud entre Limoges et Clermont-Ferrand.
Bâtiment de la gare d'Aubusson au début du XXe siècle. Le bâtiment, pas très bien entretenu (au sortir de la Ière Guerre mondiale ?), rappelle le prestige de cette ville connue pour ses ateliers royaux de tapisserie. (Carte postale ancienne CPArama / https://www.cparama.com/forum/aubusson-t2159.html)
La levée de boucliers contre sa fermeture dans une région à la faible densité de population – mais une population qui paie ses impôts comme les autres – manifeste un ras-le-bol plus général. Après 87 années de fermetures, le réseau ferroviaire national originel français a perdu la moitié de son kilométrage, une dévastation supérieure à celles qu’ont pu connaître les autres pays européens de taille comparable. Toutes les régions ont été frappées, en particulier le Massif central, qui a même connu la ligne à la plus courte durée de vie : Montluçon-Gouttières (43,5 km), mise en service en 1931 et fermée aux voyageurs dès 1939 (avec réouverture sur quelques kilomètres après-guerre pour desservir occasionnellement la station thermale de Néris-les-Bains). Ce fut l'un des plus éblouissants exemples de « bonne gestion » des équipements publics.