Installée depuis plusieurs générations sur la commune de Royère-de-Vassivière, au lieu-dit le Villard, la famille Vialatoux possède actuellement une exploitation de 120 vaches allaitantes sur 200 hectares et prévoit la création d’un atelier d’engraissement porcin pour 2025. Cyril et Alexandre, les deux plus jeunes, ont rejoint leur père et leur oncle au sein du GAEC il y a environ un an. Après avoir travaillé comme salarié dans plusieurs élevages de porcs, Cyril a pris goût à l’élevage porcin, et souhaite aujourd’hui lancer cette activité. Dans la crainte de manquer de fourrage dans les années à venir pour leur élevage bovin, les deux frères ont préféré diversifier l’activité de la ferme et s’orienter vers ce projet sur lequel ils travaillent depuis plus de deux ans.
Le projet nécessite la construction d’un bâtiment de 1000 m² sur caillebotis, un sol en plastique ajouré, permettant l’évacuation des déjections animales et l’eau de lavage du sol, dans une fosse d’1,5 m de profondeur sous le bâtiment. Celle-ci permettrait de stocker jusqu’à 9 mois de lisier en attendant les périodes d’épandage dont le renouvellement se fera en moyenne tous les deux ou trois ans sur chaque parcelle, au printemps ou à l’automne, et soi-disant de limiter les odeurs au quotidien. Après étude réalisée par un cabinet privé pour établir le plan d’épandage, ce sont 266 hectares qui sont prévus sur les communes de Royère-de-Vassivière, Gentioux et Faux-la-Montagne, sur leurs propres terres, mais aussi chez d’autres agriculteur.rice.s à qui la prestation d’épandage de lisier sera vendue.
La structure pourrait ainsi accueillir 1200 porcs au total dont 400 porcelets en post-sevrage (8 à 25kg) et 800 porcs en engraissage (25 à 110kg). Basée à Montluçon et présente sur plus d’une trentaine de départements, la coopérative Cyrhio vend le projet (un investissement d’environ 550 000 euros), conseille, approvisionne, gère les débouchés et le transport des animaux, qui dit mieux ? Elle compte déjà plus d’une quinzaine d’élevages porcins ayant déjà été autorisés en Creuse2. Et elle a accompagné récemment les membres du GAEC sur le terrain afin de présenter le projet à différents acteurs locaux tels que le Parc naturel régional de Millevaches ou encore les élu.e.s des communes concernées par le plan d’épandage.
Une installation comme celle-ci fait partie des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), c’est-à-dire, qui sont susceptibles de présenter des dangers ou des inconvénients pour l’humain, son environnement ou la nature3. Un dossier avec notamment le plan d’épandage a donc été déposé à la préfecture auprès de la DDPP (Direction Départementale de la Protection des Populations) pour contrôler l’absence de risques sanitaires et environnementaux, il est actuellement en cours d’instruction administrative pour vérifier la conformité aux réglementations en vigueur4.
Une fois le dossier admis, ce qui pourrait très rapidement être le cas, il sera accessible en ligne et fera l’objet d’une consultation du public sur le site de la préfecture et en mairie. C’est au préfet que revient en dernier lieu la décision d’autoriser ou de refuser le projet par arrêté préfectoral, une procédure qui peut prendre entre 6 et 12 mois. Autant dire demain, d’autant que la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a demandé, le 24 janvier 2024, à « limiter les recours » des associations de protection de l’environnement et la durée de l’instruction des projets en préfecture5 (notamment en raison des nombreux recours effectués à l’encontre de projets de mégabassines). Une demande entendue par Gabriel Attal qui a annoncé peu de temps après un ensemble de mesures dont celle de passer de quatre à deux mois le délai permettant de formuler un recours contre une installation agricole (le délai était d’un an jusqu’en 2017)6, un décret qui pourrait être publié dès le mois d’avril prochain. Une dérégulation qui se fera à terme et sans aucun doute au détriment de notre santé et de l’environnement.
Au niveau environnemental, impossible de ne pas craindre l’impact des intrants chimiques (dont les traitements antibiotiques) sur les sols et l’eau en particulier, le lisier étant, entre autres, une source d’émissions d’ammoniac importante et préjudiciable à la santé et à l’environnement. Quid de la pollution des eaux souterraines et du Lac de Vassivière en cas de lessivage des sols ? Qu’en pense le Parc naturel régional de Millevaches ? Et pour l’instant le projet prévoit 1200 bêtes, mais s’il venait à s’agrandir (déjà entre 2000 et 2010, le nombre de porcins par exploitation avait triplé7), les risques de pollution iraient croissant par la même occasion !
