Cent, peut être deux cents, en tout cas nombreuses étaient les personnes et les habitant.e.s venues, souvent en famille, aux rencontres de cette journée festive de déambulations champêtres, culturelles et politiques (au sens large). À la Berbeyrolle, au bourg de Tarnac et à Peyrelevade (en veillée) des carrefours dédiés à la résistance, à la poésie, à la mémoire, à l’histoire, à la convivialité... avaient été installés dans les salles municipales, sous des chapiteaux, à la médiathèque Armand Gatti et en plein air, offrant des expositions, des lectures, du théâtre, du cinéma, un repas du cru.
À la Berbeyrolle, dans un îlot de forêt (les alentours sont en coupes), au bord d’un ancien trou du maquis, une plaque fixée sur une haute pierre de granit rappelle que la Résistance est le propre des gens ordinaires. Ce message n’est pas fréquent car la plupart des stèles l’inscrivent sur le mode tragique des victimes ou sur celui de l’exception propre aux héros. Ni héros, ni martyrs, les personnes dont les noms sont gravés ici appartiennent simplement à deux familles de paysans de la commune, ce sont ceux de quatre jeunes citadins, ouvriers ou fils d’ouvriers venant de loin (Nice-Monaco, Marseille, Lyon) et celui d’un passeur italien de la filière communiste conduisant au maquis limousin depuis la Méditerranée. Huit noms gravés en hommage à tous les “légaux”, paysan.ne.s et villageois.e.s, ainsi qu’aux jeunes maquisard à qui ils offraient refuge, nourriture, soins et planque. J’oublie deux noms, mais ceux-ci figurent sur la deuxième stèle. Ils appartiennent d’une part à une jeune fille juive monégasque rescapée des rafles, entrée dans la résistance, dont la famille a été exterminée à Auschwitz, et d’autre part à un révolutionnaire paysan ukrainien.
Ce monument évoque à travers ces dix noms la résistance dans son mode commun, familier et familial, essentiellement modeste. Elle est illustrée ici par une forêt près d’une ferme, par des familles paysannes, des réfugié.e.s, des partisan.e.s. Il s’agit de la résistance universelle - d’ici comme d’ailleurs, de tous temps et à tous les temps - qui s’exprime par les actes concrets de solidarité, de courage et de refus quotidiens venus des gens du peuple, en bas. La pierre du maquis de la Berbeyrolle montre d’abord cela.
Il ne serait pas juste de dire que cette “plaque”, promise en 1996 par l’ancien maire Jean Plazanet au cours d’une discussion avec Armand Gatti2, existerait si ce dernier n’avait pas été en 1943 un des quatre jeunes maquisards de la Berbeyrolle. Devenu un auteur dramatique important et un poète reconnu, Gatti est mort en 2017 après avoir écrit le texte des plaques3 de la forêt de la Berbeyrolle. Il a laissé une œuvre dont les sources, assure-il, proviennent justement de ce plateau éponyme où il est devenu homme et où il aurait voulu voir “sa pierre”. Après 10 ans de persévérance, l’association Le Refuge des résistances Armand Gatti et la mairie de Tarnac ont cependant tenu la promesse du maire, même si ce fut à titre posthume. Le message du poète sur la résistance est désormais délivré au monde depuis l’en bas de ce village ignoré4 dont le maquis lui offrit un devenir d’écrivain “toujours maquisard” (sa “deuxième naissance”).
Revenons à la forêt de la Berbeyrolle où le premier message, familier, celui de la pierre près du trou, se prolonge sur un autre monolithe érigé à quelques pas en contrebas au creux du vallon. Parmi les arbres de la forêt complice, la résistance s’y inscrit en deux phrases exclamatives au ton révolutionnaire. La première, un peu énigmatique, est philosophique : “Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité, créez-la vous-mêmes ! Vous ne la trouverez nulle part ailleurs”. Nestor Makhno. Armand Gatti mentionne expressément celui qui est considéré comme son auteur, Makhno, un révolutionnaire libertaire, paysan pauvre qui s’est soulevé victorieusement avec son peuple en Ukraine pendant la Révolution d’octobre 1917. Mais n’obéissant pas au parti bolchevik, il fut contraint à l’exil au début des années 20. Cette phrase associée au nom de Makhno n’est pas sans rappeler la démarche et l’histoire de Georges Guingouin, “Premier maquisard de France” et de “Lou gran maquis”, vingt cinq ans après : une parabole philosophique et historique que Gatti à certainement voulu placer à la Berbeyrolle, à un “endroit juste”. Le deuxième slogan inscrit sur le monument sont les derniers mots du refrain de L’Internationale que le poète et ouvrier communard Eugène Pottier lance avec rage à la face de l’humanité pendant La Semaine sanglante : “Nous ne sommes rien soyons tout !”. Ici au maquis, dans la forêt amie, l’écho de cet appel redouble celui de la phrase du paysan révolutionnaire venu d’Ukraine. Il exprime une incommensurable volonté d’émancipation mais aussi la conviction en sa possibilité dans le passé, pour le présent et à l’avenir ; ici et ailleurs.
Mais venez donc sur place faire un tour à la Berbeyrolle ! Il y a “un trou qui vaut le coup”. “Tarnac, village remarquable”, n’est-t-il pas ?
A Tarnac, le changement de municipalité a été le théâtre d’un troisième tour électoral sur Internet. Le propriétaire du château, journaliste au Figaro et habitant intermittent, s’étant réjoui du retournement de majorité, de nombreux Tarnacois ont réagit vivement sur le blog “Balade @ Tarnac“ devant une réaction... légèrement réactionnaire ! Pour s’en offusquer, pour s’en moquer ou pour poser les enjeux d’un débat qui dépasse largement le cas de Tarnac et concerne l’ensemble du plateau : que voulons-nous pour nos communes, pour le plateau, pour ses résidents permanents ? IPNS publie ici le mot du châtelain et deux des réactions parmi les dizaines qu’il a immédiatement provoquées.
Au nom d’un des habitants intermittents de Tarnac, mais votant régulièrement à Tarnac, membre de la Commission Attali, et propriétaire d’une maison détenue depuis quatre siècles par la même famille, je félicite la liste qui vient d’être élue et qui met fin à un siècle de domination marxiste dans cette commune qui ne méritait pas une si terrible idéologie. Enfin Tarnac dont les charges de personnel ont doublé en cinq ans (un record en Corrèze) va pouvoir être gérée comme une commune normale. C’est vraiment un très grand jour pour tous les Tarnacois qui ont fait preuve d’un immense sursaut civique.
Ah mon cher Yvon, vous avez raté la soirée électorale !Les communistes furent promptement enfermés dans les cabanes à cochon, les drapeaux rouges décrochés, les crucifix sortis des fosses où ils avaient été enterrés quelques huit décennies plus tôt.La foule en liesse se précipita vers les commerces longtemps réservés aux seuls apparatchiks. On dévora les éclairs et autres mokas de la boulangerie, même les religieuses au chocolat y passèrent tant on était habitué à bouffer du curé !La cuisine du restaurant, souvent recommandée dans le Figaro du week-end qu’on se passait sous le manteau dans les veillées clandestines, nous régala de ris de veau, saumon fumé, cèpes et girolles (dont la cueillette nous était interdite). Les gosiers asséchés s’adoucirent des meilleurs crus de Bordeaux. Des mères de famille avisées remplissaient leurs cabas rapiécés des victuailles dont rengorgeait le Magasin Général. Les brigades rouges furent chassées sans ménagement du Tagouillou.On se souvint avec tristesse des premiers opposants emmurés vivants dans les souterrains de La Gorce dans les années 30. On craignait d’aller délivrer la «vermine capitaliste», comme ils nommaient nos braves concitoyens enfermés dans le goulag de La Fage, tant les hurlements des molosses canins qui les gardaient nous effrayaient.Au petit matin chacun redoutait que le mauvais sort nous frappe à nouveau dans six ans comme ce dimanche passé à Dieppe ou à Vierzon...
Quelques habitants de Tarnac projettent de réunir en recueil les textes issus de cette controverse. Si le projet aboutit nous le signalerons dans un prochain numéro.
Il serait intéressant de savoir combien de nos nouveaux électeurs de droite sont enfants ou petits enfants de familles paysannes, communistes ou non. Car ils sont un certain nombre à s’être arrachés aux conditions souvent dites “misérables“ de leurs aïeux par l’exil et le travail dans l’un ou l’autre des foyers de croissance économique. De retour, bon nombre savent être reconnaissants envers un système qui les a promus en rejoignant les rangs des nantis qui ont comme préoccupation centrale celle de préserver leur patrimoine et leur tranquillité – voire éventuellement les quelques vieilles pierres qui leur tiennent lieu de rapport au passé. On imagine leur fierté – assumée ou non – de pouvoir être aujourd’hui reconnus par le dernier des châtelains comme des “libérateurs“. On pourra aussi se demander ce qui reste de l’héritage éthique (si non politique) des dits aïeux.
La situation qui tend à se confirmer ces dernières années sur le plateau est celle de communes qui n’ont plus rien de “communautés“ mais tendent à n’être plus que la juxtaposition de petits nombrilismes en recherche de “qualité de vie“ dans un cadre verdoyant. Pour beaucoup, il semble qu’après avoir tant sué dans la grisaille des métropoles pour se payer quelque sursis oisif dans la campagne natale, l’attention au commun doive être reléguée au placard. Leurs préoccupations civiques se disent essentiellement en termes de tout-à-l’égout, de lampadaires, de bordures de trottoirs et bien sûr de réductions d’impôts. Pour répondre à de telles préoccupations il ne s’agit plus tellement d’élire quelqu’un de bien ancré dans sa commune, connu et à l’écoute de tous, ni même particulièrement au fait des problèmes des habitants du village dans leur diversité, mais de désigner un bon gestionnaire qui sera reconnu comme tel à l’aune de sa réussite sociale individuelle.
En attendant, derrière les façades pittoresques de nos bourgades, une guerre silencieuse continue de se mener entre, d’une part, ces nouveaux “rentiers“, surtout occupés à la réalisation de leur bon plaisir, et ceux qui, dans les coulisses, tentent de survivre des expédients qu’on a bien voulu leur laisser (il faut bien encore quelques tâcherons pour tailler les haies, s’occuper des vieux, entretenir le paysage et rénover les maisons secondaires...). Tarnac, avait jusque-là comme réussi à ne pas s’abandonner complètement à cette pente, grâce notamment à un certain activisme municipal et une vraie disposition à l’accueil, dont Jean Plazanet (l’ancien maire) n’était pas la moindre des incarnations. Combien de temps lui faudra-t-il désormais pour ressembler à d’autres bourgs alentours, sans école, sans jeunes, sans lieux communs... tranquilles et propres à en mourir ?
Nous ne pensons pas toutefois que tout soit dans les mains de la nouvelle municipalité. Que le sort entier d’une commune se joue à une dizaine de voix, dans un sens ou dans l’autre, relève trop de la loterie. Il va de soi que ce qui adviendra de la commune dépendra surtout de ce que nous saurons y faire advenir ensemble – avec ou en dépit des nouveaux élus -, au-delà de l’agitation fiévreuse de ces quelques semaines électorales.
Gérard Monédiaire : Au Parc naturel régional comme ailleurs, les initiatives de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile, ont retenu l'attention des personnes qui suivaient l'affaire du bois du Chat et plus généralement les questions de la forêt. C'est ainsi que le conseil scientifique et de prospective (CSP) du Parc a décidé de s'auto-saisir de cette affaire, auto-saisine immédiatement agréée par le président du Parc. C'est ainsi que tout a commencé. Cette auto-saisie répondait à deux préoccupations. D'une part, et indépendamment de l'opportunité (ou plutôt de l'inopportunité) de cette coupe, nous avons, au sein du CSP, eu des doutes immédiats sur la procédure qui a été suivie pour la mettre en œuvre. D'autre part, il fallait prendre en considération l'action des personnes qui, à Tarnac, se sont mobilisées pour stopper cette coupe. Dans l'argumentation que nous avons présentée, nous avons insisté sur la vigueur de la société civile sur le territoire du Parc. Sans sa réaction robuste empêchant la conduite à (mauvaise) fin de la coupe, il n'y aurait jamais eu d'affaire du bois du Chat et le bois du Chat lui-même ne serait plus qu'un souvenir...
Il y en a trois. Premièrement, si le PNR peut des choses, il ne peut pas tout. Mais il peut travailler à éviter pour l'avenir des conflits et des psychodrames comme celui auquel on a assisté à Tarnac. On pense en particulier à la manifestation du 6 mars 2023 organisée par ceux qui étaient favorables à la coupe au cours de laquelle, par ignorance ou par mauvaise foi, les approximations ont été légion. Deuxièmement, du point de vue du PNR, il s'agit d'assurer au mieux ses obligations légales issues du code de l'Environnement. Troisièmement enfin, il s'agit de permettre à chacun d'exercer sereinement et utilement ses droits à l'information et à la participation. Sur ce dernier point, le CSP a été confronté immédiatement à une situation de très forte incertitude concernant le chantier du bois du Chat, puisque nous ne disposions pas d'éléments fiables concernant plusieurs points cruciaux. Il était impossible de connaître la qualification initiale de la parcelle en cause, cette qualification ayant des conséquences très différentes. Par ailleurs nous n'arrivions pas à savoir non plus, de quelle manière la protection de l'environnement avait été prise en compte dans le plan simple de gestion (PSG). C'est pourtant une obligation du code forestier dès lors en particulier que le projet de coupe concerne des espaces protégés, ce qui était le cas en l’espèce au titre de la politique Natura 2000. Nous savions que la parcelle était en « zone de protection spéciale » pour la protection des oiseaux, mais un doute persistait sur le point de savoir si la parcelle était en « zone spéciale de conservation », ou à proximité. Si tel était le cas, alors une étude d'incidence du projet, l'équivalent d'une étude d'impact sur l'environnement, était obligatoire. Le président du PNR a donc écrit au président du Centre national de la propriété forestière (CNPF) à Bordeaux, pour connaître les éléments du PSG du bois du Chat en matière environnementale. Sans surprise, ce dernier a répondu par un refus. Je dis sans surprise, car en 2020, la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), dans une affaire tout à fait similaire, s'était prononcée pour la non-communicabilité du PSG au motif que cette communication « porterait atteinte à la vie privée », ce document pouvant contenir des données fiscales qui sont classiquement couvertes par le secret fiscal. Pourtant, en 2022, un arrêt du Conseil d'État concernant une forêt départementale avait adopté une position totalement contraire, tranchant pour la communicabilité des informations environnementales...
