Les objectifs d’un ABC sont donc multiples :
Localisation des enjeux en termes de biodiversité forestière. Les zones vert pâle continu indiquent les secteurs où la préservation de la trame « milieux boisés anciens » est primordiale. Les zones en rose indiquent les secteurs où la diversification des peuplements et la mise en place d’une sylviculture plus douce seraient intéressantes. Les traits rouges pointillés indiquent les deux lignes électriques qui nécessiteraient un équipement de signalisation pour les rapaces. Les enjeux « Petites Chouettes » et « Circaète » sont expliqués dans le rapport final.
C’est dans ce cadre que, né d’une initiative des habitants et du soutien de la mairie, l’ABC de Gentioux-Pigerolles a été réalisé entre décembre 2021 et décembre 2023. Il a été co-porté par la mairie de Gentioux Pigerolles et l’Association Le Champ des Possibles. En 2021, la commune de Gentioux-Pigerolles était déjà impliquée dans plusieurs projets et actions de préservation de la biodiversité (Label commune bio-engagée, réduction des pollutions lumineuses nocturnes). L’élaboration d’un Atlas de Biodiversité Communal se trouvait être une suite logique à ces différents engagements dans le sens de la préservation de l’environnement à l’échelle du territoire.
Afin de coordonner et réaliser ce projet, la municipalité s’est appuyée sur une association locale : l’association Le Champ des Possibles. Cette association, créée en 2008, basée à Gentioux-Pigerolles, développe une activité de recherche scientifique en écologie centrée sur l’impact des changements globaux sur la biodiversité à l’échelle du plateau de Millevaches. Elle travaille régulièrement en partenariat avec d’autres structures de recherche (CNRS) et avec les gestionnaires d’espaces naturels locaux (CEN Nouvelle-Aquitaine, PNR Millevaches en Limousin). Les données accumulées lors des études précédentes à Gentioux-Pigerolles ont été ajoutées aux résultats de l’ABC afin d’enrichir la liste des espèces présentes et d’affiner notre connaissance de la fonctionnalité des milieux. Par ailleurs, l’association développe depuis longtemps un volet de sensibilisation et de formation (enquêtes de sciences participatives, sorties, animations, formations d’étudiants). Ces outils ont été largement mobilisés lors du projet d’ABC.
C’est aussi grâce à la mobilisation d’un réseau dense de partenaires locaux que ce travail a pu être conduit avec succès : Association La Bascule, Ecole primaire de Gentioux-Pigerolles, Centre d’accueil et de loisirs de Gentioux (ALSH), Agriculteurs et agricultrices de la commune, Conservatoire des Espaces Naturels Nouvelle-Aquitaine, PNR Millevaches en Limousin, Association de défense du vivant et des paysages du plateau de Gentioux (ADVPPG), Groupe Mammalogique et Herpétologique du Limousin …
L’acquisition de connaissances et la compilation des données existantes dans le cadre de ce projet se sont faites selon plusieurs axes de recherches représentés ci-dessous, déclinés par grands types de milieux : milieux forestiers, milieux agricoles, landes et tourbières.
De janvier 2022 à octobre 2023, un calendrier d’animations variées, à destination du grand public, de l’école ou du centre de loisirs (ALSH) a été développé. Ces animations ont tenté de couvrir tout le territoire de la commune en proposant des départs depuis les principaux hameaux de Gentioux-Pigerolles. Elles étaient annoncées par affichage et sur la page Agenda du site internet de l’ABC. L’information était relayée par l’association La Bascule auprès de ses adhérents et par les bulletins municipaux. Ces animations ont été directement en lien avec les axes de recherche de l’ABC (notamment la présentation et la formation pour les enquêtes de sciences participatives) ou bien visaient à découvrir des techniques ou des taxons non étudiés au sein de l’ABC.
Le recours massif à des études de sciences participatives a permis la mobilisation de nombreux bénévoles et la collecte d’un nombre considérable de données permettant de mieux cerner les tensions à l’œuvre sur la biodiversité de notre territoire. C’est ainsi qu’ont été réalisées les cartographies de loges de Pic noir, les études sur les fourmis des bois, sur les lichens corticoles, sur le recensement de terriers de blaireaux…et ont impliqué plus d’une centaine de bénévoles. De la même façon, l’étude de la biodiversité des milieux prairiaux a été permise grâce à la participation d’une dizaine d’agriculteurs.
Au-delà du recensement des espèces présentes sur le territoire (plus de 1500 espèces recensées), la mise en place de bases de données spatialisées concernant certaines espèces bioindicatrices a conduit à des travaux de modélisation permettant de comprendre l’impact des paramètres environnementaux (structures et changements des paysages de notre territoire) sur la biodiversité. Son intérêt est de montrer qu’au-delà des milieux considérés classiquement comme patrimoniaux, la conservation de la biodiversité nécessite une approche globale sur un territoire.
En effet, la disposition relative des différents milieux, dépendant des activités humaines, permet ou empêche l’existence de zones refuges et de corridors écologiques, nécessaires au maintien de la biodiversité sur le moyen terme. Cela est valable quel que soit le type de milieu auquel on s’intéresse. Cette compréhension fine des tensions et des enjeux n’est permise que par l’implication active des habitants, qui produisent la connaissance de terrain nécessaire à ces travaux.
Cette approche, combinant à la fois travaux d’inventaires et travaux de modélisation de la qualité des habitats à l’échelle de la commune, a permis de générer des cartes des « enjeux et recommandations biodiversité » pour chaque type de milieu. L’utilisation d’une combinaison d’espèces bioindicatrices appartenant à des groupes taxonomiques variés pour chaque type de milieu permet de révéler les tensions majeures affectant la biodiversité à l’échelle communale. Par exemple, en ce qui concerne les milieux forestiers, que l’on s’intéresse au Pic noir, aux fourmis des bois, au lichens corticoles ou aux coléoptères saproxyliques, tous les modèles étudiés révèlent des tensions fortes sur la biodiversité des espèces forestières de par la monoculture de résineux et l’importance cruciale comme zones refuges et corridors écologiques des forêts feuillues âgées de plus de 70 ans et des linéaires de vieux arbres constituant des réseaux boisés autour des espaces agricoles. La carte des enjeux concernant les milieux forestiers est donnée dans la figure suivante comme exemple.
Il est impossible dans le cadre de cet article d’entrer dans le détail des résultats obtenus. Ces derniers sont disponibles dans plusieurs documents consultables sur le site de l’association Le Champ des Possibles : https://assochampdespossibles.wordpress.com/publications-2/
Ces documents se déclinent en un rapport scientifique complet (192 p), un résumé de ce rapport présentant les cartes des enjeux écologiques, et une brochure grand public.
Des Atlas permanents de la biodiversité et d’autres ABC sur la Montagne Limousine ?
L’expérience de l’ABC de la commune de Gentioux-Pigerolles souhaite s’inscrire dans une histoire sur le long terme. En effet, recenser la biodiversité prend tout son sens quand ces recensements se font de façon répétée sur le moyen et le long terme. Inscrits dans le temps, ces travaux permettent d’examiner si les connaissances acquises ont servi à guider nos décisions locales quant à l’occupation du territoire et la gestion des milieux.
Quoi qu’il en soit, plusieurs communes de la Montagne limousine (Faux-la-Montagne, La Villedieu, St Martin-Château) ont cerné l’intérêt de réaliser un ABC sur leur territoire et s’engagent à leur tour dans cette aventure.
Frédéric Lagarde