En ce qui concerne la consommation en eau, ce sont 2900 m3 d’eau potable qui seraient prélevés annuellement sur le réseau public, de l’eau nécessaire aux abreuvoirs mais aussi au nettoyage régulier du bâtiment.
Un plan d’intégration paysagère est également prévu pour rendre le bâtiment moins visible depuis la D8 au bord de laquelle il est prévu, mais qu’en est-il des odeurs ? Même s’il est positionné en dehors des vents dominants, quel sera le degré des nuisances olfactives ? Que ce soit pour les voisin.ne.s les plus proches du Villard qui comptent à la fois des habitant.e.s et l’association des Plateaux Limousins qui accueille toute l’année des activités d’animation jeunesse, des hébergements en gîtes et évènements accueillant du public, ou bien les voisin.e.s des 266 hectares de parcelles concernées par le plan d’épandage.
En France, trois types d’élevage cohabitent : en bâtiment sur caillebotis, en bâtiment sur paille et en plein air. Grâce au caillebotis, un maximum d’animaux peuvent « grandir » sur un minimum de surface (la norme étant à 0,8m²/animal soit 20 porcs pour 16m²), sur un minimum de temps, avec un minimum de temps de travail. Il est de notoriété public que l’élevage conduit de manière industrielle repose sur des conditions de vie qui devraient questionner les citoyen.ne.s, qu’ils.elles soient consommateur.rice.s ou non, sur la notion de bien-être animal. En 2020, des images choquantes avaient été tournées dans un élevage appartenant justement à l’ancien président de Cyrhio sur la commune de Barrais-sur-Busseroles dans l’Allier ! Elles avaient été révélées par l’association L214, le jour même où une proposition de loi sur la condition animale devait être examinée8. De quoi porter un autre regard sur l’élevage intensif et choisir de cautionner ou non les pratiques qu’il induit.
Un élevage sous contrat ou comment le fait d’intégrer la coopérative Cyrhio revient à se retrouver dans une dépendance multiple : aux cours du porc, aux cours des céréales et aux cours du pétrole ! En effet, c’est l’activité tout entière qui dépendra du suivi, des conseils techniques et des directives de la coopérative. Le projet devrait engendrer un trafic routier incluant l’arrivage des porcelets et leur départ pour l’abattage, mais aussi le transport pour l’alimentation dont la provenance sera entièrement extérieure à l’exploitation. Une alimentation qui serait constituée pour 75 à 80% de céréales et pour 15% de résidus de produits végétaux.
Plus globalement et sans chercher à incriminer les porteurs de ce projet, il paraît nécessaire d’élargir le débat. Ne pas se focaliser sur l’installation d’un projet agricole individuel, mais s’intéresser à l’agriculture que nous pouvons réellement aujourd’hui espérer et choisir de soutenir et maintenir sur nos territoires ou non, dans la diversité des pratiques possibles, en vertu de l’état actuel de la planète et des ressources naturelles encore disponibles compte tenu des diverses pressions exercées par l’agro-industrie entre autres.
Comment faire pour éviter la perte de souveraineté liée à l’industrialisation de l’élevage à l’heure d’une dérégulation progressive du marché et d’une concurrence internationale de plus en plus rude ? La question de l’autonomie est cruciale, qu’elle soit technique, financière ou décisionnelle. Mais pour y travailler, ne devrions-nous pas nous réinterroger collectivement sur les moyens de coopération et d’entraide possibles à différentes échelles à commencer par le plus local possible ? Des expériences ailleurs pourraient éventuellement donner matière à y réfléchir...
Une mobilisation contre ce projet est-elle souhaitable ? Sous quelles formes ? Peut-on espérer de la part de nos élu.e.s, du Parc naturel régional de Millevaches, du Syndicat du Lac, d’associations, qu’ils et elles prennent collectivement position, arguments à l’appui, auprès de la préfecture pour dénoncer les impacts potentiels de ce projet et demander son interdiction ?
Si cet article a pour objet premier d’informer sur ce projet, peut-être pourrait-il par la même occasion vous inviter à vous regrouper pour en discuter, à solliciter vos élu.e.s et autres acteurs concernés. Gare à la dématérialisation des consultations du public et au temps qui file à toute allure, n’attendons pas pour nous rassembler, en discuter et nous mobiliser !
1 - https://www.cirhyo.fr/