Nous avons proposé au PNR de saisir la Cada, qui, rappelons-le, est une autorité administrative indépendante, aux fins d'établir l’illégalité du refus de communication du PSG par le CNPF. Dans notre saisine, nous référant à l'arrêt du Conseil d'État, nous avons raisonné par analogie entre forêt publique et forêt privée. À ce stade nous demeurions inquiets car, par manque cruel de personnel, les avis de la Cada se font généralement attendre de longs mois... Le 14 décembre 2023, la Cada a pourtant rendu un avis qui reprend quasi mot à mot l’argumentation du PNR et elle a fait évoluer pour elle-même sa doctrine en se prononçant pour la communicabilité des éléments environnementaux des plans simples de gestion (voir encadré). Mais cette position nouvelle n'est pas une décision de justice, ni un acte contraignant juridiquement et n'a que la valeur d'un avis, la Cada étant une autorité administrative indépendante mais dépourvue de pouvoir réglementaire. Toutefois c'est un succès important qui a permis au président du PNR d'aussitôt réclamer à nouveau les éléments refusés par le CNPF. Malheureusement celui-ci a refusé à nouveau de transmettre le PSG, sous un prétexte assez cocasse : car le PSG se caractériserait, je cite, par son « enchevêtrement » ! Si tel est le cas, à qui imputer cet embrouillamini, sinon à ceux qui ont élaboré puis agréé le PSG ?
Il peut déposer un recours juridictionnel administratif, ou formuler une plainte devant la Commission européenne pour non-respect par la France de la directive Natura 2000, ou encore déposer une plainte devant le comité du respect des stipulations de la convention d'Aarhus relative au droit à l'information, à la participation du public et à l'accès à la justice en matière environnementale... Mais ce sont évidemment des procédures qui sont très longues.2
Ce qui me semble important c'est que l'avis de la Cada qui est rigoureusement fondé en droit est absolument clair sur le fond. Et cet avis ne se contente pas de donner au seul PNR un droit de regard sur les PSG. Il indique que celui-ci, je cite, « est communicable à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L124-3 du code de l’environnement, après occultation des coordonnées personnelles (adresse personnelle) ainsi que celles relatives à l’engagement fiscal du propriétaire, dont la communication ne présente pas, pour l'information du public, un intérêt supérieur à celui tenant à la protection de la vie privée. » La communication est donc ouverte à tout le monde, associations, particuliers, etc. C’est un succès pour ce qu’on appelle parfois la « démocratie environnementale ». L'avis de la Cada ruine totalement les énormités qu'on a entendues prononcées, par ignorance ou démagogie, lors de la manifestation du 6 mars 2023 au bois du Chat. « Cette coupe est légale » : eh bien non, ce n'était pas légal. « La forêt n'est pas un bien commun » : eh bien non, c'est un peu un bien commun simultanément à ses statuts de propriété privée ou publique. Au demeurant, la conception souveraine et exclusiviste du droit de propriété (qui considère, par le truchement d’une lecture tronquée de l’article 544 du Code civil, le propriétaire comme un monarque de droit divin chez lui) n'a jamais existé. C'est juste un argument utilisé pour présenter ceux et celles qui considèrent que la forêt est aussi un bien commun comme des hurluberlus qui voudraient transformer la terre entière en un immense kolkhoze ! Et alors qu'on a droit à de continuelles leçons de civisme de la part des institutions, on s'aperçoit que ces dernières ne respectent pas les dispositions du droit ! En effet, le Centre national de la propriété forestière est un établissement public national, placé sous la tutelle du ministre de l'Agriculture, et il est le premier à ne pas respecter l'accès pourtant légal aux documents administratifs comme l'ont rappelé en 2022 le Conseil d'État et cette année la Cada avec cet avis du bois du Chat. Le code de l'Environnement dispose expressément que tout établissement public doit rendre publics les éléments qu’il détient concernant la protection de l'environnement !
À deux kilomètres du bourg de Tarnac, la route menant à Peyrelevade traverse une forêt spontanée de chênes et de hêtres, un ruisseau dévale ses pentes et rejoint la Vienne en contre-bas, une grande diversité d’êtres vivants la peuplent, des chauves-souris, oiseaux, salamandres, lichens et champignons. Un matin de décembre dernier, des habitant.es des alentours ont eu la triste surprise de découvrir une partie de la forêt tout simplement rasée. Un chantier avait démarré prévoyant une coupe rase de 6 hectares de feuillus. Le Comité de défense du Bois du Chat s’est alors spontanément constitué.Il a commencé par alerter le Parc naturel régional de Millevaches qui a aussitôt engagé une discussion avec la propriétaire lui proposant la signature d’un contrat Natura 2000, contrat lui offrant la somme de 45 000 euros pour simplement laisser vivre la forêt pendant 30 ans. Ayant refusé la proposition, la propriétaire et l’exploitant (ici la société ARGIL basée à Égletons) ont tenté de reprendre le chantier en force mais se sont heurtés à la mobilisation de nombreux habitant.es du Plateau.Une première fois, le 13 février 2023, l’exploitant a dû renoncer à démarrer le chantier devant la détermination des opposant.es simplement et pacifiquement réuni.es sur place. Une seconde fois, le 1er mars, l’exploitant était accompagné d’un lourd dispositif policier (peloton du PSIG, brigade cynophile et présence ostensible des services de renseignements), la préfecture de Corrèze ayant déjà signifié son soutien à l’opération en empêchant par arrêté le stationnement sur les routes et chemins menant au bois. Mais là encore, la simple présence dans les bois d’habitant.es a suffi à stopper les travaux.
Depuis décembre, le comité du Bois du Chat a organisé plusieurs visites avec différentes associations naturalistes comme Le champ des possibles, la Ligue de protection des oiseaux ou le Groupe mammalogique et herpétologique du Limousin. Sous 20 centimètres de neige et dans un froid mordant, 150 personnes se sont rassemblées le 21 janvier 2023, venues de l’ensemble de la Montagne limousine, pour signifier leur opposition à cette coupe rase. Une pétition a rapidement recueilli des centaines de signatures. Le conseil municipal et le maire de Tarnac ont été alertés mais ont jusqu’ici refusé de se saisir du dossier, se retranchant derrière la légalité du chantier. Une légalité pourtant contestable sur bien des aspects : le franchissement du ruisseau n’a pas été protégé, la rampe de débardage n’est pas conforme aux exigences et le plan de gestion comporte des irrégularités. Une mise en demeure a ainsi été adressée à l’exploitant.
À l’heure où les monocultures de résineux souffrent sous l’effet des sécheresses et des parasites, les forêts autochtones sont les mieux à même de résister au changement climatique et d’offrir un refuge à une biodiversité en effondrement partout ailleurs. Le cas du Bois du Chat est emblématique d’un système pernicieux, soutenu par des politiques publiques qui subventionnent les plantations et encouragent les coupes rases, au détriment des engagements de l’État en matière de biodiversité. C’est pourquoi cette lutte bénéficie également de soutiens notables de la part d’élus locaux et nationaux prêts à exiger la reconsidération des politiques forestières et engager un débat avec les professionnels de la filière.Les positions du Comité du Bois du Chat ont été clairement exprimées en janvier dans le texte Une ligne rouge en forêt, dont voici quelques extraits :« La propriété privée des forêts en particulier, comme la législation en général, souvent évoquées pour légitimer le statu quo, doivent être repensées si elles veulent rester conciliables avec la survie, le bien-être et l’interdépendance des communautés humaines et non-humaines. Les conséquences de l’exercice de ce droit de propriété sur le sol, l’eau, la faune et le paysage ne peuvent pas retomber sur la collectivité. Nous pouvons y réfléchir ensemble.Malgré les dégâts et la violente dégradation des pratiques sylvicoles que les rapports de force économiques engendrent, nous voulons exprimer notre soutien à la majorité des travailleuses et travailleurs forestiers qui connaissent et aiment la forêt dont ils dépendent. Comme dans la plupart des métiers actuellement, ces personnes sont acculées vers des pratiques qu’elles savent nocives à long terme. À nos amis forestiers, nous n’avons rien à apprendre et n’avons pas de reproches à faire : la pression exercée sur eux par l’économique et l’écologie lunaire des politiques publiques sont déjà difficilement supportables. Ce que nous cherchons au contraire c’est à faire entendre les confidences qu’ils nous font, à l’écart du vacarme des chantiers qu’il faut finir coûte que coûte pour ne pas payer de pénalités contractuelles d’approvisionnement, ils nous disent clairement : une coupe rase de feuillus spontanés n’est pas bonne, ni pour la terre, ni pour les arbres, ni pour eux, ni pour les propriétaires et encore moins pour les générations futures, c’est un saccage de la terre comme du métier.D’un côté, les politiques publiques soutiennent à grands frais une vision de l’écologie à court terme encore inspirée de l’exploitation minière : en récoltant d’un seul coup tout le bois d’une parcelle avec ces méthodes d’un autre âge, les exploitants ont sévèrement altéré l’écosystème pour les 150 ans à venir. [...]Notre objectif n’est pas tant de montrer du doigt tel ou tel professionnel, les coupes rases de feuillus spontanés étant devenues monnaie courante, mais de montrer les effets concrets des rapports de forces financiers qui mènent une profession au suicide. Nous sommes déterminés à maintenir et multiplier ce type de blocage tant qu’une solution ne sera pas trouvée avec les pouvoirs publics pour réguler intelligemment une concurrence au service des savoir-faire de terrain, de la forêt et des générations futures et desserrer l’étau dans lequel la profession et la forêt sont prises.Alors qu’elle reste le modèle dominant en Nouvelle-Aquitaine, et notamment sur la Montagne limousine, la pratique des coupes rases est très sévèrement encadrée, voire interdite, chez nos voisins suisses, belges, allemands, autrichiens, slovènes et italiens. C’est donc qu’un changement des pratiques est viable pour la filière. L’économie, qui jusque-là nous maintenait les uns contre les autres, n’est pas un obstacle : pour preuve, les prix peuvent s’adapter, ils ont presque doublé en 2022, certaines entreprises aux pratiques raisonnées sont d’ores et déjà financièrement viables et nous pouvons nous protéger de certaines logiques financières à l’aide de règles et compensations que notre détermination commune doit imposer. L’élaboration des lois est toujours l’expression d’un rapport de forces, et celui-ci pourrait évoluer dans les temps à venir car bien des territoires appellent un changement. »
Le parc HLM est relativement important sur le territoire du PNR. Dans toutes les petites villes et dans bon nombre de bourgs, cet habitat social est présent. Alors que partout s’affiche le constat d’un manque criant de logement sur le Plateau, on est choqué par le nombre impressionnant de logements vides au sein de cette propriété publique. Et lorsqu’on interroge les résidents, il est non moins stupéfiant d’être submergé par toute une litanie de mécontentements. Nombre d’entre eux souhaitent quitter leur HLM et sont à la recherche d’un autre logement malheureusement introuvable ou inaccessible à leur budget. Certes, les loyers HLM demeurent parmi les moins chers. Mais quelques résidents, et notamment à Aubusson, se plaignent des charges locatives de plus en plus lourdes et toujours décidées sans préavis ni concertation. En d’autres lieux comme à Peyrelevade, c’est un autre refrain “les HLM c’est tout pourri“...
Dans la surcharge des coûts, ceux qui concernent le chauffage sont les plus fréquents. Il y a l’aberration du chauffage électrique dans des bâtiments ou des pavillons construits à une époque où le coût énergétique était minime et l’isolation thermique totalement négligée. Si à Bourganeuf l’ensemble des HLM a été équipé d’huisseries isolantes avec double vitrage, à Royère de Vassivière, malgré des pétitions répétées, beaucoup se plaignent de fenêtres perméables à toutes les intempéries. A Tarnac dans un lotissement pavillonnaire, une pétition des résidents afin d’obtenir la construction de cheminées pour y installer un insert a été rejetée en 2004 par l’office public, alors que la municipalité était toute disposée à solliciter le concours d’autres partenaires pour la réalisation de cet investissement collectif ! L’augmentation des charges de chauffage est une des causes parmi les plus fréquentes dans la décision de quitter un HLM. Dans une région au climat rigoureux comme le Plateau de Millevaches, la règle de l’ouverture et fermeture du chauffage au 15 septembre et 15 mai suscite immanquablement chaque année toute une série de pétitions pour obtenir une dérogation à l’ineptie d’une application locale de règles nationales ! Face à tous ces dysfonctionnements, les résidents s’équipent d’appareils de chauffage d’appoint. Leur nombre impressionnant devrait inciter à une rapide modernisation des installations de chauffage autant par mesure de sécurité que pour l’économie d’énergie.
