Né à Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde, dans une famille protestante, il est élevé par ses grands-parents maternels en Dordogne jusqu'à l'âge de 12 ans où il rejoint, en Allemagne, en voyageant, seul, un collège piétiste des frères moraves, choisi par son père, pasteur tourmenté et rigoriste. Il en a parlé comme d'une « rude épreuve » qui le rendit allergique à toute forme d'autorité constituée. Après avoir quitté, à pied, la Rhénanie en 1844, il étudie la théologie au collège protestant de Sainte-Foy-la-Grande puis, après le bac, à la faculté protestante de Montauban. À 20 ans, il va suivre les cours du célèbre géographe, Carl Ritter à l'université de Berlin. Avec son frère Elie, dont il restera très proche toute sa vie, ils deviennent athées et s'exilent après 1851 à Londres, pour fuir le régime de Napoléon III et sa police. Après avoir été régisseur d'un domaine agricole irlandais, il s'embarque pour la Louisiane, puis la Nouvelle Grenade, en Colombie.
De retour en France, en 1857, alors qu'il commence sa collaboration avec Louis Hachette pour les guides touristiques Joanne, ses articles dans la Revue des Deux Mondes le font connaître d'un public cultivé. En 1868 et 1869, il publie, toujours chez Hachette, les deux volumes de La Terre, premier étage de sa « trilogie scientifique ». Suivront, La nouvelle géographie universelle en 19 volumes, de 1876 à 1894, et L'homme et la terre, six volumes, en 1905.
Ses œuvres mêlent la rigueur scientifique et la qualité littéraire. Ses « longues recherches dans la poussière des bibliothèques » étaient toujours complétées par la confrontation directe avec la campagne, la montagne, les fleuves, les ruisseaux et les collines. Il entend promouvoir une pensée sans frontières, résolument pluridisciplinaire. Il fustige la spécialisation des savoirs et la science « racornie, desséchée », enseignée dans les universités devenues des « fabriques de brevets au profit de la bourgeoisie ». Sa foi en la science ne le fait pas sombrer dans un scientisme béat comme trop de ses contemporains. Il n'oublie pas que le savoir scientifique est nécessairement relatif et précaire ; il voudrait réhabiliter l'idéal humaniste de la Renaissance : une science désintéressée échappant aux lois du marché.
Dès 1851, Elisée affirme ses convictions anarchistes qui vont évoluer et se raffermir en même temps que ce courant de pensée. D'abord très influencé par Proudhon, son adhésion en 1864, à l’AIT (Association internationale des travailleurs) lui permet de rencontrer Bakounine, avec qui il s'affirme « anarchiste communiste ». Pendant et après la Commune, son anarchisme se précise et se renforce. Sa rencontre avec Kropotkine en 1877, point de départ d'une longue amitié, le conduit à défendre une conception évolutionniste de l'anarchisme ; « fondons en nous-mêmes et autour de nous-mêmes de petites républiques. Graduellement, ces groupes isolés se rapprocheront comme des cristaux épars et formeront la grande République ». En 1902, dans L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique Elisée Reclus réaffirme avec la Boétie, que « toute obéissance est une abdication » et il préconise de désobéir à tous les patrons, juges, chefs, comités directeurs, partis, curés, églises, dogmatiques en tout genre, pour « penser, parler, agir librement en toutes choses ».
Présenter Élisée Reclus comme un précurseur de l'écologie politique n'a rien d'anachronique. Dès 1864, dans la Revue des Deux Mondes, Élisée déclare : « Nous sommes les fils de la terre. C'est d’elle que nous tirons notre subsistance. Elle nous entretient de ses sucs nourriciers et fournit l'air à nos poumons (…) Quelle que soit la liberté relative conquise par notre intelligence et notre volonté propre, nous n’en restons pas moins des produits de la planète. » Il ajoute : « La terre, c'est le corps de l'humanité, l'homme c'est l’âme de la terre. » Il pointe l'ambivalence de l'action humaine qui, « d'un côté détruit, de l'autre améliore, et qui contribue tantôt à dégrader la nature, tantôt à l'embellir ». Il condamne le déboisement, particulièrement sur les pentes, qui favorise l’érosion des sols et les inondations. Et il note que « les villes élèvent la température et polluent l'atmosphère ». Il a clairement conscience que le développement de la civilisation techno-industrielle, avec la croissance des villes et des moyens de transport, suscite un double mouvement de flux et de reflux : exode rural d'une part et besoin d'évasion dans la nature des urbains, car « le sentiment de la nature progresse au fur et à mesure qu'elle disparaît sous nos yeux ». Alors qu'il est un marcheur, un randonneur, un escaladeur exceptionnel, il pressent les dangers du tourisme de masse. Il s'inquiète également du développement des banlieues et des lotissements à la périphérie des villes : « La spéculation s’empare de tous les sites charmants du voisinage, elle les divise en lots rectangulaires, les enclot de murailles uniformes, puis y construit par milliers des maisonnettes prétentieuses ». Il se plaît à rêver du jour où « tous les hommes, sans exception, respireront de l'air frais en abondance, jouiront de la clarté et de la lumière du soleil, dégusteront la fraîcheur de l'ombre et le parfum des roses et nourriront leurs enfants, sans craindre de manquer de pain ». Il veut toujours tenir les deux bouts de la chaîne : la justice sociale et l'amour de la nature.
Jean-François Pressicaud