« Je suivais les réseaux sociaux de la Coordination Rurale (CR), et j'ai vu qu’un convoi partait d’Agen pour rejoindre Paris et paraissait particulièrement motivé. Il passait par l'A20, et je me suis dit que je pourrais le rejoindre à Limoges. Parties d'une revendication sur la hausse du GNR (Gazole Non Routier), les revendications s'étendaient et me rappelaient le début du mouvement des Gilets Jaunes. J’attends au Burger King de Feytiat, et c’est là que je croise un convoi de tracteurs qui allait bloquer à Boisseuil. Je passe l'après-midi sur le blocage et je récupère les informations qu’il me fallait : le convoi de la Coordination Rurale s'arrêtera à Panazol pour la nuit. Le départ est prévu à 5h du matin. Je m'y rends à pied depuis le centre-ville de Limoges. J'arrive à Panazol et demande si je peux monter dans le convoi. Au début le responsable syndical refuse car je ne suis pas agriculteur. Je m'invente une activité de maraîcher, ça passe et je monte dans une voiture.
Début de matinée, un blocage de blindés sur l'autoroute. J’entends quelqu’un dire : « Y’a des flics ici mais pas dans les cités ». Des tracteurs équipés de pique-botte se positionnent devant. Je commence à entendre des vieux qui disent qu'ils vont aller au contact. Une glissière de sécurité est cassée, tous les véhicules sortent de l'autoroute sauf les 7 tracteurs de tête où se trouvent les responsables syndicaux. Ils restent pour négocier. Un peu plus tard, les blindés se retirent et on se remet à avancer sur l'autoroute. Je monte dans un tracteur de tête.
A midi, on s'arrête sur l'autoroute et on commence à pique-niquer avec les 300 personnes du convoi. 95% d'hommes, tous âges mélangés. L'organisation est un peu chaotique, j'essaie de faire des sandwichs pour tout le monde mais chacun se sert en pâté avec son couteau perso sans trop se préoccuper des autres. Il y a beaucoup de céréaliers, quelques gros maraîchers, peu d’éleveurs, tous surendettés. Ce qui ne les empêche pas de me conseiller de voir plus gros pour chopper plus de subventions.
Ravitaillement en GNR, puis on repart vers 14h. A 16h, on sort de l'A20 et on va sur la départementale. Les gendarmes essaient de remonter le cortège, mais les tracteurs les en empêchent en occupant toute la voie. À chaque traversée de village, ambiance Tour de France, avec acclamations, klaxons, messages au bord de la route. En discutant avec les personnes dans les villages, les gens parlent de leurs situations de merde. On fait halte le soir dans un grand corps de ferme. On est maintenant 500 personnes. Barbecue, picole, ambiance tranquille. Ça discute vite fait. Tout le monde s’accorde pour dire que les politiques actuelles sont favorables aux écolos. On nous annonce au mégaphone que le départ est prévu à 7h demain. Certains dorment dans leurs tracteurs, d'autres dans leur camionnette. Je me couche tôt cette fois-ci parce que je suis vanné.
Matin. Quelqu'un allume le groupe électrogène vers 5h30 pour lancer le perco. Le chef de la Coordination Rurale du Lot-et-Garonne (CR47) donne un point de rendez-vous aux véhicules hors tracteurs, à Étampes dans une concession de tracteurs New Holland. On arrive sur place vers 10h du matin. Le reste du convoi de tracteurs se fait bloquer et disperser. Nous n'avons plus de contact avec eux. Quelques flics finissent par arriver à la concession. Le groupe de véhicules se sépare encore en deux, certains ont pour consigne d'aller à Rungis, au Castorama, sans former de convoi. Une fois là-bas, on apprend que Karine Duc (co-présidente de la CR47) qui était dans le convoi, est allée jusqu'à Matignon pour être reçue par le Premier Ministre. Elle finit par revenir au parking de Castorama. Nous sommes 70. Elle annonce que le gouvernement va mettre en place des prêts à taux zéro, que Attal et ses conseillers ne connaissent pas les problèmes de l'agriculture, et qu'il faut leur expliquer. Certains semblent satisfaits, d'autres plus circonspects. À quelques-uns, on se dit que c'est un peu nul d'attendre sur ce parking, alors qu'on pourrait aller plus près de l'entrée de Rungis et faire quelque chose. On discute en petit groupe, je dis qu'on pourrait aller ailleurs à Paris, dans d'autres lieux symboliques. Un vieil agriculteur du 47 qui m’entend parler m'interpelle un peu brutalement et me demande qui je suis. Je refuse de lui répondre.
Des flics en civil me sortent du cercle et veulent me contrôler. Je refuse. Un des agriculteurs avec qui j'avais sympathisé vient me défendre et dit qu'il me connaît. Les flics renoncent. Je finis par quitter le rassemblement. Je prends le bus, offert par le conducteur de la RATP avec qui je discute du convoi et des prochaines grèves à venir, des JO... Lui aussi, partage l'idée que ça serait bien qu'il y ait un retour des Gilets Jaunes, et une petite révolution. »