Bien plus que sur les questions de coût, le mécontentement porte sur les nombreuses nuisances qui ressortent de la vie en collectivité. L’agencement et la disposition des locaux d’habitation comme leur exposition et leur luminosité sont d’une manière générale très bien appréciés. A l’inverse, les parties collectives sont souvent décriées et mal utilisées. Citons des caves sans éclairage électrique avec des fermetures sans cesse détériorées et soumises au pillage. A cela s’ajoute toutes les questions relatives à l’entretien du quotidien, les doléances sur la salissure et la saleté des parties collectives : cages d’escaliers, corridors, halls d’entrée. Et les jérémiades se poursuivent sur la négligence de l’environnement paysager avec des pelouses et haies mal entretenues, des parkings sauvages, la multiplication des chiens plus agressifs que domestiques... Tous sans exception s’accordent à dénoncer le bruit comme l’un des caractères les plus perturbants de la cohabitation en HLM. Cette carence de l’isolation phonique introduit une gêne embarrassante dans les relations de voisinage et se présente comme un facteur permanent de la détérioration des rapports entre les résidents dès lors que l’intimité de la vie familiale n’est plus préservée. L’accumulation de ces nuisances participe au rejet et à la mauvaise réputation du logement social. En même temps qu’il induit des comportements de ségrégation entre les générations, les origines culturelles, les habitudes éducatives...
Au terme de ce tour d’horizon pessimiste et malgré la diversité des résidents, force est de constater la difficulté de rencontrer quelque regroupement ou association de résidents susceptible de rassembler et porter l’ensemble des ces insatisfactions devant les responsables de la gestion de ce parc immobilier. La vie associative n’est pourtant pas absente au sein de cette population, au contraire. A Bourganeuf, par exemple, des associations sont actives et en quête de petites réalisations pour valoriser le brassage éducatif et culturel de ces habitats, comment apprendre à grandir ensemble dans le respect des personnes et des lieux, comment penser le collectif avant les solutions individuelles... Parmi les revendications pour l’amélioration de leurs conditions de vie : des jeux sécurisés dans les espaces paysagers, l’aménagement d’un barbecue à usage collectif...
L’incidence de toutes ces nuisances sur la dégradation du climat social dans cet habitat n’échappe pas à ses promoteurs et gestionnaires. Le 29 juillet 2008, l’Office public de l’habitat de la Creuse a adressé un courrier à quelques résidents. Dans cette lettre, il annonce qu’il s’est doté d’un nouveau nom : Creusalis “pour symboliser son lien fort avec le territoire creusois“ et d’un nouveau logo. Mais le message principal de cette correspondance est de transmettre une superbe bande dessinée : “Les Résidents“ due au talent d’un bon scénariste, flanqué de trois excellents dessinateurs et coloristes. Sous le mode de l’humour, cette BD se présente comme un manuel du parfait locataire, du bon et chic voisin participant à une association de résidents. Sous le trait des artistes, on retrouve tous les ingrédients des dégradations et nuisances rencontrées dans notre tour d’horizon : bruit, saleté, sans gêne et irrespect de l’autre... Selon l’AROLIM (l’association des organismes HLM du Limousin), à l’origine de l’ouvrage, “cette BD permet de rappeler que la vie en collectivité, quelles que soient les origines des locataires, leur culture, leur langue, s’inscrit dans un cadre réglementaire fondé sur le respect des autres et sur l’acceptation des différences“. On ne peut que souscrire à cette intention. Et souhaiter à ces bailleurs sociaux non plus seulement de réaliser le manuel du parfait résident mais d’offrir des logements dignes de ce mieux vivre ensemble.
La précédente municipalité de Tarnac avait mis en place des logements temporaires dans sa petite maison de retraite à gestion communale. Elle gardait quelques chambres libres afin d’accueillir les personnes âgées qui souhaitaient ne pas se retrouver seules dans leur village pendant les mois d’hiver, ou tout au long de l’année pour une période de convalescence après un séjour à l’hôpital ou une maladie. D’autres communes font de même. Mais à Tarnac, autour de ces logements temporaires, le maire avait mis en place une gestion originale de la solidarité villageoise. Elle s’organisait à partir de la cantine scolaire, qui fonctionnait toute l’année grâce au concours du service des repas de la maison de retraite, et permettait le portage de repas chauds pour les personnes âgées qui le demandaient dans tous les hameaux de la commune. Avec ce système, la commune maintenait des emplois salariés pour la population locale et assurait ce service de proximité les 365 jours de l’année.
Lorsqu’en début des années 2000, l’administration départementale a refusé l’agrément de la Maison de retraite parce qu’elle ne satisfaisait plus aux exigences des normes d’une maison médicalisée, la municipalité a tout simplement changé le nom de la structure. En l’appelant maison de la solidarité communale, elle pouvait continuer d’accueillir des résidents âgés et offrir des logements temporaires pour accueillir de nouvelles populations. En organisant cette sociabilité villageoise, la commune permettait à tous, jeunes ou vieux, de bien vivre et travailler au pays, elle rappelait aussi qu’elle demeurait ouverte et accueillante à de nouveaux habitants (fonction de logement passerelle, voir page 5). il n’est malheureusement pas certain que l’aveuglement technocratique des nouveaux élus poursuive aujourd’hui cette ambition de la solidarité communale.
L’exemple du parc locatif HLM sur la commune de Royère-de-Vassivière (23) est intéressant car il présente trois types de logements que l’on retrouve ailleurs sur le plateau de Millevaches : la construction ancienne rénovée ou réhabilitée, l’immeuble collectif et “les maisons de ville” avec terrain privatif.
La construction traditionnelle en pierre
En 1994-95, l’Office Départemental des HLM de la Creuse a réhabilité l’ancienne gendarmerie de Royère en six appartements. Depuis, cette maison en pierre a bénéficié d’autres travaux, des peintures extérieures à la pose de fenêtres double vitrage. Les loyers sont de l’ordre de 300€ pour un studio, chauffage et charges comprises, à 400 € pour un T4. L’isolation acoustique y est correcte et il y a peu de problèmes de voisinage.
L’immeuble collectif
Fruit du programme de constructions de l’Office HLM, cet immeuble de 12 logements se caractérise par les inconvénients majeurs du béton, à savoir une très mauvaise isolation phonique et thermique. De fait, malgré des appartements clairs et bien distribués, les inconvénients liés aux bruits du voisinage et aux difficultés de chauffage ainsi qu’à son coût provoquent un changement fréquent des locataires. En effet, les loyers qui s’élèvent à environ 400 € pour un F4, chauffage et charges comprises, paraissent quelque peu élevés par rapport au confort réel offert.
Les maisons de ville
Il s’agit d’une dizaine de maisons mitoyennes avec terrain privatif, qui correspondent bien à la demande actuelle. Mais en 2007, la très mauvaise isolation thermique qui les caractérise ainsi que le mauvais état des huisseries et d’autres problèmes (engorgements fréquents des canalisation d’assainissement) ont amené les locataires à adresser une lettre de réclamations à la mairie. A noter que les loyers sont d’environ 470 €, charges comprises pour un T4. Averti par la mairie, l’Office HLM n’a pas donné de suite favorable à cette lettre. C’est en 2008, après un deuxième avis adressé par la nouvelle équipe municipale que l’Office a bien voulu engager un diagnostic. Celui-ci a relevé l’insuffisance de l’isolation thermique, un chauffage inapproprié (au gaz), ainsi que l’obsolescence des maisons : mauvais état des huisseries, usure des revêtements de sol, urgence d’un ravalement de façade... En réponse à ce constat, l’Office a prévu d’engager des travaux pour 2009.
L’exemple de Royère-de-Vassivière et de la nécessaire mobilisation des élus pour débloquer la situation traduit une certaine difficulté des Offices départementaux à mener une véritable politique en matière d’habitat. Sans doute les contraintes de gestion et d’investissement propres aux Offices HLM peuvent expliquer ce problème mais au final ce sont bien les locataires des Habitations à Loyers Modérés qui se retrouvent pénalisés !
Au départ, le collectif Festin Commun, composé d’étudiant·es et travailleur·ses Calédonien·nes vivant en France, avait pensé ce rassemblement fin août 2020 en Dordogne, autour de la question du référendum du 4 octobre 2020 pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Mais leur projet s’est vu annulé par l’arrêté d’un maire ayant interdit les rassemblements privés de plus de 10 personnes sur sa commune, pour cause de Covid, ce qui, à l’époque, apparaissait soit comme de l’avant-garde, soit comme du zèle, selon les subjectivités de chacun. Quoi qu’il en soit, c’est bien à partir d’une invitation à produire leur événement dans des zones insoumises, sans craindre la police ni ses amendes, que cette rencontre au Goutailloux fut possible, devenant alors veillée électorale du 3 au 4 octobre, jour du vote du second référendum en Nouvelle-Calédonie. L’événement s’est également transformé en sorte de « rencontre internationale », en présence non pas de seuls Calédoniens, mais en compagnie de Guyanais, Soudanais, Occidentaux, Congolais, et autres peuples présents dans la région.
En effet, la question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ne semble pas passionner les médias ni la majorité des Français, et bien souvent les Calédoniens présents en France se retrouvent plutôt entre eux pour en débattre. Or, pendant ce week-end, la question de l’indépendance et de la place de la société kanak ont pu être mises en jeu autour de différents peuples, chacun apportant les complexités de la situation politique de son propre pays, afin d’enrichir les réflexions. Et elles furent nombreuses, autour de la simple question-tiroir proposée par le collectif Festin Commun : « Comment vois-tu ton pays dans le futur ? » Cette question, au départ adressée aux Calédoniens, a ainsi pu résonner de manière mondiale, grâce à la présence de cette diversité culturelle internationale. Car au fond, comme pour un collectif, comme pour un couple ou une famille, il est souvent assez sain de sortir de son entre-soi pour s’ouvrir aux regards extérieurs : cela amène automatiquement de la complexité, de la respiration, de l’ouvert. Ainsi, de nombreuses conversations passionnantes et souvent passionnées ont pu durer toute l’après-midi jusqu’au soir, où les festivités ont pu commencer, où le bougna (plat communautaire kanak) a pu être servi, et où les groupes de musique ont pu s’enchaîner de 21 h jusqu’à 9 h du matin.
Le lendemain, après une nuit blanche pour la plupart, était diffusée sur un écran la soirée électorale de la chaîne locale calédonienne NC La Première TV. Les résultats allaient apparaître au fur et à mesure. Des journalistes de NC La Première TV étaient par ailleurs présents durant le week-end à la demande de Festin Commun, multipliant les images de la grange du Goutailloux sur la télé calédonienne, sur le web, et effectuant même un direct. Nous assistions alors à un étrange moment : regarder sur un écran émettant un direct depuis la Nouvelle-Calédonie nos propres corps au milieu de la grange, en entendant en écho la journaliste dire « en direct de la ferme du Goutailloux... ». Puis ce fut le tour de France 3 Limousin, toujours à la demande de Festin Commun, où surgit cet étrange parole de la part de l’un d’entre-nous : « Le Goutailloux ce n’est pas politique : nous accueillons des peuples en luttes qui se posent des questions, et les questions sont nombreuses. »
En effet, la volonté des organisateurs de Festin Commun et de leur média internet Lakaz’en live était bien de produire un événement « non-politique ». C’est-à-dire d’inviter tous les Calédoniens présents en France, indépendantistes ou loyalistes, Kanaks ou non, à venir discuter ensemble de l’avenir de leur pays, en dehors des étiquettes et des institutions. C’est donc en partie pour « jouer le jeu » que cette phrase sur le Goutailloux est sortie. Mais, considérons également cette phrase comme une forme de pied de nez, car si la volonté d’une partie des habitants du plateau de Millevaches reste bien de se défaire de tout parti ou opération politiques, il n’en reste pas moins que le Plateau est un pays de luttes. Il s’agit donc bien de là, en sous-texte, d’affirmer, à l’instar des premiers Gilets Jaunes, que « c’est justement parce que ce n’est pas politique, que cela est offensif ». Ce week-end est malgré tout tombé sous les radars de journalistes réactionnaires de La Première, en témoignent ces rumeurs colportées sur des forums parlant de « coup organisé localement par la France Insoumise et le NPA ! ». Cela prouve bien qu’ils n’ont pas encore compris qu’en effet, nous ne sommes pas politiques.
Puis, vers midi, après une nuit entière à veiller, à se rencontrer, à danser, la nouvelle tomba enfin : 46,7 % de OUI à l’indépendance. Pour beaucoup la déception succéda à l’euphorie, et certains s’en allèrent faire un tour dans la forêt, d’autres se couchèrent dans un coin, subitement malades. Oui, le NON fut une déception, car nous étions nombreux à y croire. Mais pour considérer le verre à moitié plein : c’est déjà 3,5 points de plus qu’en 2018, où le premier référendum avait produit une surprise avec 43,3 % pour le OUI à l’indépendance, là où les loyalistes attendaient plutôt 30 %... C’est donc une avancée à laquelle nous assistons. Avec les 6 000 jeunes Kanaks qui vont pouvoir s’inscrire au prochain, cela rétrécit encore dangereusement le camp du NON, qui se fait en effet du souci. À tel point que, coup de théâtre, le parti loyaliste principal, Calédonie Ensemble, présenta dès le 5 novembre 2020, des pistes de réflexion pour proposer, contre toute attente, un « OUI Républicain ». En effet, devant la dangereuse perspective de voir la Nouvelle-Calédonie s’en aller avec un vote majoritairement autochtone, le camp occidental retourne sa veste et change de stratégie, face à ce OUI inquiétant et largement à définir. Un OUI afin de contrebalancer les effets potentiellement désastreux pour les colons d’une majorité autochtone ? Un OUI afin de coaliser une forme de colonisation politique et économique stabilisée de la Nouvelle-Calédonie, troisième productrice de minerais rares dans le monde, dont le fameux nickel ?
