Gérard Monédiaire : Au Parc naturel régional comme ailleurs, les initiatives de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile, ont retenu l'attention des personnes qui suivaient l'affaire du bois du Chat et plus généralement les questions de la forêt. C'est ainsi que le conseil scientifique et de prospective (CSP) du Parc a décidé de s'auto-saisir de cette affaire, auto-saisine immédiatement agréée par le président du Parc. C'est ainsi que tout a commencé. Cette auto-saisie répondait à deux préoccupations. D'une part, et indépendamment de l'opportunité (ou plutôt de l'inopportunité) de cette coupe, nous avons, au sein du CSP, eu des doutes immédiats sur la procédure qui a été suivie pour la mettre en œuvre. D'autre part, il fallait prendre en considération l'action des personnes qui, à Tarnac, se sont mobilisées pour stopper cette coupe. Dans l'argumentation que nous avons présentée, nous avons insisté sur la vigueur de la société civile sur le territoire du Parc. Sans sa réaction robuste empêchant la conduite à (mauvaise) fin de la coupe, il n'y aurait jamais eu d'affaire du bois du Chat et le bois du Chat lui-même ne serait plus qu'un souvenir...
Il y en a trois. Premièrement, si le PNR peut des choses, il ne peut pas tout. Mais il peut travailler à éviter pour l'avenir des conflits et des psychodrames comme celui auquel on a assisté à Tarnac. On pense en particulier à la manifestation du 6 mars 2023 organisée par ceux qui étaient favorables à la coupe au cours de laquelle, par ignorance ou par mauvaise foi, les approximations ont été légion. Deuxièmement, du point de vue du PNR, il s'agit d'assurer au mieux ses obligations légales issues du code de l'Environnement. Troisièmement enfin, il s'agit de permettre à chacun d'exercer sereinement et utilement ses droits à l'information et à la participation. Sur ce dernier point, le CSP a été confronté immédiatement à une situation de très forte incertitude concernant le chantier du bois du Chat, puisque nous ne disposions pas d'éléments fiables concernant plusieurs points cruciaux. Il était impossible de connaître la qualification initiale de la parcelle en cause, cette qualification ayant des conséquences très différentes. Par ailleurs nous n'arrivions pas à savoir non plus, de quelle manière la protection de l'environnement avait été prise en compte dans le plan simple de gestion (PSG). C'est pourtant une obligation du code forestier dès lors en particulier que le projet de coupe concerne des espaces protégés, ce qui était le cas en l’espèce au titre de la politique Natura 2000. Nous savions que la parcelle était en « zone de protection spéciale » pour la protection des oiseaux, mais un doute persistait sur le point de savoir si la parcelle était en « zone spéciale de conservation », ou à proximité. Si tel était le cas, alors une étude d'incidence du projet, l'équivalent d'une étude d'impact sur l'environnement, était obligatoire. Le président du PNR a donc écrit au président du Centre national de la propriété forestière (CNPF) à Bordeaux, pour connaître les éléments du PSG du bois du Chat en matière environnementale. Sans surprise, ce dernier a répondu par un refus. Je dis sans surprise, car en 2020, la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), dans une affaire tout à fait similaire, s'était prononcée pour la non-communicabilité du PSG au motif que cette communication « porterait atteinte à la vie privée », ce document pouvant contenir des données fiscales qui sont classiquement couvertes par le secret fiscal. Pourtant, en 2022, un arrêt du Conseil d'État concernant une forêt départementale avait adopté une position totalement contraire, tranchant pour la communicabilité des informations environnementales...
Nous avons proposé au PNR de saisir la Cada, qui, rappelons-le, est une autorité administrative indépendante, aux fins d'établir l’illégalité du refus de communication du PSG par le CNPF. Dans notre saisine, nous référant à l'arrêt du Conseil d'État, nous avons raisonné par analogie entre forêt publique et forêt privée. À ce stade nous demeurions inquiets car, par manque cruel de personnel, les avis de la Cada se font généralement attendre de longs mois... Le 14 décembre 2023, la Cada a pourtant rendu un avis qui reprend quasi mot à mot l’argumentation du PNR et elle a fait évoluer pour elle-même sa doctrine en se prononçant pour la communicabilité des éléments environnementaux des plans simples de gestion (voir encadré). Mais cette position nouvelle n'est pas une décision de justice, ni un acte contraignant juridiquement et n'a que la valeur d'un avis, la Cada étant une autorité administrative indépendante mais dépourvue de pouvoir réglementaire. Toutefois c'est un succès important qui a permis au président du PNR d'aussitôt réclamer à nouveau les éléments refusés par le CNPF. Malheureusement celui-ci a refusé à nouveau de transmettre le PSG, sous un prétexte assez cocasse : car le PSG se caractériserait, je cite, par son « enchevêtrement » ! Si tel est le cas, à qui imputer cet embrouillamini, sinon à ceux qui ont élaboré puis agréé le PSG ?
Il peut déposer un recours juridictionnel administratif, ou formuler une plainte devant la Commission européenne pour non-respect par la France de la directive Natura 2000, ou encore déposer une plainte devant le comité du respect des stipulations de la convention d'Aarhus relative au droit à l'information, à la participation du public et à l'accès à la justice en matière environnementale... Mais ce sont évidemment des procédures qui sont très longues.2
Ce qui me semble important c'est que l'avis de la Cada qui est rigoureusement fondé en droit est absolument clair sur le fond. Et cet avis ne se contente pas de donner au seul PNR un droit de regard sur les PSG. Il indique que celui-ci, je cite, « est communicable à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L124-3 du code de l’environnement, après occultation des coordonnées personnelles (adresse personnelle) ainsi que celles relatives à l’engagement fiscal du propriétaire, dont la communication ne présente pas, pour l'information du public, un intérêt supérieur à celui tenant à la protection de la vie privée. » La communication est donc ouverte à tout le monde, associations, particuliers, etc. C’est un succès pour ce qu’on appelle parfois la « démocratie environnementale ». L'avis de la Cada ruine totalement les énormités qu'on a entendues prononcées, par ignorance ou démagogie, lors de la manifestation du 6 mars 2023 au bois du Chat. « Cette coupe est légale » : eh bien non, ce n'était pas légal. « La forêt n'est pas un bien commun » : eh bien non, c'est un peu un bien commun simultanément à ses statuts de propriété privée ou publique. Au demeurant, la conception souveraine et exclusiviste du droit de propriété (qui considère, par le truchement d’une lecture tronquée de l’article 544 du Code civil, le propriétaire comme un monarque de droit divin chez lui) n'a jamais existé. C'est juste un argument utilisé pour présenter ceux et celles qui considèrent que la forêt est aussi un bien commun comme des hurluberlus qui voudraient transformer la terre entière en un immense kolkhoze ! Et alors qu'on a droit à de continuelles leçons de civisme de la part des institutions, on s'aperçoit que ces dernières ne respectent pas les dispositions du droit ! En effet, le Centre national de la propriété forestière est un établissement public national, placé sous la tutelle du ministre de l'Agriculture, et il est le premier à ne pas respecter l'accès pourtant légal aux documents administratifs comme l'ont rappelé en 2022 le Conseil d'État et cette année la Cada avec cet avis du bois du Chat. Le code de l'Environnement dispose expressément que tout établissement public doit rendre publics les éléments qu’il détient concernant la protection de l'environnement !
1 Lire IPNS n°82 et voir les différents reportages de Télé Millevaches sur le sujet (https://telemillevaches.net/?s=bois+du+chat)