« Les Calédoniens ont besoin de se parler » constatait Hassan, un des organisateurs de Festin Commun, à la fin du week-end. « Et ils ont besoin de se parler avec d’autres peuples, et aussi, ils ont besoin de se voir en vrai, dans des endroits conformes à la situation actuelle… » rajoutait-il, en faisant allusion aux contraintes liées au Covid-19. Car, au-delà de la magie de ces rencontres, la ferme du Goutailloux et le plateau de Millevaches leur sont apparus comme un lieu de possibles, où d’autres événements pourraient être organisés, ici, ou ailleurs, en vue d’une réflexion de deux années avant le prochain référendum de 2022, en lien avec les nombreux peuples et réflexions révolutionnaires qui habitent la France d’aujourd’hui. Car nombreux parmi ces étudiants désirent rentrer en Nouvelle-Calédonie avant le prochain référendum, et, avec une nourriture intellectuelle et sensible éprouvée en France, essayer de faire entendre des idées nouvelles aux Calédoniens, afin de creuser le débat sur cette nouvelle société qui pourrait naître des urnes en 2022. Faut-il accepter un OUI Républicain au prix de mieux faire passer la colonisation institutionnelle des peuples océaniens ? Faut-il accepter le OUI Républicain, tout en bouleversant les institutions localement, une fois l’indépendance acquise ? Les questions sont nombreuses, et nous avons deux ans avec eux pour y réfléchir. Ces rencontres auront finalement peut-être surtout servi de point de départ pour des cheminements ultérieurs, autour de la question océanienne et décoloniale, riche en promesses, autant pour les uns que pour les autres. Souvenons-nous du Larzac qui avait également soutenu les luttes kanak dans les années 1980, avec cette étonnante résonance entre Larzac, Kanak, Tarnac... En tout cas, des rendez-vous sont en train d’être pris, les Calédoniens et Kanaks reviendront par ici et passeront également par ailleurs. À bientôt donc, pour de nouvelles aventures océaniennes.
Marina : « Native du plateau de Millevaches, j’ai repris une partie de l’exploitation familiale pour pouvoir m’installer en brebis limousines avec aujourd’hui 200 mères. Je fais aussi partie d’un groupement pastoral avec une estive de 4 mois sur une tourbière du Plateau. Installée depuis 1 an, j’ai encore beaucoup de projets pour faire vivre la montagne qui vit en moi depuis 23 ans maintenant. »
Sarah : « Éleveuse associée avec Denis, notre ferme en polyculture élevage produit des céréales et des agneaux en agriculture biologique. Chaque année, grâce au groupement pastoral de Peyrelevade, nos brebis estivent sur les communaux de Peyrelevade et les parcelles du conservatoire des espaces naturels du Limousin afin de préserver les tourbières et les landes. »
Lise : « Installée avec Fabrice à Tarnac depuis 4 ans, notre ferme “Revenons à nos moutons“ est située à 900 m d’altitude. Bergère et berger, nous gardons nos brebis 6 mois de l’année sur les espaces naturels du plateau de Millevaches (landes et tourbières du Longeyroux), notre système d’élevage est pastoral. Nous élevons des agneaux d’herbe de qualité que nous vendons en vente directe en caissette. »
Partageant des valeurs communes, nous avons voulu nous regrouper en collectif pour construire un projet.
Le constat de la filière lainière française était totalement déprimant : achat de la laine par des grossistes à des prix dérisoires (0,10 €/Kg de laine, ce qui ne paie même pas le tondeur), peu d’entreprises locales de transformation, exportations massives en Chine… Nous trouvions cela aberrant. La laine est un produit noble et fait partie intégrante de l’élevage des brebis. Ainsi, trois valeurs principales nous ont réunies autour de la transformation de la laine :
La tonte et le tri : la tonte se déroule une fois par an, généralement au mois de mai. Nous demandons à des tondeurs professionnels de venir tondre nos brebis et mutualisons ces chantiers afin de partager le travail. Ce sont des moments festifs et collaboratifs. Nous trions notre laine le jour même, au fur et à mesure que le tondeur nous apporte les toisons. Le tri est une étape primordiale pour la qualité du produit fini. Nous ne sélectionnons que les parties de la toison les plus nobles (épaule, flanc, cuisse) et gardons le reste (ligne de dos, cou, rein) pour des grossistes ou pour du paillage chez des maraîchers biologiques.
Lavage, teinture et fabrication : c’est à Saugues, en Haute-Loire, que nous confions ensuite le lavage et le cardage de notre laine, à Laurent Laine laverie biologique, puis la fabrication de nos produits en feutre, à l’Atelier de la bruyère. Nous créons nous-mêmes les colliers et boucles d’oreille en feutre. Les sacs sont fabriqués par Delphine, couturière sur la Montagne limousine, et les bérets par Aurélie, de Simone et compagnie, entreprise locale également. La plupart de nos produits ne sont pas teints et conservent la couleur naturelle de nos brebis : blanc, marron et bigarré. Quant à la teinture de certains articles, notamment les chaussons, est réalisée par la filature Terrade, située à Felletin.
Nos chapeaux, accessoires et textiles faits main en laine feutrée sont fabriqués dans le Massif central et sur la Montagne limousine, à partir de laine de nos brebis limousines uniquement issue de nos trois élevages. Malgré son apparente rusticité, notre laine, par sa douceur et sa résistance, est très adaptée à une transformation en feutre.
Notre troupeau est constitué actuellement de quatre chevaux, d’une ânesse, et bientôt peut-être on accueillera une jument auvergnate. Nous les humaines, Montaine et Anaïs, nous nous occupons quotidiennement de nos compagnons équins, à Tarnac. Nous partageons avec des éleveurs de bovins et ovins bio une dizaine d’hectares où nous avons mis en place un système de rotation de pâturage : brebis, vaches et chevaux se relaient pour brouter dans des friches semi-naturelles, des prairies et des tourbières. Nous disposons aussi d’un parc d’hiver où les chevaux passent quatre mois de l’année au foin, et où nous espérons pouvoir construire un confortable abri dès que notre trésorerie nous le permettra. Notre association permet déjà à une dizaine de personnes d’apprendre à s’occuper des chevaux et à se déplacer avec eux. En visant l’autonomie pour celles et ceux qui le souhaitent, à plusieurs tant qu’il le faut, et toujours en étant réflexif par rapport aux transformations que les chevaux apportent dans nos manières d’envisager l’espace, le travail et le temps.
Ce collectif est né de plusieurs arrivées et rencontres sur le Plateau lors des trois dernières années, selon différentes trajectoires : Anaïs qui, après une thèse en sciences du langage, cherchait sur le Plateau de nouvelles aventures avec des chevaux ; Montaine qui, après des études d’anthropologie et des spectacles équestres en Espagne, commençait un service civique à Radio Vassivière ; et plusieurs chevaux qui ont tour à tour grimpé la Montagne limousine, venant de Brive, d’Anjou et de Bretagne. À partir de ces belles rencontres initiales une association a été créée, rejointe petit à petit par d’autres humain.e.s et équidé.e.s.
Pour avoir des chevaux en commun dans notre quotidien, l’implication de chacun.e .s est importante pour qu’un équilibre soit établi entre les chevaux, les humain.es plus ou moins habitué.e.s aux chevaux, et les multiples tâches à effectuer pour que ces alliances se passent dans de bonnes conditions pour tout le monde. Les soins quotidiens ainsi que les chantiers saisonniers sont partagés collectivement. Nous réalisons beaucoup de chantiers de réhabilitation de clôtures, même si aujourd’hui nous nous remettons en question par rapport à notre méthode de construction et réhabilitation de ces nombreuses clôtures. Nous avons aussi construit un rond de longe en réutilisant les dosses inutilisées de la scierie voisine. Et une cabane de jardin a été réaménagée pour devenir une sellerie mobile. Ce mode de fonctionnement collectif nous plaît, même si nous rencontrons parfois des défis techniques et organisationnels. Les questions de transmission de savoirs sont centrales dans notre démarche, car le fait que le projet soit collectif et partagé donne un sens singulier à ce que nous faisons. Nous continuons à apprendre tous les jours, en observant comment les chevaux peuvent faire évoluer favorablement les relations entre les paysages, les villages, et les humain.e.s.
Nous espérons commencer bientôt à travailler avec nos chevaux en traction animale : pour le maraîchage dans le grand potager commun du village, pour la culture de céréales dans des parcelles voisines, pour faire du bois... Les paysans voisins s’intéressent à notre projet comme une possibilité de s’émanciper des moteurs : non pas un retour en arrière mais plutôt une forme d’autonomie solidaire, basée sur l’alliance des savoirs actuels et anciens. On peut faire beaucoup de choses avec l’aide des chevaux : amender les parcelles, semer les céréales, labourer, écraser des fougères, livrer en porte à porte les productions du jardin ou les commandes de l’épicerie… Deux de nos chevaux sont déjà dressés à la traction. Pour l’instant nous disposons uniquement d’une bricole et d’un harnais. Nous sommes activement à la recherche d’outils de traction et de maraîchage, mais nous n’avons pas encore l’argent nécessaire pour les acheter.
Il y a quelques mois, un appel à projet pour préserver la race cheval auvergnat a été lancé par la Société Française des Chevaux de Travail. Nous espérons répondre aux conditions pré-requises pour accueillir une jument auvergnate prochainement. Accueillir une jument poulinière (et ses futurs poulains) pourrait marquer le début d’une activité économique qui permettra la survie de notre projet dans le temps. En effet, Montaine, qui effectue le stage « paysan créatif en Limousin » avec le Réseau ImpacT Limousin et l’Adear Limousin, est en train d’élaborer un projet pour s’installer en tant que paysanne(s) afin de valoriser la race du cheval auvergnat. Nous avons choisi cette race pour sa rusticité, son ancrage local et sa polyvalence : ces chevaux, bais ou bai-brun, peuvent faire de la randonnée, de longs déplacements, de la traction (petits travaux agricoles ou attelage) et ils sont très bien adaptés au climat et à l’environnement de moyenne montagne.
Dans les bourgs, nous réfléchissions aux endroits stratégiques pour aménager des espaces de pause pour nos chevaux : une barre d’attache, une barrière de sécurité si nécessaire, un abreuvoir... et on peut laisser nos chevaux se reposer, le temps pour nous d’aller boire un café, faire une course à la poste ou à l’épicerie. Nous en avons construits trois depuis un an et nous aimerions continuer à faire proliférer ces points d’attaches aménagés, pour élargir les horizons des déplacements à cheval, pour pouvoir relier des villages des trois départements en passant par les chemins. On entre dans un bourg avec un impression toute autre quand, plutôt que de sortir de sa voiture après avoir avalé dix kilomètres de bitume et presque un litre d’essence en dix minutes, on descend de cheval après plus d’une heure de chemins herbus et de sentiers. Bien-sûr l’idée n’est pas que les déplacements à cheval remplacent tous les déplacements en voiture, seulement de rendre plus facilement praticable une autre possibilité.
Jusqu’à maintenant, ce projet génère beaucoup d’enthousiasme, mais zéro argent ! Les adhérent.e.s de l’association participent à hauteur de 100 euros par an, ce qui permet d’acheter le foin pour l’hiver, mais pas d’investir dans du matériel. En attendant de trouver un équilibre économique sur le long terme, nous avons lancé un crowfunding pour pouvoir financer des outils et porte-outils pour la traction, la construction d’un abri dans le pré d’hiver pour accueillir la jument auvergnate et ses futurs poulains, l’aménagement de nouveaux points d’attache aménagés dans les bourgs, et des clôtures mobiles pour les pâturages tournants. N’hésitez pas à nous contacter ! Peut-être nous croiserons-nous bientôt sur les chemins en compagnie de nos amis à quatre jambes !
Le 11 novembre au matin, les usagers du rail sortent de la terreur : on vient d’arrêter les “commandos anti-TGV“. Michèle Alliot Marie parade, sa belle prise est exposée par les médias, embarqués depuis le début dans l’opération. Deux jours plus tard, alors que la justice s’empêtre dans des histoires de preuves introuvables, on semble plutôt reprocher aux interpellés d’avoir eu “l’intention“ de commettre de tels actes. Dans le même élan, ils allaient pouvoir devenir une sorte de “cellule“, appartenant à une “nébuleuse“, qui s’en serait tôt ou tard, dans quelques années, pris aux vies humaines. Magie de l’antiterrorisme : à mesure que les faits se dématérialisent, l’affaire s’aggrave.
La lutte antiterroriste ne s’intéresse pas tant aux actes qu’aux sujets qui pourraient les commettre. Un sujet, cela se fabrique. A partir de vies bien réelles, avec leurs particularités, leurs habitudes, leurs liens. Ces liens constituent d’ailleurs un objet d’investigation privilégié. C’est ainsi que la police construit une “mouvance“, un “réseau“, ou n’importe quelle autre élucubration signifiant une appartenance diffuse.
Fabriquer un sujet terroriste, cela consiste en des procédures concrètes. Annoncer des menaces futures, leur fabriquer des appellations. Faire arrêter neuf personnes au petit matin, par 150 policiers cagoulés, armés jusqu’aux dents, un hélicoptère, des chiens renifleurs d’explosifs, la police scientifique... Les conduire dans des locaux spéciaux. Là, les garder quatre jours en cellule. Quatre jours ponctués d’interrogatoires nombreux et interminables, aux termes desquels n’importe qui serait prêt à avouer que sa grand-mère a conçu les attentats contre le World Trade Center. Pas d’avocat, si ce n’est à la fin, quand on aura eu le temps de les questionner sur ce qui est essentiel dans cette affaire : ce qu’ils vivent, ce qu’ils lisent, qui ils fréquentent. Il faut savoir s’ils ont manifesté, un jour, à Vichy, s’ils ont compris ou commis quelque ouvrage et pourquoi, mais pourquoi ils n’habitent pas seuls, dans un appartement, mais vivent et s’organisent ensemble. Il n’y a plus alors qu’à extraire de cela les éléments adéquats et les retraduire dans le jargon de l’antiterrorisme. Produire ainsi, assortie de détails pittoresques, l’image de neuf clandestins, organisés en cellule, disposant d’un chef, et s’abreuvant d’un manuel de lutte armée.
Qu’importe que le fameux bréviaire secret se trouvât déjà en possession de plusieurs milliers de lecteurs, qui avaient pu se le procurer dans n’importe quelle librairie. Qu’importe qu’il fût impossible même aux journalistes venus accréditer cette thèse de confirmer tant soit peu ce portrait de clandestins reclus, coupés du monde. Le terme de “terrorisme“ a le pouvoir de changer l’eau en vin, et pour ceux à qui on l’applique, chaque aspect de l’existence devient l’objet de soupçons si ce n’est une preuve accablante. L’absence même de preuve devient la preuve qu’on a affaire à des terroristes spécialement retors, des experts de la discrétion. La réalité à partir de laquelle on a construit ici des terroristes, cette réalité, la justice peut toujours la trouver criminelle.
Notons que la SNCF recensait en 2007 vingt-sept mille actes de malveillance contre son réseau ferré. Le sabotage à proprement parler est un acte encore banal dans toute grève, et le mouvement cheminot de l’automne dernier est encore venu le rappeler. Pour autant, et malgré la vive terreur que semble provoquer un blocage du trafic ferroviaire, on n’avait pas encore brandi, dans de tels cas, la catégorie “terroriste“, et l’arsenal judiciaire et policier exceptionnel qui l’accompagne. Ce qui s’est passé le 11 novembre est une provocation objective, qui a valeur de test. On assiste donc bien à une dérive législative qui désormais assimile au délit de terrorisme chaque forme d’opposition sociale qui s’oppose aux gouvernements et aux institutions et permet d’attribuer la visée de terrorisme pour des activités comme des piquets de grève, occupations, boycottages ou sabotages de marchandises et infrastructures, alors qu’elles appartiennent à la longue histoire des batailles sociales du mouvement ouvrier. Il va de soi que si l’affaire s’éteint doucement dans le silence, tandis que croupissent en prison ceux qu’on a si grossièrement désignés à la vindicte universelle comme terroristes, rien n’empêchera que ce silence soit interprété comme un assentiment général donné au procédé, et à ses applications à venir. Ici, comme en Italie, en Allemagne ou ailleurs en Europe et aux Etats-Unis, il est clair que l’antiterrorisme n’est pas une série de lois d’exception que chaque pays s’accorde mais bien la base d’un nouveau régime de gouvernement mondial.
La frappe “chirurgicale“ qui a atteint Tarnac un 11 novembre 2008, a eu des effets collatéraux dans la région, en particulier sur un certain nombre d’élus régionaux.
Une dizaine de jours après ce spectaculaire, et très médiatique, show anti-terroriste, il s’est trouvé que la commission permanente du Conseil régional (Limousin) a été amenée à tenir une réunion afin de statuer sur l’attribution d’aides.
Un certain Bélézy (président de la fédération MoDem 87 – c’est tout dire !) crut bon de signaler à ses collègues un dossier, à ses yeux, des plus sulfureux ! Le dossier d’aide à la création d’entreprise pour le “Magasin Général“ de Tarnac. Et cet individu, sans aucune hésitation, demanda l’ajournement de celui-ci considérant “qu’il est présenté par des personnes mises en cause dans l’affaire des sabotages des lignes SNCF“.
Rappelons lui quelques évidences :
Après ces rappels élémentaires, on peut s’interroger sur le fait que la demande de l’élu ait été acceptée à l’unanimité ! Cela montre la couardise et la bassesse dont peuvent faire preuve parfois de bonnes gens. Mais gageons qu’à la prochaine présentation du dossier, leur avis, telle une girouette bien huilée, puisse être tout à fait autre si le “vent“ médiatique (et d’une bonne partie de l’opinion) a tourné.
Finalement, quoi de plus atterrant et lamentable que ces passe-passes politiques ?
PS : Nous venons d’apprendre que le Conseil régional vient d’avertir les gérants du “Magasin Général“ que leur demande de subvention sera représentée à la prochaine commission permanente. Comme nous pouvions nous y attendre, la girouette étant parfaitement huilée et le vent ayant tourné, les courageux élus en question, après avoir hurlé avec les loups anti-terroristes, ont pu retourner leurs vestes sans aucune honte apparemment. La vie politique régionale continue.
Parmi elles, Sources et rivières du Limousin, Corrèze environnement et Canopée Forêts vivantes avaient saisi la justice au regard d’irrégularités constatées sur le chantier, concernant en particulier le franchissement non protégé d’un ruisseau. Notre mobilisation tenace a porté ses fruits puisque nous avons réussi à empêcher la poursuite de la coupe et les travaux semblent aujourd’hui tout à fait abandonnés. La justice nous a depuis donné raison : par Maître Yann Fauconnier l’avocat représentant les associations plaignantes, nous avons appris la condamnation des responsables de la coupe. Des amendes ont ainsi été prononcées contre le propriétaire du terrain le GFA Cloup (500 euros), l’exploitant Argil (5000 euros) et la SARL Ausset et fils ayant effectué la rampe de débardage (3000 euros). Fortes de ce verdict les associations de défense de l’environnement vont pouvoir poursuivre leurs actions en justice pour d’autres infractions caractérisées au code de l’environnement et au code forestier.Tout au long de cette affaire nous avons été confrontés à l’opacité qui règne dans le milieu forestier, chez les propriétaires, gestionnaires et exploitants agissant sous le couvert du secret des affaires. Mais les choses sont en train de changer : le PNR de Millevaches s’étant à son tour saisi du dossier, a demandé l’accès au Plan Simple de Gestion concernant les parcelles du Bois du chat. Ce document lui ayant été refusé par le Centre Régional de la propriété Forestière, il a saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs qui après étude, a fait savoir qu’elle souhaitait « faire évoluer sa doctrine » et rendre public l’accès au volet environnemental des plans de gestion (voir IPNS n°86). Ceci constitue également une victoire et une avancée significative vers la reconnaissance des forêts comme bien commun.
Nous continuons de lutter pour la préservation des forêts aux côtés de nombreuses associations environnementalistes et du Syndicat de la Montagne limousine. Une lutte absolument indispensable aujourd’hui puisque ces forêts sont menacées par deux projets dévastateurs : d’un côté à Guéret en Creuse l’industriel Biosyl entend réduire en granulés les forêts de feuillus, d’un autre côté, à Égletons en Corrèze, c’est Piveteau bois qui prétend à la mainmise sur les boisements limousins. Le système d’exploitation forestière basé sur les monocultures et les coupes rases est à bout de souffle et nous continuerons de nous organiser et de lutter pour enfin mettre un terme à ces pratiques.
À l’origine, l’arrivée d’un groupe de personnes liées par des désirs politiques et installées depuis 2004 sur la ferme du Goutailloux, à quelques encablures du village. Son but ? En faire un lieu d’expérimentation et d’organisation en dehors du mode de vie dominant.« Des dizaines de personnes sont venues acheter pas mal de petites fermes dans ce coin devenu un pilier de la contestation, explique un Tarnacois d’alors. Mais cette arrivée massive a divisé la population, les uns estimant que les Jeunes avaient semé la pagaille, les autres qu’ils ont fait vivre le Plateau. »Toujours est-il que, dès 2007, Trois d’entre eux avaient repris le restaurant ouvrier du bourg en louant les murs à son propriétaire dans le cadre d’une société à responsabilité limitée (SARL) pour que se maintiennent les activités d’épicerie, bar et cantine populaire. Ils avaient également continué à faire tourner le camion-relais pour approvisionner les hameaux et villages des alentours.Les bonnes volontés se sont ensuite succédé pour faire vivre le magasin et en 2018, le groupe a décidé d’acquérir les murs du MGT grâce notamment à un financement participatif.
Liquidée au 31 décembre 2023, la SARL passe alors le témoin à une association de bénévoles constituée le 8 janvier 2024, qui loue les murs à la SCI propriétaire. Son conseil d’administration, composé actuellement de sept membres, est collégial. Il pilotera entre autres les bénévoles, tant anciens que nouveaux, qui auront pour tâche d’œuvrer ensemble, en osmose, pour relever ce nouveau défi.Ses missions, inscrites dans une charte, visent à créer et développer un lieu de vie ouvert à toutes et tous, favorisant les rencontres et l’entraide, sur fond d’une offre générale accessible et respectueuse de l’environnement. Un règlement intérieur, destiné aux membres de l’association, en explique les modalités de fonctionnement interne.Afin de préparer la reprise dans les meilleures conditions possibles, divers groupes se sont formés en vue d’analyser les tenants et aboutissants des différentes composantes d’un tel enjeu : élaboration d’un planning des bénévoles susceptibles d’occuper les créneaux horaires concernant l’épicerie et le bar ; démarches juridiques et administratives ; embauche de deux salariés, l’un pour la comptabilité et le développement de l’épicerie, l’autre en charge des approvisionnements ; contact avec les fournisseurs et producteurs locaux ; réaménagement des locaux ; communication.Après l’ouverture, dans le cadre du fonctionnement régulier, des réunions se tiendront entre bénévoles par pôles concernés (épicerie-bar-cantine), afin de fluidifier les liaisons nécessaires.
Enfin, il importe de mentionner un élément de poids, au sens propre comme au sens figuré, dans ce nouveau paysage : le célèbre camion des trois tournées différentes effectuées en campagne chaque semaine, et qui couvrent l’étendue de plusieurs communes : Tarnac, Peyrelevade, Gentioux, Faux-la-Montagne, La Villedieu, Nedde, Rempnat, La Nouaille... Bien reconnaissable, il fait partie de l’ADN du MGT, dont il est le phare ambulant. Parmi ses soixante à soixante-dix clients.es selon la saison, donnons la parole à Madame Rebière : « Je prends tout au camion du MGT, et ainsi, je ne demande rien à personne… » De fait, le véhicule institutionnel permet à cette dame âgée de continuer à vivre en autonomie et dignement, sans avoir à se sentir redevable. Il poursuit ainsi une mission de solidarité assignée de longue date.« La nouvelle équipe s’ouvre aux villageois », plaide le groupe producteurs : « Ce territoire peu peuplé, au climat rude, difficile à cultiver en raison de terres pauvres et acides, peu mécanisables, rend difficile le développement de projets agricoles et artisanaux. Le MGT offre aux producteurs et artisans locaux un soutien non négligeable. En favorisant au mieux les produits locaux dans ses rayons, il apporte une solution partielle à nos difficultés de commercialisation. Et là, contrairement à la grande distribution, il joue à plein un rôle social territorial essentiel en soutenant la pérennisation des petites activités économiques locales, ce qui est pour nous une chance, mais aussi une bonne chose pour la clientèle. »En parallèle, hommage est rendu au staff ancien qui, malgré les difficultés, a eu « le courage de se relancer dans un projet collectif ouvert à l’ensemble des habitants volontaires de Tarnac. Ainsi, le magasin se transforme dans l’objectif de mieux servir le village et le territoire environnant. Il serait même pertinent que d’autres magasins de ce type puissent voir le jour sur le Plateau. »Ce groupe « producteurs » compte dès maintenant 8 membres et devrait s’étoffer rapidement. Pour ceux qui acceptent de tenir une permanence à l’épicerie, le Magasin abaisse sa marge.Quant au groupe « fournisseurs », il a effectué un tri de produits pour plusieurs profils de clientèles, avec un glissement vers des produits écologiques en lieu et place de produits chimiques, « quand on a le choix, tout en ayant le souci de ne pas augmenter le prix du panier moyen. »
Il est 8h30. Après celles du bar la veille, l’épicerie du MGT vient de rouvrir ses portes, à l’issue d’un intermède de trois mois nécessaires au changement de structure juridique. À bas bruit pour une reprise en douceur…Christiane, cliente depuis longtemps, fait le tour des rayons : « C’est magnifique, ils ont bien travaillé !», s’exclame-t-elle. Quant à Bernadette et Liliane, qui vivent à Tarnac depuis une quarantaine d’années, elles affichent une fidélité sans faille à l’égard du Magasin qui représente pour elles beaucoup plus qu’un simple lieu où elles viennent s’approvisionner en duo : « On y vient tous les jours, pour nos courses bien sûr, mais surtout pour prendre au bar ou sur la terrasse un petit sirop ou un café, et y passer un moment convivial avec les uns et les autres. C’est bon de voir de nouveau le village revivre… » Quant au camion-relais, il a repris la route dès le vendredi 3 mai. « Les pilotes étaient impatients », a publié le groupe communication.Restera à la jeune association à envisager l’avenir du troisième pilier de la trilogie, à savoir la cantine. Il est à l’étude. Enfin, le tout sera agrémenté d’un programme d’activités festives et culturelles prévues dans l’enceinte du bar, et qui restent encore à définir.
Contrairement à celle des marchands de vin de Meymac qui ont inspiré plusieurs chercheurs comme Marc Prival, ou celle des maçons de la Creuse analysée par des historiens de renommée comme Alain Corbin, l’émigration des cochers et chauffeurs n’a en effet pas été très étudiée. Nous nous sommes interrogés sur cette différence de traitement. Les maçons et les marchands de vin ont connu des sagas qui dépassent notre Landernau. Pensons aux Janoueix, Moueix¸ Nony, etc., qui ont fait souche dans la région de Saint-Émilion, aux Pitance de la Villedieu, installés à Lyon, partis de rien et créateurs d’une petite multinationale dans le domaine du bâtiment. L’émigration des cochers-chauffeurs, certes beaucoup plus humble par son ampleur, a pourtant profondément marqué notre région. Ses traces sont encore vivantes dans le bâti de nos villages et dans nos mentalités même si les effets s’atténuent avec le temps.
Cette émigration débute dans les années 1880. Nous n’avons pas retrouvé le Jean Gaye Bordas (premier marchand de vin de Meymac-près-Bordeaux) des cochers, aussi nous ne connaissons pas avec exactitude le fondateur de cette migration du travail, mais tout laisse à penser que les premiers cochers sont partis de la partie centrale du Plateau où leur nombre est particulièrement élevé. En cela, nous pouvons faire un rapprochement avec les Savoyards, presque aussi présents que les Corréziens dans ce métier, venus principalement de la Haute-Maurienne. Ces pays pauvres sont très peuplés. La densité des communes de notre canton était 7 à 8 fois supérieure à sa densité actuelle. Les conditions de vie étaient difficiles, une précarité énergétique et même parfois alimentaire sévissait. La tuberculose faisait de nombreux ravages. Les hommes étaient obligés d’aller chercher du travail pour ramener un peu d’argent dans une région qui en manquait cruellement. Les premiers départs sont des migrations temporaires comme celles des maçons creusois et ceci dès le Moyen-âge. Dans la partie corrézienne, l’émigration temporaire commence par celle des scieurs de long, en direction des Landes et des Pyrénées. Le maire de Bugeat, en 1819, s’en fait l’écho : « Le pays est si ingrat que sans l’émigration annuelle de nos scieurs de long qui nous débarrasse pendant l’hiver du tiers de notre population qui est bien faible pour l’étendue, que sans leur travail forcé dans les Landes, le pays aurait bien du mal à vivre. »
Ce métier de scieur de long, exigeant physiquement se pratiquait l’hiver. Les hommes partaient après les semailles du seigle et revenaient pour celles du printemps et surtout pour les foins qui demandaient une main d’œuvre nombreuse. En 1872, le recensement de Saint-Merd-les-Oussines en dénombre 45 et seulement 6 en 1906. Les cochers de fiacre ont pris la relève mais avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer Ussel-Limoges en 1883, les femmes commencent à suivre leur mari.
Entre ces migrations aux directions opposées, dans des milieux très différents, il y a néanmoins de nombreuses similitudes. Ce sont avant tout des métiers de ruraux. La conduite du fiacre est assez facile pour ces fils de petits paysans habitués au maniement des attelages même si l’apprentissage des rues de Paris l’est beaucoup moins et surtout, comme les autres métiers des émigrés limousins (garçons de café, marchands de vin ou de toile, maçons), ils permettent de revenir au pays pour les travaux ruraux.
La colonie limousine se spécialise dans ce métier de cocher de fiacre puis dans celui de chauffeur de taxi, les uns attirant les autres. La plupart du temps, les jeunes qui « débarquaient » étaient accueillis par les parents ou les voisins et hébergés dans les hôtels tenus par des « pays » comme au Cadran Bleu, près de la gare de Levallois-Perret, longtemps refuge des Meymacois. Leur premier travail, souvent, était laveur de voitures, puis graisseur avant d’obtenir le fameux certificat de capacité tant envié car il était synonyme de promotion.
Pour mesurer l’importance des Limousins dans cette profession, nous nous sommes servis des listes électorales de Levallois-Perret de 1912 et avons recensé 734 cochers et 1 120 chauffeurs. Les Limousins représentent 9,4 % des cochers et 29,46 % des chauffeurs. Ils sont surtout très nombreux dans la profession des chauffeurs où la région devance largement les autres. Les Savoyards sont un peu moins de 9 %, ceux du Massif Central, avec en tête les Aveyronnais, 21 %. Un chauffeur sur deux est de langue occitane et un sur quatre est limousin. En plus de ceux qui sont recensés à Levallois, nombreux, surtout parmi les saisonniers (ceux qui ne travaillaient qu’une partie de l’année), sont recensés dans leur commune d’origine. En 1910, nous en trouvons 22 à Meymac, 15 à Sornac, 26 à Peyelevade.
Mais cette émigration ne concerne qu’une partie du Limousin. En nous servant des lieux de naissance des émigrés, nous avons pu cartographier l’origine des cochers-chauffeurs habitant Levallois-Perret. Ce métier est avant tout celui des originaires de la Montagne limousine. Meymac arrive en tête avec 24 chauffeurs (sans compter ceux recensés au pays), suivi par Sornac avec 22 chauffeurs, Peyrelevade 21, Saint-Setiers 19 et Tarnac et Saint-Merd-les-Oussines 17, etc. C’est donc bien, une spécialisation locale de la partie haute de la Montagne limousine corrézienne.
Le recensement de 1896 indique pour Levallois-Perret une population de 46 542 habitants dont 4 442 sont nés en Corrèze et 660 en Creuse. Les Corréziens émigrés, pour la plupart de fraîche date, sont plus de 9,4 % de la population de cette commune. Ils ne sont devancés que par les Aveyronnais qui pratiquent souvent le même métier et une langue occitane légèrement différente. C’est l’époque d’une curieuse société que l’écrivain local René Limouzin - lui-même fils de chauffeur - décrit dans son livre Paris-sur-Sarsonne (éditions les Monédières, 1981). Nos Corréziens vivent entre eux, fréquentent les cafés des « pays » dont un s’appelle encore « Le Limousin » (mais sa clientèle est composée aujourd’hui de cadres), vont aux bals des Corréziens de Paris dont le premier président est François Laroubine, originaire de Saint-Merd-les-Oussines, habitent les mêmes immeubles. Les femmes, par contre, ne s’aventurent que rarement en dehors de leur quartier.
Nous avons cartographié leurs lieux d’habitation à partir des listes électorales de 1912. Les Corréziens habitent surtout à proximité de la place Collange où se tient le garage de la G7, entreprise moderne, capitaliste, fondée par le Comte Walewski en 1902, qui possédait à la veille de 1914 2 590 automobiles. Chiffre considérable, nécessitant une mise de fonds très importante, les voitures étant construites de manière artisanale. Curieusement, les originaires de la vallée de la Maurienne habitent eux à proximité de Paris, à l’opposée de la G7, bien qu’elle emploie nombre d’entre eux.
Une fois le sésame obtenu, c’est-à-dire le certificat de capacité à la conduite des taxis, nos compatriotes vont se lancer à l’assaut des rues de Paris qui, pour eux, est un vrai champ de bataille. Imaginons leur premier jour de travail dans une ville qu’ils connaissent mal, au volant d’une voiture peu fiable, dérapant facilement sur les pavés surtout ceux en bois qui étaient encore nombreux. Ils étaient payés au pourcentage de la recette (en principe, ils recevaient 27 % de la recette mais ils devaient payer jusqu’en 1912 le benzol). Quelques fois, ils faisaient une course drapeau en l’air, c’est-à-dire qu’ils ne déclenchaient pas le taximètre qui enregistrait les kilomètres et le montant de la course. C’était pour eux une manière de se faire un petit supplément.
Le travail est dur par sa durée. Nos ancêtres taxis ne comptaient pas leurs heures qui n’étaient pas limitées. Certains commençaient très tôt, vers 6 heures du matin, et après avoir signé la feuille de route, partaient pour une longue journée qui pouvait atteindre 15 heures pour certains. Beaucoup ne se reposaient jamais, en particulier parmi les petits propriétaires, c’est-à-dire ceux qui sont propriétaires de leur licence et de leur voiture. En effet, leur but était de gagner un maximum d’argent dans un minimum de temps et de l’apporter au pays pour reprendre la ferme familiale ou préparer la retraite. Quelques-uns étaient des saisonniers, c’est-à-dire qu’ils partaient travailler l’hiver et revenaient au printemps (cette tradition a perduré jusqu’en 1960). Paris, pour eux, n’était qu’une étape dans leur vie, un moyen de revenir au pays dans de bonnes conditions. Beaucoup n’ont jamais marché sur les Champs-Élysées ou sur le boulevard Saint-Michel. Leur seul loisir était de fréquenter les « pays » dans quelques bistros où ils retrouvaient leurs compatriotes, comme le café de la Poste à Levallois-Perret tenu par un originaire du Treich de Tarnac ou celui de la rue Fouquet, rendez-vous des originaires de Peyrelevade et de Saint-Merd-les-Oussines. D’une certaine manière, ils avaient organisé une contre-société qui tournait le dos à l’agglomération parisienne.
Les cochers puis les chauffeurs s’organisent pour défendre leur corporation selon leur expression en un syndicat unitaire qui voit le jour en 1889. Ils disposent depuis d’un journal Le Réveil des cochers- chauffeurs qui existe toujours. Ce syndicat dirigé au départ par des Aveyronnais va, à partir de 1898, compter quatre secrétaires limousins. Le premier est Jacques Mazaud, originaire de Meymac, remplacé par Eugène Fiancette de la Courtine. Ce dernier dirige la grande grève de 1911-1912 qui durera 144 jours, à propos de la rémunération des chauffeurs, ceux-ci refusant de payer le benzol. Grève très dure qui transforme Levallois-Perret en un véritable camp retranché, marqué par la mort d’un chauffeur et par l’échec de la grève. Il devint sénateur et ami de Pierre Laval qui fut l’avocat du syndicat pendant la grande guerre et vota les pleins pouvoirs à Pétain. De cette époque date la Fraternelle automobile, société mutuelle d’assurance, installée aujourd’hui à Clichy. En revanche, la maison commune des taxis de la rue Cavé à Levallois a disparu. Le troisième secrétaire corrézien est Damien Magnaval de Gourdon-Murat qui fut un meneur des grèves des années 1930 et poursuivit son engagement en rejoignant les brigades internationales en Espagne où il trouva la mort dans les Asturies en 1938. Le quatrième est Gérard Ducouret de Saint-Brice en Haute-Vienne qui est en poste en 1968, période où les chauffeurs observent une grève de près d’un mois.
Elle est moins spectaculaire que celle des marchands de vin de Bordeaux. Les taxis n’ont pas construit d’aussi belles maisons que celles que nous rencontrons dans les quartiers du Jassonneix ou de la Montagne à Meymac, mais leur impact est loin d’être négligeable. Des villages entiers comme celui des Maisons (commune de Saint-Merd-les-Oussines) ont été en grande partie élevés avec l’aide des taxis qui à Levallois se contentaient de petits logements sans confort. Certains ont même construit ou réparé des bâtiments agricoles qui n’ont jamais réellement servi.
Cette différence entre nos différents types d’émigration se retrouve jusque dans les cimetières : les tombes des marchands de vin sont spectaculaires, marquant pour la postérité leur réussite, tandis que celles des cochers-chauffeurs sont beaucoup plus modestes. Tout comme l’impact politique de ces métiers. Les marchands de vin ont plutôt penché à droite ou vers le parti radical, tandis que les cochers-chauffeurs, formés à la dure lutte syndicale, ont penché très tôt vers le parti socialiste. Avant 1914, ils fréquentaient la section socialiste des originaires de Paris et en 1904 plusieurs chauffeurs étaient adhérents de la section locale du Parti Socialiste de France dirigé par Jules Guesde. En 1920, la majorité du syndicat des chauffeurs va choisir le jeune parti communiste et il est probable que ce choix a pesé sur la vie politique de notre région avec, il est vrai, d’autres influences comme celle de Marius Vazeilles.
C’est un lundi, milieu de matinée. Le camion du Magasin Général de Tarnac entre dans Le Rat, l’un des 21 hameaux qui parsèment le territoire que dessert l'épicerie ambulante. Après un coup de klaxon au son bien caractéristique, il s’arrête devant une bâtisse agrémentée d’une petite cour. Arrive alors Madame Rebière, l’une des clientes de cette tournée en campagne du véhicule « épicerie ». À 82 ans, alerte et tout sourire, sa petite liste de courses en main, son allant semble faire peu de cas de sa date de naissance.Un jour, nous avons fait plus ample connaissance autour d’un café, dans sa petite cuisine chauffée par un poêle… imposant. « Un cadeau de mon fils, précise-t-elle, l’hiver le thermomètre posé sur la cheminée indique 30°. »
Née Micheline Lacroix, elle a vu le jour en juillet 1942 à Chavigny-Bailleul, dans une petite ferme de l’Eure, que ses parents exploitaient à bail. Le foyer comptait alors quatre membres, Liliane, la sœur aînée, arborant fièrement ses six ans. Trois années plus tard, en 1945, la famille de cultivateurs abandonne les vaches normandes pour adopter leurs consœurs limousines au terme d’un long voyage qui les conduit en terre corrézienne à Chouzioux, sur la commune de Peyrelevade, à la tête d’une exploitation également louée à bail. Un itinéraire qui n'est pas unique, ces années-là et jusqu'aux années 1960, voyant l'arrivée sur le Plateau d'agriculteurs venus de régions plus peuplées comme la Normandie, les Pays de la Loire et même les Pays-Bas. De Chavigny-Bailleul, Micheline garde quelques souvenirs qui ont marqué ses trois ans : « C’était la guerre. On a reçu des Américains chez nous. Ils nous ont donné une belle couverture, bien chaude, et des bonbons… Mais je n’ai aucun souvenir de la maison ! » Elle se rappelle néanmoins « le grand-père sur la huche et… l’absence de la grand-mère ! » Mais aussi la visite du cimetière américain de Colleville-sur-Mer : « Ah ! Toutes ces croix blanches et cette paire de gros souliers qui dépassaient d’une toile recouvrant sans doute un corps… »
Pour exploiter l’outil de travail qui s’est agrandi, trente vaches sont achetées ainsi qu’une centaine de moutons. « Mon père était revenu désespéré de la foire, se remémore sa fille. Les gens ne parlaient qu’en patois… Mais sur quoi est-ce qu’on est tombés ? » Et il a fallu se mettre à défricher une bonne partie de la surface acquise, peu entretenue jusqu’alors, avec deux vaches et une chaîne en utilisant un Bec de Corbin, afin d’arracher les racines des genêts.« Je gardais les vaches, Liliane les moutons. On faisait le travail de la ferme. Je tassais la charrette en vrac et Liliane râtelait avec les parents. André, le petit frère venu compléter la fratrie en 1948, jouait. C’était de son âge. On se retrouvait avec les copines qui faisaient comme nous. On pêchait à la rivière à la bouteille. C’est qu’on en attrapait des vairons, à l’époque ! Et quand on n’était pas au bord de l’eau, on était dans les arbres ! Une période vraiment heureuse. »Le début des années 50 va apporter un grand changement. Les fermiers deviennent propriétaires en achetant une ferme à Chamboux, à six kilomètres de Peyrelevade, avec une maison en dehors du village, « Ce que voulaient nos parents. » Avec sa sœur, Micheline continue à « garder les bêtes, il n’y avait pas de barbelés, et on tricotait des pulls et des chaussettes, on reprisait aussi. Et le dimanche, on avait le droit de lire La Vie en Fleurs », une revue de l’époque à connotation sentimentale. C’est alors, qu’âgée d’une dizaine d’années, une scène va mettre à mal sa sensibilité et lui faire découvrir un trait de sa personnalité : « Un jour, une vache a dû partir pour l’abattoir. Je la revois à genoux, elle pleurait à grosses larmes, et ils lui tapaient dessus pour qu’elle se relève. Je ne l’ai pas supporté, et je n’ai jamais oublié. » Tristesse encore lorsqu’il a fallu se séparer de Bill et Buffalo, deux bœufs attelés pour acheter un… premier tracteur : « On a beaucoup travaillé, mais on les a aussi fait marner, ces braves bestiaux. »« Le jeudi, jour sans école, je nettoyais la porcherie et cuisais les pommes de terre dans la chaudière pour la semaine. Je ramassais des betteraves et des rutabagas pour les bovins… et pour le pot au feu, qu’on ne fait surtout pas sans mettre des « rutas » dedans, tandis que Liliane coupait des topinambours en petits morceaux destinés aux agneaux. Notre père avait aussi un concasseur pour faire sa farine. »
C’est en 1960, alors âgée de 17 ans et demi, que notre agricultrice se marie, avec Pierre Rebière : « Il faut croire que les pommes de terre m’ont poursuivie, explique Micheline. On s’est rencontrés dans un champ de tubercules… Le lendemain du mariage, sur incitation de ma belle-mère, j’ai aidé à faire la vaisselle de la fête, et le surlendemain, je suis allée avec Pierre planter des… pommes de terre ! C’était notre voyage de noces. » Ils s’installent dans la maison des parents du marié, au Rat. « La fille, elle allait chez le mari, avec ses beaux-parents. »De leur union, naîtront deux enfants, Christiane et Gilles. Perdant successivement son beau-père devenu aveugle, sa belle-mère puis son mari, Micheline a pris sa retraite en 2002, non sans avoir exercé, après une formation adéquate, le métier d’assistante maternelle en plus du travail de la ferme, puis occupé un poste à la maison de retraite de Peyrelevade durant une dizaine d’années à partir de 1981, et enfin à la crèche du même lieu durant deux ans.
À l’évocation de sa scolarité, l’ombre d’un regret se fait jour dans les yeux de notre agricultrice. « J’aimais l’école et j’aurais voulu être institutrice. Je suis allée passer mon certificat d’études à Sornac avec les copines dans la bétaillère du boucher. Mais ma famille n’avait pas les moyens de me laisser partir au collège. » Cependant, lorsque le domicile de Chamboux est de nouveau évoqué, les souvenirs reviennent en force : « Elle symbolise mon enfance, ma jeunesse. On ne se rend pas compte des bruits d’une ferme. Dans mon cœur, même si je l’ai quittée à 17 ans et demi, c’est toujours ma maison. »Du Rat toutefois, elle gardera les images du tournage du film Mademoiselle avec Jeanne Moreau en 1965, l’actrice jouant le rôle… d’une institutrice qui met le feu aux maisons et empoisonne les abreuvoirs : « Les décors qu’ils ont installés étaient incroyables, et puis mon mari a pu être figurant. » Conservées également en mémoire, les Fêtes de la Saint-Roch où le prêtre baptisait les chiens.Quant à l’évolution du monde agricole qui a été le sien durant plus de trois quarts de siècle, Madame Rebière l’observe avec une certaine nostalgie : « Il n’a rien à voir avec ce que j’ai vécu. De mon temps, les paysans étaient beaucoup plus nombreux et ils échangeaient des coups de main réciproques. On faisait de tout, on n’achetait pas. L’hiver, on allait aux veillées d’un village à l’autre, toujours à pied avec la lanterne. Les gosses nous suivaient partout… Maintenant, ils ont du matériel, c’est la course au plus gros tracteur, mais ils n’ont plus le temps de rien. Finalement, ils ne sont pas plus libres que nous. »
À l’heure où un drone sait repérer la moindre adventice dans un champ de céréales, et transmettre ses informations à un tracteur qui peut, sans chauffeur, aller la traiter avec une précision millimétrique, effectivement, c’est un écart abyssal avec le monde ci-dessus décrit, à la fois si loin… et si proche.
René Bonnet est né à Paris, le 9 mai 1905 de parents qui avaient quitté autour de 1900 leur Limousin natal pour échapper au chômage frappant le métier de son père, scieur de long, et dans l’espoir de « changer la vie », comme tant de migrants de l’intérieur. Ce petit rappel de l’attraction par le mirage d’une vie meilleure n’est pas inutile en toile de fond de l’histoire d’un ouvrier qui a toujours voulu rester fidèle à ses origines et à sa classe. C’est en bas âge que le petit René fut confié à ses grands-parents en Corrèze où il demeura jusqu’à l’adolescence, son récit Enfance limousine évoque ces années heureuses.
Puis ses parents le rappelèrent à Paris pour qu’il entre en apprentissage dans l’entreprise de charpente où son père était devenu manœuvre et où lui-même accomplira toute sa carrière. À l’école de la vie conte son apprentissage et ses premiers travaux sur le terrain. Il nous informe aussi des premières lectures qui vont orienter sa vie future : Barbusse et sa revue Monde, Romain Rolland, Jack London, Gorki, Martinet, Vildrac, Duhamel, Guillaumin. Le volume se referme à la fin des années 1920-1928, à la veille de son mariage, le 13 novembre 1929. Une petite fille en naîtra, Françoise, qui deviendra professeur et rédigera une thèse sur la littérature ouvrière allemande. C’est à la même époque qu’un camarade de travail fit lire à Bonnet des œuvres d’Henry Poulaille avec lequel il entra en contact, par lettre en 1931, puis par une première rencontre en 1932. Ce sera le début d’une amitié sans faille que seule la mort de Poulaille, de neuf ans son aîné, interrompra. Poulaille encouragea Bonnet à écrire, lui donna des conseils, un peu comme Marcel Martinet l’avait lui-même encouragé à ne pas tenter d’imiter les écrivains bourgeois mais à travailler à l’expression de sa propre expérience d’homme du peuple et d’ouvrier.
Dans un certain nombre de journaux d’intérêt régional, dans quelques petites revues ouvrières et deux journaux nationaux (le Peuple, la Flèche), Bonnet publia des contes, des comptes rendus de lecture et des études. Ainsi son témoignage sur « le Musée du Soir », la bibliothèque populaire fondé avec Poulaille et quelques amis, qui fut la grande aventure militante de sa vie, et qui sera stoppée par la guerre. Parmi les amis de Poulaille, Bonnet se lia notamment avec Lucien Bourgeois sur qui il publiera une première étude en juillet 1934. Mobilisé comme réserviste, il sera fait prisonnier en juin 1940 et passera les années suivantes dans un camp près de Düsseldorf. Il en ramènera des souvenirs restés inédits, mais dont deux extraits parus fin 1945 dans l’ultime revue de Poulaille, Maintenant, sont repris dans cet ouvrage. Par ailleurs le dernier numéro de Maintenant, consacré au centenaire de la Révolution de 1848, présentera une étude historique de Bonnet sur « Agricol Perdiguier, militant du compagnonnage, représentant du peuple et ouvrier écrivain ». Dans les années d’après-guerre, Bonnet collaborera aux Cahiers du Peuple de Michel Ragon. Il apparaîtra une dizaine de fois, entre 1957 et 1962 dans le Musée du Soir des frères Berteloot, qui reprirent ce titre après une parution parisienne puis six livraisons belges, aventures éphémères auxquelles Bonnet avait déjà participé. On trouve dans ces années-là le nom de René Bonnet dans de multiples petites revues prolétariennes.
En 1960, paraît sa Petite histoire de la charpenterie et d’une charpente. C’est qu’entre-temps, durant toutes ces périodes de rencontres et d’activités littéraires, René Bonnet n’a pas quitté l’atelier ni les dangers de la charpenterie. Sa connaissance du métier s’est élargie. Devenu ouvrier d’élite, il a voulu transmettre son savoir aux jeunes ouvriers qu’il a été amené à former. Nostalgique du compagnonnage auquel il n’a pas appartenu, il s’est fait un devoir de transmettre son expérience. Ce petit livre tout à fait attachant est rédigé comme un manuel d’apprentissage. Mais c’est aussi le testament d’un ouvrier qui lègue son savoir aux générations futures, quoique déjà, en 1960, il ne se fasse pas d’illusion sur l’avenir du métier : la mécanisation et ses prolongements, les contraintes économiques pesant sur la production, ne lui ont pas échappé et l’ouvrage se termine sur une note guère optimiste. Édité par les compagnons, ce livre peut être regardé comme un manifeste de la conscience professionnelle.
René Bonnet, issu de la civilisation paysanne traditionnelle est devenu un ouvrier d’élite grâce aux qualités humaines et sociales transmises naturellement par ses ascendants paysans-artisans. Ce sont leurs valeurs qui l’ont porté au sommet de son art dans la charpente. En littérature, il a produit de même des textes artisanaux qui ont la marque profonde des véritables écrits prolétariens. Il n’a cherché ni le style, ni l’effet, ni la notoriété, ni le gain. Bonnet, comme Jean Prugnot avec lequel il a bien des points communs et dont il fut l’ami, a été un des rares militants du refus de parvenir si cher à Poulaille. Pour les historiens du futur, ses livres seront des documents bruts d’un grand intérêt pour la compréhension au XXème siècle de l’histoire des métiers, des fondements ouvriers de la société moderne et de la vie quotidienne des ouvriers. Veuf depuis 1968, René Bonnet s’est éteint le 21 août 1988 à Paris.
Notre association, Carduelis, espérait le retour du Loup gris sur nos terres depuis de nombreuses années, plus exactement depuis 2017, année qui avait vu revenir cette espèce, mais seulement de passage, en dispersion. Nous connaissons le Loup gris pour le pister à de nombreuses reprises ces dernières années. Nous allons en Espagne, en Italie, dans le sud de la France à sa recherche...
En décembre 2021, un loup était (enfin !) repéré sur le plateau de Millevaches, un mâle solitaire recolonisant de façon naturelle son territoire d'antan. Pour la première fois depuis des décennies, celui-ci avait choisi de s'y cantonner l'hiver suivant, en 2022. La présence de cette espèce deux hivers de suite dans le même secteur est alors considérée comme créant une zone de présence permanente (ZPP). C'est pour nous une chance formidable de pouvoir ainsi suivre le loup tout près de chez nous.La région avait eu le temps de se préparer à cet éventuel retour. Depuis 2017, des réunions avaient eu lieu, un Groupe Loup s'était formé et le Parc naturel régional (PNR) de Millevaches créait un poste missionné pour le suivi du loup. Au sein de Carduelis, en tant qu'association naturaliste du Limousin particulièrement intéressée par cette espèce, nous faisions également notre suivi depuis plusieurs mois. Plusieurs contacts indirects avaient eu lieu, parvenant ainsi à localiser plus précisément sa présence. Ainsi, les 26 et 27 avril derniers, nous avions un nouveau et dernier contact, heureux de savoir que ce loup survivait, sain et sauf...
Mais, le 11 mai 2023, ce fut la consternation ! Nous avons été très touchés et attristés d'apprendre que ce loup avait été abattu ! Et très en colère de constater une fois de plus que tant de bêtise subsistait dans notre humanité. Car voilà l'unique voie choisie par nos politiques, l'élimination pure et simple d'un animal, à l'heure où la biodiversité s'effondre et que nous n'avons jamais eu tant besoin d'une nature préservée, sauvegardée, respectée.Ce 11 mai 2023, 300 à 400 heures de traque, avec des armes appropriées pour la vision nocturne (tout cela payé par nos impôts), ont fini par avoir raison d'un loup solitaire qui ne faisait que passer près d'un troupeau ! Le président de la Chambre d'agriculture de Corrèze, Tony Cornelissen, affirme dans un article de La Montagne daté du 13 mai : « Il allait passer à l'acte. Il était près d'un troupeau ». Ils ont tué un loup qui passait simplement près d'un troupeau ! C'est aberrant ! Pourquoi ne pas avoir utilisé raisonnablement l'effarouchement ? Cela aurait suffi à éloigner le loup et à l'effrayer... Pourquoi l'éleveur n'avait-il pas de chiens de protection si son troupeau était en danger, plutôt qu'un âne, inutile la plupart du temps face à un loup ? Pourquoi ne pas essayer de rentrer ses animaux la nuit ? Pourquoi pas un berger pour rester auprès des bêtes si celles-ci étaient réellement menacées ? Toutes ces interrogations sont légitimes, car l'État soutient les éleveurs en France, et très largement... Nous ne disons pas que cela est facile, simplement que les solutions existent et qu'elles sont soutenues financièrement dans notre pays ! Pourquoi ne pas apprendre de nos voisins européens ?
Il suffit de se rendre en Espagne ou en Italie, pour ne citer que nos plus proches voisins, pour réaliser que nous sommes le seul pays où les loups posent à ce point problème ! Nous y sommes allés, avons observé, parlé avec des éleveurs là-bas et nous affirmons donc que notre façon d'aborder le retour du loup en France et dans notre région est proprement scandaleuse. Et hypocrite. Car une situation similaire arrivera de nouveau, tôt ou tard... En effet, le Loup gris est une espèce qui, pour survivre, se disperse en parcourant parfois de très grandes distances. Les jeunes loups quittent un jour la meute qui les a vus naître et partent à la recherche d'un nouveau territoire. Un territoire où ils trouveront de l'espace, de la nourriture, des lieux de tranquillité pour le repos et pour, un jour prochain, quand l'heure sera venue, éventuellement fonder une meute. Le Limousin possède tous les atouts pour accueillir une espèce comme le loup ! Des surfaces immenses inhabitées, des cerfs, des chevreuils, des sangliers pour se nourrir (la nature est ainsi faite que le couple prédateur/proie se régule parfaitement tout seul quand la chaîne alimentaire est au complet. Dans ce cas, les chasseurs n'ont rien à faire, surtout pas à réguler !). Ne faut-il pas simplement chercher à se préparer intelligemment à la présence du loup ou veut-on continuer à éliminer tout ce qui est vivant sous prétexte de dérangements ?
Là aussi l’article de La Montagne du 13 mai s'achève sur une autre citation de Tony Cornelissen qui affirme, sans contradiction aucune et à notre plus grande consternation, que le soulagement est là mais que la vigilance s'impose car « des jeunes loups ont été filmé... » À Carduelis, très surpris par cette affirmation qui prouverait la reproduction du Loup gris en Limousin, nous avons contacté le président de cette Chambre d'agriculture afin de pouvoir visionner cette fameuse vidéo... Affirmer sans prouver peut s'avérer mensonger... Trois mails n'y ont rien fait, aucune réponse du président, aucune preuve apportée, aucune image. Cette affirmation sans preuve dans un journal très lu dans la région est simplement inventée : aucun cas de reproduction de loup n'a été découvert en Limousin, ni par le PNR, ni par l'Office français de la biodiversité (OFB), ni par nous-autres associations naturalistes, tous sur le terrain...Nous avons demandé un droit de réponse à La Montagne et un article est de nouveau paru sur le site du journal le 20 juillet 2023 « En Limousin, sera-t-on prêt à l'avenir à laisser sa part au loup ? ». M. Cornelissen y est pleinement démenti, et cette fois par l'OFB ! Halte aux mensonges ! Et là, soudain, une réaction ! Ce monsieur a enfin pris son téléphone, non pour nous parler, mais pour engueuler la journaliste de La Montagne ! C'est le chef d'édition qui lui a heureusement rappelé ce qu'est la liberté de la presse, même locale !
Il faut aussi parler de l'intervention du président de la Chambre d'agriculture de Haute-Vienne cette fois, Bertrand Venteau, sur France 3 Limousin, sur le plateau du 19/20, le 22 Mai 2023, à une heure de grande écoute. Cet homme appelle carrément à éliminer les loups, même individuellement, affirmant en guise d'introduction que le loup a été réintroduit en France ! Non seulement le loup est revenu naturellement en France depuis l'Italie en 1992, cela est reconnu depuis 30 ans, mais le loup est surtout une espèce protégée au niveau européen, et censément par la France. Oui, censément. Car tuer un loup est normalement interdit par la loi française et cela devrait être condamné ! Et pourtant... Dans notre pays, on tue les loups sur autorisation dérogatoire des préfectures ! Le plus souvent sans rechercher l'efficacité pour la protection des troupeaux, mais uniquement dans un but politique, afin de « calmer » les opposants à la présence du Loup gris. Le loup porte malheureusement toujours en lui cette dimension de fabulation qui fait passer à certains leurs fantasmes pour des réalités, allant même jusqu'au complotisme quand on les entend parler régulièrement de réintroductions cachées ! Le Loup gris n'est ni plus ni moins qu'une espèce animale comme les autres, une espèce qui devrait être prioritaire tant sa présence est salutaire et le signe d'une nature en bonne santé. Faut-il rappeler que la place d'un super prédateur dans la nature est primordiale ? Faut-il encore dire que l'équilibre et le maintien des chaînes alimentaires permettent la vie sur cette planète dans toute sa diversité depuis la nuit des temps, et que le super prédateur en est le pilier ? Malgré ce que prétendent toutes ces personnes, malgré certains loups traversant le Limousin en dispersion, il faudra maintenant des années pour qu'un nouvel individu se réinstalle de façon régulière dans notre région... Ce n'est donc pas du tout un loup parmi tant d'autres qui a été abattu, mais un individu solitaire, n'en déplaisent à tous ceux qui hurlent leur soulagement !
Nos voisins italiens nous ont un jour parlé de « la part du loup ». Partager avec le loup, cela devrait nous inviter à une profonde réflexion dans un pays comme le nôtre. Dans les Abruzzes (voir encadré), les bergers considèrent que les prédations ponctuelles imputées au loup font partie de la vie. Certes, là-bas, les loups n'ont jamais disparu et ont toujours cohabité avec les hommes. Chaque éleveur est responsable de ses animaux, il les protège, parfois avec des chiens, parfois avec des bergers, souvent les deux, et ce dans des espaces immenses. Là-bas, les loups, bien plus nombreux, ne font pas tant de dégâts que ça. Tout porterait à penser que les loups français seraient alors bien singuliers... Ou ne serait-ce pas tout un système qui profite de ce retour du loup pour l'ériger en bouc émissaire et comme seul et unique coupable de tous les maux des éleveurs français, ce qui pourrait bien rapporter gros à certains.Ici, en Limousin, il ne faut pas croire que tous les éleveurs sont contre la présence du loup. Nombreux sont ceux qui ont compris la nécessité d'une cohabitation pacifique et réfléchie avec un élément indispensable de la biodiversité, l'un deux est même abonné à notre revue naturaliste La Cardère (1) ! Mais, comme toujours, nous n'entendons que ceux qui crient le plus fort, et pas forcément les plus ouverts à l'avenir responsable de leur profession...Alors qu'attendons-nous pour retrouver la raison et à apprendre à vivre en harmonie avec l'ensemble du vivant, même et surtout avec, à nos côtés, ces animaux fabuleux et pourtant trop rares que sont nos super prédateurs ?
Le groupe Exilé·es du Syndicat de la Montagne limousine se crée en novembre 2020 et met en lien une dizaine de structures d'accueil d'exilé.es sur le territoire. Il se réunit régulièrement afin de mettre en commun ses réflexions sur l'accueil et les difficultés rencontrées comme l'obtention de titres de séjour, l'isolement des personnes accueillies par leur interdiction d'accès au travail, la nécessité d'une autonomie financière et leur envie pour la plupart d'activités régulières. Émerge alors l'idée de monter une structure à l’échelle du territoire pour fédérer ce qui existe déjà en partie de manière informelle mais aussi pour consolider l’accueil, répondre aux difficultés rencontrées et permettre une protection aux exilé.es. En mai 2022, une quinzaine de membres du groupe Exilé·es du Syndicat font un voyage d'étude à la rencontre de différentes structures d’accueil en France qui ont l'agrément Oacas pour mieux comprendre en quoi consiste cet agrément et ce qu'il pourrait nous apporter. Cela mène le groupe jusque dans la vallée de la Roya (où une ferme des Alpes-Maritimes a rejoint le réseau Emmaüs), avec notamment des étapes aux Restos du cœur Vogue la galère (à Aubagne), au Mas de Granier (une coopérative Longo Maï des Bouches-du-Rhône) et à l’Après M (un ancien Mc Do récupéré par ses salarié·es à Marseille). Suite à ce voyage, la quinzaine de personnes actives dans le groupe Exilé.es décide de devenir un groupe pilote et de travailler au montage et à la réalisation d'une structure d'accueil commune disposant de l'agrément Oacas.
Proposer aux personnes exilé.e.s de faire partie d’un Oacas/Emmaüs permet de leur offrir un cadre sécure au sein duquel elles pourront bénéficier à la fois d’activités régulières formant à un ou des métiers, d’un accompagnement administratif et juridique (obligatoire au sein d’un Oacas), de cours de français, d’une vie et d’un réseau communautaires.En plus de cela, trois ans passés au sein d’un Oacas peuvent constituer un atout majeur dans la demande de régularisation effectuée à l’issue de cette période, même si l’obtention d’un titre n’est pas automatique.
En 2022, nous décidons de rejoindre les communautés Emmaüs parce qu’on partage les valeurs de ce mouvement international et que notre projet est en adéquation avec celles-ci : lutte contre l’exclusion et la pauvreté, solidarité, accueil inconditionnel. Des valeurs que nous portons sur notre territoire depuis la création de nos associations et parce que nous sommes déjà en contact avec d’autres communautés Emmaüs qui ont des projets similaires et que nous avons envie de pouvoir co-construire avec elles. Mais on ne devient pas Emmaüs par une simple adhésion. Avant cela, il y a une période probatoire qui dure deux ans avant d'être officiellement reconnu comme une communauté Emmaüs.
Les communautés Emmaüs ne sont subordonnées à aucune autorité spirituelle, religieuse ou autre, même si son fondateur était d’obédience chrétienne. Il s’agit avant tout d’un mouvement laïque dont l’accueil se veut inconditionnel, pour que toute personne puisse trouver une place dans la communauté quelque soit son parcours, son origine, sa situation administrative, ou sa religion.
Il est important de savoir que chacune des 122 communautés Emmaüs qui existent en France actuellement est indépendante dans ses choix de gestion économique et sociale. Pour notre part nous désapprouvons les pratiques contraires aux valeurs du mouvement Emmaüs qui sont appliquées dans certaines communautés mises en lumière récemment. Le statut Oacas est un agrément qui est censé protéger les personnes et non les rendre esclaves d’un système. Les compagnes et compagnons d’Emmaüs participent à des activités solidaires et à la vie des communautés, non à un travail salarié. Nos réflexions concernant la participation aux activités des personnes accueillies ne sont pas encore finalisées dans les formes, mais nous sommes d'avis que l'objectif premier réside dans le fait de mettre en place un accompagnement personnalisé de chaque personne en fonction de ses besoins. D'ores et déjà, nous sommes particulièrement attentif.ve.s à la qualité des liens entre ceux et celles qui accueillent et qui sont accueillies. Nous avons le souhait d'élaborer le cadre de notre structure avec les personnes accueillies, de le penser ensemble. Un groupe de soutien psychologique qui existe déjà en lien avec des professionnel.le.s du soin au niveau local pourrait par ailleurs créer une cellule d'écoute et de suivi psychologique auprès des personnes accueillies et nous prévoyons d'embaucher un ou une psychologue.
Il s'agira d'une communauté agricole destinée à accueillir dignement et durablement des personnes exilé.es sans papiers. Ce sera une structure à l'image de notre territoire à la dynamique forte et à la géographie éclatée, une entité qui réunira trois lieux d’hébergements (à Tarnac, Faux-la-Montagne et Felletin) où se dérouleront des activités solidaires agricoles : une conserverie (en création avec des apports alimentaire des producteurs locaux), une cantine solidaire (en réflexion), du maraîchage (sur des terres cultivées en sol vivant depuis 15 ans et vendant en circuit court) et d’autres activités comme une pépinière (en cours de création), une boulangerie (pain au levain dans un fournil en marche depuis plus de 15 ans), de la menuiserie, des activités dans le bâtiment (rénovation en chantier solidaire encadré par des professionnels), des activités avec la ressourcerie Court-Circuit de Felletin, etc. Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous, il y aura des liens constants entre ces trois lieux et leurs activités.
Nous souhaitons accueillir 5 personnes au début, puis monter jusqu’à 15. Nous sommes actuellement en train d'acquérir une maison à Tarnac qui sera à la fois un lieu d'hébergement, lieu des activités de conserverie et de cantine solidaire, et un lieu d'événements communautaires.
Des productions locales de légumes mais aussi des récoltes issues du glanage, une fois transformées, permettront de proposer un certain nombre de produits (jus, confitures, tartinades, chutneys, etc) au profit de l’association. Des entretiens sont en cours avec les producteurs et productrices de la Montagne limousine pour connaître leurs besoins et l’utilité que présenterait la conserverie pour leur activité. En effet, pour les artisan.e.s qui le souhaitent, un service de transformation personnalisé sera proposé.
Nous sommes dans la phase de mise en œuvre du projet. Suite à un accompagnement du DLA (Dispositif Local d’Accompagnement), nous avons consolidé les budgets de fonctionnement et réalisé la charte et règlement intérieur de la structure. La prochaine étape, en janvier 2024, est l'achat de la maison communautaire à Tarnac. Nous y ferons ensuite des travaux pour pouvoir accueillir en septembre 2024 les premiers compas et mettre réellement en place la communauté. Aujourd'hui, notre priorité est de finaliser le financement de l'achat de la maison pour un montant de 180 000 € environ (frais de notaire et d'agence inclus) et pour cela nous avons lancé un appel à dons qui est toujours ouvert ! Des fondations nous soutiennent mais nous avons encore besoin d'apports pour boucler le budget en particulier pour financer les travaux qui suivront l'achat.